Is it love ? Sarah.

Chapitre 1 : Prologue - été

1347 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/07/2018 02:54

Cette clochette, qu'elle soit bénie. Derniers battements de porte, derniers tintinnabulements et derniers clients, un peu d'air frais s'engouffre dans la salle avant que je ne me laisse tomber sur la banquette en soupirant. Il est plus de minuit, j'ai bien cru qu'ils ne partiraient jamais... Combien de bouteilles de Chablis peut-on engloutir sans défaillir ? Ce couple devrait sérieusement envisager une inscription au Guiness book. Coline s'approche, une bouteille de limoncello tout juste sortie du frigo, elle pose quatre petits verres sur la table, écarte les miettes d'un mouvement du bras et les remplit de la liqueur dorée. J'entends le battant de la porte des cuisines claquer, Julien et Lola pénètrent dans mon champ de vision la mine épuisée. La seconde de cuisine se laisse glisser à ma droite en enlevant son tablier.


- Qu'est-ce qu'il s'est passé ce soir ? On dirait qu'ils le font exprès, un lundi soir ! Non mais vraiment, qu'ils restent chez eux... Et si on enlevait des tables ? On aurait moins de clients ! s'exclame t'elle, tout à coup revigorée.


Notre cuisinier s'esclaffe et se laisse tomber à ma gauche sur la chaise patinée. Je place mon bras sur les épaules de Lola et la taquine gentiment :


- Tu n'es jamais contente, la semaine dernière tu maudissais toute la ville parce qu'on ne faisait pas assez de couverts. Et puis pense à Mimi, elle part en vacances pour la première fois en dix ans, là on lui a fait un chiffre de dingue!


Ma collègue grogne, marmonne, il me semble déceler quelques mots comme "...heures supplémentaires..." et "...mal aux pieds..." mais je ne peux résister à sa mine boudeuse et m'empêcher d'ébouriffer sa tignasse brune et bouclée, lui arrachant des jurons en italien. J'avoue, c'est mon petit plaisir.


-En parlant de Michèle, je viens de l'avoir au téléphone, nous interrompt Coline en revenant du bureau. Elle vous embrasse fort, elle est très fière de nous, il ne faut pas oublier de nourrir l'écrevisse... euh... de faire la poussière même là où ça ne se voit pas... Ah oui! Et...


Coline laisse traîner sa voix, ses yeux noisettes levés vers le plafond et un sourire mutin plaquée sur son visage de porcelaine. Lola n'en pouvant décidément plus manque de renverser la table en bondissant.


-Accouche putain Coco !


-On a notre week-end, Mimi nous laisser fermer le resto samedi et dimanche, nous lâche t-elle, ressemblant tout à coup à une gamine de 10 ans qui vient de décrocher la plus grosse peluche du stand de tir.


Plus vite qu'il ne faut pour le dire, les shots sont avalés, la salle et les cuisines sont nettoyées. Nous nous retrouvons pour la traditionnelle clope de débauche sur les petites marches en pierre encore tièdes pendant que notre aînée recompte la caisse à l'intérieur. Elle ne tarde pas à sortir, en faisant tinter des dizaines de pièces dans un pot à confiture vide.


-Les pourboires de la semaine Mesdames ! Et Monsieur, excuse-moi mon cher mais tu es en minorité...


Bonne patte comme toujours Julien ne bronche pas et lui décoche un petit signe de tête entendu. Ici pas de place pour un macho, entre nous trois il n'aurait de toute façon pas survécu. J'apprécie ce côté chez Julien, pas de malaise, on est amis tout simplement, fille ou garçon ça ne fait pas de différences. Juju c'est le bon pote, le type toujours de bonne humeur, un peu rêveur et qui plaît aux filles sans jamais s'en rendre compte. Physiquement je crois qu'il est plutôt mignon, 1mètres 80 ; une tignasse ébouriffée où se mêlent brun, châtain, roux et même un peu de blond sur les pointes. Son regard semble souvent se perdre au loin, je n'ai jamais su s'il s'agissaitde rêverie ou de mélancolie... On se connaît depuis nos 12 ans, une décennie ensemble à Lège entre la plage et la forêt, sans soucis.


