Draco dormiens nunquam titillandus

Chapitre 1 : Draco dormiens nunquam titillandus

Chapitre final

8964 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/10/2024 13:37

Dracarmis !

Les paroles distinctement articulées retranscrirent fidèlement celles que Shiryu avait invoquées dans son esprit. Le garçon sentit très nettement le sortilège passer de sa psyché à sa baguette sacrée et la magie jaillit. Prenant l’apparence d’un dragon chinois, une fumée éthérique et aventurine s'écoula de la pointe de l’artefact et enveloppa le corps du jeune sorcier avant de s’indurer en une armure aussi diaphane qu’impénétrable. La formule magique avait fonctionné, comme il avait été certain que ce fût le cas. Comment aurait-il pu en être autrement ? Après tout, la baguette sacrée du Dragon l’avait choisi, lui. En combinant le nom de sa constellation, Draco, et le nom latin désignant une armure, Armis, tel que le Vieux Maître le lui avait enseigné, il avait conjuré sa Wand d’apparaître.

Les Wands… Ces armures de magie tangible recouvraient le corps des Mages du Zodiaque, une catégorie de sorciers d’élite qui protégeaient la Terre des menaces occultes d’origine divine, celles qui ne pouvaient pas s'expliquer par une intervention humaine ou fantastique. En marge du commun des magiciens, et donc des moldus bien évidemment, les Mages œuvraient pour maintenir la paix et l’équilibre lorsque ceux-ci étaient perturbés par des dieux belliqueux ou ambitieux. Shiryu venait de terminer son entraînement pour devenir l’un d’eux. Un apprentissage long et difficile mais qui s'était avéré fructueux, comme le prouvait la protection nébuleuse qui le couvrait impesamment d’une douce chaleur et avec laquelle il avait la sensation de ne faire qu’un.

Le garçon s’avança dans la grotte et l’obscurité parut l’engloutir.

Lumos.

Les ombres reculèrent face à la lumière… signe annonciateur de la victoire qu'il espérait ou traîtrise des apparences ? Il ne le saurait qu’après avoir tenté sa chance, qu’après avoir essayé de se venger de cet horrible animal de compagnie qui lui avait fait vivre un enfer durant ses années d’entraînement. Shanlong, le boutefeu chinois qu’affectionnait particulièrement le Vieux Maître et qui ne s'était jamais fait prier pour se faire craindre du jeune Shiryu. À chaque faux pas, à chaque échec, à chaque incartade, le dragon avait été là pour le narguer, se moquer ou simplement l’intimider. On aurait dit que la bête se délectait à chaque sursaut de surprise, à chaque exclamation de frayeur et à chaque jappement de douleur du disciple. Tout laissait croire que l’animal avait pris Shiryu en grippe dès son premier jour et prenait un malin plaisir à le harceler. Pourtant, il était d’une douceur inconcevable envers Shunreï, la jeune orpheline moldue recueillie par le Vieux Maître avant que Shiryu ne mette les pieds à Lushan.

Une telle différence d’attitude prouvait que l'irascibilité du dragon n’avait d'égal que son sadisme. La créature, de facto intelligente, savait parfaitement ce qu’elle faisait, impression corroborée par les changements soudains de comportement lorsque le Vieux Maître se pointait pour vérifier d’où venait le raffut des courses-poursuites entre le garçon et le boutefeu. Mais maintenant qu'il avait été sacré Mage, Shiryu avait le pouvoir d’inverser la donne et il se refusait à quitter Lushan tant qu'il n’aurait pas lui-même corrigé Shanlong.

Malgré sa lumière et l’exiguïté de la caverne où le dragonlion avait l’habitude de se reposer, il entendit les ronflements de la bête et détecta les lueurs rougeoyantes de la fumée s’échappant de ses narines avant de la distinguer. Le boutefeu était bien là et la lumière à l'extrémité de la baguette magique ne tarda pas à révéler un long corps recouvert d'écailles lisses et écarlates. Sa tête, caractérisée par des yeux protubérants et un museau écrasé entouré de pointes d’or, était posée confortablement sur ses pattes avant. Son long corps serpentin était enroulé autour d’un énorme rocher qu'il avait recouvert de l'une de ses ailes, l’autre étant repliée sur son cou, telle une couverture protectrice.

C'était le bon moment, l’instant propice pour jouer un mauvais tour à Shanlong, pour le surprendre autant qu'il avait surpris Shiryu et prendre sa revanche sur les années passées à craindre une irruption inopinée du dragon dans les situations les moins opportunes. Le garçon leva sa baguette sacrée, jubilant à l'avance. Il se concentra et forma dans sa tête l’image de l'effet désiré. Bien visualiser lui permettrait d'obtenir l’intensité voulue lorsqu'il prononcerait la formule magique.

Aguamenti !

Un jet d’eau puissant, semblable à une cataracte horizontale, fila vers le dragonlion endormi et l’aspergea copieusement. Aussitôt, la grotte se transforma en sauna et le sifflement du liquide en pleine vaporisation résonna sur ses parois rocheuses. La Wand de Shiryu le protégea des effets secondaires qu’auraient pu provoquer les volutes brûlantes. Le jeune garçon fit durer son sort assez longtemps pour éteindre un incendie puis, quand il jugea que c'était suffisant, quand plus aucune nouvelle bouffée de vapeur ne se forma, preuve du refroidissement de la bête, il le stoppa.

Pourtant, le sifflement ne cessa pas. Interloqué, Shiryu vérifia que l'extrémité de sa baguette ne rejetait plus le moindre filet d’eau. C'était le cas. Alors… d’où pouvait provenir ce bruit crissant ? Un mouvement vif dans la fumée langoureuse attira l’attention du jeune Mage. Un mouvement ombrageux, ondoyant et… ophidien. Dans un réflexe acquis au cours de son entraînement au combat, Shiryu n’eut que le temps de lever son bras gauche, celui-là même où sa Wand était ornée d’un bouclier circulaire. Le coup de queue magistral l’envoya valser durement contre l’un des murs minéraux. Il en eut le souffle coupé. Son armure éthérique le protégea mais le choc n’en fut pas moins assez violent pour l’empêcher de se remettre facilement debout lorsqu'il retomba au sol lourdement.

Il se secoua la tête pour reprendre ses esprits et dissiper les vertiges qui le tenaillaient. Levant les yeux, il se trouva face au boutefeu chinois. Mais le regard de ce dernier n'était pas empli de fureur. Non. Il était empli de… vide. Oui, paradoxalement, c'était ainsi qu'il convenait de le décrire. Empli de vide… Un vide émotionnel qui ne laissait place à rien d’autre. Une absence totale de sentiments qui empêchait toute régulation comportementale volontaire. La moindre étincelle noétique du dragonlion paraissait étouffée par un état d’instinct primitif et primal à l'état pur. Ni éveillé, ni endormi, la terrible bête semblait hypnotisée et hors de contrôle, comme investie d’une transe berserque irrépressible.

