La mort est une fin heureuse

Chapitre 30 : Promenons-nous dans les bois

1944 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/05/2024 09:40

Leliti, Avril 2024.

 

Le souffle du vent était frais. L’odeur de la forêt était enivrante. A travers les feuilles des arbres, des liserais de lumière venaient tacheter son visage. Les brindilles craquaient sous ses pas.

 

Promenons-nous dans les bois.

 

        Leliti marchait allègrement dans la forêt qui bordait sa petite maison, celle où elle avait grandi. Elle aimait cette forêt. Elle y avait passé tellement de temps quand elle était plus jeune. Elle la connaissait par cœur : la rivière qui la traversait à l’Est, la petite colline qui offrait une vue magnifique au Nord, la grande clairière à l’Ouest. Sa famille avait toujours été très portée par cette forêt. Son père Asesa y avait grandi, lui aussi. La maison qu’ils possédaient était chère à leur famille, et la forêt également.

        Son nom officiel était la forêt d’Eryri, mais eux l’appelaient le bois de Tekula, leur nom de famille. En fait, dans le minuscule hameau sorcier qui la bordait, et qui était composé de cinq maisons étalées sur une demi-douzaine de kilomètres, tout le monde l’appelait comme cela. C’était leur forêt, à eux.

        Leliti repensa à ce jeu auquel elle jouait avec ses parents quand elle était toute petite, durant leurs balades. Cette petite comptine que sa mère et elle chantaient. « Promenons-nous dans le bois, pendant que le loup n’y est pas. Si le loup y était, il nous mangerait, mais comme il n’y est pas, il ne nous mangera pas. » Puis, toutes les deux criaient « Loup y es-tu ? », et son père, une trentaine de mètres derrière, répondait « Oui ! », alors elles demandaient « Que fais-tu ? », et son père disait « Je mets mes chaussettes », et elles reprenaient leur comptine depuis le début. Son père finissait toujours par une réponse différente : « J’enfile ma robe », ou « Je mets mon bonnet », et quand il avait terminé de s’habiller, il criait « Je viens vous manger ! », et alors Leliti et sa mère s’enfuyaient en hurlant de rire.

 

Pendant que le loup n’y est pas.

 

        Aujourd’hui, évidemment, Leliti n’était plus une petite fille. Elle avait presque treize ans, et même si le souvenir de cette comptine lui donnait encore le sourire, même si elle acceptait de faire des balades avec ses parents, elle se faisait un devoir de marcher loin devant eux. Elle aimait beaucoup ses parents, mais de plus en plus, elle préférait rester plongée dans ses pensées, que de discuter avec eux.

« Leliti ! » l’appela sa mère au loin, hors de vue. Leliti ne se retourna pas. Elle connaissait la forêt, elle connaissait le chemin du retour vers leur petite maison, et sa mère le savait. Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. Elle continua de marcher.

        Malheureusement, son flot de pensées l’amena à Sophie, la fille de Teddy et Victoire qui n’avait pas eu la chance de vivre. Elle avait été terriblement attristée par cet événement, mais elle s’était efforcée de le garder pour elle afin de remonter le moral de Teddy et Victoire. Cela avait plutôt fonctionné : un an plus tard, il lui semblait qu’ils reprenaient peu à peu le cours de leur vie, leur bonne humeur. Elle n’était pas exactement certaine que ce soit entièrement grâce à elle, mais elle y avait sûrement contribué.

        Elle, en revanche, n’allait pas mieux. Elle allait même de pire en pire. Ses transformations empiraient. Elle ne le ressentait pas vraiment, mais elle pouvait le lire sur le regard terrifié de Victoire et le visage balafré de Teddy les lendemains de pleine lune. Tout était confus pour elle. Elle n’arrivait plus à savoir quand elle se transformait, ou quand elle perdait simplement conscience d’elle-même. Elle n’arrivait plus à suivre, et se contentait de croire sur parole les retours de Teddy et Victoire.

« Leliti ! » appela à son tour son père. Leliti l’ignora en voyant la silhouette familière de sa maison apparaître au loin. Ravie, elle accéléra le pas, mais en s’approchant, elle comprit rapidement que quelque chose n’allait pas.

        La porte était défoncée.

 

Si loup y était, il nous mangerait.

 

        « Maman ! Papa ! Vite ! Quelqu’un nous a cambriolés pendant qu’on se baladait ! » hurla-t-elle en arrière.

        Elle voulut sortir sa baguette, mais se rendit compte qu’elle ne l’avait pas prise avec elle. En même temps, pourquoi en aurait-elle eu besoin en forêt ? D’autant plus qu’elle n’avait pas le droit de s’en servir en dehors de l’école. Piquée d’adrénaline, en bonne élève de Gryffondor, elle se lança dans la maison.

