Les voix du Cœur

Chapitre 1 : Sora

9864 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

J’ai beau chercher aussi loin que possible dans ma mémoire, je ne peux trouver un seul souvenir de notre enfance sans Riku dedans.

Je me souviens vaguement d’avant l’arrivée de Kairi sur l’île, un temps où ce n’était que moi, Papa et Maman, Riku, ses parents et nos amis ; un temps qui s’efface de plus en plus à mesure que je grandis ; mais je m’en rappelle encore un peu de quand elle n’était pas encore là, de ces jours avant la grande pluie de météorites où j’ai trouvé les deux personnes qui me sont le plus chères.

Mais un temps avant… non, sans Riku, je n’en ai pas.

Il a toujours été là avec moi, été là pour moi, tout simplement toujours été là. Je sais que ce n’est pas notre première rencontre, nos parents nous ont déjà raconté ma présentation aux proches quand j’étais bébé ; mais pour moi, notre tout premier souvenir ensemble est celui de la grande vague d’été. Je me rappelle peu ; mais je sais que ce jour-là, j’étais sur la plage à jouer, sous l’œil attentif de mes parents et d’amis. Je m’avançais vers les vagues qui allaient et venaient à mes pieds, reculant un peu dès qu’une taquinait mes orteils et revenant une fois partie ; quand soudain, une onde gigantesque s’éleva au-dessus de moi, me dominant comme un monstre voulant me manger. J’ai détalé en criant, terrifié par la vague géante ; quand j’ai trébuché dans les trous que je m’amusais à creuser dans le sable un peu avant. Je m’affalais par terre, quand un truc un peu plus ferme que le sable humide me rencontra à son tour. Je levais les yeux, et devant moi était un autre garçon aux cheveux argentés, qui me rattrapait quelque peu dans ma chute.

Je me souviens d’avoir planté mon regard effrayé dans le sien sans savoir pourquoi, et il me regarda lui aussi d’un air turquoise et inquiet sans me lâcher. J’ai geint, et il me dit :

- Ça va ?

- La vague elle m’a fait peur ! j’ai pleuré sans vouloir le lâcher non plus.

Il m’a alors remit correctement debout, et sans lâcher ma main me tira un peu vers la plage et vers nos parents non loin, avant de me dire :

- Ici les méchantes vagues ne t’attraperont jamais ; et si elles essayent, je viendrais les taper !

J’ai été soufflé par son courage face à ces grandes vagues qui m’effrayaient tant, alors qu’il était toujours tout petit comparé à elles malgré sa plus grande taille comparé à moi. Tandis que nos parents se rapprochaient, je pris moi-même mon courage à deux mains et lui demandais :

- Moi c’est Sora ! Et toi ?

- Riku.

Je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé après ce jour-là, mais je n’ai pas oublié le sourire rassurant dans son regard ni bleu ni vert, ni la chaleur de sa main qui me ramenait vers mes parents qui me prenaient dans leurs bras pour me consoler de ma grosse peur (sans avouer qu’eux-mêmes avaient été terrifiés de me perdre dans la vague).

À partir de ce jour, Riku et moi sommes devenus amis. C’était facile pour moi, qui considérait toute personne gentille avec moi comme tel, mais il lui a fallu un tout petit peu plus de temps pour que ça le soit aussi, son caractère un peu mature lui faisant accepter moins vite un tel statut envers moi. Mais rapidement, nos parents remarquèrent que nous étions devenus inséparables : j’ignore exactement si c’était mutuel, ou si c’était juste moi qui refusait de m’éloigner de lui tandis qu’il acceptait ma présence constante ; mais le résultat fut le même.

À quatre ans, si je n’étais pas dehors avec Tidus, Wakka ou Selphie, je me trouvais forcément avec Riku pour jouer. Nous explorions les endroits inconnus des îles, bâtissions des tas de sables quelque peu semblables à des châteaux et leurs douves marines, faisions des combats à l’épée de bois et nagions dans les lagunes calmes sous le regard prudent de nos parents. Souvent, d’autres enfants de l’île nous rejoignaient dans nos jeux, changeant nos petits duels en large compétitions de qui grimperait le plus haut, attraperait le plus de poissons avant le retour des parents, courrait le plus vite…

C’est probablement à ce moment-là que notre rivalité s’invita dans notre amitié ; même si dans mes souvenirs tout ne reste encore que jeux, je me rappelle toujours comment Riku semblait y être le meilleur d’entre tous. Il sprintait pile au dernier instant de la course pour dépasser celui en tête juste avant l’arrivée, savait comment prendre les anguilles sans qu’elles ne lui échappent des doigts, trouvait le chemin le plus court ou le plus aisé pour atteindre le sommet désigné ; et surtout, il ne perdait presque jamais un combat. C’était non seulement sa force qui le faisait surpasser tous les autres garçons voulant se mesurer à son épée de bois, mais son intelligence stratégique, chose que peu d’entre nous n’avions encore à cet âge, qui lui permettait de dérouter facilement ses adversaires en les laissant se fatiguer à vouloir le frapper tandis qu’il conservait sa force pour riposter une fois les premiers signes d’épuisement visible.

Il était comme un champion pour tous ; et tout spécialement pour moi.

C’était lui qui pouvait grimper à l’arbre surplombant la mer sans avoir peur ni tomber, lui qui traversait la distance entre le quai et la première maison sur la plage en un clin d’oeil, lui qui battait tous les enfants qui le défiaient en duel ; moi, qui ne grimpait pas plus haut que ce que Papa et Maman pouvaient toucher à bout de bras, était souvent portés dans leurs bras pendant les longs trajets sur l’île, et me trouvait tiré avec douceur des combats dès qu’une arme d’enfant cognait un tout petit peu ma tête, je l’admirait avec ferveur.

À ses côtés, l’on aurait dit que l’on pouvait tout faire ; peu importe les chutes ou les obstacles.

C’est pour ça que je tenais tant à rester avec lui ; je voulais tant, je voulais juste être avec lui et jouer, jouer, jouer sans fin ; et peut-être un jour, peut-être bien arriver à toucher cette feuille un tout petit peu plus haut que la branche à laquelle il s’arrêtait de grimper, arriver juste avant lui au pas de la porte, peut-être bien même courir à ses côtés, au même pas, sans avoir peur d’être ralenti par la main inquiète d’un parent me voyant m’agiter.

