Les Lumières dans les Ténèbres : La Réalité de la Fée Noire
Chapitre 41 : L'enfant de la Peur (Sora)
12839 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 05/09/2021 17:44
« Tu ne pourras pas fuir éternellement ! m’a averti Dæmonium pendant que j’esquivais ses attaques.
Le combat entre nous deux avait déjà commencé depuis plusieurs minutes et, depuis le début, je ne parvenais pas à trouver la moindre faille dans les offensives de mon adversaire. Le Premier Cadre Supérieur était très fort, sans aucun doute, mais ce n’était pas la raison pour laquelle j’avais du mal à l’attaquer.
Il dégageait une colère effroyable. Je le sentais à chacun de ses assauts. Il me semblait presque qu’il s’agissait d’une personne complètement différente de celle que nous avions rencontré pendant notre évasion de l’Abîme. Ou encore de celle qui nous avait « accueilli » lors de notre arrivée dans l’Empire de la Poussière d’Etoiles. Le brouillard violet qui lui permettait d’attaquer n’avait jamais été aussi intense. Je savais bien que la puissance de cette fumée dépendait de ma frayeur. Je faisais de mon mieux pour contrôler mes émotions, alors pourquoi est-ce que Dæmonium était encore aussi puissant ? Ce dernier n’avait toujours pas bougé de sa position. Cela dit, il n’en avait pas besoin : sa fumée faisait tout le travail.
Je me souviens avoir tenté de parer ses attaques avec Chaîne Royale, ma Keyblade, pensant que l’épée me protégerait des assauts magiques du Cadre comme elle l’avait déjà fait contre d’autres adversaires auparavant… mais je me trompais. Mon arme ne pouvait rien face à son brouillard. La seule protection valable que j’avais, c’était le sort « Miroir ». Cette magie m’entourait d’une barrière solide (quasiment) impénétrable. Mais il y avait quelques problèmes. D’abord, je ne pouvais maintenir un tel sort qu'une seconde ou deux et il me coûtait une grande quantité de réserves magiques. Aussi, même si j’avais voulu tenter une contre-attaque – ce qui n’était pas le cas – il aurait fallu que je m’approche suffisamment du Cadre. Or, c’était une tâche très difficile : plus je m’approchais, plus la fumée violette qu’il dégageait s’épaississait.
Je ne peux pas passer mon temps à me défendre, pensais-je. Il faut agir !
Cela dit, je ne voulais pas attaquer le Premier Cadre non plus. Pourquoi ? Pour vous dire la vérité, à cet instant, je n’en étais pas sûr moi-même. Dæmonium me donnait l’impression d’avoir un bon fond. Non… Plutôt, je sentais qu’il avait un bon fond. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’était pas fondamentalement mauvais. Cette pensée me trottait dans la tête depuis qu’il avait décidé de nous laisser la vie sauve en nous envoyant dans la prison souterraine au lieu de tous nous éliminer. La tentative d’Eeal de nous protéger malgré les quatre Cadres Supérieurs et la horde de soldats qui nous faisaient face avait semblé réveiller en lui de l’empathie. Un peu comme s’il… se reconnaissait à travers le fils de Minehi. Et puis, il y avait eu ce qu’il s’était passé à la sortie de l’Abîme. Je ne savais pas comment, mais quand Dæmonium m’avait attaqué, je me suis retrouvé dans un de ses souvenirs. Non, pas un souvenir, plutôt une scène dont il avait peur. Un moment qui n’était jamais arrivé : la mort de sa mère. Une fois de retour dans le monde réel, mon adversaire, à genoux, était dans un état second, triste, brisé. Je me suis souvenu de son visage tourné vers moi pendant que nous partions avec mes compagnons : des larmes coulaient sur ses joues pendant qu’il arborait une expression d’un désespoir profond.
Là, c’était une autre histoire.
Dæmonium n’était plus triste, mais brûlait d’un désir ardent de me détruire. Je le voyais dans ses yeux. Ses iris gris ne montraient plus la moindre trace d’empathie ou de tristesse. Qu’est-ce qui lui était arrivé, au juste ?
Une colonne de fumée violette est venue m’arracher à mes pensées. J’ai fait une roulade au dernier moment, évitant l’attaque de justesse. Le Cadre a continué ses assauts sans répits, ne me laissant même pas le temps de penser à quoi que ce soit. Le temps de trouver une solution pour le faire entendre raison, je devais continuer de…
- Maman ?
Un enfant d’une dizaine d’année se trouvait là, tout seul, au milieu des combats. Le pauvre petit pleurait à chaudes larmes en appelant sa mère. Je ne pensais pas que Dæmonium voudrait s’en prendre à lui : j’étais sa seule cible. Mais il n’était pas le seul danger dans les alentours. Les soldats et Trinovas pourraient vouloir lui faire du mal.
Je ne pouvais pas le laisser là.
Ni une ni deux, je me suis précipité vers lui en prenant garde de ne pas me faire prendre par les attaques de mon adversaire. J’ai pris le petit dans mes bras en bondissant hors d’atteinte du smog violet. Voyant une petite ruelle entre deux maisons, j’ai frappé le sol avec ma Keyblade, levant suffisamment de fumée pour nous masquer tous les deux. Puis, je me suis engouffré dans le passage étroit et obscur. Hors de danger, j’ai déposé l’enfant à terre, encore en pleurs.
- Papa, maman… Vous êtes où ?
J’ai essuyé ses larmes comme je le pouvais.
- Tu les as perdus ? lui ai-je demandé.
Il a hoché la tête en reniflant. Je ne risquais pas de savoir où étaient ses parents et, malheureusement, je doute que Dæmonium me laisse assez de répit pour pouvoir l’aider. Mais il était hors de question que je laisse le petit comme ça.
J’ai eu une idée.
- Voilà ce que tu vas faire, ai-je expliqué. Passe entre les maisons tout en restant caché. Ça te fera faire un petit détour, mais c’est nécessaire pour ta sécurité. Ensuite, retourne à la grande place, il y aura un homme avec des cheveux rouges en pics. Dis-lui que tu viens de la part de Sora. Il t’aidera.
J’ai essuyé une autre larme. Le pauvre était vraiment bouleversé. Qui ne le serait pas dans une situation pareille ? Surtout à son âge ?
- Tout va bien se passer, lui ai-je assuré avec un sourire. Tiens bon et tu retrouveras tes parents. Fais-moi confiance, d’accord ?
Il a hoché la tête en signe de compréhension.
- Merci, monsieur.
Et il est parti s’enfoncer dans la ruelle. Il a changé de direction et a disparu du même coup de mon champ de vision.
Je sais que je t’en demande beaucoup après ton combat, Lea. Mais je compte sur toi.
- Miroir !
Une sphère de protection est apparue autour de moi, protégeant de la fumée qui me fonçait dessus. Cette dernière s’est dissipée quand j’ai entendu :
- TE VOILÀ !
J’ai fait volte-face. Je pensais être protégé par l’obscurité de la ruelle, mais j’avais eu tort. Dæmonium m’avait remarqué. N’ayant plus d’autres choix, j’ai foncé dans sa direction. Le Cadre ne m’a même pas laissé le temps de sortir de la ruelle et m’a envoyé des colonnes de fumées. L’espace étant assez étroit, j’ai utilisé les murs des deux maisons côte-à-côte comme appui pendant ma course et me suis élevé jusque dans les airs. Le smog ne m’a pas atteint, j’étais trop rapide… ou alors, Dæmonium peinait à le contrôler au-delà d’une certaine distance. En plein « vol », j’ai cherché le petit du coin de l’œil, voulant voir s’il avait réussi à s’en sortir. Je n’ai alors pas vu le Cadre m’attaquer avant même que je n’atterrisse. J’ai hurlé de douleur en atteignant violemment le sol. Je n’étais pas dominé par la peur mais cette satané fumée faisait quand même mal. Si je perdais le contrôle de mes émotions… Eh bien, ça allait empirer.