Une sueur froide coula dans le dos de Shiryu et parut se glacer instantanément lorsqu'un souvenir remonta de la mémoire du garçon. “Draco dormiens nunquam titillandus”. Comment avait-il pu oublier l’un des premiers enseignements du Vieux Maître ? Dès le premier jour, dès que Shiryu avait fait la connaissance du dragon de compagnie, Dohko l'avait mis en garde.

— Qu’est-ce que cela signifie, Vieux Maître ? avait demandé l'apprenti Mage.

— “Ne jamais chatouiller un dragon qui dort.” C’est une règle de sécurité que tu ne devras JAMAIS transgresser, jeune Shiryu, avait répondu Dohko.

— Une règle de sécurité qui interdit de… “chatouiller” ? Vous en êtes certain ? s’était étonné son disciple, dubitatif.

— Tout à fait !

Et le Vieux Maître était parti d’un rire de vieux sénile, comme amusé par une blague que lui seul comprenait.

— À la vérité, malgré l'aspect incongru de cette citation, elle recèle un conseil avisé. Son origine m’a été contée par un ami de longue date, le jeune Albus Dumbledore, directeur d’une école de magie occidentale dont c’est d’ailleurs la devise.

Et alors que Shanlong, le boutefeu du Vieux Maître, fixait Shiryu sans le voir, mais non moins prêt à le tuer, le temps sembla s'arrêter alors que l’homélie de Dohko lui revenait à la vitesse de la pensée.


**


Île de Brittania au dixième siècle : les clans sorciers se rassemblaient lors d’un conclave exceptionnel, afin de mettre au point une stratégie commune de sauvegarde face à la menace moldue. Il était grand temps d'unir la communauté magique face aux persécutions dont les sorciers étaient victimes, leurs pratiques étant considérées comme païennes et impies par le commun des mortels… par peur, mais aussi par jalousie certainement. Des quatre coins de l'île, les familles de sorciers se regroupaient par clans entiers et convergeaient vers la pointe Sud des Pennines, la chaîne de montagnes considérée comme la colonne vertébrale de la Grande Bretagne. Ce lieu avait été choisi pour sa situation géographique, en plein cœur de la Mercie, assez centrale pour qu’aucun clan ne se sente privilégié ou lésé, mais aussi en raison de la crainte qu’elle inspirait chez les non-mages.

Il se racontait que les monts des Pennines étaient habités par une créature monstrueuse cracheuse de feu, une bête fantomatique dont l’immaculation n’avait d'égal que la cruauté, un démon ailé dont l'apparence glaciale abritait une incandescence infernale. Les sorciers, eux, savaient qu'il s’agissait d’un eidolon blanc, un dragon réputé autant pour son agressivité que pour sa furtivité. Aussi l’immense campement qui accueillait les clans n'était pas seulement doté de protections repousse-moldus, mais aussi de sortilèges éloigne-dragons car personne n’avait jamais vaincu une telle créature. Certains avaient réussi tant bien que mal à en réchapper, mais aucun mage ou moldu ne pouvait se targuer d’en avoir triomphé. Tous les jours, aux premières lueurs qui suivaient l'aube, les sentinelles, choisies parmi les sorciers les plus doués au combat, renouvelaient les sorts qui rendaient le rassemblement imperceptible aux sens des êtres menaçants. L'équipe étant restreinte, les mêmes visages revenaient régulièrement, au point que le conclave finirait par leur attribuer le titre de “Gardiens de l’Aurore”. L’histoire de la sorcellerie n’en retiendrait que la désignation d’Aurors.

Cette passation de pouvoir, un jeune homme à la dense chevelure blonde et mordorée, aux yeux verts et à la carrure solide, ne se lassait pas d’y assister, admiratif qu'il était des capacités de ces combattants. Cela lui permettait également de guetter l’arrivée de ses amis. Ils ne devraient plus tarder à présent, du moins s’il en croyait les nouvelles apportées par leurs trois hiboux. Alors il attendait patiemment, observant sans se lasser le ballet des transplanages qui amenait les différentes familles sur les lieux du conclave. Adultes ou enfants, tous les sorciers avaient le droit de transplaner, il en allait de la sécurité de chacun en ces temps de chasse aux sorciers et sorcières, et les sortilèges de protection n'empêchaient pas de voir au-delà de la barrière magique, ce qui garantissait une intervention rapide de renforts en cas de besoin. Car il était malgré tout impossible de se transporter directement à l’intérieur du champ de force, ce qui exposait les mages au danger tant qu'ils n'y étaient pas entrés. La vigilance… encore et toujours la vigilance. Avec un peu de chance, et de bon sens, le conclave aboutirait à des solutions pérennes pour garantir la coexistence des sorciers et des moldus.

— Godric !

Au temps pour la vigilance, se concéda le jeune homme. Perdu dans ses pensées, il n’avait même pas vu les deux sorcières qui l'avaient retrouvé et dont les saluts ostentatoires révélaient l’allégresse. L’une d’elles, fine et grande, aux yeux marrons, arborait une longue chevelure noire et brillante. Son acolyte, plus petite et replète, avait des cheveux roux flamboyant et des yeux verts.

— Rowena ! Helga ! se réjouit-il en les interpellant respectivement.

Les deux jeunes femmes réduisirent rapidement la distance qui les séparait de lui et s’assirent à ses côtés. Il n’en manquait plus qu’un pour que leur petit groupe soit au complet.

— En retard comme à son habitude ? devina Rowena.

— Il aime se faire attendre, vous le savez bien, confirma Godric goguenard.

— C’est comme ça qu’on l'apprécie, admit Helga.

Tous les trois, ils se mirent à attendre que le quatrième membre de leur petite bande daigne se montrer.

— Ccchhheeee ssssssuis déjjjjjjà là depuisssss longtempssssss, siffla une voix amusée.

Les trois amis sursautèrent en entendant les mots en fourchelangue, d’autant plus qu'ils n’en comprirent pas le sens, et cherchèrent autour d'eux. Un long serpent argenté reposait non loin d’eux, lové autour d’un énorme grès bis qui le camouflait à merveille. Les contours de l'animal devinrent flous et ceux d’un jeune homme, chauve, assez frêle et aux yeux gris perle, se précisèrent. Godric, Helga et Rowena éclatèrent de rire.

— Salazar ! Tu ne changeras donc jamais !

