Le Chasseur et La Proie
Chapitre 1 : Le Chasseur et La Proie
3347 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 09/04/2020 00:00
Écrit dans le cadre du défi " Il était une fois dans l'Ouest (Avril-Mai 2020)."
Je lance un regard au jeune homme qui se tient devant moi et comme je m'en doutais il transpire l'innocence, il n'y a pas besoin d'être je ne sais quel expert pour le voir mais quelque chose me marque : c'est la détermination que je lis dans ses yeux.
Cela me fait me demander à quoi ressemble les miens, il y a longtemps que j'ai arrêté de me regarder dans une glace, je ne peux plus, j'ai vu trop de chose dans le Bayou de StillWater pour rester indemnes, les chasses se sont succédé, mais les camarades qui m'accompagnaient aussi.
Pour chasser ses pensées, j'attrape mon verre de whisky et le fait tourner un peu avant de boire le tout, je sens cette sensation de brûlure rassurante tandis ce que le trajet du liquide s'opère, il n'est pas mauvais mais n'est pas bon non plus, mais c'est tout ce que je peux espérer dans ce Saloon de Louisiane qui borde le Bayou.
« Alors comme ça tu veux nous rejoindre ? » Je lui demande soutenant son regard avec une mine dure, j’espère le faire vaciller, comme tout les jeunes blancs becs que j'ai croisé, mais il tient bon, il acquiesce d'un signe de tête, ne se démontant pas.
La personne que j'ai devant moi ressemble beaucoup à son frère, que cela soit dans les traits du visage ou le fait qu'elle parle peu, la différence est dans l'éclat de ses yeux : il respire encore la vie malgré l'éclat de tristesse qui teinte son regard.
« Je ne veux pas t'envoyer à la mort, j'ai encore une conscience malgré ce que les gens disent, alors je vais tenter de te dissuader. Tu veux savoir comment ton frère a rendu l'âme ? ».
J'ai touché une corde sensible, je vois ses épaules se contracter alors que ses mains serrent ses cuisses pour tenter de garder une contenance, il détourne les yeux pour regarder la table mais malgré tout je le vois à nouveau acquiescer d'un signe de tête.
Je lève le bras pour interpeller le Barman, et pointe 2 doigts en direction de mon verre qui est maintenant vide, avant de fouiller dans la poche intérieur de mon cache-poussière pour sortir un cigare, j'attrape par la même occasion une allumette que je frotte à la table branlante avant de la porter au bout du cigare dont le bout rougeoyant commence déjà à émettre une douce fumée.
Je prends ma première inspiration pour remplir mes poumons de fumée avant de souffler, j'entends mon interlocuteur tousser et je ne peux m'empêcher d'avoir un sourire discret que je camoufle en baissant le menton et en penchant mon chapeau : un touriste de la ville comme on en fait plus.
« C'était il y a quelques mois, on était sur un gros contrat, trop gros pour que je travaille seul comme à mon habitude, alors je cherchais dans mes contacts des gens loyaux, car on affronte peut-être des monstres mais le plus grand monstre c'est l’appât du gain, on ne compte plus le nombre de chasseurs abattus lâchement par une balle dans le dos tirée par un de leur camarade.
Je trouvais deux personnes correspondants au profil que je cherchais : un jeune qui venait juste de sortir du ventre de sa mère comme toi, et qui aurait trop peur de nous trahir car on représenterait sa seule chance de sortir en vie du bayou et ton frère, qui avait la réputation d'être un gars droit dans ses bottes.
Nous primes la direction du Ferry qui nous conduirait dans les profondeurs du Bayou de StillWater, et si il y a quelque chose dont les gens ne parlent jamais, c'est bien l'odeur. Cette odeur putride de marécages qui se mêlent à l'odeur des cadavres en décomposition à moitiés dévorés par les fangeux des marais ».
Je le vois hausser un sourcil, et je soupire devant ma bêtise, bien sûr qu'il n'avait jamais entendu parler des créatures qui peuple le bayou.
« Je n'ai jamais vu la tête de la bête, car elle reste bien planqué sous l'eau, par contre ce que j'ai vu c'est les énormes tentacules et surtout son cri : ce cri strident qui te rappelle qu'elle a senti la vibration quand tu as mis un pied dans l'eau, et qu'elle part en chasse, ce moment ou tu entends les clapotis dans l'eau qui se rapproche tandis ce que les tentacules fouettent l'air autour de toi alors qu'elle tente de t’entraîner au fond de l'eau avec sa force prodigieuse ».