- C’est terminé, a déclaré le Premier Cadre.
Je ne sentais plus la poignée dans ma paume. J’avais dû perdre mon épée pendant ma chute.
- Tu vas payer pour ce que tu as fait.
« Pour ce que j’ai fait ? »
J’ai levé la tête et vu plusieurs langues de brumes s’élever dans les airs, prêtes à s’abattre sur moi. J’ai roulé au sol et me suis relevé, laissant la fumée s’écraser sans m’atteindre. Pendant mon saut, la fumée la plus proche m’a suivi. Dæmonium me croyait désarmé… et il avait tort.
Ma Keyblade a répondu à mon appel et s’est matérialisée dans mes mains. J’ai détruit la langue de brume d’un coup de Keyblade avant d’atterrir. Je ne pouvais pas me protéger contre ses attaques avec mon arme, mais je pouvais riposter. Ça, c’était une bonne nouvelle ! Je n’ai pas cherché à savoir pourquoi couper la fumée avait l’air de marcher.
Ça marchait, c’était tout ce qui m’intéressait.
- De quoi est-ce que tu parles ? ai-je demandé au Cadre. Qu’est-ce qui te prend ?
- Ne joue pas l’innocent.
- Quoi ? Mais je…
Il restait deux ou trois autres langues de fumée autour de moi. Dæmonium a donné l’ordre à ces dernières de m’attaquer. Je les ai évitées sans trop de mal, attendant qu’elles attaquent pour les détruire une par une. Frapper de la fumée était bizarre. Cette fumée-là surtout. J’avais la sensation de trancher de l’air, mais je savais très bien que le smog n’était pas aussi inoffensif, se solidifiant pendant les attaques.
Le Cadre a tendu la main et la fumée autour de lui en a pris la forme, mais avec une taille dix fois supérieure au moins. J’ai jeté un œil en direction de mes camarades. Thomas, Liam et Dingo luttait toujours contre Magnus, le Cadre si rapide que j’avais du mal à le suivre des yeux. Yuki et Lea avaient réussi à vaincre leurs adversaires respectifs, Bullet et Twice. D’ailleurs, en parlant de Lea, j’ai vu ce dernier protéger un petit garçon, celui que j’avais secouru. J’ai souri. Ils avaient tous l’air d’aller bien ! Malheureusement, je ne voyais Kain et Lys nulle part. J’espérais qu’ils étaient sains et saufs.
Quelque chose m’a saisi et levé dans les airs. C’était la main brumeuse que Dæmonium avait invoquée un peu plus tôt.
- Ton adversaire, c’est moi, m’a-t-il rappelé.
Il a serré le poing et la main en a fait de même. La totalité de mon corps se faisait presser. La douleur était insupportable.
Au moins…, me suis-je rassuré, mes amis n’ont rien.
Dæmonium a fait mine de jeter quelque chose au sol avec sa main, et la fumée l’a imité. J’ai été violemment projeté à terre, hurlant de douleur.
Mais l’offensive du Premier ne s’arrêtait pas là.
Au sol, j’ai ouvert les yeux pour voir une colonne de fumée. Trop tard pour esquiver. J’ai pris l’attaque de plein fouet, faisant un maximum d’effort pour respirer le moins possible de cette brume. Ignorant la douleur, je me suis éloigné autant que possible du point d’impact en toussant. Je n’en avais pas respiré beaucoup, pourtant je sentais déjà les effets du smog. Un sentiment d’angoisse soudain m’a envahi. Je ne savais pas d’où ça venait. C’était juste… apparu. Ma respiration se faisait de plus en plus saccadée, pendant que mon rythme cardiaque s’accélérait sans aucune raison. Mon corps était secoué de tremblements incontrôlables. Je me suis surpris à avoir des pensées étranges : ma Keyblade brisée, Riku qui retournait du côté des Ténèbres sans que je ne puisse rien y faire, Kairi se réduisant en poussière lumineuse (comme quand quelqu’un perd son cœur) sous mes yeux, la totalité de mes alliés vaincus face à l’Organisation et Maléfique… En résumé, tout ce dont j’avais peur.
J’ai secoué la tête.
Calme-toi, Sora. Rien de tout ça n’est réel !
C’est ce que je me répétais en boucle pendant que ces scènes se jouaient encore et encore dans ma tête. J’avais de plus en plus de mal à penser correctement. Mon esprit, embrumé par ces pensées horribles, perdait le contrôle.
Je n’ai même pas vu que Dæmonium lançait de nouvelles attaques. Bien trop affaiblis pour bouger, les colonnes de fumée m’ont atteint. Elles étaient bien plus robustes qu’avant, j’en étais sûr. Ma peur s’aggravait, rendant ses attaques plus puissantes. Plus je respirais ce brouillard, plus mon angoisse augmentait, plus ses assauts étaient violents, plus j’avais de chance de respirer à nouveau cette chose… et ainsi de suite.
Les effets s’intensifiaient incontestablement. Je commençais à avoir l’impression que les scènes qui déferlaient dans mon esprit s’immisçaient de plus en plus dans la réalité. J’avais presque le sentiment de pouvoir les voir.
J’ai déjà vécu ça. Je peux…
- Sora ?
Je me suis figé net.
- Kairi ?
Ce n’était pas possible. Je le savais.
Pourtant, elle était bel et bien devant moi, allongée et mal en point. En la voyant, les bruits des combats autour de nous m’ont semblé lointain, jusqu’à disparaître. Mon esprit se focalisait sur elle et seulement sur elle. Mon amie me regardait avec des yeux bleus tristes. Ses cheveux acajou semblaient bruns dans cette nuit étoilée. C’était une des scènes qui me faisait le plus peur. Une scène que je redoutais énormément, espérant nuit et jour qu’elle n’arrive jamais.
Je me suis précipité vers elle.
- Kairi ! Comment est-ce que… ai-je balbutié, encore sous le choc de la voir ici. Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
Elle était vraiment blessée. Ses vêtements étaient très sales et son corps, couvert de sérieuses blessures. Mon cœur battait à tout rompre pendant que j’essayais de trouver un moyen de l’aider. J’ai cherché ma Keyblade du regard pour essayer de lancer un sort de soin. Mes yeux se sont posés sur une épée en forme de clé… en morceaux. Çà et là, il y avait des débris d’or et d’argent : les restes de mon arme. La seule chose qui demeurait intacte, c’était la garde. Mais, je ne pouvais rien faire avec.
- N’aie pas peur, Sora, m’a dit mon amie d’une voix douce.
Elle a caressé mon visage. Illusion ou non, je vous assure que j’avais l’impression que c’était vraiment Kairi qui me touchait. La chaleur de sa main, la douceur de son geste… C’était elle. C’était forcément elle.
- On va trouver une solution, ai-je promis à Kairi. Tiens bon !
Pour toute réponse, elle m’a souri tendrement.
- Tu es blessé toi aussi, a-t-elle remarqué.
- Ce n’est pas important, lui ai-je répondu. C’est surtout de toi dont il faut qu’on s’occupe !
Il devait forcément y avoir un truc que je pouvais faire. N’importe quoi !
- Tu as toujours été comme ça, a déclaré Kairi. Toujours à t’occuper des autres plus que de toi-même.
- Économise tes forces, Kairi.
Les larmes me montaient aux yeux.
- Tu te souviens des courses que toi et Riku faisiez quand nous étions un peu plus petits ? continuait-elle, souriante avec mélancolie. À chaque fois, il te battait à plates coutures.
Elle a tenté de rire mais, très vite, n’a pu que tousser.
- Arrête, Kairi…
- Ou alors, notre dessin dans la grotte, s’est-elle souvenue. Tu m’as d’abord dessiné à la craie recevant un fruit Paopu de ta part, pas vrai ? Je voulais le faire pour toi mais tu as été plus rapide.
Je lui ai pris la main. C’est à peine si elle était tiède. La vie quittait mon amie petit à petit.
