MARGOT-RITA

Chapitre 1 : MARGOT-RITA

Chapitre final

5094 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/05/2025 13:31

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum de fanfictions.fr de mai - juin 2025 : Les pissenlits par la racine



Severus Rogue ne ressentait guère d'affection pour les plantes, mais il reconnaissait pleinement leur utilité dans l'art subtil de la préparation des décoctions et des potions. Il maîtrisait avec précision les moments propices à la récolte, les techniques de cueillette et les méthodes de conservation. Sa connaissance approfondie lui permettait d'identifier avec certitude quelle partie de la plante - racine, feuille, tige ou fleur - s'avérait la plus appropriée pour chaque préparation. Il disposait d'un vaste répertoire de techniques pour les apprêter : séchage, lyophilisation, réduction en poudre ou conservation sous stase.

Cependant, ce qu'il abhorrait véritablement, c'étaient les végétaux à vocation purement décorative. Il éprouvait une aversion prononcée pour les bouquets destinés aux dames, une répulsion pour les gerbes de fleurs commémoratives, et une exécration pour les couronnes, qu'elles soient funéraires ou festives, même celles de Noël ne trouvaient grâce à ses yeux. Mais au sommet de son palmarès de détestation trônaient, ex æquo, les plantes en pot et les fleurs des champs.

***

En ce premier jour de rentrée scolaire, le Professeur Rogue contemplait avec une profonde consternation son bureau, s'interrogeant sur l'identité de l'audacieux suicidaire qui avait osé déposer dans son antre personnel, sur la surface immaculée de sa table de travail cet objet, cette absurde abomination ! Il la tâta du bout du doigt pour s'assurer de sa réalité, car il doutait sérieusement de sa tangibilité et espérait qu'il ne s'agissait que d'une illusion créée par un étudiant facétieux. Hélas, elle était bel et bien là, devant lui - cette indicible horreur, réunissant brillamment tous les éléments de sa répugnance - une marguerite en pot. Une petite étiquette était apposée sur le flanc du récipient : Pour le meilleur des professeurs, de la part d'un admirateur. Naturellement, l'écriture de cet admirateur écervelé avait été rendue méconnaissable par un sortilège, peu commun, néanmoins pas totalement tombé dans l’oubli.

Il contempla la marguerite, et celle-ci lui rendit son regard, le dardant de son œil jaune encadré par les cils formés de pétales blancs.

-      Pourquoi me fixes-tu ainsi ? s'enquit Rogue, nullement gêné de s'adresser à une plante, convaincu que c'était là une manière de converser avec lui-même.

Il examina plus attentivement sa table et constata :

-      Tu tournes la tête vers moi, car l'imbécile de donateur t'avait placée sur le coin droit du bureau, tandis que la fenêtre artificielle, illuminée par un soleil factice, se trouve à gauche. Tu t'orientes vers la lumière dans l'espoir vain d'obtenir un bain d'ultraviolets.

Satisfait de sa perspicacité, le professeur déplaça avec précaution le pot, l'effleurant à peine, vers l'angle opposé du plateau. Il s'efforça ensuite d'effacer de sa mémoire la présence de cette squatteuse végétale.

***

Trois jours s'écoulèrent et Severus oublia complètement l'existence de l'intruse. Posée sur le coin du bureau, baignée par les rayons factices dépourvus d'ultraviolets, elle ne le dérangeait nullement. Il va sans dire qu'il ne songeait point à l'arroser.

Ce jour-là, Professeur était plongé dans la correction des essais des élèves en troisième année de la prestigieuse école de sorcellerie Poudlard. D'une main irritée, il maniait un stylo à l'encre rouge, soulignant les erreurs et des franches idioties avec une précision hargneuse et implacable. Il en oublia même le thé qu'il s'était préparé pour adoucir la tâche ingrate de la quête des bribes de savoir dans ce fatras "d'inepties" épistolaires. Tout en corrigeant, il récitait d'une voix sarcastique les extraits les plus révélateurs des productions de ces cancres :

- « La camomille magique a une tige verte et une petite fleur » - Mister Évidence, Potter, bravo ! « La camomille magique est une espèce de plante à fleurs de la famille des Astéracées. Plus communément appelée « camomille » tout court, la plante est employée en usage culinaire, médicinal (particulièrement en tisane), cosmétique et magique. Elle ne doit pas être confondue avec deux autres plantes médicinales lui ressemblant et appelées aussi localement « camomille » : la petite camomille Matricaria chamomilla et la grande camomille Tanacetum parthenium. » - Ça, c'est Miss Mémoire Eidétique, Granger. Elle possède la faculté de réciter l'intégralité de l'encyclopédie sans pour autant saisir la moindre parcelle du contenu qu'elle énonce.

