Noir comme Neige

Chapitre 1 : Le premier & le dernier jour

2679 mots, Catégorie: K

Dernière mise à jour 09/11/2016 16:14

 

LE PREMIER & LE DERNIER JOUR

 

 

Ce fut le jour où Ginny décréta que le dragon en peluche avait assez vécu et qu’il était temps de le mettre à la poubelle.

Harry aurait préféré qu’ils le fassent disparaître dans la nuit et qu’ils racontent une belle histoire à Albus le lendemain : Crocmou, lassé de vivre avec les humains avait décidé de partir rejoindre les siens au fin fond de la Roumanie. Ou plutôt du Groenland. Enfin, peu importait. Mais il estimait que c’était trop cruel de demander au petit garçon de six ans de dire adieu à son doudou en lambeaux de façon aussi brusque.

Mais Ginny disait qu’Albus était assez grand pour voir que ce chiffon ne ressemblait plus à rien et que ce serait un moyen de l’aider à grandir.

Sauf qu’elle avait choisi justement ce jour-là pour emmener James au coiffeur - pendant que Mme Weasley gardait Lily - et son fils et son mari étaient maintenant seuls face au destin de la peluche-dragon.

Harry se racla la gorge.

- Est-ce que… est-ce que tu veux qu’on l’enterre, ou… je ne sais pas. On ne va pas juste le mettre à la poubelle, c’est un peu triste.

Albus leva ses grands yeux d’émeraude vers son père après avoir longtemps contemplé le doudou en ruines qu’il tenait dans ses bras.

- Dans la terre, il fait noir, dit-il lentement.

Harry hocha le menton en réfléchissant. Son regard passa sur la fenêtre et son visage s’éclaira soudain.

- Viens, Al. J’ai une idée. On va faire une maison en neige pour ton dragon et on le laissera là, qu’est-ce que tu en penses ?

Albus acquiesça, l’air un peu sceptique. Ils s’équipèrent de gants, de bonnets et d’écharpes, bouclèrent leurs manteaux et poussèrent ensemble la porte contre laquelle s’accumulait la neige.

Il faisait très froid et le ciel était bas et blanc au-dessus de leurs têtes. La plaine était entièrement recouverte de neige et les seules touches de couleur étaient le toit rouge de leur maison et la fumée bleue qui s’échappait de la cheminée biscornue du Terrier.

Leurs pas craquaient dans la neige épaisse. Albus marchait en tenant la main de son père, son bonnet enfoncé jusqu’aux yeux. Harry regardait autour de lui, cherchant un coin qui adoucirait la grande séparation.

- Ah, dit-il soudain en se penchant pour montrer à son fils le bosquet d’arbres encapuchonnés de blanc. "C’est un super endroit, ici. Crocmou sera bien installé."

Albus frotta le bout de son nez et renifla, l’air pensif. Son haleine se condensait devant lui.

- Hum, répondit-il enfin.

Harry approuva d’un sourire.

- Qu'est-ce qu'on fait ? Un bonhomme de neige ?

- Un bateau de neige, rectifia le garçon. "Crocmou et moi, on aime beaucoup les bateaux."

Ils construisirent un vaisseau digne de celui qui, il y avait de cela si longtemps, avait émergé du lac de Poudlard. Harry coupa des branches de sapin pour faire les voiles et Albus façonna les rames avec application. La neige s’était remise à  tomber et de délicats flocons se posaient sur les aiguilles de pin et les cristallisaient.

Puis le garçon installa la peluche à la proue.

- Amuse-toi bien, Crocmou, murmura-t-il.

Il caressa le museau où il n’y avait plus de bouton pour faire le nez, les yeux aveugles, les oreilles mâchouillées et les pattes tellement usées que la bourre s’en était complètement échappée.

Harry s’accroupit à côté de lui et posa son bras sur les épaules de son fils agenouillé dans la neige.

- Merci d’avoir été là toutes ces années, Crocmou, dit-il très sérieusement.

Le petit dragon de peluche noire ne bougeait pas en face d’eux, son poil rêche à peine soulevé par le vent de la plaine.

Tout était tellement silencieux, si blanc sous le ciel sombre.

Harry pensait à une plage inondée de soleil sur laquelle s’était endormi un vieil ami aux grandes oreilles déchiquetées et à un cimetière recouvert de neige cendrée dans lequel s’ouvrait une corolle de fleurs.

Albus hocha le menton en retenant ses larmes.

