Une vie
Chapitre 2 : LA PETITE HUMAINE ET LE GRAND DEMON
2053 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 30/12/2023 11:15
CHAPITRE 2
LA PETITE HUMAINE ET LE GRAND DEMON
Le temps, cette notion abstraite pour un youkai, passait. Cela faisait quatre mois maintenant que Rin trottinait aux côtés de Sesshoumaru sans qu’il lui eût d’ailleurs demandé de le suivre. Cinq jours après sa résurrection, elle s’était mise à chantonner, lèvres closes. Mais le premier mot qu’elle prononça fut le nom de celui à qui elle serait éternellement débitrice. Jaken faisait tellement montre de flatteries, « Sesshoumaru-sama par ci …, Sesshoumaru-sama par là …» qu’elle avait vite assimilé le nom de son protecteur tout comme celui du batracien, dit sur un ton souvent froid et méprisant. « Sesshoumaru-sama ! » était sorti tout aussi naturellement que lorsqu’un enfant prononce son premier « Maman ». Jaken qui croyait la fillette muette en resta bouche-bée. Sesshoumaru, lui, se contenta de regarder l’enfant avec indifférence. Puis, cette dernière poursuivit en s’inclinant légèrement :
— Merci, Sesshoumaru-sama. Je me nomme Rin.
Les présentations furent rapidement faites. Pour toute réponse, Sesshoumaru hocha légèrement la tête et Jaken marmonna, comme à son habitude.
La seule « personne » qui semblait accueillir Rin dans le groupe avec une joie beaucoup plus manifeste était Ah-Un. D’abord impressionnée par l’apparence et la taille du dragon, Rin le flatta sur l’une des deux têtes comme si elle avait eu affaire à un gros chien. Le youkai s’était facilement laissé apprivoiser par les caresses de l’enfant et surtout par les brins d’herbe fraîche qu’elle lui apportait. Le fidèle et terrifiant coursier du seigneur des territoires de l’Ouest avait littéralement fondu devant une si petite créature. Les deux êtres, pourtant radicalement différents, avaient noué ce que l’on aurait pu appeler de l’amitié. Désormais, c’était Rin qui s’occupait du harnachement de la bête et de son entretien. Malgré son jeune âge, elle assumait parfaitement la tâche qui lui avait été tacitement dévolue. Le dragon l’accueillait fièrement sur son dos quand elle était harassée par la fatigue des longues marches de son maître.
Celui, en revanche, qui regrettait l’arrivée de l’humaine et la disparition de ses anciens privilèges n’était pas Sesshoumaru comme on aurait pu logiquement s’y attendre mais Jaken. Il en venait même à bénir le temps, très court, où elle ne disait mot et le calme qui régnait dans leur petit trio jusqu’à l’arrivée de cette tornade échevelée, sans éducation, et qui ne semblait même pas les craindre eux, des démons. Or, si Jaken était le souffre-douleur de son maître, il avait pensé rendre la pareille à cette humaine ; il essuyait constamment des revers. Elle avait un caractère plutôt bien affirmé de par ses années passées à se débrouiller par elle-même. Les disputes, jamais bien méchantes, qui éclataient au sein du groupe et rompaient la monotonie habituelle, partaient bien souvent d’un petit rien, d’une petite maladresse de Rin. Aussitôt, les « Stupide humain ! » sifflaient, ce à quoi Rin rétorquait par une langue tirée ou des répliques déjà bien acerbes pour son âge. Mais jamais aucune allusion au physique peu avantageux de Jaken ou à sa nature de démon. C’aurait été insulter Sesshoumaru du même coup et elle était trop contente d’avoir trouvé quelqu’un qui se « préoccupât » d’elle.