- S’il te plaît, Kairi. N’en dis pas plus…
Elle tremblait de plus en plus. Sa voix faiblissait. Ses yeux perdaient de plus en plus de leur éclat.
La voir comme ça me tuait.
- Tu ne t’attendais pas à ce que je réponde, je parie.
- Garde tes forces, l’ai-je supplié.
Il fallait qu’elle arrête de parler. Il fallait qu’elle se préserve le temps que je trouve une solution. Parce qu’il y en avait une. Forcément. J’allais trouver quelque chose.
L’Elixir de Maxwell m’est revenu en mémoire. J’ai tendu la main devant moi mais… rien. Rien n’y apparaissait. Ce n’était pas normal. J’étais sûr que je ne m’en étais pas encore servi alors pourquoi ? Il fallait que je fasse quelque chose et vite ! Sinon, Kairi allait…
Elle allait…
- Mais je ne pouvais que le faire. Car après tout…
Kairi a utilisé ses dernières forces pour me prendre dans ses bras.
- Je tiendrai toujours à toi, Sora.
J’ai senti la chaleur agréable de son étreinte. J’ai senti nos cœurs battre à l’unisson. Et ensuite…
Plus rien.
Ma meilleure amie a soudainement disparu. Elle s’était soudainement transformée en particules lumineuses étincelantes. J’ai vu ce qui restait de Kairi flotter dans les airs… avant de disparaître.
Sous mes yeux, Kairi…
J’ai hurlé. Comme jamais auparavant. Je n’avais ressenti un tel désespoir de toute ma vie. À cet instant, mon monde ne se réduisait qu’à elle.
Concentre-toi, a fait le peu de mon esprit qui était encore sain.
Depuis que notre île avait été attaquée et que nous avions été forcés de quitter notre foyer il y a deux ans, la raison principale de mon départ, ma motivation avait toujours été Kairi.
Mon voyage avait commencé le jour où je l’avais perdue.
Et maintenant…
Allez, Sora !
Plus rien ne comptait à présent. Je voulais juste…
Disparaître.
CONCENTRE-TOI !
Me… concentrer ? Mais comment ? Je venais juste de perdre Kairi ! Comment est-ce que je pourrais…
J’ai regardé ce qu’il restait de mon « épée ». Qu’est-ce que Riku aurait fait à ma place ?
Est-ce que tout ça était réel ?
Focalise-toi sur ce que tu sais, a continué cette même partie de mon esprit, un peu plus fort cette fois-ci.
C’est sans doute ce que mon meilleur ami m’aurait dit s’il avait été là.
Ce que je sais ?
Oui… c’était ça. J’ai respiré de toute mes forces, m’efforçant d’ignorer la scène à laquelle je venais d’assister. Je devais faire un résumé de ce que je savais. De ce qui était réel.
J’ai frénétiquement cherché dans mes poches avant de finalement trouver quelque chose. Un porte-bonheur fabriqué par Kairi il y a un certain temps. Il s’agissait d’un objet en forme d’étoile ; sur une des branches, mon amie m’avait dessiné, tout souriant. Ce porte-bonheur avait été mon ancre pendant les moments difficiles, quelque chose sur lequel m’accrocher quand je voulais tout abandonner. Rien que le tenir m’a fait me sentir mieux, me donnant l’impression qu’une douce chaleur se répandait dans ma poitrine.
Mes amis et moi avons été séparés après l’attaque de notre vaisseau par un monstre de Maléfique.
Une partie de notre groupe a atterri dans ce monde : l’Empire de la Poussière d’Étoiles.
Pour aider les habitants et trouver un moyen de nous en aller, Dingo, Lea, Thomas, Yuki et moi-même luttions contre les Quatre Cadres Supérieurs, l’élite du gouvernement de l’empereur : Stellaos.
Mon adversaire était Dæmonium. Quoique « adversaire » n’était pas le bon mot. Pas à mes yeux. Je ne cherchais pas à le vaincre.
Quant à Kairi, elle ne pouvait pas être ici. Elle se trouvait sans doute avec Riku et le reste d’entre nous. Elle était donc en vie. Elle allait bien.
J’ai tendu la main. La Keyblade brisée que j’avais vu n’était qu’une illusion. Je le savais maintenant.
Comme prévu, Chaîne Royale m’a rejoint, en parfait état.
- Miroir, ai-je murmuré.
Un bouclier transparent m’a entouré. La fumée que Dæmonium projetait dans ma direction s’est dissipée au contact de ma protection. Lentement, je suis parvenu à tenir sur mes deux jambes. Les illusions avaient disparu. Le vacarme des combats s’est de nouveau fait entendre.
Le Premier Cadre était en face de moi, dégageant une aura meurtrière.
J’avais les idées claires à présent.
Je savais ce qui était réel. Je savais ce que je devais faire. Tout m’est revenu en croisant le regard du fils de Christa Lordarc.
« Kairi » n’avait été qu’une illusion.
Les autres scènes que j’avais vues n’avaient été que des illusions.
Mon arme en morceaux n’avait été qu’une illusion.
La douleur de Dæmonium – la douleur de celui que j’essayais de sauver – elle, était bien réelle.
Sans réfléchir, j’ai foncé dans sa direction. Dæmonium a d’abord été surpris, mais pendant quelques secondes seulement.
- Je ne sais pas ce que tu as en tête et je ne sais pas comment tu as fait pour te libérer des illusions. Mais peu importe. Ton existence s’arrête ici !
Sur ces mots, la totalité de son smog, une quantité suffisante pour former un nuage colossal, s’est dirigé vers ma position.
Je n’avais rien en tête. Je ne savais même pas ce que je tentais au juste. Je faisais juste ce que me disait mon cœur, comme d’habitude.
La fumée a complètement envahi mon champ de vision. Bientôt, je ne voyais plus que du violet tout autour de moi. Au lieu d’essayer d’éviter la brume, j’ai fait tout le contraire et respiré à plein poumon. Exactement comme lors de notre dernière confrontation, sauf que cette fois, j’en ai respiré bien plus. La fumée s’emparait de tout mon être. Au début, je ne pouvais pas m’empêcher de tousser et de fermer les yeux, mais au fur et à mesure, je m’habituais de plus en plus. Ma respiration redevenait normale.
Quand j’ai enfin pu retrouver le contrôle de ma vision, je me suis aperçu que le décor avait changé.
Je n’étais plus au village d’Algol en face de Dæmonium, mais dans la même maison que j’avais « visitée » lors de ma dernière vision. Enfin, c’est ce dont j’avais l’impression. Je ne me trouvais plus dans la cuisine mais dans ce qui me semblait être un grenier. L’endroit était très sombre malgré la lumière du jour qui brillait derrière la fenêtre. Cette dernière, fermée par un volet tellement endommagé qu’il ne paraissait pas capable de s’ouvrir un jour, ne laissait passer que quelques faibles faisceaux de lumière du soleil. Cela dit, l’éclairage était suffisant pour juste distinguer la poussière abondante des lieux, les morceaux de meubles brisés qui s’entassaient ça-et-là et aussi, un matelas sale et troué dans un coin de la pièce. Le problème de cet endroit ne se résumait pas seulement à son apparence, mais aussi à son odeur horrible. Je ne savais pas d’où est-ce qu’elle venait mais je doutais que qui que ce soit puisse la supporter. On aurait dit un mélange entre une odeur de renfermé et… de moisi. Quelque chose pourrissait dans cet endroit, et je ne voulais pas savoir quoi.
Quelque chose a chatouillé ma jambe. J’ai baissé les yeux pour me rendre compte qu’il s’agissait d’un insecte – une araignée peut-être – qui me regardait de ses innombrables paires d’yeux. J’ai étouffé un cri de surprise avant d’agiter ma jambe. La bestiole s’est délogée avant de rejoindre un coin sombre de la pièce. Une fois remis de mes émotions, c’est là que j’ai entendu les voix.