Dans sa quête d'approbation à son indignation, il se tourna vers la fenêtre, comme si un interlocuteur invisible s'y trouvait. Il remarqua alors, pour la première fois depuis ces derniers jours, la marguerite, si ressemblante à sa cousine la camomille, triste et presque desséchée. Elle semblait observer le professeur d'un air de reproche silencieux. Ce dernier, mû par ce qui pourrait s'apparenter à de la compassion - à moins qu'il ne s'agisse simplement du désir de se débarrasser de son thé devenu un breuvage désespérément tiédasse - versa le contenu de la tasse dans le pot de la plante.

L'envahisseuse végétale se redressa, parut s'ébrouer, et même lancer un regard empreint de réprobation à peine dissimulée sur le Professeur. Ce dernier, tambourinant des doigts sur la table, prononça d'un ton sentencieux, sans saisir pleinement la raison pour laquelle il consacrait son temps précieux à converser avec un végétal dénué d'intelligence, qui, par essence, était incapable de lui répondre :

-      Et alors ! La vie est injuste et dure, tu ferais mieux t'y habituer dès maintenant.

***

L'habitude s'instaura progressivement. Severus Rogue, satisfait de disposer à la fois d'une poubelle de table et d'un interlocuteur silencieux - qui par son mutisme semblait approuver chacune de ses déclarations - déversait dans le récipient, en guise d'arrosage, les résultats calamiteux des efforts de ses élèves. Il continuait également à épancher sur la marguerite des remarques acerbes dans sa manière fielleuse inimitable, sans se préoccuper du fait qu'en réalité, il se livrait à un monologue.

Il s'adonnait même à une activité pour le moins singulière : celle de lire à la plante des extraits de dissertations estudiantines et d'articles de Potions News, qu'il commentait assez venimeusement, en prenant la marguerite à témoin de la stupidité tant des jeunes nuls que des vénérables et éminents spécialistes de l'art subtil de la préparation des potions. Cette pratique, aussi excentrique qu'elle puisse paraître, était devenue pour lui un rituel quotidien, presque thérapeutique.

Assis à son bureau, une tasse de thé fumant à portée de main, Rogue déployait devant lui un éventail de parchemins froissés et de magazines aux pages cornées. D'une voix tour à tour sarcastique et exaspérée, il décortiquait chaque phrase, chaque argument, pointant du doigt les erreurs flagrantes et les raisonnements bancals.

« Mais tu entends ça ? » s'exclamait-il à l'adresse de la marguerite, dont les pétales semblaient frémir d'indignation face à tant d'incompétence. « Ce Poufsouffle prétend que l'essence de Murlap peut se substituer à la bave de crapaud dans une potion de Ratatinage ! Quelle aberration ! ». « Et ce vieux Schnock qui se proclame Maître des Potions et peine à distinguer sa droite de sa gauche lorsqu'il s'agit de remuer la préparation ! »

Peu de temps après, le professeur observa les métamorphoses que subissait la squatteuse, tout en se trouvant dans l'incapacité de déterminer laquelle des mixtures élaborées par les ânes assistants à ses cours avait engendré un tel effet. Elle avait considérablement grandi, ressemblant désormais davantage à un petit arbrisseau bizarre orné de petites fleurs blanches et jaunes qu'à une modeste vivace des champs.

Il était évident qu'elle se trouvait à l'étroit dans le petit pot en grès. Tout en marmonnant sur l'audace de certaines plantes qui osaient croître de la sorte sans son aval, il entreprit de la replanter dans un vieux chaudron et prit même soin d'enrichir le terreau d'un peu de fumier d'hippogriffe, réputé pour ses vertus fertilisantes. Il accomplit ces tâches en grommelant doucement :

-      Ce chaudron est de toute façon trop usé pour être utilisé par un Maître des Potions digne de ce nom, mais je n'ai pas le cœur de le jeter. Cet engrais, je l'ai obtenu gratuitement auprès de Hagrid, et le terreau provient des serres de Poudlard ! Ne va surtout pas t'imaginer qu'il s'agit d'un traitement de faveur !

