Moth Into The Flame
.I.
Un réveil douloureux
« You can't kill me. You left your precious friends behind. »
- Kuroro Lucifer.
Douleur.
Avant même d'ouvrir les yeux, Kurapika sut qu'il se passait quelque chose d'anormal. Il sursauta en reprenant conscience, tandis que son cerveau fut immédiatement assailli d'informations multiples et alarmantes sur son état.
Premièrement; il est attaché, suspendu par ses poignets liés ensemble au-dessus de sa tête. Deuxièmement il est à genoux, et ses chevilles sont maintenues au sol de sorte qu'il ne puisse pas se lever. Et enfin, il se trouve en état de zetsu forcé ; incapable de déployer son aura quels que soient ses efforts ou sa concentration.
Ayant réuni ces informations en une fraction de seconde seulement après son réveil, il fait son possible pour ne pas céder à la panique et tente de se remémorer ses derniers souvenirs pour comprendre comment il a pu en arriver là, mais rien de clair ne lui revient.
« Senritsu » lâche-t-il dans un murmure, réalisant que sa gorge est étrangement sèche comme s'il n'avait rien bu depuis des jours. Il ouvre alors prudemment les yeux.
Il se trouve au milieu d'une pièce sombre et lugubre. Le parquet sous lui est vieux et couvert de poussière. Quelques bougies plantées ici et là délivrent juste assez de lumière pour qu'il puisse distinguer quelques formes floues devant lui : celle d'une cheminée très ancienne, à l'autre bout de la vaste pièce, et celle d'un fauteuil à quatre ou cinq mètres de lui. Quelqu'un y est assis et lui fait face, un livre dans les mains.
Ce n'est pas Senritsu.
Kurapika cligne deux fois des yeux. En essayant de bouger, il fait crisser les chaînes auxquelles il est suspendu et la douleur le vrille instantanément dans ses bras et ses épaules, lui révélant qu'il est probablement agenouillé dans cette position depuis au moins plusieurs heures.
« N-n-ngh. » Il serre les dents. Un mal de crâne terrible s'est emparé de lui, empêchant toute pensée de se former dans son esprit. Baissant les yeux sur son propre corps, il constate alors qu'il ne porte pas son tabard, mais uniquement sa tenue blanche sur laquelle il ne perçoit aucune trace de sang apparente. Il note cette information pour plus tard.
Redressant la tête malgré une nuque douloureuse et raidie, la vision encore un peu trouble, il essaie de discerner l’identité de son geôlier.
C'est de toute évidence un homme, et probablement un utilisateur de nen expérimenté considérant le flux chaud et contrôlé de son aura. Il porte un manteau noir agrémenté de fourrure blanche et de boutons dorés, celui-ci s'ouvrant sur une poitrine nue et pâle, à la musculature finement dessinée. Ses cheveux noir corbeau sont savamment peignés en arrière, dégageant son front orné d'une croix. Son visage est penché sur son livre de sorte qu'il ne semble pas avoir remarqué que le prisonnier est éveillé et l'observe.
Cet homme...
« C'est difficile à admettre, mais tu t'es révélé surprenant. »
L'utilisateur de chaînes se fige, ayant instantanément reconnu la voix du chef de la Brigade Fantôme. Une succession d'images défile devant ses yeux tandis qu'il se remémore la bataille de Yorkshin City, la vente aux enchères, puis le combat contre Uvô... jusqu'à l'échange d'otages avec Pakunoda et sa demi-victoire amère.
Il eut aussitôt la vision de ce même Kuroro qui le fixait sans ciller à travers la vitre du dirigeable qui s'envolait, alors que celui-ci était soumis à la chaîne du jugement.
Alors comment...?
« Tenir en échec l'Araignée à toi tout seul... et surtout aussi longtemps. Je dois te féliciter. Mais malheureusement pour toi, c'est terminé désormais. »
Mais comment cela a-t-il bien pu arriver ?
« Beaucoup de questions doivent te traverser l'esprit. Veux-tu savoir comment tu t'es retrouvé ici ? »
Alors que Kurapika décide de s'enfermer dans un silence dangereux, Kuroro tourne délicatement une page et poursuit sa lecture avec placidité, laissant tout le temps nécessaire à son prisonnier pour retrouver ses esprits et faire face à sa nouvelle situation.