Je frissonne à la suite de ma propre déclaration me rappelant du dernier camarade que j'ai perdu dans les eaux. Lorsque les tentacules l'ont enserré, il a préféré se tirer une balle dans la tête pour éviter de souffrir. Cela me rappelle au final que je deviens peu à peu un monstre insensible comme ceux que je combats: je n'ai aucun moyen de me souvenir du nom de l'infortuné.
Je suis interrompu par l'arrivée du barman qui me remplit mon verre, je le remercie d'un signe de tête avant de porter le liquide ambré à mes lèvres, il semble avoir un meilleur goût ou alors c'est du au fait que c'est déjà mon troisième verre.
« Notre comité d'accueil est composé d'une rangée de pendu qui n'ont plus rien d'humain, un rappel qu'à chaque fois qu'on mets le pied ici, c'est peut-être notre dernière chasse. Le Ferry nous largua à proximité du Catfish Grove et... ».
Je vis à nouveau un éclat d'incompréhension dans ses yeux et je pris le temps de sortir une carte pour lui indiquer l'endroit.
« La bête était localisée à la ferme d'Alice, un jolie brin de femme qui a tout perdu lorsque la catastrophe avait eu lieu et que les monstres avaient envahi la région, mais je m’égare. Nous nous mîmes en route en marchant lentement, car l'un de tes pires ennemis dans ce merdier c'est le bruit. La moindre branche qui craque, la moindre porte qui grince, c'est comme ça que tu les attires.
On croisa nos premières goules sur la route, on va dire que c'est le menu fretin. Ce sont les gens que la grâce de notre bon dieu n'a pas touché, ou peut-être que si et que leur âme est au paradis je n'en sais trop rien, dans tout les cas leur cadavre est animé par quelque chose qui leur donne envie de te bouffer ».
Par réflexes, je fais le signe de croix comme pour m'excuser auprès du Saint Patron, alors qu'il y a longtemps que j'ai cessé de croire en lui mais c'est de bonne guerre, j'ai vu trop de choses pour croire qu'il veille sur cette partie de Louisiane.
« Ces créatures ne sont pas plus rapides que nous, et sont assez ballots, mais il suffit qu'il y en ai un petit groupe pour que sa tourne à la panique et j'ai vu le jeune qui nous accompagnait levé son revolver que je me suis empressé de baisser, dans cette situation il faut faire les choses discrètement ».
Pour appuyer mes dires, je sors le couteau de chasse qui pends à ma ceinture et le plante dans la table, je vois le jeune homme sursauter et encore une fois je ne peux m'empêcher de sourire.
Je ne sais pas pourquoi je lui donne autant de détails sur les créatures, peut-être qu'intérieurement le peu de conscience veut le dissuader de nous rejoindre ou alors je veux qu'il s'en sorte.
« La meilleure solution reste de les contourner mais quand tu ne peux pas, c'est un coup sec dans la tête, et l'avantage c'est que ça ne fait pas de bruit, par contre l'odeur du sang coagulé et de la putréfaction va te suivre pendant un bon moment, peu importe à quelle point tu frottes tes vêtements, mais vaut mieux ça qu'être mort.
Nous arrivâmes jusqu'au Carrefour de StillWater, un endroit qui était sûrement agréable avant la catastrophe, mais c'est aujourd'hui une ville fantôme, je savais qu'il y avait une armurerie dans le coin et quelques balles en plus ne sont jamais de refus, parfois c'est ce qui fait la différence entre s'en sortir et mourir.
Nous nous séparâmes de quelques mètres avec le groupe pour rester à portée de voix et couvrir le terrain, nos couteaux ont fait un peu de ménage, et nous avons finalement trouvé l'armurerie, la porte était bloqué mais ton frère avait trouvé une hache près d'une maison à côté d'un tas de bois...Et de quelques cadavres à moitié dévorés.
Il donna un grand coup sur la porte en bois pour tenter de la faire céder dans un grand fracas, et c'est là qu'un cri résonna sur notre droite dans la maison d'à côté. La porte de la maison vola en éclat et on se trouva en face d'un immolateur.
Imagine un homme avec le corps calciné, un crane à vif en flamme, et qui te court dessus avec toute une vitesse que tu ne soupçonnerais pas pour quelque chose qui est censé être mort ».
Je relève ma manche gauche pour montrer de vieilles traces de brûlure qui se promènent sur mon bras aux côtés des nombreuses cicatrices dénaturant les tatouages qui le parcourent.
