L'évadé du clair de Lune
Automne 1985
La tempête faisait rage et la mer agitée écrasait ses vagues contre les parois de la tour triangulaire. Une tour sombre et gigantesque à un kilomètre de la rive, au milieu de la mer du Nord. Encadrant une cour intérieure, les murs étaient hauts, ouverts par seulement quelques fenêtres minuscules qui laissaient difficilement entrer la lumière, mais par lesquelles le vent, lui, s'engouffrait en hurlant. Il faisait tout le temps froid et ce n'est pas les loques qui lui servaient d'uniforme qui pouvaient le réchauffer. Mais il n'y faisait plus attention. Ce froid faisait partie du paysage, ici, à Azkaban. Printemps, été, automne ou hiver, il était là, pénétrant ses chairs.
L'énorme chien noir aux poils hirsutes se leva péniblement en gémissant. Comme souvent, pour garder un peu de chaleur, il s'était endormi recroquevillé dans un coin de sa cellule de quatre mètres carrés et au réveil, ses muscles étaient ankylosés. Il fit quelques pas avant de reprendre forme humaine et s'étira. Il soupira et commença à tourner en rond dans le petit espace austère pour se dégourdir les jambes.
Il n'avait plus rien. Ses vêtements avaient été confisqués, sa baguette et ses effets personnels également. Il n'y avait qu'une paillasse trop fine et trop petite et l’uniforme rayé des prisonniers d’Azkaban, un vêtement difforme et sale qu’il portait depuis son arrivée. Rien pour passer le temps. Rien à part compter les secondes qui le séparaient de la prochaine ronde des monstres à capuche. Même pas de cellule en face de lui : entre les barreaux, il ne voyait que les pierres noires et humides d'un mur, pas de co-detenu à qui parler. Les tentatives de discussion avec les occupants des cellules de chaque côté de la sienne s’étaient rapidement taries : tout le monde finissait par perdre la raison entre ces murs. Il se surprenait à rester lui-même lucide.
Il grogna, de mauvaise humeur. Avec le manque d'espace et d'exercices, il avait maigri et ses muscles s’étaient affaiblis. Il le sentait malgré le point d'honneur qu'il avait mis à maintenir une activité physique dès les premiers temps de son incarcération. Mais avec les maigres rations qu'il recevait, il n'avait pas pu continuer au rythme qu'il aurait souhaité. C'était devenu impossible. Alors il se contentait du peu que son énergie lui permettait de faire. Juste assez pour entretenir les muscles qui subsistaient et évacuer la colère qui le rongeait depuis son arrestation. Le reste du temps, il ressassait le passé et profitait d'être animagus pour dormir. Il se transformait dès qu'il le pouvait : les Détraqueurs étant aveugles, ils ne se rendaient pas compte du changement et il reprenait sa forme humaine quand il entendait un sorcier arriver. Sans compter que, sous sa forme animale, il souffrait moins du froid et de l'humidité.
Le temps passait différemment ici. Parfois trop vite, mais le plus souvent trop, beaucoup trop lentement. Il s'ennuyait. Enfermé dans ce trou à rat, sans repères, il avait perdu la notion du temps. Il ne savait même plus en quelle année il était. Depuis quand essayait-il de ne pas sombrer dans la folie ? Trois, peut-être quatre ans ? Que de temps perdu ! Que de temps perdu qu'il aurait pu utiliser pour rechercher le traître et venger James et Lily. Et s'occuper de Harry.
Tout à ses pensées, il sursauta quand un cri retentit soudain dans la prison, brisant le silence, se répercutant sur les murs. Sirius se figea et attendit. Souvent un hurlement comme celui-là faisait venir les gardiens. Aveugles comme ils étaient, les sons et les sensations qu'ils devinaient étaient leur seul moyen de se repérer dans l'espace. Les prisonniers l'avaient vite compris et ils se taisaient tous ou marmonnaient doucement. Mais plus le temps passait, plus ils perdaient la raison, plus ils criaient et plus les Détraqueurs venaient drainer l'énergie vitale qu’il leur restait.
