A travers le temps

Chapitre 18 : Escapade à Londres

4412 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Point de vue d’Hermione


J’ai été folle de joie après notre journée ensemble, encore plus quand elle m’a demandé de passer le lundi suivant avec elle. Malheureusement, avant ça, il me fallait survivre à une autre semaine à jouer les parfaites petites servantes. Et crois-moi, ce n’est pas du tout reposant. Réveil à 6 heures, travail jusqu’à la nuit tombée. Et les tâches ? Frotter ceci, récurer cela, vider ci, couper ça, servir machin… Bref, une vraie boucle sans fin. C’est éreintant et, soyons honnêtes, totalement abrutissant.

Pendant mes heures de travail, je m’efforce d’être irréprochable : plus efficace que les autres, toujours professionnelle. Fleur prend déjà un risque en se rapprochant de moi ; la dernière chose que je veux, c’est qu’elle ait l’impression que je profite de la situation en me relâchant. Et puis, c’est dur. Être aussi souvent à ses côtés, sans pouvoir lui parler librement, ni même croiser son regard trop longtemps… C’est une torture silencieuse.

Ça peut sembler étrange, mais d’une certaine façon, j’ai mis l’Hermione du XXIe siècle en veilleuse, et j’ai laissé mon personnage prendre le dessus. Cette version de moi est une dure à cuire, une pionnière stoïque qui accepte le travail éreintant sans broncher. C’est comme ça que je tiens le coup. L’Hermione de 2024, elle, passerait son temps à se plaindre, à râler sur tout et à faire fuir la moitié du personnel par simple mauvaise humeur. Elle est toujours là, quelque part au fond, mais je parviens à la faire taire… la plupart du temps.

Bon, parfois elle ressurgit, comme le jour où j’ai lancé ce regard noir à l’une des trois harpies en robe de cavalière. J’aurais adoré leur rabattre leur caquet une bonne fois pour toutes. Mais ça aurait mis Fleur dans l’embarras, et ça, je ne peux pas me le permettre. Je suis ici pour elle, pas pour flatter mon ego.

Et pourtant… tout ça n’est qu’un mensonge. Je vis dans sa maison, je travaille pour son père, je mens sur qui je suis, d’où je viens, et pourquoi je suis là. Et chaque nuit, allongée dans mon lit, je me demande si je pourrai un jour lui expliquer toute la vérité.

Pour me changer les idées, je regarde des films, je lis, et je joue à des jeux. Vu que je suis officiellement une voyageuse dans le temps, j’ai décidé de plonger un peu dans la science-fiction. J’avais sauvegardé quelques classiques sur ma tablette, et j’ai commencé par le premier Terminator. Franchement, j’ai adoré. C’est sombre, brut, intense – tout ce qu’on attend d’un bon film d’action rétro.

J’ai ensuite lancé le deuxième opus, mais j’ai tenu à peine vingt minutes avant de craquer. Ce gamin qui joue John Connor ? Insupportable. À un moment, je me suis surprise à espérer que le Terminator maléfique gagne, juste pour qu’il se taise.

La veille de mon prochain jour de congé, Fleur m’a dit qu’elle passerait vers neuf heures après le petit-déjeuner. On n’avait pas vraiment établi de programme, mais je m’en fichais. J’attendais ce moment avec impatience. Bon, d’accord, je brûlais d’envie que le lundi arrive, je l’avoue. Voilà, c’est dit. Vous êtes contents ?

Comme d’habitude les jours de congé, j’ai dormi un peu plus tard. Je me suis levée, lavée à l’eau glacée du ruisseau (frissons garantis), préparé un petit-déj sommaire, et habillée. Évidemment, je me suis offert un café – je commence à maîtriser l’art du moulin manuel et de la cafetière rudimentaire. Pas de quoi concurrencer Starbucks, mais c’est déjà ça.

À neuf heures pile, j’étais prête, portant ma plus belle robe – ou du moins celle qui me donne l’air le moins misérable – quand j’ai entendu frapper à la porte. En l’ouvrant, je suis tombée sur Fleur, souriante.

D’habitude, je déteste les gens qui sourient sans raison. Un sourire est censé te rendre heureux, mais si je n’ai pas envie de l’être ? Ne viens pas me contaminer avec ta bonne humeur. Mais Fleur ? Elle a le droit de sourire. Je veux dire, c’est son sourire. Il pourrait réveiller les morts. Alors, ouais. Qu’elle continue de sourire, autant qu’elle veut.