Marguerite sembla s'étirer avec délectation, s'appropriant son nouvel habitacle. Puis, de manière tout à fait surprenante, elle étendit l'une de ses branches vers le professeur et lui effleura le visage de ses feuilles, dans un geste de gratitude. Rogue tressaillit face à cette intrusion désinvolte dans son espace vital personnel, recula et émit un sifflement digne du serpent, emblème de la Maison dont il était le décan :

-      Bas les feuilles, l'impertinente !

***

Si on avait interrogé le Professeur Rogue sur le moment précis où cela s'était produit, il aurait été bien en peine de répondre avec exactitude. Néanmoins, il vint un temps où il cessa de déverser dans le pot de la plante les concoctions calamiteuses élaborées par les écoliers lors des cours pratiques. Il entreprit alors de lui administrer ses propres préparations, comprenant aussi bien des engrais que des élixirs destinés à stimuler la mémoire et les facultés intellectuelles. Il nourrissait secrètement la conviction étrange que sa marguerite possédait ces aptitudes dans une mesure supérieure à celle de ses élèves, voire de certaines sommités reconnues du monde scientifique.

Également, il manqua l'instant où l'imposante plante en pot se métamorphosa en un arbuste majestueux, presque un arbre, ne conservant de la fleur originelle que ses corolles blanches au cœur doré, mais d'une taille prodigieuse, jamais observée dans la nature.

Le professeur se vit contraint de procéder à un nouveau rempotage, sacrifiant cette fois-ci un imposant chaudron flambant neuf. Il le garnit d'un terreau de qualité supérieure, enrichi de fumier de dragon, un engrais aussi onéreux que prodigieux. Entre son bureau et la marguerite arborescente, il installa une lampe magique diffusant des rayons ultraviolets savamment dosés, propices à l'épanouissement des organismes vivants sans leur porter préjudice, et qui coûtait, à vrai dire, plus cher qu’un rein au marché noir. Cependant, il ne put s'empêcher d'adresser cette remarque à l'inopportune végétale :

-      Ce chaudron est beaucoup trop grand, je ne fabrique pas des quantités industrielles de potion. Mais je répugne à le jeter. Quant au terreau, je l'ai eu pour rien, en prime lors de l'acquisition de fumier. La lampe m'est destinée, je ne m'expose pas assez au soleil. Que tu en profites également, je ne peux rien y faire ! Ne va surtout pas t'imaginer que tu bénéficies d'un traitement de faveur !

En revanche, il se remémorait avec une clarté saisissante le moment où cette mutante, autrefois simple marguerite, s'était penchée très bas au-dessus de l'essai d’un élève au point de presque sortir de son chaudron. Elle avait alors désigné, à l'aide d’une de ses feuilles, une erreur subtile commise par cet étudiant étourdit, une méprise que le Professeur lui-même n'avait pas décelée.

Severus Rogue, en homme avisé, ne laissait jamais passer une opportunité. Constatant que la plante, qu'il avait pris l'habitude de nommer alternativement Margot, Rita ou même Margot-Rita, avait assimilé certaines connaissances grâce à ses monologues et à la lecture à haute voix des traités professionnels - car oui, il en était venu à les lui lire - il lui confia la correction des devoirs des premières années, pour commencer. L'aspect pratique fut résolu avec une certaine ingéniosité et élégance : Severus disposa un encrier ouvert à proximité de Rita, dans lequel cette dernière pouvait immerger l'une de ses ramifications pour ensuite signaler d'une croix les erreurs ou souligner les absurdités les plus flagrantes.

Une association des plus avantageuses, en somme. Néanmoins, un aspect auquel le Professeur peinait à s'accoutumer était l'empiétement graduel sur son espace personnel. Rita semblait incapable de contenir son feuillage. Elle ne cessait de lui frôler la tête, le visage ou le bras, et lorsqu'il manifestait son mécontentement par des grommellements, l'effrontée écartait ses branches avec une feinte candeur, agitant innocemment ses pétales tels les cils des yeux imaginaires.