Le nouveau venu sourit, fier de son subterfuge, mais ne répondit pas. Il vint simplement s’asseoir auprès de ses camarades qui, de toute façon, n’attendaient aucune réponse. Ils étaient de nouveau ensemble. Cela faisait si longtemps et c'était si peu fréquent !

Ils ne s'étaient pas connus tous les quatre en même temps, mais leurs familles avaient eu l'occasion de se croiser lors d’invitations de convenance. Chacun d’eux avait rencontré deux des trois autres au hasard de banquets ou de réunions censés maintenir des liens amicaux entre leurs clans. Salazar Serpentard était originaire des marécages d’Est-Anglie, Rowena Serdaigle des montagnes de Northumbrie, Helga Poufsouffle des vallées de Cambrie et Godric Gryffondor des plaines de Wessex. Rares étaient les évènements susceptibles de rassembler leurs entourages. Donc quand, lors de la signature d’accords commerciaux, ils s'étaient retrouvés au même endroit, ils s'étaient étonnés de vouloir présenter à leurs amis respectifs des personnes que ces derniers connaissaient en réalité déjà.

La singularité de cette coïncidence les avait rapprochés facilement. Ce d’autant plus qu'ils étaient les étoiles montantes de leurs lignées… même si chacun à leur manière. Ils avaient rapidement apprécié leurs qualités mutuelles, qu'ils jugeaient complémentaires et compatibles. L’ambition et l’ingéniosité de Salazar, l’intelligence et la créativité de Rowena, la prévenance et la loyauté de Helga, la droiture et la témérité de Godric… les rendaient aussi différents qu’accordables. Ensemble, ils se hissaient toujours plus haut dans les arts de la sorcellerie et ils ne manquaient pas de projets. Ils étaient néanmoins raisonnables et ne mettaient pas la charrue avant les bœufs. Le temps était pour eux un atout qui consolidait leurs acquis et améliorait leurs aptitudes.

— Alors ? demanda Helga pour briser le silence. Quels sont vos pronostics quant aux décisions du conclave ?

— C’est la première fois qu'autant de clans se rassemblent. Je ne sais pas ce qu'il en ressortira mais cela va clairement révolutionner la cohabitation entre notre communauté et celle des moldus, avança Rowena.

— Si la conclusion est la cohabitation… objecta Salazar sans s’appesantir sur le véritable sens de ses mots.

— Nous ne sommes pas obligés de les dominer, intervint Godric en lui donnant une bourgade amicale.

— Ce n'est pas ce que je…

Helga fit tomber Salazar à la renverse en rigolant. Ce dernier fit semblant de paraître outré et accepta la main salvatrice de Rowena pour se redresser.

— La paix pourrait passer par la nourriture, proposa la sorcière rousse. Les non-mages sont souvent en proie à la famine et, de fait, ils lorgnent allègrement sur les ressources de leurs voisins… d’où la jalousie et les guerres. Notre magie pourrait résoudre ce problème et les amener à nous accepter ?

— Et devenir leurs vaches à lait ? objecta Salazar. Non. Nous avons des aptitudes supérieures, nous ne pouvons pas nous permettre de nous abaisser à leur service.

— Je suis d’accord avec notre chauve préféré, avoua Godric. En cela que nous ne pouvons leur concéder un statut de supériorité. Mais nous ne devons pas pour autant nous considérer comme tel vis-à-vis d’eux.

— Nous devrions nous orienter vers un statu quo… les premiers mages sont très probablement issus de moldus… commença Helga.

— À moins que ce ne soit les moldus qui proviennent des sorciers qu'étaient les premiers humains ! la coupa Salazar.

— Nous ne pouvons pas le savoir en l'état actuel de nos connaissances, tempéra Rowena. En attendant, aucun autre primate n’est sorcier alors il est fort probable que les premiers humains ne l’aient pas été non plus. Donc…

— Donc nous sommes leur évolution ! insista le Serpentard.

— Donc nous sommes leurs descendants ! corrigea la sorcière aux yeux marrons. Cette filiation est justement l’argument que j’allais utiliser avant que tu ne me coupes. Si nous leur devons notre existence, nous devons trouver un moyen de leur exprimer une certaine gratitude, sans perdre notre position d’égalité.

— Chacun son monde, confirma Godric. Nous devons leur montrer que nous ne leur voulons pas de mal même si nous en aurions le pouvoir.

— Tu proposes qu'ils nous craignent ? s’exclama Helga.

Une lueur amusée éclaira le regard de Salazar.

— Je propose qu'ils nous respectent, tout comme nous n’abuserons pas de nos facultés envers eux. Ton idée de les aider n’est pas mauvaise d’ailleurs… mais pas par la nourriture, sourit indulgemment le sorcier à la crinière mordorée.

Godric tourna la tête vers les sentinelles. Ses trois comparses suivirent son regard. Ils se doutaient de ce qui allait suivre mais ils attendaient que leur ami se décide à parler. À quoi allait-il vouloir les mêler à présent ?

— Nous avons le pouvoir de les protéger, commença le jeune Gryffondor. Je me demandais si… J’aimerais essayer quelque chose…

— Accouche ! Quel plan foireux vas-tu nous proposer cette fois ? le rabroua gentiment Salazar.

— Encore une mission à la hauteur de son imprudence, très certainement ! railla affectueusement la jeune Serdaigle.

— De sa bravoure, rectifia Helga généreusement sans tenir compte des quolibets bon enfant que cela engendra de la part de ses amis.

— Les populations moldues alentour craignent ce qu'elles appellent le fantôme des Pennines. Si nous les en débarrassons, les non-mages seront bien obligés de convenir que les sorciers sont les plus à même de gérer les menaces fantastiques. Si nous leur promettons de ne pas ingérer dans les affaires communes, nous devrions pouvoir trouver un accord. Vous me suivez ?

Un silence pesant engloba les quatre compères.

— Attends, Godric. Tu voudrais que nous y allions nous-mêmes ? comprit Rowena.

— Tu es conscient qu’il s’agit d’un eidolon blanc ! s'écria Salazar.

— Personne n’a jamais réussi à en vaincre un ! rappela Helga.

Gryffondor les fixa intensément. Il était sérieux.

— Les adultes seront tous occupés par les discussions, pas seulement les Hautes Chaires des clans. Il s'agit d’une décision élargie à toutes les têtes. Les enfants seront sous la garde de leurs aînés. Et vous savez comme moi que nous en sommes capables. Chacun de nous vaut mieux que presque n’importe quel adulte de ce rassemblement. À nous quatre, n’en parlons pas. Sans fausse modestie, nous sommes les seuls à même de tenter notre chance en espérant réussir. Et cela pourrait faire un précédent sur lequel le conclave pourrait s'appuyer pour négocier avec les autorités moldues. Je comptais vous attendre et partir cette nuit. Je sais quand les protections sont au minimum de leur efficacité. Êtes-vous avec moi ?