« Bonjour, Hermione. Comment vas-tu ce matin ? »

Je n’ai pas pu m’en empêcher. Un peu de mon sarcasme du XXIe siècle a refait surface. Je me suis appuyée nonchalamment contre l’encadrement de la porte, un sourire en coin.

« Eh bien, je n’ai pas à nettoyer ton pot de chambre aujourd’hui, donc dans l’ensemble, c’est une excellente journée. »

Ses yeux se sont arrondis, sa bouche s’est entrouverte, mais aucun son n’en est sorti. Elle semblait tout simplement… prise de court. Après un moment, elle a bafouillé, visiblement mal à l’aise :

« Ah… ah… eh bien… c’est… c’est bien, je suppose. »

J’ai hoché la tête comme si c’était une vérité universelle.

« Absolument. Alors, quel est le plan aujourd’hui ? »

Fleur retrouva rapidement son sourire, bien que toujours un peu troublée par ma remarque.

« Je dois aller à Londres ce matin. J’ai commandé une robe de bal à Paris, et le couturier m’a écrit qu’elle est arrivée. Il faut que je la récupère. »

Je haussai un sourcil, le sourire légèrement plus large.

« Et tu avais besoin de quelqu’un pour conduire ? »

Aussitôt, son expression changea. Ses traits se crispèrent, et je vis une ombre blessée passer dans ses yeux. Oups. Je venais de lui marcher sur le cœur avec mes sabots d’ironie.

« Je ne t’ai pas invitée juste pour cela. Je voulais passer la journée avec toi. C’est une façon de m’échapper, de respirer un peu… »

Coupable. Voilà ce que je ressentis immédiatement. Je posai une main sur son épaule avec douceur.

« Je plaisantais. Vraiment. J’ai attendu cette journée avec impatience. Je suis prête. »

Son sourire revint aussitôt, cette fois plus franc, plus détendu.

« Bien. J’ai une surprise pour plus tard. J’espère que tu aimes les surprises. »

« En général, je les déteste. En fait, je déteste plein de choses. Mais pour toi, je vais faire une exception, » dis-je en sortant de la cabane pour la rejoindre.

Elle avait déjà préparé le chariot et attelé les chevaux près de la grange. Et, comme une évidence, j’en pris les rênes. Bien sûr. Même en 1869, je conduis.

Alors que nous quittions la ville, bercées par le roulement du chariot et le son apaisant des sabots sur le chemin, Fleur rompit le silence :

« Hermione… je sais que tu aimes lire. Quel genre d’histoires préfères-tu ? »

Je souris légèrement. « J’ai un faible pour les histoires effrayantes. Les récits de fantômes, les choses un peu sinistres. Edgar Allan Poe est l’un de mes favoris. »

Elle frissonna, un mouvement subtil mais visible. « Je n’aime pas les histoires de fantômes. Mais j’ai déjà entendu parler de Monsieur Poe. Je n’ai jamais rien lu de lui… Tu pourrais m’en raconter une ? »

Je tournai la tête vers elle, surprise. « Tu es sûre ? »

« Oui. Je pense que si c’est toi qui me la racontes, ça ne sera pas si effrayant. »

J’haussai les épaules. « D’accord. Alors je vais te raconter Le Masque de la Mort Rouge. C’est une nouvelle. »

Et je me lançai.

« Il était une fois un royaume frappé par une épidémie terrible. Les pauvres tombaient comme des mouches, et le prince, un homme égoïste et insensible, a décidé de se cloîtrer dans une abbaye fortifiée avec les nobles et les riches. À l’intérieur, ils avaient tout ce qu’il leur fallait : nourriture, vin, musique… Et pendant que le reste du pays mourait, ils faisaient la fête.

Un soir, ils organisèrent un grand bal masqué, somptueux et décadent. Mais au beau milieu des réjouissances, un invité inattendu apparut, vêtu comme une victime de la peste. Horrifié par l’audace, le prince le poursuivit à travers les salles de l’abbaye. Quand il atteignit enfin l’intrus et lui arracha le masque… il n’y avait personne en dessous.