***

Peu à peu, Rogue s'accoutuma à la présence discrète de Margot-Rita et même finit par l’apprécier. À qui d'autre aurait-il pu épancher son âme ? Margot s'avérait être une confidente idéale ; de par sa nature végétale, dépourvue de faculté d'élocution, elle ne risquait guère de divulguer les confidences et les secrets de l'acariâtre professeur. En outre, elle savait fort bien manifester son intérêt, sa compassion ou son amusement face aux récits, souvent empreints d'ironie, de Severus.

Un rituel immuable s'instaura entre eux : tous les soirs, Professeur prenait place dans son fauteuil de prédilection, un breuvage à la main. Son choix oscillait entre une tasse de thé et un verre de Whisky Pur Feu, la teneur en alcool de breuvage étant directement proportionnelle à son degré d'irritation. Plus son agacement était intense, plus la boisson sélectionnée se révélait forte.

Il étendait ensuite ses jambes, lasses des longues heures passées debout à surveiller chaudrons, potions et élèves. Défaisant les premiers boutons de sa robe de sorcier noire, il laissait échapper un soupir de soulagement avant de prononcer :

-      Figure-toi, ma chère Rita (ou bien Margot) ...

La suite pouvait varier. Les principales cibles des remarques fielleuses de Rogue étaient Lupin, Potter et, par extension, Dumbledore.

Par une soirée froide de mois de décembre, alors que Severus se trouvait dans un état d'exaspération plus prononcé qu'à l'accoutumée, il confia à sa confidente végétale :

-      Ma chère Rita, imagine-toi, que je me trouve dans l'obligation non seulement de concocter la potion pour ce quasi-loup-garou de Lupin, mais également de lui courir après et de veiller qu’il l’avale, comme si j'étais une Mary Poppins et non un maître émérite des potions. J’en ai plus que marre ! Tu t'interroges, peut-être, pourquoi je le qualifie de cette façon ? Alors, sache que ce mollasson déteste son alter ego, qu'il empoisonne inexorablement à l'aide de l'aconit, ingrédient principal de la potion tue-loup - quel nom évocateur, n'est-ce pas ? - que je me vois contraint de lui fournir. Du reste, son loup le lui rend bien ! J’ai rarement observé une métamorphose lunaire aussi douloureuse !

Margo-Rita s'inclina vers le Professeur, enveloppant ses épaules osseuses d'une branche en un geste empreint de sollicitude et d'empathie, de la seconde, elle lui ôta délicatement le verre de whisky des mains. Puis, elle lui passa, dans une caresse apaisante, sa troisième ramification dans les cheveux, et de la quatrième pointa l'étagère des livres, plus particulièrement l’ouvrage au titre laconique Poisons, œuvre de l'illustre Médicis.

- Tu me suggères de l'empoisonner ? s'enquit Severus, tout en s'efforçant en vain de récupérer son verre à moitié vide. Son état d'esprit était tel qu'il ne pouvait décidément pas considérer le verre comme à moitié plein.

La plante acquiesça vigoureusement en remuant ses branchages.

- L'idée est fort séduisante, une légère erreur de dosage et ce quasi-loup rejoindrait les vertes prairies de la chasse éternelle. Cependant, vois-tu, l'homicide - car c'en est un, je puis te l'assurer - est passible de sanctions pénales. Le confort spartiate d'une geôle à Azkaban, ne me tente pas trop… Et quand bien même on supposerait une méprise involontaire, qu'adviendrait-il de ma réputation de Grand Maître des potions ? Et puis rends, donc, moi mon whisky, l’insolente ! J'en ai réellement besoin, tu ne pourras qu'être d'accord quand je te raconterai la dernière de ce bon à rien Potter !

Marot fit bruisser les feuilles avec commisération et, manifestement à contrecœur, remit le verre de la discorde à son propriétaire légitime, lui tapotant l'épaule d'un air qui signifiait clairement « j'attends la suite ».

Rogue exhala profondément, vida son whisky d'un trait et poursuivit :

-      Nous tous, l'ensemble des professeurs, nous nous évertuons à garantir la sécurité de Potter. Et cet écervelé n'a rien trouvé de mieux à faire que de s'aventurer en douce au Pré-au-Lard ! Et ce, en dépit du fait que Poudlard est sous la surveillance des Détraqueurs, que ce forcené, chien galeux de Black, évadé de l'Azkaban, rôde dans les parages avec l'intention manifeste de lui faire la peau ! Mais Potter refuse d'entendre raison. Que dis-je, raison et Potter sont deux notions parfaitement irréconciliables !