Sirius demeura immobile dans sa cellule, aux aguets. L'ambiance dans l'aile du bâtiment qu'il occupait avait changé. L'attente était insoutenable quand on savait ce qui allait arriver. Les secondes s'égrainaient lentement. Il s'approcha alors des barreaux et tenta de voir dans le couloir, presque impatient car plus vite ils arrivaient, plus vite ils repartiraient. Il devinait que ses voisins de cellule avaient fait la même chose, attendant de ressentir le froid caractéristique qui accompagnait les Détraqueurs. La tension était palpable, l'air électrique.
Puis une porte claqua et des prisonniers hurlèrent, d'autres pleurèrent. Lui se recula pour se caler aux murs de sa cellule. Aussi loin que possible des barreaux, pour chercher le peu de protection que lui pourrait lui offrir cette distance. Illusoire.
Petit à petit, il sentit un froid plus glacial encore le gagner. Un froid surnaturel, sournois et mauvais. Il se laissa glisser le long de la paroi sur sa paillasse, trop mince pour apporter le moindre confort, et il attendit. La peur et le désespoir lui tordant les tripes avant même que les démons sans visage n'arrivent devant sa cellule. Il rejeta la tête en arrière contre la pierre, un sourire désabusé sur le visage. Arrogant et fier face à un combat qu'il ne pouvait gagner.
La forme noire arriva devant lui, aspirant l'air qui l'entourait dans un râle rauque, sinistre, vidant la pièce de toute pensée heureuse qui aurait pu lui rester. Et alors que le détraqueur ne semblait pas vouloir quitter l'entrée de sa cellule, un bourdonnement commença à enfler dans ses oreilles. Sa vue se brouilla. Puis à mesure que les secondes défilaient, ses acouphènes se firent plus forts encore, se fondant dans ses souvenirs.
OoooO
Le moteur de sa moto volante rugissait alors qu'il avait poussé les gaz au maximum. Son cœur battait de manière anarchique. La peur lui vrillait les entrailles. Il sentait les bras de Sélène, l’amour de sa vie, autour de sa taille, son corps pressé contre le sien pour se protéger du vent.
Peter avait dénoncé James et Lily... Sirius avait du mal à y croire et pourtant, il n'y avait pas d'erreur possible. La trahison l'avait frappé comme une gifle. La culpabilité l'avait assailli tout aussi violemment. Il espérait plus que tout qu'il n'était pas trop tard, qu'il pourrait encore les sauver. Il s'était penché sur le guidon, amenant Sélène à se coucher sur lui. Et la moto avait filé dans le ciel, sans se soucier d'être visible ou non.
Puis ils étaient enfin arrivés en vue de Godric's Hollow et son cœur s'était serré, lui coupant le souffle. Il avait senti les mains de sa compagne trembler autour de sa taille.
Ils étaient arrivés trop tard.
Devant eux en contrebas, le cottage était détruit, les ruines encore fumantes. Le jeune homme pouvait voir la haute silhouette du garde-chasse de Poudlard. Hagrid était déjà là, envoyé par Dumbledore. Le vieux sorcier savait-il qu'ils avaient changé de Gardien du Secret ? James devait lui envoyer un hibou pour le mettre dans la confidence. En avait-il eu le temps ?
Il avait fait atterrir la moto non loin de ce qui avait été l'entrée de la maison et était descendu de son bolide. C'était là qu'il l'avait vu, là où s'était trouvé la porte, à moitié enseveli sous les décombres : le corps de James. Il était tombé à genoux à ses côtés, interdit, assommé, en plein cauchemar. Il avait senti l'étreinte de Sélène qui l'avait enlacé dans son dos et ses larmes couler dans son cou, son chagrin faisant écho au sien.
— Pardonne-moi, James. C'est ma faute. Tout est ma faute, avait-il murmuré.