Mais cette réalité était encore loin de moi et de mes quatre ans ; alors, quand une Maman quelque peu affolée me soulevait du tronc auquel je grimpais ou qu’un Papa un peu trop ferme me tirait du duel où je m’étais pris un coup sur le pied, je restais là au loin, et occupait mes mains à construire des tours de sables plus hautes et belles qu’avant, ou exerçais méticuleusement mes doigts à tresser des fleurs entre elles sans qu’elles ne se délassent. Et toujours, je regardais, je regardais sans fin Riku qui atteignait le premier le haut du rocher au bord de la plage est, ou se tenait toujours debout et vainqueur devant le dernier garçon venu le défier.

Une année passa souvent ainsi, tandis que moi je m’occupais sur les côtés ou admirais ses victoires, Riku continuait de se démarquer des autres en les battant en duel ou à la balle. Je me rappelle souvent que je me sentais parfois très triste, mais je ne savais pas trop pourquoi ça arrivait ; excepté bien sûr la fois où Papa n’avait pas pu m’emmener pêcher comme promis à cause de la tempête alors qu’il avait tout prévu depuis des semaines, ou quand son bateau avait chaviré à cause d’elle et que tout le monde avait cru qu’il avait sombré avec ; et que j’étais parti allumer une lanterne sur l’île de jeu pour qu’il retrouve le chemin dans le noir, comme les autres marins faisaient lors des jours d’orages. Mais j’avais eu beaucoup de fois où je m’étais senti vraiment très triste, et que je comprenais pas pourquoi, même quand Maman essayait de m’aider à comprendre en me décrivant des situations pour m’aider à exprimer mes émotions, ou me rassurait juste en disant que ce n’était pas grave si je n’arrivais pas à savoir pourquoi et qu’elle était là pour me consoler si j’en avais besoin. En sachant ce que je sais maintenant des cœurs qui m’ont un jour cotoyés, je crois avoir quelques explications ; mais je crois aussi qu’à l’époque, je me sentais mis de côté par les autres et les adultes.

Non pas que j’étais harcelé ou isolé par les autres enfants ; mais la surprotection de Papa et Maman me dissociait des autres enfants qui s’amusaient sans autant de surveillance. Je n’étais pas le différent ; j’étais isolé de toute activité devenant un peu trop dangereuse pour moi. À l’époque je ne comprenais pas trop pourquoi, je ne me sentais jamais vraiment fatigué ou je n’avais jamais trop l’impression de me faire mal en jouant ; ce n’est que quelques années plus tard que mes parents m’ont expliqué ce qu’il s’était passé à ma naissance et les poussaient à être aussi inquiets.

Je ne leur en veux pas. Je ne sais pas trop comment j’aurai réagi ; et puis, ça s’est beaucoup mieux passé à partir de l’année suivante.

Je crois que c’était à cause de deux choses, et dans les deux cas Riku avait été impliqué.


Tout d’abord, mon isolement des activités "de garçon" et mes loisirs manuels passés assis sur le côté des combats et des jeux avaient tout juste commencé à attirer l’attention de certains enfants ; et parmi eux, quelques uns qui trouvaient que le traitement que me faisaient mes parents me différenciait beaucoup trop d’eux. Un jour, l’un d’eux plus hardi que les autres me vola la couronne de fleurs que je tressais pour Maman, et déchira toutes les tiges ; je m’étais jeté sur lui, et dans ma colère je ne sais pas si c’est lui ou moi qui a frappé le premier ; mais je sais que je lui ai envoyé quelques coups. Malheureusement, il était plus habitué que moi aux bagarres entre enfants, et je fini très vite à terre, les insultes de "mauviette" et autres vilains mots s’ajoutant aux coups de pieds que j’avais reçu. J’avais envie de pleurer et de crier des mots méchants moi aussi, mais tout ce qu’ils faisaient étaient de se moquer de mon air pleurnicheur qui ne leur faisait pas peur.

Leurs rires s’arrêtèrent soudain quand une noix de coco atterrit sur la tête du chef qui avait détruit ma couronne de fleur. Tous regardèrent d’où était venu la noix, sans rien voir, quand une voix les sonna venant d’au-dessus :

- HEY ! Plus haut que ça, les imbéciles !

Tous (moi y compris) levèrent le nez vers le cri indigné : perché au sommet du palmier nous surplombant, une main s’accrochant au tronc et l’autre faisant sauter une autre coque dans sa paume, Riku toisait le petit groupe de garçon m’ayant agressé d’un air vengeur. Je sais pas trop comment ça s’est enchaîné, mais je me souviens qu’un autre enfant avait dit une insulte à Riku (je ne sais pas si c’était envers lui ou envers moi), et l’éclat dans les iris turquoise de mon ami s’était durci en un instant avant que la noix de coco qu’il portait n’atterrisse sur la tête du sale gamin.

Juste après, Riku sautait sur le chef directement depuis son perchoir, et encore peu après il se trouvait dressé devant moi, se tenant entre les garçons et moi comme un mur infranchissable, les poings serrés et le regard perçant comme un harpon. Aussitôt le petit groupe eut un mouvement de recul, y compris leur chef qui pourtant semblait tenter de garder bonne figure face au garçon plus âgé qu’eux. Un silence tendu s’abattit entre nous, avant que le petit chef ne bombe (sans trop de succès) le torse en regardant soudain Riku dans les yeux :

- Qu-Qu’est-ce que t’as toi ?

- Et vous ? Je peux savoir ce que vous croyez faire à mon ami Sora ? répliqua sans ciller le garçon aux cheveux d’argent.

Cette phrase sembla avoir un effet sur le groupe ; mais je savais pas trop si c’était bien ou pas, car l’un des autres garçons s’écria après une pause incrédule :

- Mais pourquoi tu traînes avec lui Riku ? Il est trop une mauviette à faire ses trucs de fleurs et chercher des coquillages comme une fille !

Cette fois-ci ce fut sur Riku que les mots eurent un effet, et pas joli : ses iris s’écarquillèrent et sa mâchoire se serra tellement que j’en vis le trou la dent de lait arrière qu’il venait de perdre. Sans prévenir, il saisit le gamin par le devant du T-shirt et le tira vers lui, plantant ses yeux brillant de colère dans les siens :

- Je peux savoir quel problème t’as avec ça ?

Le chef repoussa alors Riku qui lâcha de lui-même le garçon en reculant, et le gamin plus grand que les autres pointa alors un index vers lui en s’égosillant :

- Comment tu peux vouloir jouer avec lui ? Il joue presque pas avec nous, et il sait même pas se battre ! Tu mérites pas un copain comme ça ! C’est qu’un moins que rien !

À cet instant, deux choses se passèrent.