Le garçon blond grince des dents et tire sur sa chaîne, provoquant une douleur lancinante le long de ses muscles qu'il ignore aisément. Décidément, non, malgré tous ses efforts pour se souvenir, rien ne lui revenait. Il se rappelle seulement de sa chambre d'hôtel dans une vision qui ressemble à un rêve lointain et brumeux, ainsi que de la présence apaisante de Senritsu à ses côtés pendant un bref instant.
Senritsu...
« Je suppose que ta priorité est de découvrir ce qu'il est advenu de ton amie. »
Un frisson incontrôlable agite son corps alors que les pupilles du Kuruta virent à l'écarlate. C'est comme s'il avait lu dans ses pensées.
Kuroro a découvert cette faille chez l'utilisateur de chaînes durant sa propre captivité, cette faiblesse humaine qu'il avait partagé avec Pakunoda sans le savoir, puisqu'en dépit de sa haine dévorante et ses objectifs égoïstes, laisser tomber ses camarades s'était révélé tout à fait impossible pour le Kuruta.
Ce n'était rien de plus qu'un levier pour Lucifer, connu parmi les siens pour enregistrer et utiliser ce genre de données personnelles sur ses ennemis tout comme il le faisait pour les techniques de combat. Kurapika dût se faire violence pour s'empêcher de réclamer des nouvelles de Senritsu sur le champs.
Il essaie désespérément de réfléchir, d'établir un plan pour se sortir de là tout en gardant à l'esprit que si Senritsu est elle aussi détenue par le Genei Ryodan elle pourrait pâtir de son évasion en admettant qu'il soit incapable de la secourir immédiatement. Cependant il est conscient que cela fait beaucoup de si, qu'il y a trop d'éléments qui lui échappent encore et il sait pertinemment que tant qu'il ne se souviendrait pas de ce qu'il lui était arrivé, il ne devait rien révéler qui trahisse ses intentions ou son état émotionnel.
Il réalise alors un effort qui lui semble insurmontable pour contrôler sa voix afin de paraître plus calme qu'il ne l'est.
« Qu'est-ce que tu attends de moi ? » sont les seuls mots qu'il arrive à prononcer entre ses lèvres tremblantes.
Kuroro daigne alors lever un regard amusé.
« Ah, tu as finalement retrouvé ta langue. C'est bien. Nous avons beaucoup à parler. Enfin, surtout toi. » Il ferme le livre et se lève. Kurapika redresse alors juste assez sa tête pour ne pas le perdre de vue tandis que le chef de la Brigade Fantôme s'approche de lui pas à pas.
« N'attends pas trop de coopération de ma part. Je n'ai jamais été très loquace. »
Kuroro le regarde de haut avec une expression indéchiffrable tandis que son aura jusqu'alors douce et paisible prend une contenance plus trouble et menaçante.
« Nous aurons le temps de voir ça » tranche-t-il. « Donc, en attendant que tu répondes à mes questions, je vais te donner quelques informations pour t'aider à comprendre la situation. Il se trouve que mon nen est revenu et me voilà en pleine possession de mes moyens, tu m'en vois navré – c'était bien essayé cependant. Toi, par contre...»
Kuroro est juste devant lui quand il tend ses longs doigts pâles dans sa direction, le faisant reculer mécaniquement. Le blond réprime un hoquet de surprise lorsque son ennemi met la main sur quelque chose au niveau de sa gorge – un collier qu'il n'a pas remarqué jusqu'alors et qui entoure son cou sans même effleurer sa peau, comme s'il flottait.
« Ceci est un répresseur » explique Kuroro, toujours implacable. « En fait tu t'es montré être une source d'inspiration inattendue, et je te remercie pour ça. Pour en revenir à ton nouveau collier, il fonctionne à peu près comme ta Chain Jail et cela a été une vraie épreuve de m'en procurer un, mais peu importe. Ça en valait la peine. Ta technique inhibitrice est intéressante et particulièrement dangereuse entre tes mains, sachant l'aversion que tu éprouves à l'encontre de mon organisation. Sachant cela tu comprends que je ne pouvais pas te laisser te promener ici et là et tenter d'assassiner mes subordonnés quand l'envie te prendrait. J'ai hâte que tu m'en révèles gracieusement tous les secrets.»