C’était la Mort elle-même. Et peu après, le prince, ses invités, tout le monde tomba raide mort. »



Fleur sembla frissonner, mais en même temps, je pouvais voir qu’elle appréciait ma façon de raconter l’histoire.

« C’était effrayant… Si je lisais ce genre de récit, je ferais certainement des cauchemars. Mais… raconte-moi une autre histoire. »

Je levai un sourcil, amusée. 

« Attends une seconde. Tu viens de dire que ça te donnerait des cauchemars. »

Elle haussa les épaules, un petit sourire au coin des lèvres. 

« J’aime les entendre venant de toi. »

Mon cœur fit un petit bond. J’aurais pu lui raconter le bottin téléphonique à ce rythme, et elle m’aurait probablement regardée avec des étoiles dans les yeux.

Beaucoup des histoires que je connaissais n’avaient pas encore été écrites, évidemment, mais j’avais pris soin, avant de partir, de lire quelques récits de fantômes classiques pour ce genre de situation. Une bonne dose de littérature gothique au cas où.

Je lui ai dit que j’aimais aussi les histoires de vampires, et je lui ai brièvement parlé de deux romans que j’avais lus : The Vampyre de John William Polidori, écrit en 1819, et Varney le Vampire de James Malcolm Rymer, publié en 1847. Une fois encore, elle semblait à la fois captivée et un peu terrifiée. Je doutais fort qu’elle ose lire ce genre de choses seule — mais elle écoutait avec une curiosité évidente.

Petit à petit, notre conversation glissa vers d'autres sujets, et le trajet continua paisiblement, jusqu’à ce que nous atteignions Londres.

Alors que je manœuvrais le chariot à travers le centre-ville, j’aperçus un groupe de femmes rassemblées à un coin de rue. Elles tenaient des pancartes, grossièrement dessinées, mais claires dans leur message : elles réclamaient le droit de vote. Mon cœur se serra.

Autour d’elles, les réactions étaient prévisibles. Les passants les regardaient avec dédain, certains les raillaient ouvertement. Cela me mit en colère instantanément.

« Regarde-les, » dit Fleur d’un ton un peu sec, manifestement désapprobateur. 

« Où va le monde, je te le demande… »

Hermione de 1869 aurait baissé les yeux et gardé le silence. Mais Hermione de 2024 ? Elle n’allait pas laisser passer ça.

« Oui, je les vois. Ce que je vois, c’est un groupe de femmes courageuses, qui se tiennent là, dans le froid, demandant simplement qu’on les écoute. Elles veulent une voix. Un vote. Elles ne jettent pas de pierres, elles ne hurlent pas. Elles se tiennent là, calmement. Et on les insulte. »

Fleur tourna lentement la tête vers moi, l’air curieux, presque surpris.

« Tu ne peux pas être d’accord avec cette… agitation. »

Je lui lançai un regard franc. « Si, je le suis complètement. »

En passant près d’elles, j’inclinai légèrement la tête avec respect. Une des femmes me vit et me fit un petit signe discret. Je lui répondis avec un sourire.

Fleur, confuse, hésita. 

« Mais… les femmes ne peuvent pas voter. Ce n’est pas… c’est comme ça. Les femmes… elles sont faites pour… »

« La cuisine ? » répliquai-je, incapable de me retenir. 

« Non. Nous sommes faites pour tout. Diriger, décider, créer, gouverner. Je peux très bien choisir qui je veux voir au pouvoir. Je peux lire un journal, comprendre les enjeux, voter avec ma tête. Et toi aussi. »

Je pris une pause, mais l’indignation était encore là, brûlante. 

« Les hommes nous veulent dans la cuisine pour qu’ils puissent garder les rênes. Ils veulent contrôler parce qu’ils ont peur. Et entre nous… les hommes passent plus de temps à penser avec ce qu’ils ont dans le pantalon qu’avec leur cerveau. »

Fleur ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit tout de suite. Finalement, elle murmura : « Je vois que ce sujet te tient très à cœur. »

Je me rendis compte que j’avais peut-être été un peu trop directe. Trop moderne. Trop moi. Je pris une inspiration pour me calmer, et changeai de sujet, avant de risquer de gâcher l’ambiance.