En-dessous de moi, une voix, qui était clairement celle d’un homme, hurlait sur une autre, plus douce et féminine. La voix de la femme essayait de calmer son interlocuteur mais n’y parvenait pas. Au bout d’un moment… J’ai entendu un coup… suivi d’un hurlement.
Au même moment, j’ai entendu un petit cri apeuré, mais qui venait de la même pièce où je me trouvais. J’ai plissé les yeux en direction du son et ai aperçu… un petit garçon, recroquevillé sur le semblant de matelas. Je me suis approché de lui aussi doucement que possible. Devant son absence de réaction, j’en ai conclu qu’il ne pouvait pas me voir. Lorsque je me suis assez approché, j’ai pu distinguer son visage plus nettement. Des cheveux aussi blancs que la neige, une peau presque aussi pâle et des yeux gris. C’était Dæmonium. Mais à le voir, le Dæmonium que j’avais sous les yeux ne devait pas avoir plus de dix ans.
Il était secoué de tremblements de la tête aux pieds. Le petit garçon se bouchait les oreilles du mieux qu’il pouvait pendant que les coups se répétaient. À chaque hurlement, il secouait la tête en se répétant :
- Tout ira bien. Je ne suis plus cet enfant. Tout ira bien.
Des larmes coulaient abondamment sur ses joues. En entendant les cris de douleur, j’ai eu l’impression que mon cœur se déchirait. Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer moi aussi. J’espérais que ce que j’entendais n’était pas ce que je croyais… mais je savais que je me trompais. Je brûlais d’envie de me précipiter en bas et d’empêcher ce qu’il s’y passait. Pourtant, quelque chose me retenait. Une peur incontrôlable. Une peur venue de nulle part qui n’était pas la mienne. Mes jambes étaient paralysées, refusant absolument de m’obéir. J’ai de nouveau posé mes yeux sur le jeune Dæmonium, toujours en proie aux larmes. Nous partagions les mêmes émotions, je le savais.
Les coups continuaient.
- Tout ira bien…
Comment est-ce que quelqu’un pouvait être aussi cruel ? Comment est-ce que cela était possible ? Je sentais la rage monter en moi, mais j’étais bien trop effrayé pour agir. Si seulement, je pouvais… Si seulement, je pouvais…
- … faire quelque chose…, a terminé le petit garçon.
La scène a encore changé sous mes yeux. Maintenant, j’étais devant un bâtiment délabré où beaucoup d’enfants se trouvaient.
Une école, ai-je pensé.
La plupart des enfants jouaient autour de moi, sans prêter attention à ma présence. J’étais sans doute encore invisible. Dans un coin obscur du bâtiment, j’ai vu Dæmonium avec quelque chose qui ressemblait à un sac. Il n’était pas tout seul.
Un groupe d’enfants du même âge étaient autour de lui.
- Les adultes racontent qu’il arrive de mauvaises choses aux gens autour de toi, a fait le plus imposant d’entre eux.
- À cause de toi, a ajouté un deuxième. Comme c’est triste, tu n'as pas changé du tout.
- Si on te bat, on sera des héros ! a terminé un autre.
Là-dessus, ils ont…
Enfin, je préfère ne pas en parler. Je me suis précipité vers lui aussi vite que possible. Pendant ma course, j’ai voulu leur hurler d’arrêter, mais rien n’est sorti de ma bouche.
Malgré ce qu’il subissait, j’ai entendu le petit garçon répéter :
- Ce n’est pas ma faute. Je n’y suis pour rien !
Malheureusement, les brutes autour de lui ne voulaient rien entendre. Au bout d’un moment qui m’a semblé une éternité, un adulte – peut-être un enseignant – les a rejoints. J’ai eu un regain d’espoir. Je pensais qu’il allait défendre le pauvre petit… mais il a juste dit aux enfants de retourner en classe.
C’est tout ce qu’il compte faire ? me suis-je indigné intérieurement. VRAIMENT ?!
Je voulais hurler de toute mes forces mais encore une fois, je n’ai pu que rester muet. La peur de Dæmonium était trop grande. Pire encore, l’adulte a regardé le petit, blessé, d’un air méprisant :
- Que ça te serve de leçon, démon.
La scène a encore changé. Pour la première fois, j’ai pu voir clairement le jeune Dæmonium à la lumière du jour. Son apparence m’a rendu plus triste que je ne l’étais déjà. Il était affreusement maigre, montrant clairement qu’il ne mangeait pas à sa faim. Ses joues creuses et son regard vide ne faisaient que renforcer cette impression. Mais ce n’était pas le pire. Ses vêtements troués laissaient apparaître des cicatrices. J’espérais me tromper, mais je pensais savoir d’où elles venaient.
L’enfant se trouvait à côté d’une porte entrouverte, un air sans vie au visage. Il n’exprimait pas la moindre émotion.
- Il y a deux semaines, a fait un homme, l’un de nos professeurs a été retrouvé mort chez lui. Une expression de terreur au visage. Il s’agissait d’un jour après avoir parlé avec votre fils.
- Je sais ce que vous pensez, a fait une voix féminine. Ce n’est pas lui.
- Madame, vu vos antécédents…
- CE N’EST PAS LUI !
La femme a dû faire un effort pour se calmer.
- Ce n’est pas la faute de mon fils. Ne croyez pas ce que tout le monde dit. Il est innocent ! Ce n’est qu’un enfant…
Malgré ses tentatives, elle n’a pas pu convaincre le directeur. Ce dernier a quand même expulsé le pauvre petit. Je n’ai pas été surpris. Ce qui veut dire que Dæmonium non plus. Nous nous y attendions.
La femme, en colère, est sortie du bureau en fauteuil roulant. Elle avait les cheveux blancs elle aussi ainsi que des yeux gris, le portrait craché de son fils. En voyant son enfant, son expression s’est adoucie aussitôt. Christa Lordarc a fermé la porte avant de s’approcher de Dæmonium.
- On va encore devoir partir, c’est ça ? lui a demandé son fils.
Madame Lordarc a mis plusieurs instants avant de finalement répondre :
- Oui, mon bébé. Mais ne t’inquiète pas, nous trouverons forcément un village qui n’aura pas entendu parler de nous.
Le petit garçon a été secoué de sanglots.
- C’est encore à cause de moi. Pardon, maman. Je suis un démon.
Sa mère a essuyé ses larmes avec tendresse.
- Pas du tout, lui a-t-elle assuré. N’écoute pas les autres, d’accord ? Tu es mon petit ange à moi. N’oublie jamais ça, …
Là-dessus, elle a dit son prénom. Je me suis alors rendu compte que je ne l’avais jamais entendu jusqu’à maintenant. N’y tenant plus, son fils est parti se réfugier dans ses bras en pleurant à chaudes larmes. Après un long moment, le petit garçon a levé la tête. Sa mère avait les yeux fermés. Il a touché son visage.
Il était froid.
Les scènes se sont suivies et les évènements se sont répétés. J’ai appris que ces choses se déroulaient depuis des semaines, voire des mois. A chaque scène, la fin ne changeait pas : madame Lordarc mourrait. Ce qui n’avait aucun sens.
Sa mère avait beau lui dire que ce n’était pas sa faute, l’enfant était convaincu que les morts étaient dues à son pouvoir. Son Essence qu’il ne maîtrisait pas du tout. Pour lui et bien d’autres, il n’était qu’un démon, un mauvais esprit. Le pire dans tout ça pour le petit garçon, ce n’était pas le fait de devoir déménager, les brutes qu’il rencontrait à chaque fois, ou les mystérieuses disparitions, mais c’était le retour à la maison. Il redoutait ce moment chaque jour depuis sa naissance.
Pourquoi ? Son père.
Ce dernier ne le voyait pas du tout comme sa mère. Loin de là. Pour lui, son fils était la source de tous leurs problèmes : les villageois qui fuyaient leur famille, certains qui les insultaient ou vandalisaient leur maison…
Et presque tous les jours, eh bien, le petit garçon et sa mère, qui essayait de le défendre, subissaient sa frustration. Plusieurs fois, Dæmonium avait demandé à sa mère de s’enfuir. Ils avaient même déjà essayé, mais le père les retrouvait systématiquement. Aussi, ils ne trouvaient jamais aucune aide extérieure. Impossible pour eux de lui échapper.