Puis il avait ôté son imperméable et en avait recouvert le corps de celui qu'il avait toujours considéré comme un frère, le cœur lourd. Ils s'étaient ensuite dirigés vers le cadavre de Lily, dans ce qui avait été la chambre de Harry. Tendrement, agenouillée près d'elle, Sélène avait caressé le visage de son amie, dégageant ses cheveux, fermant ses paupières, lui murmurant des phrases apaisantes comme si elle n'était qu'endormie. Ils s'étaient recueillis un moment et sa compagne avait recouvert le corps de sa cape, les yeux brillants de larmes contenues.
Ils s'étaient relevés quand Hagrid, le demi-géant s'était approché, portant un petit tas de couvertures gesticulant dans ses immenses bras musculeux.
— C'est Harry ? Il est vivant ? avait demandé Sirius, le cœur gonflé d'espoir.
Hagrid avait acquiescé en reniflant, la barbe noyée de larmes.
— Donne-le-moi, Hagrid. Je suis son parrain, je vais m'occuper de lui.
Hagrid avait secoué la tête avant de répondre :
— Dumbledore m'a demandé d'aller le confier à son oncle et sa tante. Il grandira loin du monde sorcier tant qu'il ne sera pas en âge d'aller à Poudlard.
Le cœur de Sirius s'était affolé et Sélène s'était tendue :
— Quoi ? Mais James et Lily voulaient…
— Ce sont les ordres de Dumbledore. Harry a encore de la famille. La sœur de Pétunia veillera sur lui.
— Mais Pétunia déteste les sorciers…
— Je suis désolé, Sélène. J’obéis à Dumbledore…
Le couple s’était regardé et ils avaient compris : James n’avait pas eu le temps de prévenir leur ancien directeur du changement de gardien du secret et celui-ci le croyait coupable.
Sirius avait senti la main de Sélène dans la sienne et il l'avait serrée. Dans les beaux yeux azur de la jeune femme, il avait vu de la peur puis de la détermination. Ils allaient devoir fuir, se cacher le temps que les choses se tassent. Vivre en fugitifs avant de pouvoir se venger. Il avait serré les dents et reporté son attention sur le garde-chasse avant de lui désigner sa moto :
— Prends ma bécane, Hagrid, je n’en aurais plus besoin.
Le demi-géant avait hoché la tête en remerciement, solidement attaché son précieux fardeaux dans son écharpe, et leur avait tourné le dos. Le cœur lourd, le couple avait pu embrasser Harry une dernière fois. Le petit bonhomme d'un an à peine avait désormais une cicatrice en forme d'éclair sur le front mais il avait survécu. Sirius avait senti la colère bouillir en lui, nourrie par la douleur d'avoir perdu ses amis et l'injustice de se sentir accusé.
Pendant qu'ils regardaient le demi-géant s'éloigner avec leur filleul, des "pop" sonores les firent sursauter alors que les agents du ministère commençaient à arriver en transplanant. Sélène s'était tournée vers lui, apeurée.
— Pars, Sirius, avait-elle ordonné. Ils sont là pour toi, va-t'en !
Il n'avait pas eu envie de partir, il ne voulait pas être séparé d'elle, mais elle l'avait repoussé de toutes ses forces.
— Va-t'en , avait-elle hurlé. Cherche-le !! Trouve Peter, c'est la seule solution.
Sirius avait hésité un dernier instant. Il avait voulu imprimer les moindres détails de son visage dans son esprit, parce qu'un mauvais pressentiment lui avait enserré le cœur. Il avait voulu l'embrasser, mais les sorts commencèrent à voler dans leur direction. Il en para un de justesse avant que Sélène ne le pousse à nouveau avec détermination, lui répétant de fuir. Il avait alors transplané, évitant au dernier moment une incantation qui lui était destiné. Il avait juste eu le temps de voir le corps de Sélène tomber au sol, touchée par un sortilège. Et avait frémi d’angoisse en remarquant le sang s’écouler de sa tête lorsqu'elle avait heurté les décombres.
OoooO
Les acouphènes refluèrent enfin. Le détraqueur devait être parti depuis un moment déjà et car quelqu'un avait posé devant ses barreaux une écuelle contenant une bouillie peu appétissante. Il n'avait qu'à tendre le bras pour la saisir mais il n'y toucha pas. Il n'avait pas faim. Le souvenir qu'il venait de revivre lui donnait plutôt envie de vomir. A croire que les gardiens faisaient exprès de leur servir ce qui tenait lieu de « repas » après le passage des Détraqueurs. Une torture supplémentaire.