Malgré l’intrépidité que cela demandait, qui était plutôt l’apanage de Godric, les trois autres étoiles montantes de leur génération ne purent qu’admettre qu'ils étaient tentés par cette folle idée. Il n’y eut pas besoin de conciliabule. En toute humilité, ils savaient que c'était potentiellement à leur portée. Dangereux, certes, mais faisable. Helga, Rowena et Salazar acquiescèrent. C'était entendu. Ils dégainèrent leurs baguettes et formèrent un cercle. Tendant le bras, ils firent se toucher l’extrémité de leurs artefacts magiques et des étincelles excitées crépitèrent. Les baguettes avaient compris leurs intentions et les encourageaient.

Leurs baguettes. Aussi dissemblables qu’elles étaient exceptionnelles. Celle de Godric était en bois de tremble, droite, épaisse, semi-rigide et abritant une moustache de nundu. Celle de Salazar était en bois d'amourette, sinueuse, assez fine, rigide et pourvue d’une corne de basilic en son cœur. Celle de Helga était en bois de poirier, renflée, assez épaisse, flexible et accueillait un crin de qilin. Et celle de Rowena, en bois de sycomore, torsadée, fine, souple, avait un cœur en plume d’oiseau-tonnerre. Leurs qualités étaient totalement adaptées à leurs personnalités, leurs caractères et leurs affinités pour les différents aspects de la sorcellerie.

Ensemble, ils quittèrent le champ de protection du conclave lorsque la puissance du bouclier et la vigilance des sentinelles furent au minimum. Aucune alarme magique ne retentit, mais le contraire les aurait étonnés. Aucun sorcier n'était interdit de sortie après tout. Ils transplanèrent vers le sommet de la montagne la plus proche et lancèrent des sortilèges de détection dans toutes les directions.

Appare Vestigium.

— Animalis Revelio.

— Creatura Aparecium.

— Draco Emergo.

Bien sûr, ils ne trouvèrent rien à la première tentative, mais ils réitérèrent l’opération en différents lieux de la chaîne montagneuse. De proche en proche, ils restreignirent leur domaine de recherche et finirent par dénicher un pic prometteur. Nu, rocailleux à souhait, pailleté de muscovite et percé de l'entrée d’une évidente grotte, c'était l'endroit idéal pour qu’un eidolon blanc des Pennines en fasse son repaire.

Les quatre amis restèrent en embuscade pour surveiller les habitudes du dragon. Hors de question de se précipiter. Ils étaient assez confiants, mais ce n'était pas pour autant qu'il fallait s’avérer plus imprudents qu'ils ne l'étaient déjà. Ils établirent un campement, Godric se chargeant des sorts de protection qu'il copiait sur les sentinelles du conclave, Helga leur préparant un repas capable de recharger rapidement leur magie, Salazar s’occupant d’aménager la tente à grand renfort de sortilèges d’extension indétectable et Rowena vérifiant leur stock de potions et d’accessoires magiques. Avant d’entamer les tours de garde, ils éprouvèrent les pouvoirs de leurs artéfacts personnels : la sorcière aux cheveux de suie, son diadème capable d’amplifier ses facultés de réflexion ; le sorcier chauve, son médaillon améliorant sa legilimancie ; la sorcière à la chevelure de feu, sa coupe lui permettant de conserver quelques portions de nourriture magique ; le sorcier à la crinière mordorée, son épée argentée dotée de la capacité de repousser les souillures et d'absorber poisons et sang pour les retourner contre ses adversaires.

Quand ils jugèrent leurs préparatifs complets, ils commencèrent la veillée. Ce fut long. Les dragons étaient des créatures patientes et discrètes malgré leur agressivité et leur impulsivité. Les jeunes mages se mirent même à douter, à l’orée du troisième jour d’attente, que la bête fût dans son antre… voire que la caverne qu'ils surveillaient fût réellement une tanière dragonesque. Pourtant, leurs sondes magiques étaient formelles, il y avait un cracheur de feu dans cette montagne. Était-il possible qu’il existât un autre accès qui leur aurait échappé ? Ils patientèrent encore deux jours et, alors qu'ils allaient se résigner à remettre en question leurs conclusions, l’eidolon pointa le bout de son museau.

La créature était gigantesque. Les dragons grandissaient toute leur vie et les fantômes blancs, qualifiés d’invincibles, devaient posséder une espérance de vie bien supérieure à la moyenne de leurs semblables. Bien qu’ils s’y attendaient, Salazar, Rowena, Helga et Godric furent néanmoins surpris par les mensurations hors norme de celui-ci. Pas étonnant que son rythme de vie fût réduit au point qu'il n’ait pas besoin de se nourrir tous les jours ! Le monstre huma l’air et les quatre amis retinrent leur souffle en levant leurs baguettes. Malgré les protections de leur camp, ils s’apprêtèrent à être découverts. Mais le dragon les ignora et s’extirpa de son antre. Déployant ses ailes, qui semblèrent couvrir une bonne partie du pic, il s’empara d’un courant ascendant qui l’emporta dans les airs. L’eidolon plana autour du mont avant de se décider pour une direction… celle d’une plaine verdoyante mouchetée de bétails dont il allait vraisemblablement faire son repas.

Godric voulut le suivre en transplanant, mais Helga le retint.

— Aucun être vivant n’aime être dérangé en mangeant. Ne t’attire pas son ire inutilement. Il sera bien assez tôt pour le combattre.

— Profitons plutôt de son absence pour visiter sa grotte, proposa Salazar.

Un coup d'œil à Rowena finit de convaincre le jeune Gryffondor et il se rendirent à l'entrée du repaire du dragon. D’aussi près, cela n’avait rien de la petite ouverture dans les parois de la montagne. Les dimensions colossales du pic avaient trompé la perception des sorciers sur la taille réelle de la caverne et ils se sentirent minuscules. Non sans appréhension - le dragon était-il solitaire comme beaucoup de ses congénères ? - ils s’engagèrent, baguettes parées.

Lumos Maxima, invoquèrent-ils d’une même voix.