De l’une, j’eus encore l’impression de sentir un gros couteau dans la poitrine à ces nouveaux mots envers moi ; avec aussi une espèce de brûlure dans mon ventre, comme si tout s’était mis à y bouillir.

De deux, je vis clairement Riku se figer tout entier, comme s’il avait pris un gros coup de vague froide d’hiver ou que le temps l’avait figé.

Et à peine une seconde plus tard, il se jetait si vite sur le garçon que même moi je crois que je n’ai pas eu le temps de le voir. Mais j’ai très bien entendu son cri perçant :

- RETIRE IMMÉDIATEMENT CE QUE T’AS DIT SUR SORA, ENFLURE !

Et je ne me souviens pas très bien de ce qui est arrivé précisément ; je crois que j’ai un peu malgré moi suivi son mouvement et me suis jeté sur les autres en balançant les bras et les poings, et puis tout le monde s’est jeté sur les autres. Je crois que c’était une très grosse bagarre, parce que j’ai senti encore beaucoup de coups sur ma tête et ailleurs et qu’après coup tout le monde était tout couvert de sable, de boue et de bleus rouges ou noirs, et j’ai vu Riku à cheval sur le garçon en lui donnant des coups de poings sur la figure ; et surtout, je me souviens des cris des adultes autour de nous, et des cris terrifiés de mes parents alors qu’ils essayaient de faire cesser la bagarre.

Je me rappelle encore très clairement malgré tout ça du regard de Riku, à cheval sur le garçon qui m’avait attaqué.

Un regard froid mais brûlant d’un éclat de fureur que je n’avais encore jamais vu avant.

Je me souviens par contre assez bien de l’après, quand tout le monde fut séparé et que les parents des autres enfants discutaient très fort les uns avec les autres sur l’évènement. On nous avait demandé à Riku et à moi de rester assis sur le pas de la maison d’à côté, pendant que les grandes personnes parlaient entre elles de ce qui s’était passé. J’essayais de ne pas pleurer, pour être plus fort et pour ne pas faire encore plus peur à Papa et Maman qui déjà semblaient vraiment très affolés de me voir mêlé à cette bagarre ; mais j’étais surtout en train de renifler pour cacher un peu mal mes grosses larmes, alors que je cramponnais mes genoux pour me retenir comme je pouvais. Riku était assis à côté de moi, encore plus les vêtements déchirés et sales et couvert de bleus et de sang partout, en particulier sur la tête où un garçon lui avait arraché une grosse touffe de cheveux maintenant argentés mêlé de carmin, mais bras croisés et droit comme un piquet, les yeux fixant droit devant sans ciller. Je le voyais trembler, mais je ne savais pas s’il avait peur comme moi ou s’il avait froid.

Maintenant je sais qu’il tremblait de rage, à fixer le petit groupe de garçon et leurs parents que nous parents essayaient de calmer après la bagarre.

On ne s’était pas parlés depuis que les grands nous avaient ainsi mis au coin ; lui probablement par colère silencieuse, moi autant parce que je pleurais à demi que parce que j’osais pas le dire ou savoir quoi lui dire. On entendait que les adultes qui parlaient fort mais pas assez pour qu’on les comprennent, et les vagues qui s’échouaient sur la plage teinté des rayons du couchant. Je voulais lui parler, surtout pour le remercier, mais j’osais pas briser le silence pensant.

Mais finalement, je trouvais mon courage et inspirais très fort (autant pour me donner de l’élan que pour renifler mes larmes avant de parler) et me suis tourné vers Riku :

- Euh… R-Riku ?

Il ouvrit de grands yeux un instant, à ma grande surprise, mais se reprit très vite et se tourna (quelque peu hébété) vers moi :

- Hein ?

Je faillis complètement perdre courage à ce moment-là et baissais les yeux vers le sable à nos pieds, mais parvins à ravaler ma salive et cramponner mes genoux une nouvelle fois pour me redresser vers mon ami et lui faire face :

- Euh je veux-J’ai-Riku j’voulais te-Pour tout’à l’heure-Euh j’veux dire-C’que t’as fait-C’est que enfait-Rikuc’étaitvraimentsupercequet’asfaitavantt’étaisgénial ! finis-je par bredouiller très fort, le visage tout rouge.

Il me regarda un instant, puis cligna des yeux et répondit platement :

- De quoi ?

Je me sentis vraiment très bête et refixais le sol, triturant autant le sable sous mes semelles que le tissu de mon short en marmonnant :

- Bah c’est que… tout à l’heure, avec les autres garçons… j’ai trouvé ça très cool que tu viennes m’aider… alors euh… je voulais te dire m-

- C’était rien tu sais, c’est normal que j’aide mon meilleur ami !

Je sursautais à ces mots, et tournais mes yeux rougis vers lui : il avait posé les mains sur ses genoux, et me souriait comme s’il avait juste marqué un but à notre jeu de balle. Je sentis une très grosse chaleur dans mon ventre ; mais pas la même que quand les autres garçons m’avaient insulté. Non, c’était plus doux, comme la chaleur des bras de Maman ou Papa, mais sans être dans leurs bras. Et c’était si bon, si bien… Je souris aussi sans m’en rendre compte, touché par ces mots qu’il m’avait dit. L’espace d’un instant, je sentais même plus mes plaies et bosses, juste la chaleur du couchant et du sourire de Riku.

Un cri plus fort que les autres nous arracha tout deux à notre contemplation mutuelle : au loin dans le groupe d’adultes, une mère s’était mis à s’égosiller d’indignation visible, une main entourant son enfant s’agrippant à sa longue jupe comme un nageur à sa bouée de secours. Je reconnus quelques mots disparates dans ses cris, tout comme je vis que le garçon serré contre elle était celui qui avait détruit ma couronne de fleurs ; et parmi tout ça, je compris que la femme rejettait les évènements sur nous deux.

Je serrais les mains sur mes genoux, de nouvelles larmes d’indignation cette fois piquant mes yeux, et sentis plus que je vis Riku se crisper à nouveau de colère.

- …ils disent que c’est nous qui avons commencé tout ça, murmura-t-il entre des dents serrées.

- Mais c’est pas vrai ! répondis-je en me tournant vers lui. Je sais que c’est pas bien qu’on les ai frappés, mais c’est eux qui ont déchiré ma couronne.

- Je sais… mais c’est pas ce qu’ils ont l’air de vouloir croire, soupira amèrement mon ami en fixant la mère indignée faire de grands gestes face à mes parents tentant de calmer le jeu de leur mieux.

Je suivis son regard un instant, et remarquais alors quelque chose d’autre ; dans la foule de gens, une autre personne en plus des parents opposés semblait nous envoyer un mauvais œil. Je la reconnus très vite : c’était la mère de Riku.