Mais deux choses agaçaient particulièrement Jaken : d’une part les chansons idiotes qu’elle fredonnait à longueur de journée et d’autre part, le fait qu’elle ne reconnaissait qu’une seule autorité, celle de Sesshoumaru. Concernant les chansons, Jaken se demandait comme son maître, dont l’acuité auditive était bien plus performante que la sienne, pouvait les endurer et pourquoi il ne s’était pas encore débarrasser de l’incommodante petite humaine. Le batracien avait épuisé les dernières ressources de sa patience et de nombreuses personnes avaient péri sous la main de Sesshoumaru pour moins qu’une désagréable et ridicule petite rengaine.
Sesshoumaru, quant à lui, considérait toute cette agitation de loin. Pourtant, il ignorait que la fillette allait devenir le plus grand bouleversement de sa vie déjà séculaire. Après avoir ramené Rin à la vie, il ne s’était pas attendu à ce qu’elle le suive comme son ombre. Quoique … elle n’avait manifesté aucune crainte quand elle l’avait rencontré, blessé et agressif. Lui, le grand et terrible Sesshoumaru, dont la simple évocation du nom faisait frémir à la fois les démons et les humains, n’inspirait aucune terreur à cette gamine. Il ne fallait attendre aucune influence de Jaken non plus ; elle les côtoyait comme s’ils avaient été ses parents.
Si elle prêtait peu d’attention aux injonctions de Jaken, en revanche, elle suivait les siennes à la lettre, sans sourciller ni poser de questions. Ella avait appris ce qu’il en coûtait de défier le youkai pour avoir été le témoin de violents combats desquels son maître ressortait toujours vainqueur. Il avait cru qu’elle fuirait en voyant la vie qu’il menait : que nenni ! Elle était plus collante qu’un aimant, plus fidèle aussi malgré tout ce qu’il pensait des humains. Elle était trop jeune de toute façon pour se rendre compte de se qui se passait ; un jour ou l’autre, elle finirait bien par le quitter. Il en venait même à se demander pourquoi il l’avait acceptée : tout ce que cette enfant recherchait était une protection, un toit et de la nourriture. Une fois à l’âge adulte, ou avec un peu de chance à l’âge nubile, elle irait voir ailleurs. C’était donc uniquement par pur remerciement pour lui avoir sauvé la vie qu’elle restait à ses côtés.
Mais quelque chose d’autre le chiffonnait : la manière dont elle le regardait. Il posait rarement les yeux sur elle mais le regard qu’elle soutenait l’intriguait. Elle ne baissait pas les yeux devant lui comme un simple humain qui aurait croisé par accident le chemin du plus terrible des youkai mais elle ne le narguait pas non plus. Tout ce que Sesshoumaru pouvait voir, c’était de grands yeux noisette brillants et rieurs que soulignait un sourire franc. C’était plus que de la gratitude : on aurait dit que cette enfant éprouvait, non, cela était-il possible … de l’admiration ! Un humain ? De l’admiration pour un youkai ? Il n’était pas comme son père et ne le serait jamais : il voulait être craint et respecté et non pas adulé par les faibles ! Bien que sur le plan du respect, Rin lui obéissait au doigt et à l’œil !
Si elle se montrait souvent désagréable envers Jaken, lui bénéficiait de toutes les petites marques d’affection qu’une enfant de cet âge pût témoigner : il était régulièrement assailli de bouquets de fleurs. Ah-Un faisait lui aussi les frais de cette débauche de gratitude : ses rênes étaient piqués, du début à la fin, des nombreuse fleurs sauvages qu’elle ramassait. Les couronnes de fleurs non plus ne manquaient pas. Curieusement, il se les laissait mettre sur la tête, sans rechigner, mais à la première occasion, elles finissaient dans la gueule d’Ah-Un, trop heureux de l’aubaine. Et Rin continuait de plus belle. Si elle l’importunait, il ne le montrait pas : Jaken semblait vociférer pour deux.