Après chaque dispute, madame Lordarc venait voir son fils au grenier, lui apportant de quoi grignoter en souriant comme si son mari ne lui avait rien fait. Elle restait avec lui en le berçant jusqu’à ce qu’il s’endorme.
- Tout ira bien, mon ange. Je t’aime.
Ce n’était que comme ça qu’il parvenait à s’endormir.
Un soir pourtant, après un énième renvoi, allait être différent des autres. Un soir qui allait changer la vie de Dæmonium.
Son père n’était pas à la maison. Pour faire oublier sa mauvaise journée, madame Lordarc avait décidé de donner à son fils un goûter. Quelque chose d’aussi ordinaire était un luxe pour les Fournisseurs de ce fichu empire. Avec juste un paquet de biscuits entier pour lui tout seul et un grand verre de lait, l’enfant était satisfait. Pendant qu’il mangeait avec appétit, sa mère le regardait en souriant.
L’enfant était heureux. Je le ressentais du plus profond de mon être grâce à la connexion étrange que l’on partageait. Il aurait voulu que ce moment dure une éternité. Malheureusement, ça n’a duré que quelques minutes.
Le mari de Christa Lordarc venait de rentrer à la maison. Dès que le petit garçon a entendu la porte s’ouvrir, l’ambiance a changé. Il avait l’impression d’étouffer dans son propre foyer, une boule d’angoisse douloureuse se formait dans le creux de son estomac. J’ai senti sa peur l’envahir petit à petit. Ce soir-là, il était encore plus en colère que d’habitude. Peut-être avait-il subi plus de brimades de la part des autres adultes. Ou autre chose. Pour être franc, vu ce qu’il faisait subir à sa famille, je m’en fichais complètement. Et son fils aussi.
Sa mère a caressé une dernière fois le visage de Dæmonium en lui disant que tout allait bien se passer. Ensuite, elle est partie à l’encontre de son mari. La courageuse dame lui a expliqué avec délicatesse qu’ils allaient encore devoir déménager. Son sang n’a fait qu’un tour.
- QUOI ? a-t-il hurlé. ÇA SUFFIT ! J’EN AI PLUS QU’ASSEZ DE CETTE CHOSE !
Dæmonium s’est figé, paralysé par la peur. Il entendait des bruits de pas furieux se rapprocher de la cuisine. C’était pour lui. Il le savait. Est-ce qu’il allait encore devoir… devoir subir ça ? Une petite partie de lui essayait de se dire que non, mais il savait que ce n’était qu’un faux espoir. Cette nuit-là, il allait se coucher blessé et meurtri. Encore.
Son père est entré dans la cuisine, furieux. Il s'agissait d’un grand homme qui ne ressemblait pas du tout à son fils : les cheveux noirs, un visage dur et ridé ainsi que des yeux noisette. Lui aussi avait un air faible, comme le reste de sa famille, à la différence que je ne ressentais pas la moindre empathie pour lui.
Madame Lordarc a essayé de le retenir de toutes ses forces, mais son mari était bien trop puissant. Quelque chose était différent ce jour-là. La mère du petit l’avait senti, c’est pour ça qu’elle hurlait à son fils de partir.
Mais il ne l’entendait pas.
Il ne l’entendait plus.
La présence néfaste de son père couvrait tout, brouillait ses sens, perturbait son esprit avec une terreur incroyable. Beaucoup trop grande pour un enfant.
C’était son père, le véritable démon de l’histoire.
L’homme a pris son fils par le cou et l’a levé dans les airs. Je pouvais voir le pauvre gamin avoir de plus en plus de mal à respirer. Madame Lordarc essayait encore et encore de venir en aide à son fils, mais sans succès. Son… « mari » en a eu marre et l’a violemment envoyé contre le mur d’un geste.
Christa Lordarc a tenté de se relever mais, étant infirme, ses efforts ont été vains. Ce n’est que là que j’ai compris comment elle était devenue handicapée. Dæmonium aurait dû être en colère, mais sa peur était bien trop grande. Notre peur était bien trop grande.
- Je t’en supplie, arrête ! hurlait-elle. Tu ne peux pas faire ça à ton propre fils !
Les yeux cruels de l’homme continuaient de fixer l’enfant qu’il tenait fermement.
- JE N’AI PAS DE FILS ! CE N’EST RIEN DE PLUS QU’UN DÉMON !
Une fois de plus, les pensées de Dæmonium se mélangeaient aux miennes.
Dæmonium ne comprenait pas pourquoi cette scène se déroulait sous yeux. Il suffoquait pendant que des souvenirs lui revenaient. Souvenirs que je voyais aussi. Il s’est souvenu des nombreuses fois où son père le traitait de démon. Sa mère lui disait à chaque fois qu’il disait ça seulement sur le coup de la colère. Qu’en vérité, son père était inquiet pour lui.
- Papa… a essayé le petit garçon.
- NE M’APPELLE PAS COMME ÇA ! a coupé son père. JE VAIS TE TUER !
Il ne va quand même pas faire ça… pensait innocemment Dæmonium.
- Papa, je t’…
La prise autour de son cou s’est resserrée. Le pauvre petit respirait de moins en moins. Je n’en pouvais plus. Je n’allais pas le laisser faire !
Malgré la terreur qui me paralysait, j’ai donné un coup de Keyblade au père, oubliant complètement que c’était une illusion. Mon attaque n’a bien sûr eu aucun effet, le traversant comme si de rien n’était. J’ai hurlé de frustration. C’était exactement comme la dernière fois. Je n’avais pas d’autre choix que d’assister à la scène jusqu’au bout. Je suis tombé à genoux, complètement impuissant. J’avais horreur de ça.
Les cris de supplications de sa mère et la haine de son père envahissait l’esprit du pauvre garçon.
« Ton père t’aime, mon ange. »
« N’aie pas peur de lui. Il est juste inquiet pour toi. »
En croisant le regard plein de haine de son père, Dæmonium n’y croyait plus.
La vérité lui est enfin apparue telle quelle. Celui qui était censé être son père essayait vraiment de le tuer. Son « père » ne l’aimait pas. Il ne l’avait jamais aimé. Toutes les fois où il le traitait de monstre, de démon, il le pensait. À chaque fois qu’il menaçait de le tuer, il le pensait. Ce type n’était pas son père. Le petit garçon n’en avait jamais eu.
Quelque chose s’est brisé en lui.
- C’est vrai…
Les hurlements de sa mère se sont arrêtés et la prise au cou de son père s’est fait moins puissante. Le jeune garçon dégageait une aura effrayante à présent. Une présence bien plus étouffante que son père. Un sentiment de puissance immense l’a envahi. Il n’avait plus rien de petit garçon effrayé de quelques instants plus tôt à peine.
- Je suis un démon.
Le petit garçon a regardé l’homme droit dans les yeux.
- Et tu es ma proie.
Sur ces mots, son père a été brutalement projeté contre le mur. Dæmonium s’est réceptionné au sol et a avancé d’un pas tranquille vers l’homme. Une fumée violette familière enveloppait peu à peu l’enfant sans qu’il ne s’en rende compte. Ses yeux brillaient d’un éclat dangereux. Son père, au sol, le regardait, terrorisé. Dæmonium s’est rendu compte que c’était avec ces même yeux que son géniteur tentait de l’éliminer quelques instants plus tôt. Non, même avant ça. C’était avec ces même yeux qu’il l’avait toujours regardé.
Le jeune garçon a souri.
- Comme c’est drôle, a-t-il déclaré. Tu as toujours eu peur de moi, pas vrai ?
Son père n’a pas répondu, ce qui a déçu Dæmonium. Il aurait voulu entendre l’homme le traiter de démon une dernière fois, mais ce dernier ne le pouvait pas : trop effrayé pour ouvrir la bouche…
Exactement comme son fils durant toutes ces années.