Elle se tenait droite, presque raide, les bras aussi croisés que ceux de son fils et son regard presque transparent nous transperçant d’un air glacial. En y repensant, c’était son propre enfant qu’elle toisait ainsi de la sorte, comme un silencieux reproche.

Un reproche qui ne devait pas nous être dû.

Les cris de la mère s’élevèrent de plus en plus, secondés par ceux d’autres parents que Papa et Maman ainsi que le père de Riku essayaient vainement de calmer un tant soit peu. Je sentis un grand tiraillement dans ma poitrine à la vue de mes parents agressés par ces gens pourtant adultes, et serrais encore plus fort le tissu de mes genoux :

- Alors faut qu’on leur dise tout ça !

Riku tourna vers moi un regard étonné, tandis que je lui rendait un air déterminé :

- Je crois pas qu’ils vont nous croire même si on…

- Mais faut leur dire quand même ce qui s’est passé pour de vrai ! Sinon c’est pas juste !

Les yeux turquoise de mon ami s’écarquillèrent. Puis ses iris d’habitude matures s’adoucirent, et il me sourit à nouveau. Je lui souris en retour de toutes mes dents, et sans vraiment réfléchir je me redressais, hésitait encore un petit instant devant tout les cris des adultes devant nous, puis pris Riku par la main, et l’attirait vers le groupe de grandes personnes qui nous toisait tous les deux.

Je crois que j’ai été privé de dessert pendant une semaine après cet évènement. Mais je crois que les autres garçons ont été punis aussi, parce qu’après il ne sont plus jamais revenus m’embêter moi ou Riku. Je me rappelle surtout Maman et Papa me prenant dans leurs bras et pleurant devant mon pauvre état après la bagarre, et le poids de leurs regards ; je ne savais jusqu’alors pas qu’un regard pouvait être à la fois empli de colère et de peur.


Des mois plus tard, arriva un deuxième évènement qui changea non seulement ma vie et celle de Riku, mais celle de toute l’île.

Depuis ce temps, j’étais encore resté sur le côté pendant que les autres enfants jouaient, peaufinant mes couronnes de fleur et mes gravures sur coquillage tandis que Riku continuait de battre Tidus et Wakka à la course, et les garçons à la bagarre. J’avais pu les joindre de temps en temps pour un jeu de balle ou d’autres jeux, mais assez souvent je me retrouvais assis sur le sable à les observer à côté de Selphie. D’autres garçons étaient venus quelques fois se moquer de moi qui restait sur la touche à cueillir des fleurs comme une fille ; mais chaque fois, Riku se plantait droit derrière eux et leur disait que s’ils voulaient m’embêter, ils auraient affaire à lui, et ils détalaient généralement bien vite. Personne ne m’avait de nouveau embêté ni attaqué, et Riku semblait bien s’assurer que ça reste ainsi en m’accompagnant à chaque jeu.

Mais surtout, il avait inventé de nouveaux jeux rien qu’avec moi. Le premier était de passer la journée sur l’île de jeu, celle juste en face de la côte devant nos maisons, où Papa nous emmenait très souvent tout les deux ; on jouait à cache-cache, grimpe-aux-arbres, la pêche aux coquillages et aux petits poissons dans les bas-fonds et la mare de la cascade, et la construction de bateaux miniatures qu’on essayait de faire voguer sur les vagues de la plage. Nous étions souvent rejoints par Tidus ou Selphie ou Wakka, mais ils partaient la plupart du temps dans leur coin tout les trois et nous laissaient seuls à explorer l’île et jouer dans les vagues.

Le deuxième jeu, c’était un secret rien qu’à nous : nous explorions tout les recoins de l’île de jeu, que ce soit de grimper le plus haut possible ou trouver des endroits cachés ou des raccourcis ; mais surtout, il m’affrontait en duel. Seul à seul, rien que tout les deux.

Il avait commencé à m’entraîner au combat peu de temps après que le méchant garçon m’ait attaqué et déchiré ma couronne de fleur ; je crois qu’il voulait que je sois capable de me défendre, quand il ne pourrait pas être là pour m’aider un jour. Il faisait tout nos combats de l’autre côté de l’île, là où il y avait la grande tyrolienne et l’arbre à l’étoile géante, même si j’avais voulu le faire sur la plage devant la cascade pour pas faire le tour du terrain à chaque fois ; Riku voulait que ça soit notre secret, et que personne ne puisse nous voir quand ils venaient nous chercher sur l’île.

Au début, je n’avais pas beaucoup aimé ; il m’avait tapé fort sur la tête les premières fois, même quand je lui disais d’arrêter : j’ai bien failli tout arrêter et essayer de trouver un autre ami pour jouer à l’épée, mais mon envie de surpasser Riku m’avait poussé à rester. Autant vous dire que ça n’avait pas empêché mon front de récolter moins de bosses les jours qui ont suivi.

Un jour où j’avais pris une très grosse défaite de sa part, j’avais jeté le bâton qui me servait d’arme et j’étais parti me réfugier sur ce que j’appelais à l’époque "l’arbre aux fruits en étoile". J’avais pleuré un moment, de tristesse de n’avoir pas pu le battre, de rage qu’il m’ait si méchamment vaincu, de frustration à ne jamais réussir à prendre le dessus sur lui. Après un certain temps, j’ai entendu des pas venir vers moi dans le sable, et j’ai aussitôt séché mes larmes en croyant que c’était Papa qui revenait me chercher pour rentrer ; mais j’ai levé les yeux et vu Riku s’approcher, et me suis aussitôt détourné en rabattant une feuille sur moi pour me cacher, ne voulant pas le voir.

Je l’entendis néanmoins s’asseoir à côté de moi, et après un silence prendre la parole :

- Sor-

- Toi je veux pas te parler, t’es méchant ! lui rétorquais-je sans lui laisser le temps de parler.

Il y eut encore un silence, puis un soupir triste qui me fit presque lever la tête de mes genoux, avant que la voix basse de mon ami ne murmure à nouveau :

- Je… je m’excuse de t’avoir tapé sur le pied et sur la tête aussi fort, Sora. Pardon.

- Je m’en fiche c’était méchant, je t’aime pas ! fis-je en relevant ma cachette juste le temps de lui lancer cette phrase.

- J’ai quelque chose d’important à te dire, Sora, dit-il alors en soulevant doucement la feuille qui me séparait de lui.

Je fis mine de l’ignorer en croisant les bras et détournant la tête, mais je ne pouvais pas nier que j’étais curieux de savoir ce qui était important à me dire.