Le seul problème épineux, qui à vrai dire n’en était pas un, mais qui révélait la nature diamétralement opposée de Rin et Sesshoumaru, était les repas ou plutôt leur composition. Rin avait déjà essuyé les refus de son maître lorsqu’il avait été blessé. Elle avait pourtant retenté de lui présenter à nouveau la nourriture dont elle se contentait. Peine perdue ! Mais Jaken en revanche semblait pour une fois apprécier. Mais de quoi pouvait-il bien se nourrir ? Il ne prenait jamais ses repas avec eux ! Peut-être qu’après tout n’avait-il pas besoin de manger ! Elle réduisit donc les portions à deux. Sesshoumaru était néanmoins stupéfait par la manière dont elle arrivait à attraper le poisson alors qu’elle était dépourvue de griffes qui auraient grandement facilité les choses. Son adresse à dérober les pastèques l’intriguait également : il la sermonna et elle cessa immédiatement ses larcins. Le nom de Sesshoumaru devait être synonyme de crainte, pas de rapines.
Si la nature humaine de Rin l’étonnait parfois, elle incommodait profondément son appendice nasal. Passe encore pour l’odeur des fleurs ou l’humidité des sous-bois, mais celle de la transpiration lui était insupportable. Aussi lui avait-il fait comprendre en lui offrant son nouveau kimono qu’une toilette intégrale sinon quotidienne s’imposait. Si un cours d’eau ne se présentait pas, Ah-Un transportait toujours quelques réserves d’eau pour remédier partiellement au problème. Mais les sources chaudes étaient les plus appréciées, maintenant que le temps se refroidissait. D’après ce que Sesshoumaru avait pu constater, Rin n’avait jamais appris les notions d’hygiène les plus rudimentaires. Elle était pourtant dotée de la parole ce qui laissait penser un contact suffisamment long avec les humains mais plutôt décevant, comme d’habitude. C’est donc à la grande surprise de Jaken qui le suivait d’un regard hébété qu’il « s’abaissa » à enseigner à Rin l’usage d’un savon, d’une brosse et d’une serviette pour le corps et lui apprit le soin quotidien que nécessitaient ses dents.
Bien que d’un très haut rang, Sesshoumaru appréciait sa vie de nomade et surtout ses nuits à la belle étoile. Heureusement pour lui, Rin qui avait vécu jusque là comme une sauvage semblait avoir le même penchant. Elle passait ses nuits près du feu qui lui avait servi à cuire ses poissons et ses champignons, allongée sur une couverture et recouverte d’une seconde. Elle ne quittait pas son maître des yeux. Ce dernier restait de longs moments le regard plongé dans les astres. Curieuse, elle se mit à faire de même dans l’espoir de comprendre ce que le youkai pouvait bien y trouver ; peut-être ses parents, tout comme elle. Mais elle ne restait jamais bien longtemps éveillée : les longues marches l’avaient suffisamment épuisée pour qu’elle fermât les yeux au bout de cinq à dix minutes.
L’hiver se rapprochait à grands pas et les nuits devenaient plus fraîches aussi. Et malgré les campements établis à l’entrée de grottes, à l’abri du vent, il avait plusieurs fois surpris Rin en train de trembler de froid. Les humains ! Quelle faible race ! Comment de tels êtres arrivaient-ils à vivre et à survivre dans des conditions extrêmes ? Un soir, n’y tenant plus, Rin se leva, enveloppée de sa couverture, quitta le feu et se dirigea vers son maître toujours éveillé. Il ne la regarda pas mais elle n’osa lui poser la question salutaire. Puis, naturellement, comme si les deux s’étaient compris d’instinct, Sesshoumaru déploya la longue fourrure qu’il portait habituellement sur l’épaule droite. Sans plus se faire prier, Rin accueillit son geste, se débarrassa de sa couverture et se blottit au creux du chaud duvet. Sesshoumaru rabattit la queue autour du frêle petit corps pour en faire une espèce de nid. Rin sombra quasi instantanément dans le sommeil, réchauffée et surtout rassurée de constater, après s’être lovée contre Sesshoumaru qui portait toujours son armure, que ce dernier avait un cœur.