- Eh bien…
Le garçon a posé une main sur le cœur de son père.
- Tu avais raison.
Une partie de la brume violette s’est infiltrée dans la poitrine de sa cible. La respiration de son père s’est accélérée. Son cœur battait de plus en plus vite. Au bout de quelques secondes, il a faibli… jusqu’à s’arrêter définitivement.
Le silence a envahi la pièce. Dæmonium s’est levé sans quitter des yeux ce qu’il restait de son père. Un sentiment de délivrance nous a envahi. Ça avait été si facile ! Son tortionnaire était enfin parti. Il n’aurait plus jamais peur. Il pourrait enfin vivre tranquillement avec…
Sa mère a hurlé.
Dæmonium s’est tourné vers elle à temps pour voir le smog envelopper sa mère. Il s’est enfin rendu compte de l’existence de cette fumée. Le garçon s’est précipité vers mère. Les yeux de madame Lordarc perdaient de leur éclat, fixant celui qu’elle appelait « son ange » d’un air sans vie. Les larmes sont montées aux yeux de Dæmonium.
Il appelait sa mère sans relâche, mais elle ne répondait pas. Il continuait encore et encore, mais sa voix ne semblait pas l’atteindre, peu importe ses efforts. La fumée autour de lui avait complètement disparu.
Le pauvre enfant voulait juste protéger sa mère. C’était tout ce qu’il souhaitait. Mais il avait échoué. Il était la cause de tout ça, et il le savait.
- Je ne crois pas qu’elle soit morte, a fait une voix derrière lui.
Le jeune Dæmonium s’est retourné. Son regard embué par les larmes a croisé celui d’un homme d’une quarantaine d’années vêtu d’une veste en plumes noires et de bagues aux doigts dont certaines étaient incrustées de pierres précieuses. Son visage était étrangement familier à Dæmonium. Pour ma part, je l’ai reconnu tout de suite. Qu’est-ce que Stellaos fichait ici ?
- Désolé, petit, a-t-il continué Je toquais depuis un moment déjà mais personne ne répondait. Alors, mes gardes m’ont fait entrer.
D’un signe de tête, il a désigné deux soldats en armure armés de tridents.
- Vous, est enfin parvenu à articuler le jeune garçon. Vous êtes sur les pièces de monnaie…
Stellaos a eu l’air satisfait.
- C’est ça. Je suis l’empereur en personne.
Peu importait à Dæmonium qui cet homme était.
- Êtes-vous sûr que… que ma mère n’est pas…
Sa gorge se nouait à la perspective de prononcer ce mot. Il refusait que ce soit la fin pour elle. Sa mère méritait beaucoup mieux que ça.
- Absolument, a répondu l’empereur. Je peux l’aider, si tu veux.
Le jeune garçon n’en a pas cru ses oreilles. Elle était encore en vie !
- Vraiment ?!
- Enfin, je vais essayer.
- Comment ça ?
L’empereur a commencé à faire les cent pas.
- J’ai les moyens de faire en sorte que des recherches soient faites pour essayer de la soigner. Et peut-être même, lui permettre de marcher à nouveau. Mais… J’ai une proposition à te faire.
La mère de Dæmonium lui avait toujours dit de se méfier des inconnus, peu importe leur statut. Le problème, c’était que le pauvre enfant n’avait pas le choix. Et ça, ce sale empereur le savait et en profitait. J’ai hurlé à Dæmonium de ne pas lui faire confiance, mais il ne m’a pas entendu. Il a essuyé ses larmes et s’est redressé, faisant face à son interlocuteur.
- Je vous écoute.
Un sourire s’est dessiné sur les lèvres de Stellaos.
- Bien. J’ai entendu parler de toi, d’où mon déplacement. Tes capacités pourraient m’être bien utile. En échange, je te promets d’essayer de soigner ta mère, même si je pense qu’un simple sort de soin ne sera pas suffisant. En plus de vous donner, disons, une meilleure vie à tous les deux. Oh, et bien sûr, j’oublierai cet… « incident » avec ton père.
Le petit garçon a regardé sa mère, inconsciente. Ils avaient traversé de nombreuses épreuves ensemble, mais celle-ci avait été trop douloureuse pour elle. Il voulait ce qu’il y avait de mieux pour sa mère, prendre soin d’elle comme elle avait pris soin de lui. Hors de question de l’abandonner. Sans elle, l’enfant était perdu. Sa mère était tout à ses yeux.
L’empereur a repris en lui tendant une de ses bagues :
- Alors ? Que dis-tu de devenir mon démon, jeune Lordarc ?
La vision s’est brutalement arrêtée. Le décor s’est d’abord teinté de violet, avant de se dissiper de la même manière que de la fumée. J’étais de retour dans l’Empire. Ou peut-être que je devrais dire, dans l’Empire du présent ? Quoi qu’il en soit, j’avais de nouveau Dæmonium en face de moi, la version adulte. Il était à genoux, exactement comme moi, et respirait avec difficulté. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte que Kain et Lys se trouvaient à mes côtés et m’appelaient.
- Tu te sens bien ? a fait la voix de Kain derrière son heaume.
Difficile à dire. Je ne savais pas quoi penser de ce que je venais de voir. Je ne m’étais pas encore remis de mes émotions. Pendant quelques instants, j’avais encore l’impression d’être lié émotionnellement au petit garçon, parvenant à peine à démêler ses pensées des miennes. La seule certitude que j’avais, c’était que Dæmonium avait souffert. Bien plus que tout ce que je n’aurais jamais pu imaginer. Ce qu’il avait vécu était horrible et carrément injuste. Personne ne devrait avoir à subir ça ! J’ai senti quelque chose monter en moi. Ce n’était pas de la colère, non…
Mais de la détermination.
- Ouais, suis-je parvenu à articuler. Ne vous en faites pas pour moi.
J’ai essuyé une larme qui coulait du coin de mon œil.
- Tu en es sûr ? s’est inquiétée Lys.
Je me suis remis debout, sans lâcher le Premier Cadre une seule seconde du regard.
- Vous savez où est sa mère, c’est ça ?
Kain a jeté un regard à Dæmonium, encore secoué.
- Avec tout ce chaos, elle doit sans doute se cloîtrer chez elle mais…
- Vous pouvez aller la chercher ?
Malgré leur protection, j’étais sûr qu’ils me dévisageaient.
- Là, maintenant ? a demandé Lys. Je ne suis pas sûre que ce soit…
Je me suis tourné vers eux. En voyant mon expression, les deux guerriers ont choisi de m’écouter.
- Très bien, Sora. Allons-y, Kain.
Ils sont alors partis, me laissant seul face au Cadre. Un léger sentiment de doute et ma détermination a légèrement vacillé : ça allait vraiment le faire ? Dæmonium m’écouterait-il ?
En regardant partir Kain et Lys, mes yeux se sont posés sur Twice, inerte, Lea à ses côtés, sur Bullet, encore conscient mais clairement incapable de se battre, devant Yuki qui avait l’air assez en forme. C’est là que je me suis rendu compte avec joie que mes deux amis avaient gagnés leurs combats respectifs ! Enfin, j’ai regardé le combat entre Thomas et Magnus. Mon ami luttait de toutes ses forces et recevait un certain nombre de coups, mais il y avait quelque chose de différent chez lui. Il observait, gardant sa concentration malgré les assauts du Cadre que même Dingo et Liam peinaient à parer. Au bout d’un moment, Magnus a disparu de mon champ de vision avant d’apparaître juste derrière Thomas. J’étais sur le point de lancer ma Keyblade ou un sort pour le protéger, mais Thomas a fait quelque chose qui m’a complètement surpris. Comme s’il avait vu l’attaque venir, il a donné un coup de toutes ses forces en hurlant derrière lui.
Il avait enfin réussi à atteindre Magnus. Et ce, malgré l’énorme écart de puissance qu’il y avait entre eux.