- Tu sais pourquoi je veux qu’on fasse ces combats que tout les deux ?

Là il avait capté mon attention, et je levais malgré moi les yeux vers lui, tentant après coup de masquer mon intérêt en croisant encore plus fort les bras.

- Je veux que tu puisses me battre à plate coutures un jour ; comme ça, je serai sûr que personne d’autre pourra te faire du mal comme ces enfants t’en ont fait !

J’écarquillais les yeux, sidéré de sa réponse ; il en profita pour reprendre :

- C’est pour ça que je retiens pas mes coups ; comme ça, le jour où tu me battras, je saurais que toi et moi auront tout donné, et que tu auras mérita ta victoire !

- Vraiment ?

- Absolument !

Je le fixais yeux écarquillés, alors qu’il soutenait mon regard du sien déterminé, un poing serré d’excitation et de résolution, un très léger sourire aux lèvres. Un sentiment étrange m’envahit en apprenant qu’il voulait lui-même que je surpasse un jour, et peu à peu un autre sourire s’étira sur mon propre visage. Je ne pus cependant m’empêcher de lui refaire un peu la tête en boudant :

- N’empêche, tu pourrais taper un tout petit peu moins fort, Maman va croire que je suis encore tombé ! Et si tu veux m’apprendre à te battre tu pourrais m’expliquer un peu plus tes tactiques non ?

- Mais si je te disais déjà tout, tu me vaincrais trop facilement et ça serait pas drôle ! D’ailleurs, attaque surprise !

Il m’attrapa alors sous son bras et m’ébouriffa brusquement les cheveux, et je me débattis comme un beau diable en essayant de me dégager, mi-vexé mi-rieur.

Notre chamaillerie se mua en mini-bagarre sur le sable, et nous sommes rentrés ce soir les vêtements tous sableux et trempés au grand dam de nos parents.

Nos jeux et duels secrets reprirent plus que jamais, bien que je ne parvienne toujours pas à vaincre ni égaler Riku dans aucun d’entre eux. Je parvins cependant à battre une ou deux fois Tidus à l’épée, et courais presque plus vite que la plupart des enfants ; certains commençaient d’ailleurs à venir me voir, cette fois non pas pour se moquer, mais pour parler avec moi. Quelques-uns aimaient même ce que je savais faire de mes mains, et je leur appris à mon tour comment tresser des fleurs ou des fils pour créer des petits objets. Je devenais apprécié des autres, au lieu d’être isolé par eux et mes parents ; mais je restais malgré tout assez seul, comparé aux nombreux admirateurs qui sollicitaient l’attention de Riku.

Cependant, quelque chose allait très bientôt changer tout cela.

Je ne me souviens pas personnellement de quel jour c’est arrivé, je l’ai su après ; mais je me souviens très bien que le ciel du soir était vraiment très clair cette nuit-là. Riku et moi, on avait encore passé la journée sur l’île de jeu à se battre et à explorer tout les recoins possibles. On avait presque tout découvert, mis à part un mystère : le monstre de la grotte.

Près de la cascade qui décorait la au milieu de l’îlot, un petit renfoncement caché par les feuilles et les plantes grimpantes laissait régulièrement s’échapper un murmure sinistre, comme le bruit d’un très gros monstre tapis dans l’ombre. Tidus, pour prouver son courage à Selphie, avait été le premier à essayer de s’aventurer dans le trou, avant de repartir terrifié quelques instants après être entré en entendant les grondements de la bête inconnue. Moi-même, j’avais été terrorisé en imaginant le monstre surgir soudain hors de sa tanière pour le rattraper, sa griffe énorme nous attrapant pour nous manger dans les ténèbres de la grotte. Mais rien ne s’était passé, et Riku, qui s’était dressé devant notre petit groupe pour nous protéger, avait décidé qu’on avait assez exploré pour la journée ; je crois qu’il avait eu aussi un peu peur sur le coup, même s’il n’en avait rien montré.

Mon Papa et celui de Wakka étaient venus nous chercher pour rentrer juste avant le coucher du soleil, mais Riku et moi avions eu la permission de rester encore un peu dehors sur l’île principale pour voir le crépuscule avant le dîner. Nous étions donc assis là sur le sable, à regarder le soleil disparaître doucement sur l’horizon marin et à écouter le bruit des vagues s’échouer non loin de nous. Il y eut un soudain éclat émeraude à la ligne séparant ciel et mer, si beau que j’en ai presque sursauté de surprise. Papa et Maman m’en avaient déjà parlé, et j’entendais beaucoup d’autres adultes ou enfants raconter leur témoignage du phénomène ; mais c’était l’une des premières fois que je voyais de mes propres yeux un rayon vert. Fasciné par l’évènement, j’en étais resté bouche bée, presque attiré vers l’océan par cette subite lumière tranchant avec les rais orangés du couchant ; si bien que je restais ici à guetter l’horizon, espérant voir réapparaître la lueur, et ce malgré l’obscurité qui couvrait peu à peu le ciel et Riku me disant qu’il ne reviendrait pas avant la nouvelle apparition du soleil.

Voyant finalement le jour presque complètement caché par la nuit et sans retour de rayon couleur feuille, je finis par accepter de ne pas en voir d’autre aujourd’hui et pris avec Riku le chemin du retour. C’est alors que la voûte céleste constellée d’étoiles à peine visibles dans les toutes dernières lueurs mourantes à l’horizon se mit à pleuvoir de myriades d’étincelles au firmament. Elles tombaient dans tout les sens, presque une à la seconde, traçant des traînées s’effaçant aussi vite qu’elles étaient venues sur le ciel nocturne. D’ordinaire captivé par la lumière des astres et leurs constellations, ce phénomène d’étoiles filantes venant en masse zébrer la voûte céleste m’occasionna cette fois-ci un frisson étrange dans tout mon être de petit garçon.

C’était comme si quelque chose en moi sentait un présage horrible venant de ces lueurs pourtant aussi étincelantes que des joyaux précieux. Dans ce flot d’étoiles qui apparaissaient et disparaissaient tour à tour, je crus presque en voir une s’éteindre complètement en un souffle, telle une bougie que l’on étouffe. Sans m’en rendre compte, je m’étais figé, tremblant de peur en fixant ces météores qui fusaient sans fin sur le firmament. Ma terreur ne resta pas longtemps inaperçue, car je sentis bientôt des pas précipités non loin et une main chaude se poser sur mon épaule :

- Sora ? Ça va ?