Ils découvrirent des murs faits d’une roche qui semblait avoir connu de multiples fusions et cristallisations successives. Les sorciers eurent l’impression que les parois étaient encore en train de s’écouler mais, quand ils en testèrent la dureté, elle était tout à fait solide. Ils poursuivirent leur exploration, visuellement et magiquement. Le gigantisme des lieux ne leur fit pas seulement perdre le sens des distances, mais aussi celui de la durée de leur investigation. Chacun de leur pas ne les faisant que peu avancer, l’impression de piétinement eut raison de leur estimation du temps. C’est donc sans s’apercevoir que les ombres au dehors s'allongeaient et changeaient de direction qu'ils furent surpris par l’avancée de la journée… et le retour crépusculaire du dragon.

Salveo Maleficia ! psalmodia la jeune Poufsouffle in extremis.

L’enveloppe invisibilisante du sortilège recouvrit les quatre sorciers juste à temps. L’eidolon blanc jaillit de l’embrasure de la caverne, semble-t-il sans ralentir, et son œil énorme parut emplir leur champ de vision. Un œil intelligent, pernicieux et scrutateur qui trahissait son âge avancé et son expérience. Savait-il que des étrangers s’étaient introduits dans son antre ou le regard transperçant s’était-il posé par hasard sur l'emplacement des jeunes mages dissimulés ?

Surdinam, murmura Godric pour étouffer le moindre son qu'ils auraient pu produire en se retirant le plus loin possible de l’imposante créature.

À ses côtés, ils ne représentaient pas plus que des souris. Un seul mouvement malencontreux pourrait les écraser contre le sol ou les parois. Ils trouvèrent donc une anfractuosité qui pût les accueillir tout en s’avérant trop fine pour que le dragon y introduise la moindre griffe. Ils avaient le souffle court, estomaqués par leur propre négligence. Comment avaient-ils pu se faire avoir de cette façon ? Étaient-ils à ce point et inconsciemment devenus prétentieux qu’ils en manquaient de discernement ? Ils se maudirent de plus belle lorsque le dragon souffla de terribles flammes au-dessus de l'entrée afin d’en faire couler la roche. Un rideau de minéral fondu se forma et la bête cessa son torrent de feu pour expirer son simple souffle, lequel fut suffisamment froid pour solidifier les coulures qui refermèrent la sortie d’une draperie déchirée d’obsidienne. Cela n’empêchait pas une éventuelle évasion, mais cela ne la faciliterait pas non plus.

— Que faisons-nous ? souffla Rowena. Je ne suis soudainement plus certaine de notre capacité à… gérer le problème de sa présence en ces monts. Ça semble un peu trop… même pour nous.

Ces derniers mots, prononcés en toute honnêteté, ne résonnèrent pas dans la grotte, bien sûr, mais se répercutèrent dans l’esprit de ses trois compagnons.

— Nous devons tenter quelque chose néanmoins, insista Godric. Ne serait-ce que pour prouver que notre communauté peut gérer les problèmes liés aux créatures fantastiques au profit des populations moldues.

— Mais tu as vu la taille de celle-ci ? glapit Helga. On aura besoin d’un sacré plan si on veut s'en sortir !

— Attendons qu'il dorme, décida Salazar d’un ton dans lequel transparaissait une idée. L’objectif n'est pas de le tuer, n’est-ce pas ?

Les jeunes Gryffondor, Poufsouffle et Serdaigle se consultèrent du regard pour confirmer la décision qu'ils avaient déjà prise sans finalement jamais se concerter. Serpentard opina du chef.

— Alors il faut le capturer et le relâcher dans un endroit où il tombera sous la juridiction de nos magizoologistes. Mais nous ne parviendrons à rien de probant tant qu'il sera sur ses gardes. Si nous agissons pendant son sommeil, nous pourrons l’immobiliser et le contentionner. À nous quatre, c’est à notre portée.

Le sorcier chauve regarda ses compagnons tour à tour. Chacun d’eux analysa la situation le plus froidement et objectivement possible. Force fut de constater que Salazar avait sûrement raison. Personne jusque-là ne pouvait se targuer d’avoir pénétré l’antre d’un eidolon des Pennines… et chacun savait que c'était l’endroit où les dragons étaient le moins agressifs. S’il y avait une chance d’agir sur celui-ci, c'était bien en ce lieu et quand il serait assoupi. Ils décidèrent de patienter.

Ils eurent ainsi tout le loisir d’observer la bête dans ses habitudes les plus intimes. Il était étonnant de constater que l'eidolon avait un souffle magique brûlant et un souffle physiologique glacé. Cette alternance lui permettait de reproduire la succession fusion/pétrification qui lui avait permis de refermer son repaire. Il allait de-ci de-là, faisant fondre les parois pour les figer ensuite. Puis il observait longuement son résultat et parfois, il recommençait, parfois il continuait son chemin vers une autre portion de la grotte. Il semblait suivre un plan précis.

— Un nid, devina Rowena. Il construit un nid. Mais on dirait qu'il le veut… , élégant, artistique comme certaines de ces espèces dont l’esthétique du couvoir fait partie de la parade nuptiale. Il s’apprête à… séduire, je crois.

Ils observèrent encore le ballet du monstre un certain temps. Puis, celui-ci arrêta son œuvre d’art et vint se poser au centre de la caverne, sur un promontoire en cuvette dans lequel il se lova. Mais ses yeux restèrent encore sur le qui-vive un long moment avant de se fermer lentement. Le souffle du dragon se ralentit et s'approfondit.

— C’est parti, lança Godric en dégainant sa baguette d’une main et son épée de l’autre.

Salazar le stoppa.

— Attends, lui intima le sorcier chauve en tendant sa propre baguette vers la créature a priori endormie. Legilimens.

Le jeune Serpentard se concentra et ses amis maintinrent un silence révérencieux. Leur compagnon était un maître en legilimancie. Quand il baissa sa baguette d'amourette, il annonça en sifflant.

— Il fait semblant. Il ne sait pas que nous sommes là, mais son instinct lui signale qu’il ne devrait pas s'endormir. Tout son esprit ne vibre que d’une seule chose : l’espoir de tout dragon de ne pas être réveillé dans son sommeil. Il n’y a aucune autre explication à cette peur de l’éveil impromptu qu’une intuition primitive. De tout temps, les dragons ont toujours fait attention à s’assoupir quand ils sont certains de ne pas être dérangés. De ce que j’ai pu retirer de son esprit, c’est une terreur primale.

Helga, Rowena et Godric fixèrent leur ami.

— Au fond de moi, j’ai toujours su que le degré de conscience des dragons étaient bien plus élevé que ceux des autres créatures fantastiques, s’enthousiasma la jeune Poufsouffle. Le fait que ton sortilège de lecture de pensées ait fonctionné à ce point corrobore cette théorie.

— Attendons encore un peu jusqu'à tromper son instinct. Helga, tu as bien quelques provisions à nous partager pour nous faire patienter ? s'enquit la jeune Serdaigle.