« Si ça t'attrape, tu brûles, et pour couronner le tout, ils sont habités par les enfers : si tu perces leur
peau, des flammes jaillissent alors tu n'imagines pas ma surprise quand cet enfoiré de blanc bec lui a tiré une balle de revolver dans le flanc, ça n'a fait qu'énerver la bête et je peux te dire que j'ai failli mouiller mes chausses ». lui dis-je.
Ce n'est pas vrai, si j'avais eu le temps, j'aurais lancé le jeunot sur la bête pour la ralentir tandis ce que j'aurais fait parler ma fidèle Winchester pensais-je, avant d'inspirer à nouveau sur mon cigare et de recracher la fumée.
« Mais pas ton frère, il s'est élancé sur la bête et lui a donné un grand coup de pied pour la faire tomber, avant de lui fracasser le crane avec le côté plat de la tête de hache. Il devait avoir des bottes de qualité car elles ont tenus, mais pas son pantalon.
On s'est mis à 2 en jetant du sable pour tenter d'éteindre les flammes, il était brûlé mais en vie, par contre le coup de feu avait révélé notre présence, nous primes ce que nous pouvions dans l'armurerie avant de nous remettre en route, ton frère était encore en état de marcher. C'était un solide gaillard qui ne se plaignait jamais.
La ferme d'Alice était enfin en vue mais un autre problème nous tomba dessus. Un groupe de cerbères arpentaient la berge ».
Je profite du moment que je prends pour réfléchir à une description en portant à nouveau mon verre à mes lèvres.
« Tu vois toute la férocité d'un molosse ? Ben un cerbère c'est pareil, en plus rapide et en plus mort comme les goules. Lorsque sa mâchoire se referme sur toi, c'est comme un étau qui ne te lâche pas ».
Inconsciemment je frotte ma cuisse avec la main.Celle-ci doit encore avoir la trace des dents du dernier cerbère qui m'a sauté dessus. J'avais beau lui vider mon revolver dans ses côtes, la bête ne semblait pas vouloir lâcher, et même lorsqu'elle est morte, j'ai du demandé de l'aide pour réussir à dégager ma cuisse à moitié dévorée.
J'ai une pensée rapide pour l'un des hommes qui m'accompagnaient ce jour là, je revois son corps et la morsure qui lui a arraché la jugulaire, j'ai l'impression d'entendre à nouveau le bruit de gargouillements qu'il faisait alors que la vie le quittait et que son corps étaient ponctuées de spasmes.
Je porte à nouveau le verre à mes lèvres et porte un regard à mon auditeur. Ses yeux sont voilés par la peur, mais il tient bon, dans le fond il est courageux, beaucoup aurait abandonné depuis longtemps.
« Nous nous allongeâmes et commençâmes à ramper. Ce fut immensément long, le tout était ponctué d'arrêt lorsque l'on entendait leur grognement se rapprocher et qu'on s'immobilisait en priant pour ne pas avoir été repéré.
Nous finîmes par passer et nous n'étions pas encore au bout de nos peines, la ferme d'Alice se présentait devant nous dans toute sa splendeur : le grincement des vieilles planches à cause du vent qui s'engouffre, le bruit de mastication des goules qui se repaissait du cadavre d'une vache dans le champs d'à côté, et cette odeur de charnier qui te fait te demander si tu as les tripes nécessaires pour continuer d'avancer.
Et c'est là qu'on a entendu dans la grange la cible de notre contrat, tout d'abord des petits cliquetis qui résonnait dans la grange, avant de l'entendre se déplacer à toute vitesse ».
Je pose mes coudes sur la table et m'approche de lui sans quitter son regard.
« C'était une araignée géante, haute et large comme une diligence et rapide comme un mustang. Le genre de créature qui t’empêche de dormir la nuit.
On a demandé au jeunot de surveiller les alentours, tandis ce qu'on est parti se charger de la bête. Je te passe les détails, mais le combat a été éprouvant, les coups de feux ont résonné dans la grange, et je ne sais pas combien de balles on a tiré pour venir à bout de cette chose.
On a eu de la chance car elle ne nous a pas touché, mais j'ai vu plus d'un chasseur sortir victorieux, pour mourir quelques minutes plus tard de son venin et c'est pas beau à voir. Un cadavre pale comme un linge avec les veines du corps qui ressortent, et il n'y a rien à faire si tu n'as pas pensé à prendre un antidote avec toi».
Je marque à nouveau une pause pour faire tomber les cendres dans le cendrier sur la table, il ne flanche toujours pas, et semble presque absorbé par mon récit, je l'ai peut-être jugé trop vite.