Je détournais enfin mon regard larmoyant du ciel déchiré d’étoiles et trouvais celui de Riku à mes côtés, ses iris turquoise et inquiets semblant bien trop sombres malgré la noirceur ambiante. Gémissant, je ne pus qu’articuler :

- J-J… J’ai peur

Ses yeux s’écarquillèrent brièvement de stupeur avant de se froncer, sa main se resserrant sur mon épaule tandis qu’il se rapprochait :

- Tu as peur ? De quoi ?

Je relevais ma tête vers les étoiles qui pleuvaient encore dans le ciel, presque comme des feux célestes prêts à s’abattre sur nous à chaque instant :

- Les étoiles… Elles tombent… Et si une étoile filante percute notre île ?

Le silence des vagues et de la brise marine m’enveloppa, tandis que je continuais de fixer les innombrables lumières danser dans le ciel de nuit. Puis je sentis la main quitter mon épaule, et la voix de Riku s’élever fort près de moi :

- Si une étoile filante s’approche, je te protègerai !

Ces mots firent l’effet d’un coup de poing dans ma peur, et je détachais à nouveau mes yeux du firmament pour les tourner vers le garçon qui avait pris son épée de bois à la main et un petit caillou dans l’autre. Il me regarda avec assurance, et s’écria en lançant la pierre en l’air :

- Regarde, comme ça !

Sur cela, il attrapa en un instant son épée à deux mains, effectua un magnifique arc dans l’air… et rata d’un cheveu la pierre qui ricocha sur son bâton et rebondit sur ma tête.

Je poussais un petit cri et tins mon crâne un peu douloureux, et vis alors Riku me fixer avec de grands yeux, d’un air que je ne sus si c’était de la surprise, de la terreur ou de la honte face à ce qu’il s’était passé. Un silence presque gênant s’installa, tandis qu’aucun de nous d’eux n’osait bouger.

Puis les frissons grimpèrent dans mon ventre, et je ne pus m’empêcher d’éclater de rire devant l’échec cuisant de Riku et la revanche du caillou. Il cligna des yeux, hébété, avant de me joindre dans mon hilarité ; essuyant mes larmes de peur et de rire, je lui souris, oubliant un instant la pluie de météores qui m’inquiétait tant au-dessus de nos têtes :

- Merci Riku, je sais que tu viseras mieux les étoiles que les cailloux !

Mon ami pouffa encore de rire ; puis son sourire devint plus déterminé, et il s’approcha de moi, plongeant une main dans sa poche :

- Je sais, mais je vais te faire une promesse, Sora.

Disant ces mots, il prit mes mains et y déposa un petit objet avant de refermer mes paumes dessus : je sentis ma peau frissonner au contact de la surface froide, et devinait une forme pointue et métallique liée à des chaînons entre mes doigts. Je les dépliais doucement, et découvris ce qu’il m’avait donné :

Une chaîne d’argent, ornée d’un pendentif en forme de couronne royale.

Riku se redressa alors, brandissant son épée haut dans le ciel, et fixa la pluie d’étoiles au dessus de nous.

- Je t’offre ce pendentif. Tant que tu le porteras, et quoi qu’il arrive à toi ou à moi, je te protègerai, coûte que coûte.

Mon meilleur ami me regarda alors droit dans les yeux, et me sourit.

- Je te promets que je te protègerai toujours, Sora.

Je sentis monter la chaleur dans mon ventre et les larmes à mes yeux ; retenant mes émotions, je lui souris aussi, déclarant à mon tour :

- Moi aussi, je te protègerai toujours Riku !

Il eut un rire, et secoua gentiment la tête :

- Désolé Sora, mais c’est moi qui ai fait la promesse !

- Mais je veux te protéger aussi, moi !

- T’en fais pas, je suis le plus grand : je n’ai pas besoin qu’on me protège, fit-il en m’ébouriffant les cheveux.

Je le repoussais amicalement, et passa la chaîne autour de mon cou. Le froid du métal sur ma peau m’arracha un gros frisson, mais je le réprimais pour faire bonne figure devant Riku ; une fois remis, je me tournais à nouveau vers lui, serrant mes poings avec détermination :

- Je vais quand même tout faire pour te protéger aussi, Riku ! Tu es mon meilleur ami et tu le seras toujours !

Il parut surpris par mes mots, mais me sourit et hocha simplement la tête en prenant ma main dans la sienne :

- Oui… je peux te faire confiance là-dessus, Sora.

Nous sommes restés là tout les deux, à regarder la pluie d’étoiles filantes au firmament.


Peu après cette nuit, j’ai eu peur d’avoir brisé ma promesse.

C’était quelques jours plus tard, alors que nous jouions sur la plage avec d’autres enfants. Papa et Maman avaient accepté de me laisser seul avec les parents voisins, et nous faisions un jeu de balle dans les bas-fonds du rivage ; Wakka venait de faire un super smash, et Riku était en train de récupérer le ballon qui était parti un peu trop loin dans les vagues quand je la vis.

Près de l’extrémité de la barrière du chemin, une toute petite silhouette à la robe blanche fleurie et aux cheveux roux nous observait, cachée derrière son refuge depuis le poteau.

Je la reconnus tout de suite. C’était la petite fille qui était arrivée pendant cette même pluie de météores, la nuit de notre promesse, et que le maire avait adoptée.

Kairi, la fille venue des étoiles.

C’était la première fois qu’on la voyait toute seule et à l’extérieur depuis son arrivée ; alors je lui souris et lui fit de grands signes amicaux :

- Hé, Kairi ! Tu veux jouer ?

À ma grande surprise, elle répondit à mon appel en sursautant et se cachant encore plus derrière le poteau ; je trouvais ça bizarre, parce qu’elle ne m’avait pas parue timide quand je l’avais vue avec les adultes, même s’il faut dire qu’ils étaient toujours autour d’elle comme s’ils voulaient la défendre du monde extérieur. Je ne me laissais cependant pas décourager et sortit de l’eau pour la rejoindre. J’allais jusqu’à elle, et m’arrêta un bref instant en la voyant se cacher encore plus à mon approche.

Je comprends maintenant pourquoi elle avait peur ; mais le petit garçon que j’étais ne savait pas comment je pouvais l’intimider ainsi. Alors je fis ce que je savais faire de mieux : je lui souris de toutes mes dents, et tendis la main vers elle :

- Tu te souviens de moi ? Moi c’est Sora ! N’aie pas peur, tout le monde est super gentil ; et Riku est le meilleur joueur du monde ! On va bien s’amuser tous ensemble !