Je me suis souvenu de toutes les fois où je l’avais affronté, toutes les heures qu’il avait passé à essayer de suivre mes mouvements ou ceux de Lea, ou encore à s’entraîner tout seul le soir (Je le savais car je l’ai vu plusieurs fois sortir en pleine nuit, Keyblade en main). Un sentiment de fierté intense m’a envahi : tout son travail commençait à payer !
Je n’ai pas pu m’empêcher de hurler :
- TU ES INCROYABLE, TOM !
Dæmonium, stupéfait a dit :
- Mes alliés ont perdu… Et ce type… est parvenu à atteindre Magnus ?
Je ne sais pas si Thomas nous avait entendu ; il semblait avoir du mal à réaliser ce qu’il venait de faire. Yuki, Lea, Liam, Dingo et tout le reste des habitants étaient dans le même état d’hébétude que lui.
Pas moi. Certes, j’avais eu un peu peur pour lui au début mais au fond de moi, je savais que Thomas allait s’en sortir, d’une façon ou d’une autre. Je sentais chez lui un potentiel incroyable.
Thomas… Aucun doute, tu seras un véritable monstre plus tard.
J’ai détourné mon regard pour me reconcentrer sur Dæmonium. Tom, Yuki et Lea avait été capable de se battre malgré les difficultés, alors je n’allais pas abandonner. En tant qu’aîné, je devais montrer l’exemple !
- Ce n’est pas normal, a fait le Premier Cadre, une main sur le visage. Nous ne sommes pas censés perdre ! Qui êtes-vous ? Et… Qu’est-ce que tu as fait, au juste ? C’est exactement comme l’autre fois.
Il m’a fallu quelques secondes pour me remettre de mes émotions et me souvenir qu’il parlait des visions que je venais d’avoir. Je ne savais pas quoi lui dire. Je ne savais pas moi-même comment est-ce que c’était arrivé.
- Tout ce que je peux te dire, ai-je répondu, c’est que je sais tout.
Mon interlocuteur a levé la tête dans ma direction, l’air de douter de mes paroles.
- De quoi est-ce que tu parles ?
Je savais que j’allais sur un terrain dangereux, mais il fallait que je le dise.
- Tout ce que tu as vécu, ton lien avec ta mère… Je comprends. Tu peux me croi…
- Tu… « comprends » ?
Dæmonium s’est levé lentement.
Il me fixait avec des yeux vides de toute expression.
Les combats autour de moi ont semblé s’évanouir. Mon instinct me hurlait de me tenir prêt.
Le Premier avait l’air… différent.
- Tu en es sûr ? m’a-t-il demandé d’une voix aussi éteinte que son regard. Tu « comprends » ?
J’ai senti une goutte de sueur glisser sur ma joue.
- Oui, ai-je affirmé malgré tout.
Quelque chose qu’il avait au doigt s’est brisé. J’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d'une bague qu'il avait reçue de Stellaos.
L’atmosphère est devenue incroyablement lourde. J’avais presque l’impression d’étouffer. La fumée a redoublé d’intensité autour de Dæmonium, formant littéralement une tornade miniature. Un nuage de fumée dense le protégeait. Le smog était si intense que je ne parvenais même plus à voir le Cadre en entier, juste deux éclats gris qui brillaient dangereusement. Son aura meurtrière avait gagné en puissance.
- C’EST LE TYPE QUI A TUÉ MA MÈRE QUI DIT ÇA ?!
J’ai cru avoir mal entendu.
- Quoi ? Mais je…
Sans me laisser le temps de finir ma phrase, il a envoyé une bonne quinzaine de colonnes de fumée dans ma direction.
C’est bien plus que tout à l’heure ! ai-je pensé.
Pas de doute, il voulait vraiment ma mort. Je me suis débrouillé pour esquiver ses attaques, mais ce n’était pas évident. Pendant que je tranchais, parais ou encore enchaînais les roulades à tout va, je faisais de mon mieux pour réfléchir. Au moment où sa bague s’est brisée, son pouvoir s’est amplifié et est devenu hors de contrôle. Vu comment le smog bougeait, j’avais l’impression que son Essence avait une volonté propre. Il croyait que j’avais tué sa mère… mais pourquoi ? C’était à cause de ça que sa bague s’est brisée ? Dæmonium ne contrôlait pas du tout son pouvoir quand il était petit, alors peut-être que cette bague lui servait à…
Un nuage de fumée a pris la forme d’un cône avant de se précipiter vers moi. J’ai voulu esquiver mais l’atmosphère pesante m’en a empêché. Plus le temps passait, plus elle s’alourdissait. Tellement que j’avais l’impression que mes mouvements étaient plus lents. Je n’ai pas pu me mettre à l’abri et ai reçu l’attaque de plein fouet.
J’ai eu la sensation qu’un cône me transperçait littéralement. Ce n’était que de la fumée, alors pourquoi...
- JE VAIS TE BRISER ! a hurlé Dæmonium.
Plusieurs langues de brumes se sont matérialisées devant mes yeux. À l’instant où elles se sont abattues, j’ai invoqué le sort Miroir, résistant à l’attaque. Dès que les langues ont disparues, j’ai voulu m’échapper, mais aussitôt une colonne de fumée m’a accueilli. Je me suis retrouvé au sol. En ouvrant les yeux, j’ai aperçu un nuage violet au-dessus de moi, des tridents brumeux ont commencé à déferler. Je me suis dégagé comme j’ai pu en roulant. Mais, en me redressant, trois nouveaux cônes de fumée m’attendaient. Dans les airs, c’est à peine si j’ai eu le temps de penser :
Je peux pas esquiver ça !
Encore une fois, ses attaques ont fait mouche, m’arrachant un cri de douleur.
Ses assauts étaient bien trop rapides et nombreux. Je pouvais tout juste suivre. La fumée redoublait encore d’intensité autour du Premier Cadre. Il hurlait. Sa magie commençait à devenir incontrôlable. J’ai vu sa fumée s’en prendre à tout le monde à proximité, soldats comme villageois, qui s’effondraient au sol, dominés par la peur. En regardant Dæmonium, je me suis aperçu… qu’il pleurait. Le Cadre se prenait la tête dans les mains, l’air à peine conscient de ce que son pouvoir faisait autour de lui.
- Calme-toi ! lui ai-je crié, mais ma voix était bien trop faible pour qu’il entende.
Ignorant la toux, la douleur et les tremblements causés par son Essence, je me suis mis debout. Le Premier croyait que j’étais responsable de la mort de sa mère. Mais c’était faux ! Je ne savais pas comment il avait fait, mais je pensais savoir qui était à l’origine de tout ça. L’image du petit garçon recroquevillé dans son grenier, les mains sur les oreilles, m’est réapparue. Je ne pouvais pas laisser Dæmonium dans cet état. Il devait connaître la vérité.
J’ai commencé à marcher vers lui.
- Écoute, moi ! C’est Stellaos qui est derrière tout ça !
- TU MENS !
Un trident brumeux m’a transpercé, mais je suis resté debout. Je n’allais plus hésiter !
- Il te monte contre nous.
- C’EST FAUX ! C’est grâce à lui que j’ai pu l’aider… durant toutes ces années.
Une colonne de fumée m’a frappé en plein ventre. Pas grave. J’ai utilisé ma Keyblade pour me relever.
- Il se sert de toi !
Au moment où il allait répondre, la voix de Kain s’est fait quelques mètres sur ma gauche.
- Sora !
Dæmonium a regardé dans leur direction.
- SES ALLIÉS MOURRONT AVEC LUI !
Plusieurs cônes se sont dirigés vers l’ancien soldat… mais il n’était pas tout seul.
En voyant qui l’accompagnait, j’ai utilisé absolument toutes mes forces pour courir vers eux.
Le smog filait à une vitesse hallucinante. Malheureusement, j’étais encore trop loin.
Plus vite, Sora !