        « Leliti, arrête ! » fit la voix de son père au loin, mais elle ne les attendit pas. Il y avait trop de choses précieuses dans cette maison, pour elle comme pour ses parents, et si les cambrioleurs n’étaient pas encore partis, il fallait à tout prix les arrêter.

        La maison était complétement dévastée. Les cambrioleurs semblaient avoir fouillé partout avec grande précipitation. Le canapé était déchiré, la table et les chaises en mille morceaux, les fenêtres brisées, l’armoire grande ouverte et tout son contenu éparpillé sur le sol. Tout était dans un tel chaos, qu’on aurait pu croire que Peeves était passé par là.

        Prise de panique, Leliti se précipita vers sa chambre. Qu’avaient-ils volé ? Elle grimpa les escaliers, et déboula en trombe dans la pièce où elle avait grandi, mais celle-ci semblait avoir été épargnée. Elle trouva sa baguette là où elle l’avait laissée : sur la commode. Elle la saisit et la mit dans sa poche, mais rencontra un nouveau problème : elle n’avait pas de poche.

        En fait, elle se rendit compte qu’elle ne portait absolument aucun vêtement.

 

Mais comme il n’y est pas, il ne nous mangera pas.

 

        C’était un cauchemar. C’était littéralement un cauchemar que Leliti avait déjà fait : se rendre compte au bout d’un long moment qu’elle était nue. Un grand classique. Sauf que ça n’était pas un rêve, elle était bien éveillée.

        « Leliti ! » fit la voix de sa mère. Allaient-ils finir par se dépêcher ? Agacée par leur lenteur habituelle, elle enfila une robe, et redescendit les escaliers. Elle remarqua alors que la porte de la cave avait elle aussi été défoncée. Peut-être les cambrioleurs avaient ils pensé que la cave renfermait tous les trésors ? Pas de chance, ricana Leliti, il n’y avait qu’une pièce où ils enfermaient une fois par mois un loup-garou féroce. Elle descendit néanmoins vérifier.

        La cave, à l’image du salon, était dévastée. Des traces de griffes partout sur les murs, des morceaux de bois provenant de la chaise étalés sur le sol, le vieux matelas complètement déchiré, et de nombreux maillons de chaîne répartis dans toute la pièce. Leliti était confuse. Pourquoi avoir semé toute cette pagaille dans une pièce sans aucune valeur ?

        Mais elle fut aussi troublée. Cette pièce, cette ambiance, cette chaîne brisée. Tout cela lui rappelait des souvenirs. En réfléchissant bien, elle réalisa qu’elle avait passé la nuit précédente dans cette cave. Enchaînée, comme d’habitude. Mais la chaîne était brisée. Curieux.

        « Leliti, s’il te plaît ! » fit la voix de sa mère. Leliti remonta dans le salon, et commença à réaliser qu’il n’y avait pas eu de cambriolage. Mais il y avait eu un combat acharné. Pourquoi donc ? Qui s’était battu chez eux ? Et pourquoi ses parents mettaient autant de temps à rentrer ? Ils étaient juste derrière elle !

        « Leliti, je t’en prie ! » fit son père. « Mais je suis là, grouillez-vous ! » répondit-elle d’une voix mal assurée, car elle n’était plus certaine d’où provenaient les voix de ses parents. Venaient-elles du bois qu’elle venait de quitter ? Oui, c’était la seule réponse logique, puisqu’elle était partie en balade avec eux. Mais… était-elle vraiment partie en balade avec eux ? En fait, elle ne se souvint que de la sensation des feuilles sous ses pieds nus, et avant cela, plus rien. Et pourquoi serait-elle partie se balader entièrement nue avec ses parents ? Non, ces voix ne venaient pas de la forêt. Elle réfléchit de toute ses forces. Ces voix venaient… de ses souvenirs. De ses souvenirs de la veille.

        « Leliti, arrête ! » avait crié son père. « Leliti, s’il te plaît ! » avait hurlé sa mère. « Leliti, c’est nous ! Je t’en prie, reviens à toi ! » avaient-ils supplié. Leliti s’en rappela de plus en plus clairement, et commença à sérieusement paniquer. Elle comprit petit-à-petit ce qui s’était passé la veille, pourquoi la maison était en ruine, et pourquoi elle s’était réveillée de bon matin nue comme un ver en pleine forêt. Mais tout n’était pas encore perdu. Il fallait qu’elle en ait le cœur net.

        Elle se rua à nouveau à l’étage, et entra cette fois-ci dans la chambre de ses parents. Elle balaya du regard la pièce qui était encore plus sens dessus-dessous que le salon, et poussa un hurlement et s’agenouilla contre le mur.

        Au milieu des plumes d’oreiller qui volaient dans le courant d’air, au milieu des lambeaux de draps, au milieu de la mosaïque rouge et blanche de sang et de literie, gisaient les deux corps inertes de ses parents qu’elle avait déchiquetés pendant la nuit.

 

Loup y est-tu ?


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