- Au-revoir, Crocmou, articula-t-il.

Il se leva brusquement et s’écarta du vaisseau de neige, trébuchant dans la neige épaisse.

Harry se redressa et enfonça les mains dans ses poches en contemplant la petite silhouette au bonnet rouge qui s’éloignait en s’efforçant de ne pas pleurer.

Dire adieu… c'est la chose la plus difficile, à n'importe quel âge...

Je suis fier de toi, Al.

Il rattrapa l’enfant en quelques enjambées et tendit la main. Albus glissa son gant dans le sien et ils retournèrent à la maison en silence.

Dans le bosquet d’arbres aux longues branches nacrées par la neige, le petit dragon de peluche noire se mouchetait lentement de blanc.

 

oOoOoOo

 

Ginny ne dit rien, mais elle fit des pancakes au souper et ne gronda personne quand la confiture de myrtilles tacha la nappe de Noël.

James arborait fièrement ses cheveux coupés très courts et ne faisait que parler à tort à travers, mais du haut de ses quatre ans, Lily remarqua le mutisme de son frère et planta un gros baiser sur la joue d’Albus avant de monter se coucher en premier.

Harry aurait voulu faire les cent pas dans le couloir en attendant que son fils s’endorme, mais il fut convoqué au Ministère de la Magie pour une affaire urgente et dut partir avant l’heure du bain.

Pendant que Ginny poursuivait James d’une pièce à l’autre – il détestait se laver comme n’importe quel autre garçon de huit ans – Albus descendit l’escalier sur la pointe des pieds.

Il enfila ses bottes et son manteau derrière la porte du cellier en écoutant les cavalcades à l’étage, puis enfonça son bonnet sur ses épaisses boucles noires et fit délicatement tourner le loquet de la porte d’entrée.

Il retenait son souffle, mais personne n’aurait pu entendre craquer le battant avec les braillements de son frère et le vacarme des chaises renversées.

Dans son lit en forme de lune, Lily battait joyeusement des mains, aussi réveillée qu’un écureuil.

Albus repoussa la porte derrière lui et respira profondément.

Il faisait encore plus froid que dans l’après-midi, mais le brouillard s’était levé et les étoiles scintillaient, glacées, dans le ciel d’encre.

Albus prit la direction du bosquet d’arbres, posant ses pieds dans les traces de pas creusées par son père.

Il ne se retourna qu’une seule fois, pour contempler la maison aux chaudes fenêtres dorées, puis blottit son nez congelé dans son écharpe et se remit en marche.

Tout était silencieux, à part le bruit feutré de ses semelles dans la neige.

Sûrement, il n’y avait pas de loups, de trolls ou de mages noirs en embuscade derrière chaque motte blanche.

Il entendit hululer un hibou et frissonna.

Qui recevait du courrier à cette heure-ci ?

Tout semblait si grand autour de lui.

Le voyait-on du haut des étoiles ? Un pompon de laine rouge dans l’immensité blanche de la plaine…

Il mit sa capuche et s’efforça d’avoir l’air aussi invisible que possible.

Le bosquet d’arbres grandit enfin dans l’obscurité. La lune s’était levée et glissait, pâle et luisante, entre les branches.

Les rayons argentés nimbaient le vaisseau de neige immobile, presque englouti. Albus se pencha et effleura les voiles pour faire tomber les cristaux.

Les rames ne se voyaient plus. La proue piquait dans un monticule de neige et…

Ce n’était pas le froid qui le glaçait, soudain.

Crocmou n’était plus là.

Il fouilla dans la neige, enleva ses gants pour sentir la fourrure gelée, jeta de côté les branches dont les aiguilles étaient tombées, claquant des dents et hoquetant de plus en plus alors qu’il réalisait que le dragon en peluche n’était plus à sa place.

Lorsqu’il cessa de chercher, les doigts gourds et les lèvres bleuies, le vaisseau était complètement détruit et la neige saccagée autour de lui.

- Crocmou.

Sa voix faisait un bruit de bulle dans le silence de la nuit.

- Crocmou ?

 Il essuya les larmes chaudes qui coulaient sur son visage.

 - Crocmou, t’es là ?

Il renifla, un son effrayant dans le froid figé autour de lui.

- Pourquoi t’es plus là ?

Il ferma les yeux, enfouit son visage dans ses genoux relevés contre lui. Il grelottait, trempé et épuisé.