Son amie silencieuse lui prodigua une autre caresse sur les cheveux, avant de pointer à nouveau l'une de ses ramifications vers l'étagère, désignant cette fois-ci le livre intitulé Magie noire et sortilèges Impardonnables, de la plume d'un auteur inconnu.

-      Proposes-tu Avada ou Imperium ? Hélas, l'expérience a démontré que ce gamin possède un front avadarésistant. En revanche, l'Imperium est fort tentant - un simple mouvement de baguette magique, une incantation, et cet ahuri d'agité perpétuel resterait sagement à étudier au lieu de chercher des problèmes sur son postérieur. Cependant, ma chère Margot-Rita, l'usage des Impardonnables est également passible d'emprisonnement, ce que je souhaite ardemment éviter.

***

Ce neuf janvier, le jour de son anniversaire, Severus Rogue n'attendait rien de bon. L'expérience avait prouvé que cette date se distinguait habituellement, à défaut de vrais désastres, par une monotonie écrasante, une tristesse lancinante et une succession de désagréments aussi prévisibles que irritants. Dire que le professeur était harassé serait un doux euphémisme.

Les vacances de Yule, que Dumbledore s'entêtait à qualifier de Noël avec une persévérance qui ne faisait qu'exacerber l'agacement de Rogue, étaient terminées. Les élèves, traités par Severus en son for intérieur d'abrutis, reprirent la possession des locaux en apportant leur contribution à sa mauvaise humeur.

Et comme si ce retour à la réalité n'était pas suffisant, il fallut que Neville Londubat, ce gros garçon à la maladresse légendaire, se surpassât dès les premiers instants du premier cours. Avec une légèreté qui aurait été admirable si elle n'avait pas été si désastreuse, l'élève réussit la performance de faire fondre son chaudron, transformant son poste de travail en un champ d'une éruption volcanique miniature.

L'exploit fut digne d'une récompense, qu'il reçut immédiatement sous forme d'une retenue après les cours et d'une remarque acide de Rogue « Si vous n'êtes pas capable de conserver votre chaudron entier, Mister Londubat, vous pourrez vous consacrer au récurage de ceux des autres. Peut-être qu'ainsi, vous apprendrez enfin à respecter le matériel... si tant est que votre cerveau soit capable d'une telle prouesse. »

Londubat, en élève docile, se présenta le soir venu, après le dernier cours, devant l'antre du professeur Rogue pour s'acquitter de la tâche de récurage des chaudrons, prêt à endurer ses commentaires cinglants. Il toqua délicatement à la porte et, entendant un « Entrez ! » lancé d'une voix peu avenante, il se faufila dans la pièce. Il resta alors, littéralement, cloué sur place par l’admiration face à la splendeur végétale d'une espèce inconnue qui trônait majestueusement au centre de la salle.

Neville en oublia la retenue, les chaudrons et même le professeur qui, assis à sa table de travail, l'observait avec un sourire légèrement moqueur. Lorsque Londubat, s'arrachant à la contemplation de cette beauté verdoyante, s’en aperçut, il fut saisi d'effroi. L’expression d’amusement était si incongrue sur ce visage austère et pâle qu'il lui parut encore plus terrifiant que le rictus dédaigneux qu'affichait habituellement Rogue.

Severus, quant à lui, se délectait de l'émerveillement qu'il lisait sur le visage de son élève le moins doué pour l'art subtil des potions, mais qui était un véritable prodige en botanique. Cela ne l'empêcha pas d'annoncer d'un ton sévère, en désignant la petite porte au fond du local :

-      Mister Londubat, vous n’êtes au musée, vous êtes ici pour les chaudrons et non pour la contemplation ! Et les chaudrons se trouvent là-bas !