« D’après les indications que tu m’as données, on est presque arrivées à la boutique. »

Elle hocha la tête. « Bien. »

Le silence régna pendant la dernière partie du trajet. J’essayais de contenir la version la plus brute de moi-même, celle qui avait tendance à s’exprimer un peu trop librement. Je savais que j’avais peut-être été trop véhémente dans mes propos, et maintenant je craignais d’avoir tout gâché.

Finalement, nous arrivâmes à la boutique de luxe. Le genre d’endroit où chaque couture semblait coûter une semaine de salaire et où tout sentait un mélange étrange de parfum, de cire et de jugement silencieux. Fleur entra la première, se dirigeant aussitôt vers l’une des vendeuses pour se renseigner sur sa robe. De mon côté, me sentant à la fois idiote et légèrement agacée contre moi-même, je me contentai de déambuler parmi les présentoirs, examinant les dernières extravagances de la mode de 1869.

Fleur était occupée à l’arrière du magasin, essayant sa robe, ce qui me laissa seule à l’avant. Je me rongeais intérieurement, me repassant encore et encore ma tirade féministe dans le chariot. Et si elle m’en voulait ? Si elle pensait que j’étais grossière ? Ou pire : ridicule ?

« Puis-je vous aider à trouver quelque chose ? » demanda soudain une jeune vendeuse, débordante d’enthousiasme commercial. « Nous venons tout juste de recevoir quelques merveilles venues directement de Paris. »

« Non, merci. J’attends simplement mon amie. »

Mais elle n’en démordait pas. À chaque robe que je regardais du coin de l’œil, elle surgissait comme un diable en boîte pour m’en faire l’éloge.

Je me forçai à rester polie au début, mais je commençais franchement à en avoir assez. Mon esprit était ailleurs, et elle, elle était partout.

Elle finit par me tendre une robe verte bouteille, avec jupe à crinoline et corsage bardé de volants. Un vrai cosplay de Scarlett O’Hara.

« Que pensez-vous de celle-ci ? Vous seriez tout à fait ravissante. Je suis certaine que vous n’auriez aucun mal à trouver un mari avec ça. »

Et là… boum. Deuxième évasion d’Hermione version 2024 de la journée.

« Non, je ne veux pas de robe. Et encore moins pour attirer un mari. J’ai des choses bien plus intéressantes à faire de ma vie que chercher un époux. Comme… vivre, lire, réfléchir, avoir une opinion. Franchement, l’idée même du mariage me donne la nausée. Alors merci, mais non merci. Et pour être honnête… je ne vous aime pas beaucoup. »

La vendeuse recula d’un pas, les yeux écarquillés, comme si j’avais soudain poussé des cornes. Bon, j’avoue, sa réaction était assez drôle. Sans un mot, elle tourna les talons et disparut vers l’arrière-boutique.

Je me massai le visage, honteuse. Encore une fois, j’avais laissé tomber le masque.

« Hermione, ferme-la, bon sang… » grognai-je à mi-voix.

« Hermione ? »

Je sursautai. Derrière moi, la voix douce de Fleur venait de prononcer mon nom.

Je me retournai vivement… pour découvrir une vision sortie tout droit d’un rêve. Elle portait une robe de bal rose foncé, somptueuse, à jupe à cerceaux, richement ornée de dentelle et de volants. C’était tout simplement… sublime. Elle était magnifique.

Je restai bouche bée une seconde.

« Tu es ravissante. Vraiment. Cette robe te va à merveille. »

Elle rougit légèrement, baissant les yeux avec un petit sourire. 

« Merci… Je vais la faire emballer. »

Je regardai sa silhouette s’éloigner, toujours un peu sonnée. Et tout ce que je pouvais penser, c’était : J’espère qu’elle n’a pas entendu ma tirade sur les vendeuses et le mariage…

Elle revint quelques minutes plus tard, ayant troqué la robe contre sa tenue habituelle, tenant une grande boîte contenant sa précieuse acquisition.

Elle s’adressa calmement à une autre vendeuse. 

« Veuillez mettre cela sur le compte de mon père, je vous prie. »

« Bien entendu, madame, » répondit la vendeuse avec un sourire convenu.

Je n’étais pas certaine de ce que la suite de la journée me réservait… mais au moins, Fleur ne semblait pas fuir. C’était déjà ça.