S’il te plaît…

Un petit bruit feutré.

Une brindille craqua, il y eut une averse d’aiguilles de pin alors qu’on se glissait sous les branches basses du sapin.

Albus redressa un peu la tête et avala sa salive.

- Qui est là ? demanda-t-il d’une voix chevrotante.

Il y avait quelque chose dans l’ombre, tapi entre deux mottes de neige.

Quelque chose qui regardait.

Deux yeux verts fendus d’un trait doré.

- Qui est là ? répéta Albus en claquant des dents.

La lune glissa entre les branches et auréola deux courtes oreilles arrondies, une échine sur laquelle le vent rebroussait les poils.

Quatre pattes maladroites et des ailes qui traînaient dans la neige en longues plumes noires épaisses comme du velours.

Un museau carré sur lequel se fronçait une truffe brillante comme un bouton et de toutes petites dents comme des dards de verre.

Les yeux de l’enfant s’écarquillèrent.

- Qui es-tu ? murmura-t-il très lentement.

La créature pencha la tête de côté, l’imitant, et s’assit lourdement avec un petit éternuement.

Albus ne put s’empêcher de sourire. Il tendit la main.

- Viens, appela-t-il. "Viens, dragon."

 La créature mâchouilla en plissant les yeux d’un air d’ennui. Sa queue en forme d’as de pique s’agita et balaya la neige poudreuse.

- Viens ! rit Albus.

Le petit animal d’un noir d’encre renifla et éternua de nouveau.

- Tu as froid, dit l’enfant qui avait oublié qu’il tremblait lui aussi.

Il tendit les bras et sourit encore, enveloppant la créature surgie de nulle part d’un regard plein d’amour.

- Viens, idiot.

L’animal inclina ses oreilles en arrière, puis en avant, fronça ses longues moustaches argentées par la lune, puis se releva et s’approcha prudemment, jetant des regards de côté.

Albus se tenait aussi immobile que son corps frissonnant le lui permettait. Il eut un tressaillement de joie quand la patte aux coussinets très doux se posa dans sa paume.

Le museau du petit dragon toucha sa joue, humide et tiède.

Il gloussa quand les moustaches lui chatouillèrent le menton.

La créature était maintenant sur ses genoux et son poids était chaud et léger comme celui d’un chat.

- Tu vois… t’as pas peur, murmura Albus qui avait mal aux maxillaires à force de sourire.

Un éternuement, puis quelque chose lui mordilla la joue.

- T’as faim ?

Un bâillement. Le petit dragon se redressa, posant ses pattes de devant sur l’épaule du garçon qui n’osait pas le prendre dans ses bras. Son haleine chaude souffla contre l’oreille d’Albus.

- Ne me mange pas un bout d’oreille, hein.

Ses doigts s’approchaient doucement des ailes noires auxquelles la lune donnait des reflets de satin. Il toucha une plume puis, comme l’animal ne bougeait pas, caressa le duvet qui recouvrait les bosses des os.

- Comme t’es doux…

Le dragon émit un son comme un roucoulement, puis lui lécha la figure.

- Hé, ça râpe, protesta Albus en pouffant de rire.

L’animal se blottit contre lui et se mit à ronronner, poussant de la tête contre le blouson du garçon.

- Qu’est-ce que tu veux ? T’as faim ?

Le minuscule dragon déploya ses ailes, puis les replia sous lui en s’installant sur les genoux d’Albus. Ses pattes pétrissaient le jean de l’enfant et sa gorge continuait à émettre le son sourd de contentement.

- Tu veux dormir, alors.

 Albus regarda autour de lui.

Il n’avait plus peur de la nuit et ses doigts ne lui faisaient plus mal, même s’il sentait encore un peu le froid dans ses bottes et sous son pantalon.

Le petit dragon chauffait comme une bouillotte contre lui.

Albus sourit.

- On reste ici, alors. Bonne nuit, Crocmou.

Il ferma les yeux et la neige qui s’était remise à tomber se déposa en flocons blancs sur ses longs cils et la fourrure de sa capuche. Elle fondait lorsqu’elle touchait ses joues et le poil noir scintillant de l’animal endormi, laissant des gouttes brillantes comme des perles aux rayons de lune.

Loin dans la plaine, des torches brûlaient et des gens appelaient, mais sous le bosquet d’arbres, tout était silencieux et paisible.

Albus rêvait dans son sommeil et il souriait.

 

 

A SUIVRE...

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