Neville soupira et, n'osant désobéir, se dirigea vers le laboratoire. Au moment où il y pénétrait, les flammes dans la cheminée de communication du bureau de Rogue virèrent au vert et la voix désincarnée de Dumbledore se fit entendre :

« Severus, mon garçon, pourriez-vous passer me voir ? J'ai un important service à vous demander et c'est assez urgent ! »

Rogue, qui détestait et redoutait à la fois d’abandonner les étudiants sans surveillance dans ses appartements privés, mais ne pouvant refuser l’invitation du directeur, prononça fermement en se dirigeant vers la sortie :

-      Mister Londubat, je dois vous laisser seul. À mon retour, je veux voir les chaudrons récurés ! Et surtout, ne touchez à rien d'autre !

***

Comme il l'avait anticipé, Rogue demeura dans le bureau du Directeur près d'une heure. Tout ce temps fut nécessaire à Dumbledore pour formuler une requête somme toute assez simple : assurer une fois de plus les cours de Défense contre les Forces du Mal en remplacement de Lupin durant sa période d'indisponibilité, due à son « léger souci de santé ». Par cette litote, le directeur faisait allusion à la métamorphose du timide professeur en bête sauvage, assoiffée de sang sous l'influence de la pleine lune. Naturellement, il ne put l'exprimer de manière concise et régler la question en quelques minutes ; au contraire, il s'étendit longuement sur le devoir, le bien commun et la compassion, mettant à rude épreuve la patience de son interlocuteur.

Il va sans dire que Rogue regagna ses quartiers bouillonnant d'irritation et de colère, tel un chaudron oublié sur le feu.

Il pénétra dans la pièce, claqua la porte d'un geste sec, baissa les paupières, expira convulsivement et adressa une brève supplique à Merlin, pour que cet empoté de Londubat ait eu suffisamment de bon sens de s'éclipser dès le récurage des chaudrons terminé, sans attendre le retour de son professeur. Il rouvrit les yeux pour constater que son espoir s'avérait vain : Londubat était toujours là, il se tenait au centre de la pièce, mordant son poing, une expression de pure terreur gravée sur le visage.

Le professeur Rogue compta mentalement jusqu'à dix pour apaiser son énervement, tout en scrutant la pièce d'un regard empreint d'appréhension.

Subitement il se pétrifia, figé par une vision qu'il refusait d'accepter. L'incrédulité le submergea, son esprit luttant ferme contre l’évidence horrible qui s'imposait à lui. « Ce n'est pas vrai ! », se répétait-il intérieurement, s'accrochant désespérément à l'idée que tout ceci n'était qu'une illusion cruelle. « Je dors et je fais un cauchemar ! Je ne vais pas tarder à m'éveiller et je rirai bien en le contant à Margot ! »

Pourtant, malgré tous ses efforts pour refuser la sinistre réalité, une sensation glaciale commença à l'envahir. Un vide abyssal semblait se creuser là où autrefois palpitait son cœur, aspirant impitoyablement toute trace d'émotion, dévorant la lumière et les couleurs du monde le transformant en un paysage monochrome. L'atmosphère elle-même s'alourdit, devenant suffocante, comme si l'oxygène se refusait à pénétrer ses poumons.

La douleur, aussi soudaine qu'intense, le frappa de plein fouet et le fit chavirer. Un spectacle effroyable s'offrait à sa vue : dans le grand chaudron, qu'il avait choisi avec tant d'amour et de soin pour sa Margot-Rita, à la place de son amie verte gisait une masse informe et repoussante. Ce n'était plus qu'une guenille desséchée, noire comme la suie, dépourvue de toute vie. D'une voix terne et atone, il en put que chuchoter, n'ayant pas la force de parler plus fort :

-      Londubat, qu'avez-vous fait ?

-      Rien, je vous le jure, rien, rien de mal ! Je n'ai fait que l’arroser avec de l'eau, de l’eau pure ! Rien, rien de mal, je ne voulais pas…, cria Neville, fondant en larmes. Ahhha ! De l’eau, de l’eau, pas de l’acide ! Mais c’est tout comme ! Et maintenant elle est mooooorte ! Je l’ai tuuuuééé ! Et vous aussi vous allez me tuuuuueeeer !

Severus peinait à assimiler ce qu'il venait d'entendre. Arroser sa précieuse Margot-Rita avec le simple H2O, elle qui n'avait été nourrie qu'avec des potions et décoctions ! Et que pouvait-il dire à ce stupide Londubat, qui était en train de se lamenter à la manière des pleureuses antiques, hormis de :

- Dehors !!!!