Tout à coup une main fraîche vient se coller sur ma nuque, je reprends mes esprits et réalise que trois paires d'yeux sont braquées sur moi.


-Alors, Lou, je sais que t'es plus toute jeune mais c'est pas le moment de décrocher !


Lola, égale à elle-même, une véritable emmerdeuse. Pas de celles qui nous pourrissent la vie, plutôt de celles qu'on adore embêter en retour.


-Désolée, on n'a pas tous la chance d'être encore mineur...


-J'en ai marre, j'ai 19 ans je te dis ! S'exclame t-elle, vexée du haut de son mètre cinquante, les poings dans les poches.

Elle ne marche pas, elle court. J'adore !


La Lola, je l'ai rencontrée en bossant chez Mimi il y a un an. C'était son premier job, une catastrophe : le budget vaisselle avait doublé pendant les premières semaines. Ceci dit, cette fille n'est pas du genre à abandonner, elle a progressé à une vitesse fulgurante et aujourd'hui c'est une vrai tornade en salle. Il faut la voir, petite, la peau joliment dorée - comme celle de sa famille originaire des Pouilles au sud de l'Italie – des yeux aussi noirs que ses cheveux et qui ne se fixent jamais nul part. Dix expressions à la seconde, un vrai livre ouvert.


Alors que je pousse le portillon de la maison de mes parents, j'entends une vitre se baisser et Coline m'interpeller.


-Demain soir, tu viens, promis ?


Je lui réponds par un clin d'œil, bien sûr que je serai là, hors de question louper un samedi soir suivi d'un dimanche sans boulot.


Tout le monde est déjà couché, ma mère dort sur le canapé comme tous les soirs où je bosse. Même à 22 ans, je reste un peu son « bébé », toujours inquiète qu'il m'arrive quelque chose et attendant mon retour aux premières loges (mais s'endormant 9 fois sur 10). Je la couvre d'un plaid et l'embrasse sur la joue. Je fais un détour par le frigidaire pour prendre une canette et remarque une enveloppe sur le comptoir, collé dessus un post-it jaune fluo : « Ouvre vite ! ». L'écriture de ma mère. Sur l'enveloppe le logo de ma future université : une main tenant un livre ouvert sur lequel on peut lire « Université de sciences humaines - Mystery Spell ». Je souris en pensant à la lutte intérieure qui a dû naître en elle pour qu'elle résiste à l'envie de l'ouvrir.

J'aime savourer les petites choses du quotidien, je monte dans ma chambre pour y ouvrir la lettre. Je dors dans les combles, il me faut grimper une petite échelle quasiment verticale pour accéder à mon refuge, malgré les années j'aime toujours autant le côté « cabane perchée »qu'elle lui donne. Il y fait une chaleur étouffante, je traverse en vitesse la pièce pour ouvrir la fenêtre. La nuit est magnifique, on entend au loin quelques rires et chansons, certainement en provenance du front de mer. L'air est salé, les feuilles des platanes ondulent doucement sous la brise, ma peau se hérisse de bonheur.


«Chers étudiants,

Nous avons le plaisir de vous faire parvenir la bibliographie nécessaire aux enseignements de première année ainsi que la réponse à votre demande de logement étudiant.

Veuillez agréer nos plus sincères salutations.

Secrétariat du département d'Histoire de l'Université de Sciences humaines de Mystery Spell. »


Un épais feuillet contenant une liste impressionnante d'ouvrages se détache... Je regarderai ça plus tard, il me faudra faire un choix quant aux bouquins à acquérir si je ne veux pas m'endetter sur 20 ans ! Dans l'enveloppe kraft, plus qu'une feuille, la plus importante.

Aïe. Trois gros « Refusé »en lettres rouges jalonnent mon formulaire de demande de logement, ça se complique. Je consulte les voies de recours en tout petit en bas de la page, j'abandonne à la troisième ligne.


Et merde.


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