Il appuya ses coudes sur ses genoux repliés devant lui et se saisit la tête des deux mains en grognant. Le mal de crâne qui l'assaillait était atroce. Comme à chaque fois. Il avait envie de pleurer et en même temps l'impression de devenir fou.
Sélène… Les Détraqueurs ne lui rappelaient que les mauvais souvenirs alors qu'ils avaient vécu tellement plus que ça ensemble. Mais il avait beau le savoir, il devenait difficile pour lui de se remémorer les bons moments. Il ne la revoyait que triste, apeurée ou blessée. Il ne revivait que les moments où il avait été incapable de l’aider, les instants où il avait failli et n’avait pas été à la hauteur. Il se repassait sans cesse la découverte des corps de James et Lily, à cause de la décision qu’il avait prise. Il ressassait encore et encore la tristesse de Sélène et sa blessure quand il avait transplané, l’abandonnant aux mains des aurors. Et dans cette prison, loin d'elle, il n'avait aucune possibilité de savoir si elle allait bien… Les larmes lui brouillaient la vue. Il laissa échapper un cri entre ses mâchoires serrées, en se berçant d’avant en arrière…
Il commença alors à réciter son mantra, pour éloigner la culpabilité. C'était comme un feu qu'il allumait en lui. Pour ne pas sombrer. Peut-être était-ce cela qui lui avait permis de garder sa lucidité.
Je suis innocent ! se répéta-il.
Il devait se concentrer sur cette idée.
Je ne suis pas responsable de la mort de James et de Lily !!
Il fallait trouver le traître !!!
Peter !!! cracha-t-il avec hargne.
Soudain, un nouveau claquement retentit : la porte au fond du couloir à nouveau. Il tendit l'oreille, aux aguets. Il était un peu tôt pour une nouvelle ronde des Détraqueurs.
Il entendit des pas, puis des voix qui approchaient. Les nouveaux venus semblaient s'arrêter devant chaque cellule pour échanger quelques mots avec les prisonniers. C'était étonnant. Une nouvelle procédure ?
Il reconnut la voix de Milicent Bagnold, la ministre de la magie, et de l'un des matons, un des rares sorciers en poste à Azkaban, du nom de Morrisey, qui tentait de la flatter. Il se mit alors à genoux, grimaçant, encore tremblant du froid qui l'avait envahi lors du passage des Détraqueurs et toujours hanté par la mort de ses amis. Mais malgré ses muscles endoloris, il n'allait certainement pas donner l'impression à ces vautours que sa détention le marquait plus que les autres. Il tendit alors les jambes et prit appuis sur ses bras pour faire des pompes, par pure fierté, pour les narguer, malgré le peu d'énergie qui lui restait après ce terrible souvenir. Mais au moins, cela le réchauffa.
Il ne leva pas la tête quand il vit trois paires de chaussures s'arrêter devant sa cellule et continua ses exercices comme si de rien n’était.
Gainer, en bas, en haut.
Morrisey frappa les barreaux de sa baguette :
— Black !! Redresse-toi pour la ministre !
Il ne répondit pas, continuant ses mouvements, se concentrant sur son souffle.
Inspirer, en bas. Souffler, en haut.
— Toujours aucun remords, Monsieur Black ?
— Je n'ai aucun remords à avoir, Madame la ministre, répondit-il sans relever la tête, sans même arrêter ses mouvements.
Je suis innocent ! se répéta-t-il encore.
Le gardien bougea, donnant un coup de pied, probablement intentionnel, dans l'écuelle contenant son repas, éparpillant son contenu sur le sol.
Inspirer, en bas. Souffler, en haut.
— Vous l'avez fait exprès, protesta une troisième personne, en colère.
Sirius se figea, ses bras flanchèrent.
Cette voix !!