La sorcière rousse s’empressa de satisfaire ses amis. Elle se faisait toujours une joie de contenter son entourage. La patience paya. À coup de sondes mentales régulières, Salazar testait l’endormissement du fantôme blanc. Finalement, il annonça que le moment était venu. Ils ne s'étaient pas précipités et la fatigue avait fait capituler le grand dragon.

Les quatre sorciers sortirent de leur abri, baguette prête. Ils avaient décidé de se placer aux quatre points cardinaux et de lancer les mêmes sorts en même temps, au maximum de leurs puissances. S'ils réussissaient, l’eidolon serait réduit à l’impuissance sans même s’en apercevoir. Prudemment, ils se séparèrent et allèrent se placer. D'une fumerolle silencieuse émise de l’extrémité de sa baguette, chacun signala être en position. Il était temps :

Immobulus ! clamèrent-ils avant d’enchaîner avec : Incarcerem !

Les sortilèges fusèrent et enveloppèrent l’immense créature dans une gangue emprisonnante. Le choc des émanations magiques ne parut pourtant que chatouiller le dragon qui fut pris d’un frémissement. Sauf que ce frisson leur donna l'impression qu'une montagne d’albâtre ondulait sans pouvoir s’arrêter, les ondes ne cessant de faire le tour du gigantesque corps. Un grondement guttural envahit la grotte dont les parois se mirent à trembler à une fréquence synchronisée avec celle du cuir épais de la bête. D'énormes griffes labourèrent la roche, une interminable queue racla le sol et de monumentales ailes formèrent un ciel membraneux qui s'éleva vers le plafond lorsque le corps entier se souleva. La tête colossale se dressa et se tourna successivement vers les quatre intrus pétrifiés par la stupeur. Le regard du dragon était voilé, ses pupilles recouvertes par un rideau limbesque, un néant à la fois pénétrant et impénétrable, un vide comblant des émotions disparues, effacées par le réveil imprévu.

Godric récupéra ses facultés plus vite que ses amis et transplana vers eux, les arrachant successivement à leur apparente stupéfixion. Il les rassembla vers la sortie mais ne put les transporter jusqu'au bout.

— Son esprit… révéla Salazar. Il est… Il n’en… Il n’est plus là !!! Le dragon… il ne se contrôle plus lui-même. Plus aucune trace de conscience, de réflexion ou de lucidité. Ce n’est même plus l'âme d’un animal… Un minéral doué d’un instinct meurtrier pur serait une description à peine correcte.

Alors que les quatre jeunes sorciers se demandaient ce qu'ils avaient vraiment sous les yeux, ce que réveiller un dragon avant la fin de son sommeil naturel avait provoqué chez la créature, la gueule dragonesque s’ouvrit et une lueur pers d’une forte intensité brilla dans ses tréfonds. D’une expiration, la lueur avança vers eux et un torrent de flammes bleues et vertes se rua sur les mages imprudents.

— Dégagez de là ! hurla Helga.

Leurs silhouettes se floutèrent au moment où le transplanage s’amorçait. Quatre écrans de fumée filèrent au travers du maillage cristallin encombrant l’entrée de la caverne. C'était une manœuvre risquée, les sorciers ayant besoin habituellement d’un espace dégagé avant de se lancer dans ce mode de déplacement. Mais ils eurent raison de le faire, comme le leur confirma la déflagration qui lécha avidement leur fuite éperdue. Ils regardèrent en arrière et ce qu'ils aperçurent les effraya. Chaque flamme se transforma en un dragon de feu et, derrière, la draperie rocheuse, qui avait bien failli piéger les sorciers, fut brisée en mille morceaux par l’eidolon blanc qui n'était plus que furie et frénésie. Le dragon aspira alors ses propres flammes, ce qui laissa le temps aux quatre amis de se rassembler, haletants.

— Le Feudrakon, déclara Rowena, effarée par sa propre phrase. Je pensais que ce n'était qu’une légende.

— Le quoi ? s'écria Godric.

— Un feu vivant issu de la nature même d’un dragon. Certains prétendent qu'il s’agit de la force vitale de ces créatures, l’intégralité de l'énergie que leur organisme a emmagasiné durant toute leur existence, une puissance qu'ils passent leur temps à brider, discipliner et canaliser afin de ne pas être consumée par elle.

— Et les légendes racontent-elles comment en venir à bout ? demanda Helga.

— Il n’y a que quelques histoires, mais aucune ne concerne la façon de l’éteindre. Celle qui m'interpelle pour l'instant présent, c’est la fable selon laquelle le dragon qui lance le Feudrakon doit régulièrement réaspirer cette énergie. Mais chaque souffle suivant est plus puissant encore que le premier.

— Nous n’aurions pas dû “chatouiller” ce dragon endormi. Il a dû rester piégé dans son sommeil paradoxal et son Feudrakon a pris le contrôle, analysa Salazar.

Ils se baissèrent instinctivement lorsque l'immense bête plana au-dessus de leur cachette, semblant les chercher.

— Prenez vos balais, conseilla Godric en les sortant d'un sac amélioré par l’enchantement Capacious Extremis qu'il avait pris soin de prendre avec lui avant de quitter leur camp. Ainsi, nous pourrons voler aisément tout en nous défendant et sans risquer de désartibulement.

Les sorciers enfourchèrent leurs moyens de transport et, après avoir soufflé un bon coup pour se donner du courage, s’élancèrent en escadrille serrée dans les airs, baguettes levées. Aussitôt, l’eidolon les détecta et se lança à leur suite. Il émit quatre dragons de flamme en Feudrakon. Ces derniers se déplaçaient à une vitesse folle.

— Rompez la formation ! cria le jeune Gryffondor.

Chacun d’eux fut pris en chasse par l’une des émanations brûlantes. Elles étaient rapides, précises et tenaces. Godric vrilla sur lui-même pour esquiver celle qui l’avait pris pour cible, repoussa une langue de feu trop insistante avec son épée et brandit sa baguette.

Reducto ! clama-t-il.

Les flammes pers reculèrent et s’amenuisèrent un peu… avant de se raviver de plus belle.

De son côté, Helga avait réalisé un looping qui lui permit de se retrouver au-dessus de son poursuivant enflammé.

Aguamenti Maxima ! hurla-t-elle.

Mais la cataracte qui en résulta produisit davantage de vapeur qu'elle n’éteignît le faux dragon. Cela suffit néanmoins à le ralentir.

Destructum ! cria Rowena qui préférait le face à face.