Et Neville, encore plus épouvanté par le murmure morne du professeur qu'il ne l'aurait été par des vociférations, eut la sagesse de se volatiliser promptement, comme s'il avait déjà maîtrisé l'art de la téléportation.

***

Accablé par le chagrin, Severus se mouvait dans la pièce comme dans un songe. L'atmosphère, subitement devenue aussi dense qu'une gelée, paraissait entraver ses mouvements tandis qu'il s'avançait vers l'armoire pour en extraire un linge d'une blancheur immaculée, destiné à faire office de linceul.

L'idée de récupérer les restes de sa chère Margot pour les utiliser dans la préparation de potions ne lui effleura pas même l'esprit ; on ne saurait transformer la dépouille d'une amie en simples ingrédients.

Il exhuma les vestiges de sa confidente végétale, disposant religieusement les rameaux noircis et calcinés par le liquide délétère sur la toile. Alors qu'il s'apprêtait à vider le chaudron de terreau, son attention fut attirée par un prodige. À proximité du rebord du récipient, dans une zone manifestement épargnée par le fluide corrosif, se dressait une petite merveille de la nature, un vrai miracle - une frêle pousse, arborant uniquement deux feuilles délicates.

Sans détacher son regard de ce phénomène prodigieux, redoutant qu'il ne s'agisse que d'une chimère susceptible de se dissiper dès qu'il cesserait de l'observer, Severus explora à tâtons les étagères où il se remémorait avoir relégué la première demeure de Rita, un simple récipient en grès orné d'une inscription moqueuse : Pour le meilleur des professeurs, de la part d'un admirateur. Il parvint enfin à le localiser, l'extirpa et le garnit d'un mélange de terreau et d'engrais, puis, retenant son souffle, y transplanta avec précaution la survivante.

Cet exploit accompli, Severus s'accorda un instant de répit pour se souvenir de la succession d'actions qui avaient métamorphosé une humble fleur champêtre en son inestimable Margot-Rita.

Le début ne posa aucun problème : le thé, il le préparait toujours de la même façon depuis de nombreuses années. Il fit donc l’infusion et la laissa tiédir sur le coin de son bureau. Quant à la suite, il n'en avait aucune certitude. Bien sûr, il aurait pu consulter ses plans de cours et retrouver l'ordre selon lequel étaient concoctées les potions par les étudiants, dont il aspergeait initialement la plante. Cependant, ces préparations regorgeaient d'erreurs aussi grotesques que variées et Rogue doutait sérieusement de pouvoir répéter avec exactitude toutes ces aberrations.

Il arpenta la pièce d'un pas mesuré, en quête d'une solution, ses jambes le ramenant invariablement face au tableau lugubre représentant un cimetière baigné par la clarté lunaire, suspendu dans le recoin le plus obscur du bureau. « Pourquoi pas ? » murmura Severus en contemplant l'œuvre. Puis, d'un geste assuré, il sortit sa baguette magique, exécuta un mouvement complexe et prononça quelques paroles en latin, ce qui fit pivoter la peinture pour révéler un petit coffre-fort moldu protégé par un code à six chiffres. Il l'ouvrit et, repoussant les bourses gonflées de gallions ainsi que divers parchemins, en retira un flacon miniature. Celui-ci renfermait un élixir doré parcouru d'étincelles scintillantes : la magique Felix Felicis.

Severus, avec une minutie extrême, en préleva deux gouttes qu'il versa dans le thé à peine tiède. Il en but la moitié, puis, adressant une prière silencieuse à Merlin et, pour une raison obscure, à Darwin, il arrosa la petite marguerite avec le reste du breuvage…

 

Épilogue

Severus Rogue aimait les plantes et reconnaissait pleinement leur utilité dans l'art subtil de la préparation des décoctions et des potions. Il maîtrisait avec précision les moments propices à la récolte, les techniques de cueillette et les méthodes de conservation.

Cependant, ce qu'il adorait vraiment, c'étaient les végétaux à vocation purement décorative. Il éprouvait pour eux tous une affection profonde, qu'il s'agisse de bouquets destinés aux dames, de couronnes de Noël, ou de gerbes commémoratives. Mais au sommet de son palmarès de préférences trônaient, ex æquo, les plantes en pot et les fleurs des champs.


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