Nous reprîmes bientôt la route vers Beckenham, et je m’efforçai de rester dans mon rôle. Si Fleur avait entendu quoi que ce soit de ma tirade dans la boutique, elle n’en laissa rien paraître. Pas une remarque, pas un regard en coin. Rien. Et cela, quelque part, me troubla encore plus.

De retour en ville, je découvris enfin quelle était sa fameuse surprise. Fleur avait demandé à Dobby de nous préparer un déjeuner pour pique-niquer. Et comme nous étions revenues juste après midi, le timing était parfait. Nous sommes allées au parc, panier à la main, et nous avons partagé un repas délicieux installé sur une couverture, à l’ombre des arbres.

Je suis restée dans mon personnage, jouant la parfaite compagne du XIXe siècle, évitant toute mention d'aviation, de rock ou de droits civiques. Nos sujets de conversation restèrent dans les limites convenables d’une époque bien trop étroite, et même si peu d’entre eux m’intéressaient vraiment, je m’en accommodais. Car être près d’elle… valait toutes les conversations du monde.

Fleur, de son côté, semblait éviter soigneusement de mentionner son mariage. Mais je sentais bien, derrière ses rires et ses sourires, que cette pensée ne la quittait pas. Cette journée, j’en étais certaine, était son échappatoire.

Et moi… j’étais heureuse d’en faire partie.

Nous sommes revenues chez les Delacour vers seize heures. Je la raccompagnai jusqu’à la porte de sa maison, le cœur étrangement serré.

« Eh bien, merci pour ce merveilleux déjeuner et pour avoir passé la journée avec moi, » dis-je en m'efforçant de ne pas trahir mon émotion.

Fleur me répondit avec ce sourire… ce sourire qui me faisait toujours perdre un battement de cœur.

« Non, c’était un plaisir pour moi. Tu es une compagne merveilleuse, intelligente et drôle. Je te verrai demain, Hermione. Merci encore. Passe une bonne soirée. »

Un instant, j’ai cru qu’elle allait dire autre chose. Un mot de plus, une phrase en suspens… mais cela s’évanouit aussi vite que c’était venu. Elle se contenta de me sourire à nouveau, puis elle entra dans la maison et referma doucement la porte derrière elle.

Je suis restée un moment sur le perron, la main sur le cœur.

J’avais passé une journée formidable, malgré quelques faux pas. Mais la question restait la même, lancinante, obsédante : comment l’atteindre ? Comment changer le cours des choses, avec si peu d’opportunités, et si peu de temps ?

Quelques heures plus tard, alors que je préparais un ragoût pour mon dîner, on frappa à ma porte. En l’ouvrant, je découvris M. Delacour accompagné d’un homme bien mis, aux cheveux argentés et au port distingué.

« Hermione, je sais que c’est ton jour de congé, mais pouvons-nous te parler un instant ? » demanda M. Delacour.

J’hochai la tête et me décalai pour les laisser entrer.

Une fois à l’intérieur, M. Delacour me présenta son compagnon :

« Hermione, je te présente Sir Remus Lupin, un ami de longue date. Sir Lupin, voici Mademoiselle Hermione Granger, l’Américaine dont je t’ai parlé. »

Je m’inclinai légèrement, avec la révérence appropriée.

« Enchantée, Sir Lupin. Que puis-je faire pour vous ce soir ? »

L’homme me sourit chaleureusement.

« Ton employeur m’a dit que tu es une actrice talentueuse et que tu as une certaine familiarité avec Shakespeare. »

« Oui, Sir. Je suis actrice, et j’ai interprété plusieurs rôles dans les pièces de Shakespeare. »

« Pourrais-tu me donner un aperçu de ton talent ? »

J’hochai la tête et récitai un extrait de Beaucoup de bruit pour rien, dans le rôle de Béatrice — un rôle que j’avais étudié et aimé l’année précédente.

À la fin, Sir Lupin applaudit avec enthousiasme.