Elle resta encore un peu derrière son poteau, un œil bleuté aux tons indigo m’observant timidement depuis son abri ; puis son regard tomba sur un détail au niveau de mon col, et sa tête se décala un peu de sa cachette, un air de surprise alors qu’elle fixait maintenant mon visage :

- Tu es… Sora ?

- Yep ! fis-je en hochant gaiement la tête. Tu viens jouer avec nous, Kairi ?

Elle hésita encore un instant ; puis sa main se tendit lentement vers la mienne, et nos paumes se refermèrent enfin l’une dans l’autre. Sans plus attendre et malgré sa surprise première, je l’entraînais vers les autres enfants ayant arrêté notre partie quand ils avaient à leur tour remarqué la petite fille. Avant même que je n’arrive à mi-plage, une foule de petits curieux accouru vers nous et nous entoura tout les deux alors que Kairi commençait à se cacher derrière moi devant tout ce nouveau monde. Voulant les ignorer, je tentais de passer pour retrouver Riku et les autres ; mais quand mes yeux se posèrent enfin sur mon meilleur ami, je me figeais entièrement.

Riku me fixait en retour du coin de l’œil, son regard turquoise devenu soudain noir et glacé.

Pris de court, je restais immobile devant cet air maintenant si distant rivé vers moi et Kairi, et la foule d’enfant nous encercla, nous canardant de questions :

- Hé, c’est toi la fille dans la maison du maire ?

- C’est quoi ton nom ?

- D’où tu viens ?

- Dis, tu veux jouer avec nous ?

- Pourquoi t’es toute seule, t’as pas de papa ou de maman ?

- T’es venue comment ? T’as nagé ?

- Hé, c’est vrai que t’es tombée d’une étoile filante ?

- Est-ce que t’es une étoile alors ?

Cerné par les demandes fusant de partout, je ne savais plus où donner de la tête et me tins machinalement entre les enfants et Kairi qui se cachait de plus en plus derrière moi pour la protéger de je ne sais quoi. Je bégayais pour essayer de calmer les questions en tout genre, n’arrivant à me faire vraiment entendre, quand une voix s’éleva parmi les autres :

- Hé, arrêtez un peu vous autres.

Tout le monde se tourna aussitôt vers Riku qui quittait les vagues pour venir vers nous, captant comme toujours l’attention par sa seule présence. Kairi se décala quelque peu pour l’observer, tandis qu’il s’avançait dans le cercle d’enfants en les regardant tour à tour d’un air sérieux :

- Kairi est nouvelle. Laissez-lui un peu de temps avant de lui poser plein de questions, OK ?

Tous furent un peu surpris, mais acquiescèrent à ses mots ; il se tourna alors vers la petit fille derrière moi, et lui fit un sourire engageant en tendant la main :

- Je m’appelle Riku. Tu veux venir jouer avec nous ?

Kairi le regarda un moment, puis se décala de moi en triturant sa jupe et hocha timidement la tête. Bien que surpris qu’elle ne retourne pas son geste, Riku ne sembla pas vexé et invita tout le monde à montrer à notre nouvelle camarade comment on jouait ; mais alors que je rejoignais les enfants pour la partie, je ne pus que remarquer qu’il jetait un très bref regard déçu dans ma direction et celle de la petite fille.

Kairi ne se joignit pas vraiment à notre jeu ce jour-là, et préféra rester à nous observer en dessinant sur le sable. Les autres enfants s’en étonnèrent un peu, mais Riku avança qu’elle était sans doute encore un peu timide et qu’elle viendrait quand elle serait plus à l’aise, et tout le monde accepta cette explication sans plus broncher. La journée toucha à sa fin, et les enfants commencèrent peu à peu à rentrer chez eux. J’allais proposer à Kairi de la raccompagner chez le maire quand je vis sa femme apparaître au bout du chemin, et je lui fis signe.

C’est à ce moment-là que j’entendis Riku dire, d’un ton très sérieux :

- Hé, Kairi…

Tu viens d’un autre Monde, pas vrai ?

Je me retournai aussitôt ; mon meilleur ami s’était rapproché de la petite fille toujours assise sur le sable, et la fixait d’un regard que je ne lui avait encore jamais vu auparavant. Elle le fixa en retour, sans un mot.

Puis elle rabaissa la tête vers ses tracés à la branche sur la plage, et souffla d’une voix faible mais neutre :

- Sais pas. Je m’en souviens plus.

L’espace d’un instant, il sembla ne pas croire cette réponse ; puis il haussa les épaules et murmura un "Ça valait le coût" en prenant lui-même le chemin du retour.

Il ne me dit pas au-revoir ce jour-là.

Les jours suivants, je ne voyais plus vraiment Riku ; et je pense que c’était parce qu’il m’évitait. Même quand j’allais dans nos coins préférés ou que je me rendais directement chez lui, je ne l’y trouvais pas ; ou tout du moins dans ce dernier cas, sa maman me disait qu’il n’était pas là. À l’époque, je ne me rendais pas complètement compte qu’elle pouvait ne pas être honnête parce qu’elle n’aimait pas que je passe autant de temps avec son fils ; mais je sentais quand même que ce n’était pas le cas à chaque fois. Les rares moments où je le trouvais quelque part, il était souvent en plein milieu d’un combat avec d’autres enfants ou trop occupé à être sollicité par eux pour que je puisse lui parler ; et quand il avait enfin terminé, j’étais soit ramené à la maison par un de mes parents, ou, et c’est ce qui m’a fait le plus mal à cette époque… Il partait sans même m’adresser un mot.

Je ne comprenais pas ce qui avait provoqué ce comportement chez lui, quand les jours précédents on continuait d’explorer l’île en tous sens et on se battait en duel ou faisions des courses pendant des heures. Et j’ai eu peur d’avoir brisé ma promesse de la pluie d’étoiles filantes.

Parce que ce soir-là, après qu’on se soit séparés pour rentrer chacun chez nous, j’avais donné mon pendentif à quelqu’un d’autre.

Et ce quelqu’un, c’était Kairi.

J’avais cru entendre un drôle de bruit dans l’eau en revenant chez moi, le long de la plage ; et quand je m’étais approché, j’avais vu une petite forme dans l’eau, juste sur le rivage. Et quand je me suis encore plus approché, j’avais vu que c’était une petite fille, pas plus grande que moi.

Elle était toute sale et mouillée, et j’ai fait de mon mieux pour la tirer hors des vagues et sous les arbres pas loin pour qu’elle ne se noie pas si la mer montait ; mais elle arrivait pas à marcher. Je savais pas quoi faire d’autre, mais j’ai très vite pensé à aller chercher des grandes personnes et leur expliquer pour qu’ils aident ; cependant, la fille n’avait pas voulu que je parte, elle avait peur toute seule.