Il se mit à genoux, le cœur battant la chamade dans sa poitrine, le souffle erratique, sans aucun lien avec l'effort qu'il venait de fournir. La tête baissée, les yeux écarquillés, il n'osait y croire. Ses longs cheveux crasseux cachaient son trouble à ses interlocuteurs et, malgré une certaine honte de paraître aussi négligé, il en fut reconnaissant.
Cette voix…
— Son repas était froid, s'il avait voulu manger, cette écuelle n'aurait pas été là, se défendit Morrisey.
— Mangez-vous à votre faim, Monsieur Black ? demanda la femme, alors que ses chaussures se tournaient à nouveau vers lui.
Sirius ferma les yeux alors que son cœur menaçait d'exploser dans sa poitrine. Cette voix. Il ne l’avait pas entendue depuis quatre ans et elle était douloureuse à entendre. Elle éveillait en lui un mélange d'espoir et de manque. Il n'osait pas lever la tête et encore moins regarder celle qui parlait, de peur de ne voir qu'une illusion qui serait plus insupportable encore. Il déglutit.
— Pas vraiment, non, répondit-il.
Il ne reconnut pas le son qui sorti de sa bouche. Il était beaucoup plus rauque que quand il avait répondu à la ministre. Sa gorge était serrée et il n'osait toujours pas regarder celle qui l'avait interpellé. Au prix d'un énorme effort, il releva le visage vers le maton, retardant encore l'échéance, et ajouta d'un ton plein de sarcasme en le regardant dans les yeux :
— Ça devrait aider si on ne nous envoyait pas les Détraqueurs juste avant qu'on nous amène cette bouillie infâme.
— Ils ne viendront plus ! avança l'inconnue avant que le gardien n'ait pu répondre.
Sirius se retint de fermer les yeux pour se délecter de ce son. C'était faux, mais il s'en fichait. Chaque syllabe qu'elle prononçait faisait vibrer son cœur.
Cette voix…
Il n'osait pas regarder. C'était impossible, Elle ne pouvait pas être là.
— Et qu'est-ce que ça changera ? Mourir est la seule façon pour moi de sortir d'ici alors un peu plus tôt, un peu plus tard, en quoi cela fait-il une différence ? souffla-t-il.
Il finit enfin par tourner la tête et son cœur sombra.
Finalement, ce n'était qu'une voix. Ce visage, ce nez... Ils n'étaient pas ceux qu'il espérait voir. Il soupira.
— Que se passe-t-il, Black, la dame n'est pas à ton goût ? demanda Morrisey, moqueur.
Sirius détourna le regard, déçu, pour répondre au gardien :
— En fait, non, ses yeux sont trop sombres pour moi, lui dit-il avec un sourire insolent.
— Vous avez une préférence pour les yeux plus clairs, bleus peut-être ? Tellement classique… lança l’inconnue en s'accrochant aux barreaux de sa main gauche, d'une voix qui se voulait moqueuse également.
Il acquiesça tristement puis bascula légèrement la tête en arrière, un sourire aux lèvres, perdu dans ses souvenirs.
— Les plus beaux yeux du monde sont d'un bleu aussi clair qu'un ciel de printemps… murmura-t-il avant de reporter son regard sur la jeune femme.
Il la détailla plus précisément et le doute le gagna à nouveau : la forme de ses yeux, son menton et le grain de beauté juste sous ses lèvres, le creux de sa gorge, la finesse de ses doigts qui serrait les barreaux en tremblant légèrement. C'était impossible. Il déglutit à nouveau, la gorge serrée devant tant de détails qu'il connaissait par cœur. Devant tous ces petits riens qu'il revoyait en songe et qui le maintenaient vivant depuis son incarcération. Quatre ans… Il se sentit attiré, irrémédiablement. Il se releva et s'approcha d'elle, ses deux pupilles grises fixées sur la main qui serrait les barreaux. Ces doigts étaient en tout point semblables à ceux qui avaient si souvent caressé sa peau et qu’il avait embrassés tant de fois sans jamais se lasser.
Alors qu'il approchait des barreaux, le gardien et la ministre eurent un mouvement de recul mais pas elle. Elle continuait à l'observer avec insistance.