« Excellent, vraiment excellent. Tu te débrouilles admirablement bien. Je prépare un bal formel ce samedi, le 5 juin. J’ai toujours été un fervent amateur de théâtre, et cette année, j’ai eu envie d’agrémenter la soirée de quelques scènes jouées en costume. La comédienne que j’avais engagée pour les rôles féminins est tombée malade. J’en ai parlé à ton employeur, et il a immédiatement proposé ton nom. »

Il marqua une pause avant d’ajouter, d’un ton sincère :

« Si cela t’intéresse, j’aimerais t’engager. Je peux t’offrir cinq shillings pour ta participation, et bien sûr, tu pourras rester ensuite pour profiter de la fête. Ce sera un événement magnifique. Qu’en dis-tu ? »

Je sentis un frisson d’enthousiasme me parcourir. Jouer à nouveau… en costume… dans un manoir, devant un public du XIXe siècle ? Un rêve de comédienne. Je me tournai vers M. Delacour :

« J’adorerais participer, avec votre permission, bien sûr. »

Il hocha la tête sans hésiter.

« Bien sûr, Hermione. Et je t’accorderai même du temps pour répéter avec l’acteur qui jouera à tes côtés. »

Intriguée, je me tournai vers Sir Lupin :

« Puis-je savoir de qui il s’agit ? »

Son visage s’illumina de fierté.

« J’ai engagé Charles Green. »

Je sentis mon cœur s’arrêter une seconde. Charles Green. Ce nom… je le connaissais parfaitement. Même en 2024, son héritage traversait encore les siècles. Célèbre acteur shakespearien de l’ère victorienne, il allait dans quelques années jouer devant la reine Victoria elle-même et serait considéré comme une légende dans le monde du théâtre classique. J’allais partager la scène avec lui.

Je souris, à moitié incrédule :

« Alors vous avez trouvé votre actrice. »

Sir Lupin répondit avec un sourire complice.

« Parfait. Je ferai envoyer une voiture demain soir à 19 heures. Elle te conduira à mon manoir pour les répétitions avec M. Green. »

M. Delacour ajouta :

« Hermione, tu auras besoin d’une tenue convenable. Nous veillerons à te fournir ce qu’il faut. Ma fille est impatiente pour la fête elle aussi. Je suis certain qu’elle sera ravie de t’y voir. »

J’étais aux anges. Le rêve de toute une vie… ou presque. On aurait dit que Cendrillon allait au bal.

« J’ai hâte d’y être. »



Dernière entrée du journal de Fleur le soir même 


Lundi 31 mai 1869.


J'ai passé aujourd'hui une fort agréable journée en compagnie d'Hermione. Il m'est de plus en plus difficile de décrire avec exactitude ce qu'elle éveille en moi. Elle est à la fois audacieuse et réservée, d'un esprit vif, dotée d'une volonté indéniable, et cependant, il y a en elle une part de mystère que je ne parviens point à sonder. J'ai l'intime conviction qu'elle dissimule quelque chose, un secret qu'elle garde farouchement enfoui. Je n'ose l'écrire qu'avec une grande prudence, tant j'ai peur de me tromper.

Elle me trouble. Comme un voleur discret, elle laisse ses regards s'attarder sur moi, croyant que je ne m'en aperçois point. Mais je les sens, ces regards. Ils me brûlent doucement la peau et me poursuivent jusque dans mes rêves. Et la vérité est que je ne puis lui reprocher cela, car je me suis surprise à en faire tout autant. Serait-elle de celles qui recherchent une caresse plus tendre, un amour différent ? Pensée dangereuse, surtout si proche de mes noces. Peut-être ne devrais-je jamais songer à de telles choses.

Je l'ai entendue aujourd'hui, sans qu'elle le sache, murmurer que l'idée même d'un mari lui était répugnante. Cette réflexion m'a saisie et, je l'avoue, réjouie un bref instant. Avant que la réalité ne me rattrape, avec toute sa rigueur.

Je pense à elle plus souvent que je ne le devrais. Elle hante mes pensées, ma raison, et mon cœur semble vouloir s'égarer sur des chemins qu'on m'a toujours appris à éviter. Ce soir, j'ai appris qu'elle a été invitée à se produire au bal de Sir Lupin, ce samedi. Elle y assistera à mes côtés. Mon cœur s'est réjoui plus que de raison en l'apprenant.

William m'a confié devoir se rendre à Londres pour affaires et ne pourra donc assister à l'événement. Une part de moi en est soulagée. Est-ce mal de préférer la compagnie d'une autre au lieu de celle de son futur époux ? Je crains que oui. Je dois prier pour que le Seigneur me pardonne un tel égarement du cœur.

Je sais que je serai heureuse avec William. Tout le monde me l'assure. Mais alors, pourquoi ne puis-je arracher Hermione à mes pensées ?











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