Une série d’ondes de choc explosives faillit parvenir à dissiper le Feudrakon qui la menaçait. Mais celui-ci fut de nouveau aspiré par son propriétaire qui s’éleva au-dessus de la sorcière aux cheveux de jai. À ce moment-là, Salazar mena sa trajectoire vers l’eidolon, son propre prédateur enflammé à ses trousses. Le sorcier chauve ordonna à son amie de s’écarter, ce qu’elle fit prestement, comprenant le plan du jeune Serpentard. Au moment où ce dernier allait percuter le fantôme blanc, il vira de bord et le Feudrakon n’eut pas le temps de dévier. Il frappa le grand dragon de plein fouet. Sans effet. Les flammes vivantes disparurent dans le gosier de l'immense créature qui les relança aussitôt en un énorme doppelgänger incandescent.

Diffindo ! lancèrent les deux sorciers visés.

Le Feudrakon fut scindé en deux. Dans leur dos, les sorts de Godric et Helga retentirent :

Glacius !

Bombarda !

Les évanescences enflammées dragonesques se dissipèrent… mais pas sous l’effet des sortilèges. L’eidolon inspirait à fond, rappelant à lui son énergie destructrice. Les quatre amis se regroupèrent. D’un regard, ils se mirent d’accord. Ils devaient à tout prix neutraliser ce dragon, réparer leur erreur, prouver leur valeur.

Le dragon leur fonça dessus. Un seul battement de ses ailes phénoménales l’emporta à leur hauteur et c’est à coups de griffes déchainés qu’il tenta de les occire. Agiles et insaisissables sur leurs balais, qu’ils avaient fabriqués et enchantés eux-mêmes comme de coutume en ce temps, Godric, Salazar, Helga et Rowena esquivèrent adroitement les terribles tentatives de meurtre.

— Ralentissez-le ! enjoignit Salazar en décidant de servir de leurre afin de détourner l’attention du monstre.

Stupefix !

Les trois sortilèges de stupéfixion semblèrent fonctionner partiellement. Les mouvements du dragon se firent plus lents et il perdit de l’altitude. Il releva la tête vers ses agresseurs et ouvrit grand la gueule.

— Je ne te laisserai pas faire ! cracha le jeune Serpentard. Sectumsempra !

De multiples entailles zébrèrent le corps du dragon et un sang visqueux et opalescent commença à s’en écouler. La bête flancha un instant.

— Salazar ! s’exclama Godric. Que fais-tu ? Nous ne devons pas le tuer !

— Vos Stupefix auraient très bien pu le faire ! répliqua sèchement le mage chauve en rappelant les dangers d’une succession de ce même sortilège. Et tu vois bien que nous n’arrivons à rien. Il est peut-être temps de nous résigner à passer à la vitesse supérieure et d’assumer ce que nous avons commis ! Regarde !

Salazar pointa le doigt dans une direction au-delà de leur position. Le jeune Gryffondor tourna la tête et s’aperçut qu’ils s’approchaient dangereusement du lieu du conclave. Avaient-ils vraiment déjà parcouru une telle distance ?

— Nous mettons en danger tout le monde, reprit son ami. Alors, je ne te rappellerai pas que c’était ton idée, car nous t’avons suivi et nous sommes aussi responsables que toi de cette situation, mais nous devons nous résoudre à employer les mesures qui s’imposent !

Impedimenta ! tenta Rowena.

Petrificus Totalus ! enchérit Helga.

Là encore, les sortilèges de leurs amies n’eurent pas l’effet escompté. Déjà des silhouettes humaines s’affolaient dans tous les sens, loin en dessous d'eux mais dont la débandade était manifeste, même à cette distance : des bergers qui faisaient paître leurs moutons non loin du conclave, toujours dissimulé aux yeux des moldus et des dragons. Si les sorciers pouvaient les voir, il était indéniable que les non-mages les avaient aperçus également.

Rowena vint retrouver Godric et Salazar, bientôt rejointe par Helga. Les deux sorcières ignoraient tout de la dispute de leurs amis.

— Le Feudrakon est sûrement assimilable à un sortilège, annonça la sorcière aux cheveux noirs. Si tel est le cas, nous pouvons tenter une dernière chose.

— L’Antisort Général ? comprit Godric. Oui, c’est une bonne idée.

— Mais avons-nous encore assez de pouvoir magique ? s’inquiéta Salazar.

Helga sortit de sa coupe quatre potions.

— Prenez ça, leur dit-elle. Je les ai confectionnées et enchantées en y stockant de la magie. Ce breuvage vous redonnera des forces.

Sans douter le moindre instant des compétences de leur camarade, les trois compagnons de la sorcière rousse s’emparèrent des fioles et en ouvrirent les bouchons. Aucun d’eux n'eut le temps de se plaindre de l'abominable odeur qui s’en dégageait ni de l’épouvantable texture en bouche qui les écoeura quand ils burent la mixture dopante. À peine eurent-ils avalé qu'ils se sentirent ragaillardis… et que le dragon se rua vers eux. Son regard abritait toujours autant de folie furieuse irrationnelle. Il ne s'était visiblement toujours pas réveillé et ne se maîtrisait toujours pas.

En un unique souffle, il expira son Feudrakon. Pas de dispersion cette fois. Seulement un doppelgänger de flammes bleues et vertes étincelantes. Gigantesque. Dominateur. L’émanation incandescente sembla un moment occuper tout le ciel, lui faisant prendre une teinte émeraude éblouissante. Les quatre jeunes mages plissèrent les yeux et se concentrèrent. Une seule cible, c'était parfait.

Finite Incantatem ! clamèrent-ils à l’unisson.

Quatre rayons rencontrèrent le Feudrakon. Une corolle de blanc, de bleu et de vert s’éparpilla en plusieurs ondes aurorales concentriques. Des éclairs de ces mêmes couleurs électrisèrent l’atmosphère. Au centre de ce tumulte, le dragon et les quatre sorciers se toisaient. Des vestiges de Feudrakon étaient disséminées autour d’eux, les cachant aux yeux du monde. Ils baignaient dans une mer de magie agitée. L’eidolon n'était toujours pas éveillé et il recommença à aspirer les particules de son énergie éparpillée. Godric, Helga et Rowena frissonnèrent. Qu'avaient-ils fait ? La prochaine émanation serait encore plus puissante ! Salazar se positionna devant eux et tendit fermement sa baguette. Un halo vert en enrobait l’extrémité. Avant même que ses compagnons eussent le temps de l'en empêcher, il psalmodia :

Avada Kedavra.