Kain et Lys ont voulu protéger la personne qu’ils avaient amené, tridents à la main. La fumée se rapprochait dangereusement.
Plus vite !
La brume ne perdait pas du tout en vitesse. Je courrais aussi vite que possible, me forçant à dépasser mes limites.
ALLEZ !
Dès que je les ai rejoints, j’ai invoqué un sort de protection suffisamment grand pour nous protéger tous les quatre.
- Ouvre les yeux…
La fumée s’est dissipée au contact de ma barrière. Suivant mes ordres, le sort a disparu. J’ai regardé Dæmonium droit dans les yeux. Non… Je ne devrais pas l’appeler comme ça, mais plutôt par son vrai prénom. Celui que sa mère chérissait en y ajoutant « mon ange » presque à chaque fois. Le nom qu’il avait abandonné en rejoignant les forces de l’empereur.
- EOGA !
Eoga Lordarc a eu besoin d’un certain temps pour se rendre compte de ce qu’il voyait. Derrière nous, sa mère, en fauteuil roulant, lui a souri tendrement.
La fumée du Cadre a disparu aussitôt. Il a d’abord hésité quelques instants, puis, il a couru vers elle.
Christa Lordarc a accueilli son fils dans ses bras, pleurant tous les deux.
- Je croyais que tu étais…
- C’est bien moi, mon ange. Tu n’as plus à t’inquiéter. Je vais bien grâce à eux.
Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire ni retenir mes larmes à mon tour. Pas besoin d’un lien émotionnel avec Eoga pour comprendre à quel point il était soulagé. La personne pour qui il se battait depuis toujours, pour qui il avait dédié sa vie, jusqu’à endosser le rôle de Cadre à la solde de Stellaos, était encore en vie.
J’ai regardé autour de moi pendant les embrassades de madame Lordarc et son fils. Les gens touchés par sa fumée un peu plus tôt semblaient se rétablir peu à peu. Eoga n’utilisait plus son pouvoir.
Quelques minutes plus tard, Eoga, enfin remis de ses émotions, s’est redressé. Son premier regard a été pour moi.
- Je… Je ne sais pas quoi te dire.
J’ai levé un sourcil.
- Malgré ce que j’ai essayé de te faire, a-t-il continué, tu n’as même pas essayé de contre-attaquer. Et, en plus, tu m’as montré que ma mère était en vie. Alors… je ne sais pas quoi te dire.
Chaîne Royale a disparu d’elle-même. Il n’y avait plus de danger. J’ai souri en passant les mains derrière la tête.
- Juste « merci, Sora » sera suffisant !
Eoga a eu un sourire en coin.
- Je vois. Dans ce cas…
Il m’a regardé droit dans les yeux. Je ne voyais en lui plus la moindre intention meurtrière. C’est là que j’ai compris quelque chose : Eoga Lordarc était quelqu’un de fondamentalement bon. Et ce, depuis son plus jeune âge. Je l’avais vu par moi-même.
- Merci, Sora.
Kain, à mes côtés, a fait semblant de tousser.
- Ne nous oublie pas, hein.
Eoga a soupiré, mais son sourire était resté intact.
- Merci aussi à vous deux.
- Voilà qui est mieux, s’est réjoui Kain.
Je voulais profiter des quelques instants de répits que nous avions mais une question me trottait dans la tête.
Non, ai-je pensé. Je vais les laisser encore un peu.
Au final, c’est Lys qui l’a posée.
- Si je comprends bien, c’est Stellaos qui t’a monté contre nous en te faisant croire que nous avions…
Eoga a hoché la tête.
- Grâce à son pouvoir, a-t-il expliqué, il m’a montré une vision de toi, Sora, lui faisant du mal. Ensuite, elle est tombée au sol, complètement inerte.
- Pourquoi est-ce que tu l’as cru ? lui ai-je demandé.
- Ce n’est pas la première fois qu’il me montre une vision du futur proche. À chaque fois, elle finissait par se réaliser alors…
- Tu as pensé que c’était déjà trop tard, a terminé madame Lordarc.
Son fils est resté silencieux, confirmant ce qu’elle venait de dire.
- Stellaos lui-même m’a dit que cela s’était passé.
En pensant à ce qu’il venait de dire, une seule conclusion est venue à mon esprit.
- Il t’a piégé, ai-je déclaré.
- Oui, a-t-il acquiescé gravement. Même s’il y a encore quelques choses que je ne comprends pas, c’est la seule conclusion possible.
J’ai fait un pas vers lui. Grâce à Minehi, je savais que Eoga n’aimait pas la façon de gouverner de l’empereur. La seule raison qui le poussait à rester sous les ordres de Stellaos, c’était sa mère. Sa mère et rien d’autre.
- Il a essayé de faire du mal à la personne que tu chéris le plus, Eoga, lui ai-je rappelé. Stellaos est quelqu’un d’horrible, qui ne pense à personne d’autre qu’à lui-même. Il n’a fait que se servir de toi pour gouverner cet endroit. Je sais que tu le hais au moins autant que nous. Alors…
Je lui ai tendu la main.
- Aide mes amis et moi à le vaincre une bonne fois pour toute.
Eoga a regardé ma main.
Kain et Lys sont restés silencieux, attendant avec appréhension sa réponse.
Christa Lordarc l’observait en souriant, sans dire un mot.
Bizarrement, je n’avais pas peur. Je savais qu’il allait faire le bon choix. J’avais été dans son esprit suffisamment longtemps pour en être sûr.
Mon interlocuteur a regardé autour de lui un long moment. Les soldats et Trinovas se faisaient de plus en plus rare, tous vaincus par Lea, Yuki et Liam. Malgré leur affrontement contre l’élite de l’empire, ils avaient encore assez d’énergie pour défendre les habitants. C’est fou ce qu’ils étaient forts ! Dingo restait aux côtés de Thomas, inconscient après son combat contre Magnus (d’ailleurs, je ne voyais ce dernier nulle part mais ce n’était pas le plus important). Après l’exploit qu’il avait réalisé, il méritait bien un peu de repos.
- On dirait que Stellaos a perdu ses forces les plus puissantes, a observé Eoga. Je dois reconnaître que toi et tes amis êtes forts, Sora. Mais, si j’accède à ta demande et qu’on échoue…
- Ça n’arrivera pas, lui ai-je assuré d’une voix ferme. Je te le promets.
Il a regardé sa mère.
Christa Lordarc a hoché la tête, toujours avec ce sourire bienveillant aux lèvres :
- Fais ce qui te semble juste, mon ange.
Eoga s’est tourné dans ma direction, une expression résolue au visage.
- Tu as raison, a-t-il continué à mon attention. Je le déteste, lui et sa façon de diriger. Les habitants méritent mieux que ça. Je le sais, j’ai été à leur place. Et surtout… (Il a serré les poings.) Je ne pourrais jamais lui pardonner ce qu’il a tenté de faire à ma mère.
- Je dois prendre ça pour un oui ? ai-je supposé en souriant.
- De toute façon, à l’heure qu’il est, Stellaos doit savoir que j’ai échoué dans ma mission, alors…
Avant même qu’il ne puisse finir sa phrase, quelque chose nous a tous ébloui. Une colonne de lumière brillante est descendue des étoiles, soufflant violemment tout ce qui était à côté.
Quand l’éclat a enfin disparu, j’ai remarqué que quelqu’un se tenait au centre la lumière. En le voyant, même plusieurs mètres plus loin, même si je ne l’avais vu que deux fois en tout et pour tout, je l’ai immédiatement reconnu. C’était l’homme qui était à l’origine de tous nos combats depuis notre arrivée. L’homme qui avait brisé la famille de Liam. L’homme qui avait profité d’Eoga et de l’état de sa mère pour le faire combattre pour lui pendant des années. L’homme a l’origine de tant de souffrances dans le monde qu’il gouvernait.
Stellaos, l’empereur de l’Empire de la Poussière d’Étoiles, le maître des Quatre Cadres Supérieurs venait d’arriver.
Et il était en colère.