Cette confession rendit Kurapika proprement malade. Il n'avait jamais imaginé que son pouvoir puisse un jour se retourner contre lui et être utilisé par ces mêmes monstres qui l'avait inspiré.
Il serre les dents en tentant de réprimer l'effroi qui l'envahit peu à peu tandis qu'il prend toute la mesure de la situation catastrophique dans laquelle il se trouve, celle-ci se révélant à chaque instant être beaucoup plus critique ce que qu'il a imaginé jusqu'à présent. L'idée qu'il ne s'en sortirait pas vivant grandit en lui jusqu'à grignoter ses pensées comme si un acide s'était répandu à l'intérieur de sa tête.
Il est bien conscient qu'à ce jour sa seule chance de survie consisterait en une intervention miraculeuse de ses amis, et il faudrait qu'il étudie cette possibilité en détails plus tard, quand il aurait récupéré ses moyens.
Il courbe la tête, son regard se vidant peu à peu de toute émotion tandis qu'il sombre dans le désespoir. Il ne voit aucune issue possible. Malgré sa soudaine résignation, il sait que Kuroro attend quelque chose de lui – les secrets de sa force et de ses techniques de combat, en fait – et que sa vie ne tient actuellement qu'à ce seul fil. Une fois que l'Araignée l'aurait dépouillé de ses données, il s'en débarrasserait sans états d'âme.
Kuroro s'accroupit devant lui en essayant de croiser son regard éteint, visiblement surpris et curieux de la réaction du garçon pourtant si combatif dans ses souvenirs.
La décision ne prend toutefois pas longtemps pour s'imposer à Kurapika. Il est hors de question de renforcer le Gen'ei Ryodan de quelque façon que ce soit en accédant à la requête de leur chef, et il ne serait pas non plus capable de gagner suffisamment de temps pour permettre une éventuelle intervention de Leolio, Gon ou Kirua.
« Tu peux me tuer tout de suite » lâche le Kuruta dans un souffle monocorde.
« Mmh,» il écarte une mèche de cheveux blonds de son front à l'aide du pouce « Ne sois pas si pressé de mourir. Il y a dans la pièce voisine une demoiselle qui compte sur toi pour s'en sortir. Évidemment, si tu coopères, cela sera facile et sans douleur. Je ne peux par compte pas te garantir que cet accord sera valable pour toi. Tu as vraiment énervé mes camarades, tu sais. »
Kurapika inspire profondément. La tête toujours inclinée, il garde ses yeux étincelants fixés résolument hors d'atteinte du regard de Kuroro. Il expire : « je ne suis pas d'humeur là, tu vois » articule-t-il lentement. « Alors tue-moi ou fous le camp. »
Kuroro ne s'était pas attendu à ça. Son aura redevient calme et limpide quand il se redresse sans un mot. Il s'éclaircit la voix poliment.
« Puisque tu renonces si facilement à ta vie, il n'y a pas grand chose à faire à ce sujet. Je suppose que je devrais simplement vous exécuter tous les deux et me débarrasser de vos cadavres. Tu ne seras plus une menace pour personne et cela me fera toujours une jolie paire d'yeux en souvenir. »
Du coin de l'œil, il ne perçoit aucun changement dans l'attitude du Kuruta, si ce n'est un imperceptible tressaillement de sa mâchoire.
Ce n'est peut-être pas de la résignation, finalement. Était-ce une manœuvre du garçon pour gagner du temps ? C'était une théorie bizarre et alléchante à la fois que son adversaire puisse être prêt à faire un pari aussi risqué ; fondant ses espoirs sur le caractère même de Kuroro qui le pousserait à ne pas abandonner.
Mmh, je me demande.
« C'est assez pour aujourd'hui » décide-t-il après une seconde d'hésitation. « Demain, nous déterminerons les termes exacts de notre marché. J'aurais aussi une surprise pour toi, alors essaie de ne pas mourir d'ici-là. »
L'Araignée s'éloigne. Elle a tissé sa toile méticuleusement, anticipant chaque tentative ou pensée de sa proie. Les bougies sont toutes soufflées d'un coup lorsqu'il ferme la porte derrière lui, laissant le Kuruta enchaîné et tremblant, seul dans les ténèbres.
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NdA : correction et mise jour le 10/03/18