Un puissant rayon lumineux vert brillant, se confondant avec les éclairs résiduels du Feudrakon éteint, fusa vers le dragon. Le résultat était inéluctable. Le vide dans le regard de la créature déjà morte perdit de sa consistance et seul un voile laiteux le remplaça. Les battements d’ailes, la crispation des pattes, l'aspiration des étincelles vitales… tout cela cessa.

Et le dragon s’immobilisa.

Et le dragon chuta.

Et le dragon s’écrasa.

Ainsi s’acheva la première quête des futurs fondateurs de Poudlard. Salazar avait osé franchir le pas d’un sortilège impardonnable pour sauver ses amis et prouver aux mondes sorcier et moldu que les magiciens pouvaient régler des problèmes que les humains normaux ne pouvaient résoudre. Seuls ses compagnons le savaient, les traces de la confrontation entre le Feudrakon et le Finite ayant caché l’utilisation du sortilège meurtrier.

La gestion de cette crise influa grandement sur les décisions politiques des deux communautés jusqu'à aboutir à une cohabitation très stricte. Les sorciers devraient vivre le plus discrètement possible sans se révéler aux non-mages et les premiers devraient protéger coûte que coûte les seconds de tout phénomène fantastique. À ces seules conditions, les dirigeants moldus accepteraient de ne plus persécuter les utilisateurs de la magie. Mais ceci est une autre histoire.

En enchaînant les hauts faits, Godric, Helga, Rowena et Salazar gagnèrent leur réputation de plus grands sorciers de leur temps. Ils finirent par fonder une école de sorcellerie réputée dans le monde entier. Au moment de trouver leur devise, ils se rappelèrent cette première mission tous ensemble et adoptèrent “Draco dormiens nunquam titillandus” : “Ne jamais chatouiller un dragon qui dort”. À tout jamais, cela resterait leur plus sérieuse leçon de vie et celle qu’ils désiraient plus que tout léguer à leur postérité.


**


L'esprit de Shiryu revint au temps présent qui recommença à s’écouler. Cette réminiscence n’avait pas duré la moindre fraction de seconde, récit instantané dans une psychée figée de terreur. Car c'était bien de terreur qu'il s’agissait. Celle qui accompagnait la prise de conscience d’une erreur irréversible. Comme un enfant qui saute dans le vide, croyant voler, et qui s’aperçoit, mais trop tard, qu'il va tomber et se blesser… ou mourir. Shiryu était cet enfant à ce moment précis. Et le vide n'était autre que Shanlong, le dragonlion “chatouillé” dans son sommeil. Quatre grands sorciers s'étaient avérés nécessaires, encore que de peu, pour venir à bout d’un tel danger. Qu’est-ce que le jeune Mage pouvait espérer seul ?

Un Mage… mais oui ! Il n'était pas un sorcier ordinaire ! Qu’est-ce que le Vieux Maître lui avait toujours dit ? “Que sont les Mages si ce n'est des sorciers dotés de pouvoirs divins ?” Le salut de Shiryu résidait en cette prise de conscience… en cette prise de confiance, plutôt ! Il avait été entraîné pour faire partie de l'élite de la sorcellerie. Il ne devait pas… il ne pouvait pas reculer devant un boutefeu en transe berserque !

Shiryu affermit sa prise sur sa baguette et fit face à la pauvre créature esclave de sa propre nature désentravée. L'apprenti de Dohko ne pouvait pas laisser le dragon de compagnie de son maître se déshonorer ainsi par sa faute. Il devait agir… mais sans en arriver à le tuer. Les Mages étaient des faiseurs de miracle ? Eh bien ! il allait devoir le prouver. Il concentra toute sa magie et la Wand sembla se densifier en réponse à ce regain de foi en lui-même. Shanlong ouvrit une gueule béante et Shiryu aperçut une forme de vie enflammée s’agiter dans les tréfonds du gosier dragonesque. Le Feudrakon du dragonlion.

Shiryu prit de la distance, faisant toujours face à son adversaire, et se prépara. Une intuition lui souffla de casser le rythme d’expiration/aspiration qui existait entre le dragon et son feu vivant. Le garçon devrait imposer au boutefeu de ravaler son émanation avant que la nécessité de la reprendre n’oblige le dragon à la rappeler à lui. En brisant ce cycle, le jeune Mage était persuadé que cela ferait voler en éclat l’état secondaire du dragon, lequel pourrait alors reprendre le dessus sur lui-même. Pour cela, un seul sortilège. Celui pour lequel il s'était entraîné toutes ces années. Celui capable d’inverser le courant de la grande cascade de Lushan pour la renvoyer vers les étoiles. Seul ce sortilège serait capable de repousser le Feudrakon pour le forcer à réintégrer la place qui était la sienne comme source d’énergie sous contrôle du dragonlion chinois.

Shiryu prit position.

Shanlong fit feu.

Ira Draconis Ascendentis ! proclama le garçon.

Le puissant sort rencontra la brûlante émanation dans un déferlement magique incommensurable. Mais Shiryu tint bon et le Feudrakon s'atrophia, recula et s’enfonça de nouveau dans le corps du dragon qu'il réinvestit. Le regard de Shanlong se remit à briller d’intelligence… et de honte. Shiryu s'empressa de s’incliner gravement devant lui.

— Je te présente mes excuses, noble dragon. Je suis le seul fautif de ton déshonneur. Laisse-moi le porter à ta place et l'expier de la manière qui te semblera la plus juste.

Pour toute réponse, le boutefeu vint se frotter contre Shiryu, de la même manière qu'il le faisait avec Shunreï. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le jeune garçon était tout pardonné, Shanlong visiblement reconnaissant d’être de nouveau maître de ses actes. C'est donc aux côtés de l’animal qui l’avait toujours harcelé que le jeune Mage sortit fièrement. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé à Lushan, le disciple de Dohko avait l’impression que le dragon et lui pouvaient devenir de vrais compagnons.

Il ne vit pas la haute silhouette dorée qui se dissimulait derrière un gros rocher, baguette sacrée, prête à intervenir.

Librarmis Dispellere, murmura le Vieux Maître en dissipant sa propre Wand d’or.

La silhouette redevint celle d’un homme âgé. Pour revêtir son armure éthérique afin de sauver son élève si besoin, le professeur avait retrouvé l’espace d’un instant l'apparence de sa jeunesse, mais le charme était à présent rompu.

— Je suis très fier de toi, Shiryu. Tu as fait preuve de la bonté et de la détermination d’un vrai Mage. Je suis persuadé que tu deviendras un grand protecteur de l’humanité, fût-elle moldue ou magique.

Et le rire de Dohko, que l'apprenti avait souvent et à tort qualifié de sénile, se répercuta dans les monts de Lushan, emporté par le vent sinuant entre les pics et le grondement assourdissant de la grande cascade.

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