« Le pire ça a été lorsqu'on a voulu récupérer une preuve sur la créature pour toucher notre prime. Entres ses deux normes mandibules j'ai distingué quelque chose : Il y avait une tête humaine, pas comme si elle l'avait dans la bouche et l'avait dévoré. Non elle était fusionné avec l'amas de chair fumant qui se tenait devant nous. Peut-importe ce que c'était, ça avait été humain à un moment de sa vie
On pensait que le travail était enfin terminé, mais le pire était à venir, il n'y a rien de pire que l’appât du gain comme je te l'ai dit gamin. J'ai ouvert la porte de la grange pour avoir une vue sur le jeunot qui nous accompagnait pour savoir si il avait vu du mouvement et lui dire d'attendre à l'intérieur avec nous pendant que ton frère dépeçait la bête. Ma seule réponse fut le bruit d'un coup de feu, et les morceaux de cervelle qui tachèrent ma chemise.
C'est la que je vis ces salopards, les gars de la bande de Manteau-Funeste comme il aime se faire appeler. Un salopard de première qui traque les types comme nous pour nous buter et toucher l'argent de la prime à notre place.
J'ai à peine eu le temps de refermer la porte qu'elle se faisait déjà percer par de multiples coups de feu, les éclats de bois volaient dans tout les sens et j'ai à peine eu le temps de trouver refuge derrière une immense botte de foin.
Ces salopards étaient au moins trois et...».
Le jeune me jette à nouveau un regard interrogatif, je lui souris avant de reprendre.
« Dans la panique, les jeunots entendent que le bruit des coups de feu qui leur frôle les fesses, mais avec l'expérience on garde la tête froide. Il faut voir sa comme une symphonie, chaque arme est manié par un musicien, et chacune à une mélodie distincte et particulière, j'ai identifié trois calibres différents.
On aurait pu se battre mais après avoir flingué la bête, il ne me restait plus beaucoup de balles, et impossible d'aller récupérer les munitions du gamin qui était mort en dehors de la grange,et c'est là où j'ai eu une idée.
Le grenier de la grange n'était plus atteignable, mais ton frère m'a fait la courte échelle. Et à travers les lattes en bois, j'ai vu les gentils petits toutous qui continuait de roder. J'en ai allumé uns pour les provoquer, et ça a marché comme prévu, ils ont foncés dans notre direction et plus particulièrement dans les bandits qui se sont retournés pour s'occuper de la meute qui les chargeait.
On est sortis ensuite par la porte arrière, j'ai allumé à la Winchester en faisant parler le levier pour couvrir notre sortie, j'en ai eu un puis je me suis retourné pour courir le plus vite possible, mes poumons me brûlait, le sang dans mes tempes me brouillait la vue, et mon cœur tambourinait dans ma poitrine, tandis ce que très vite, les balles fusaient autour de nous.
Alors que l'on traversait les bois. Ton frère s'est arrêté, je t'avoue qu'avec la colère, je suis ai lancé des mots qui ferait se retourner ma vieille mère dans sa tombe, mais il ne s'est pas démonté et m'a donné le sac qui contentait la tête de la bête : il avait perdu trop de camarades à cause de Manteau-Funeste et il ne pouvait pas s'enfuir sans tenter de venger le gamin.
Un type bien, trop bien pour le métier que l'on fait. Normalement on n'envoie pas un saint pour se débarrasser des pécheurs, j'en suis la preuve vivante, mais lui c'était un vrai samaritain ».
Je fais à nouveau une pause dans le récit, mon auditeur détourne finalement le regard lorsque j'évoque son frère et il comprends que l'on arrive à la fin.
« J'ai entendu les coups de feux et je peux te jurer qu'il s'est battu jusqu'au bout. Finalement il est parti dans une immense explosion, il a emporté ces salopards avec lui avec un bon gros paquet de dynamite ».
J'écrase mon cigare dans le cendrier et descends le fond de whisky qui me reste cul-sec puis je me lève pour le dominer de toute ma hauteur.
« Dans le monde, il y a deux types de personnes : le chasseur et la proie. Tu connais toute l'histoire maintenant gamin alors je te le demande. De quel côté tu veux être ? ».
Je le regarde droit dans les yeux et je vois qu'il réfléchit, il est ébranlé et je le remarque à la manière qu'il a de serrer ses cuisses comme tout à l'heure, mais pas une larme ne coule, c'est de la colère que je lis dans ses yeux, et j'ai un frisson : Je peux le jurer devant dieu. Personne ne voudrait être la cible de sa colère à ce moment.
J'ai ma réponse.