Je savais pas quoi faire entre rester avec elle ou appeler au secours ; mais j’ai eu une idée.

Je lui ai prêté mon pendentif, celui que Riku venait de me donner, pour qu’elle soit en sécurité. Je lui ai dit que ça la protégerai et que j’allais très vite chercher de l’aide, et je suis parti.

Je voulais revenir la chercher, mais Maman m’a trouvé avant et m’a ramené tout de suite à la maison. Elle était très inquiète, parce que c’était vraiment tard et que j’étais tout seul, et que j’aurai pu trébucher sur une pierre et m’assommer dans l’eau, ou que j’aurai pu me perdre dans le noir et ne jamais trouver mon chemin. Elle n’a pas voulu m’écouter lorsque j’ai voulu lui dire qu’il y avait une petite fille sur la plage qui avait besoin d’aide et qu’elle m’attendait toute seule. Et je n’ai pas pu récupérer mon pendentif ce soir-là.

C’est quand Riku m’a raconté qu’une petite fille était arrivée dans la maison du maire la nuit des météorites que j’ai fait le lien. Je suis allé voir le maire avec mes parents, quand il les a invités un peu plus tard à venir chez lui ; et j’ai pu revoir la fille. Elle s’appelait Kairi, m’a rendu mon pendentif, et m’a remercié de l’avoir aidée ce soir-là.

Et j’avais pensé que cet échange de pendentif avait brisé ma promesse faite avec Riku cette nuit-là.

J’avais très peur d’avoir rompu sans faire exprès ma promesse, et je cherchais tout les moyens pour m’excuser et réparer ce que j’avais fait. Mais au final, je n’en ai pas eu besoin.

Quelques jours plus tard, j’étais retourné sur l’île de jeu. Cette fois-ci, c’était le papa de Wakka qui nous avait emmenés, et tandis que lui et Tidus partaient jouer au ballon, je traînais sans trop savoir quoi faire, repensant à Riku et à comment me racheter. Pendant que je piétinais dans le sable, j’entendis une autre barque accoster sur le rivage, et vit débarquer Selphie et Kairi. Tandis que la brunette remerciait le père de Wakka revenu les déposer, la petite fille rousse me remarqua et me fit signe ; je vins lui dire bonjour et l’emmenait pour aller jouer avec les autres. C’est alors que je vis Riku sortir de la grotte secrète, comme s’il était venu chercher quelque chose ; son regard tomba sur le mien, et je sentis un frisson de honte en repensant à ce que j’avais fait. Je baissais aussitôt les yeux, ne sachant comment réagir ; mais je voulais vraiment m’excuser. Alors je pris mon courage à deux mains et m’avançais vers lui, sans toutefois oser croiser son regard.

Il ne bougea pas.

Arrivé à son niveau, je me forçais à arrêter de triturer mes mains, pris une grande inspiration, et tenta de le regarder en face ; à ma surprise, ses yeux étaient neutres, dénués de colère ou de reproche.

Un silence passa, alors que nous nous regardions mutuellement sans un mot.

Puis les mots sortirent encore en désordre de ma bouche :

- Rikujesuisdésoléjevoulaispasteblesserj’aipasfaitexprèsj’tejurej’tedemandepardonj’ai-

- Att-Attends attends, de quoi ?

Je me figeais, ne sachant plus comment m’expliquer, quand mon meilleur ami reprit la parole :

- Pourquoi tu t’excuses ?

- Bah… parce que je t’ai blessé, c’est ça ? fis-je penaud en relevant timidement la tête. C’est pour ça que tu voulais plus me voir…

À ces mots, ce fut Riku qui ouvrit de grands yeux, et mit un instant avant de se reprendre en secouant la tête :

- Quoi ? Non, c’est pas ça, je…

Son regard passa brièvement à Kairi qui nous observait depuis la plage, et il fronça quelque peu les sourcils avant de soupirer :

- En fait… c’est juste que je voulais faire quelque chose de spécial, et je voulais pas que tu le saches parce que… c’était une surprise.

- Une surprise ? fis-je en relevant la tête avec étonnement.

Il piétina du pied le sol un petit instant, le regard détourné comme gêné, puis tira de sous son T-shirt un objet caché dans sa ceinture et me le tendit, sous mes yeux ébahis :

- Je voulais te l’offrir plus tard pour ton anniversaire, mais je crois que tu m’as démasqué alors… Tiens. C’est pour toi, Sora.

Dans ses mains se trouvait une épée de bois, pas encore toute à fait finie ni polie mais bien reconnaissable. Je tendis mes propres mains, recevant l’objet avec ébahissement tandis que Riku terminait d’expliquer :

- J’ai essayé de te la tailler moi-même, mais je suis pas très à l’aise avec ce type de bois et Mam-Mère n’aimait pas que je fasse ça chez nous alors…

- Riku… c’est le plus beau cadeau du monde !

Mon meilleur ami ouvrit à nouveau des yeux surpris à ma réaction, alors que je le regardais le regard larmoyant et empli d’admiration devant ma propre épée de bois. Sans plus attendre, je la brandis en l’air comme la plus précieuse des armes, fier d’avoir enfin mon arme à moi ; c’était comme être enfin égal à lui.

Égal à Riku.

Mon regard se retourna vers lui, et je lui souris de toutes mes dents, remerciement silencieux mais sincère à son geste d’amitié. Il me sourit en retour, puis son attention retomba sur la fille que j’avais laissée sur la plage. Remarquant cela, je baissais mon arme et pris Riku par la main, l’entraînant sans qu’il ait le temps de protester vers Kairi restée en arrière, et lui demanda :

- Kairi, tu veux jouer avec nous ?

Elle tout comme Riku m’adressèrent des regards étonnés, mais la petite fille se reprit vite et nous sourit, hochant de la tête :

- D’accord ! On fait la course ?

- Hein ? fis-je en même temps que Riku, surpris par cette proposition venant d’elle.

- Prêts ? Partez !

Riku et moi la regardèrent. Puis nous regardèrent l’un l’autre.

Puis foncèrent d’une traite vers l’autre côté de l’île, ignorant Wakka et Tidus nous invitant à leur jeu de ballon et Selphie nous criant de faire attention quand elle nous manqua de peu.

La course se finit dans l’eau du rivage et avec moi complètement mouillé et plein de sable après avoir trébuché en ayant essayé de dépasser Riku et Kairi éclatant de rire. Mais je n’oublierai jamais ce jour pour rien au monde.

C’était le jour de notre amitié.

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