— Et que nous vaut le plaisir de vous voir parmi nous, Mademoiselle ? finit-il par demander, dans l'espoir d'entendre sa voix encore.
Mais alors qu'elle ouvrait la bouche, ce fut la ministre qui lui répondit. Il grogna de frustration.
— Maintenant que la guerre est derrière nous, le peuple sorcier désire une humanisation de sa prison. J'ai donc pris la décision de faire venir une guérisseuse ici pour leur montrer que, malgré leurs crimes, nous traitons les prisonniers avec dignité.
Sirius éclata d'un rire sans joie.
— Vous avez fort à faire alors ! répondit-il en reportant son regard sur ladite guérisseuse, l'observant plus en détail encore.
Du coin de l'œil, il vit la ministre se renfrogner, mais elle, elle sourit. Le cœur de Sirius gonfla dans sa poitrine. Il connaissait ce sourire. Ces fossettes sur ces joues. Ce grain de peau. Il avait des picotements dans les doigts tant il désirait la toucher. Il saisit le barreau de sa cellule, juste en dessous de la main de la jeune femme, pour résister à l'envie de caresser son visage.
— Et que pense votre famille de vous savoir ici dans ce trou à rat ? Votre fiancé, il en dit quoi ? Ce n’est pas la carrière dont tout le monde rêve.
— Je n'ai plus de famille. Quant à mon fiancé, il n'a pas eu le loisir de donner son avis, mais il pensera certainement que je suis folle quand il saura.
— Il aurait raison…
— Malheureusement, nous avons été séparés par la vie il y a quelques années…
Serait-ce des regrets dans sa voix ?
— C'est triste, murmura-t-il en baissant les yeux.
Cette conversation le mettait au supplice.
— Injuste plutôt, je dirais. Mais j'ai toujours l'espoir de le faire revenir vers moi, lui répondit-elle.
Sirius releva soudain le regard vers elle, fronçant les sourcils, intrigué. Elle le fixait intensément. Mais c'est le moment que choisit Milicent Bagnold, qui commençait à s’impatienter de ce long échange, pour la prendre par le bras et la tirer vers elle pour continuer sa visite. Elle résista quelques secondes mais quand elle finit par lâcher la grille, elle lui effleura les doigts. Ce contact l'électrisa et il sursauta. Il saisit les barreaux des deux mains et se colla au bord de la cellule, pour la regarder s'éloigner. Elle avait une démarche légère et sa silhouette était semblable à celle qui hantait ses nuits.
C'est elle … C'est elle…
Sélène !!!
Il avait le cœur au bord des lèvres, mourant d'envie de hurler son prénom.
C'est elle…
Que faisait-elle ici ? Qu'insinuait-elle ? Était-elle devenue folle ?
« J'ai toujours l'espoir de le faire revenir vers moi »
Il lâcha les barreaux et recula, haletant. Il se saisit la tête des deux mains alors qu'il recommençait à faire les cents pas dans sa cellule. Son cœur battait fort, vite. Il n'osait y croire. Et pourtant…
Cette voix, ces paroles, ce sourire…
Il avait envie de crier. Il voulait sortir de cette cage, courir vers elle et avoir enfin la certitude que c'était Elle. Il se jeta contre la grille et le son métallique se répercuta dans le couloir sombre et glacé. Il s'accrocha aux barreaux et se mit à les secouer, fulminant sous l'effort, sans qu'ils ne bougent d'un pouce. Il s'en détacha pour lancer son poing contre le mur, plusieurs os craquèrent, il hurla sa frustration.
Quelques secondes plus tard, la porte au fond du couloir s'ouvrit, emplissant l'aile de ce froid mordant caractéristique. Il réalisa avec horreur que son cri avait attiré les Détraqueurs qui ne devaient pas être bien loin pour sécuriser la visite de la ministre, mais il ne sentit rien de plus. Pas de désespoir, pas de tristes souvenirs qui affluaient dans son esprit : un patronus venait de passer devant sa cellule, chassant les créatures spectrales. Un patronus en forme d'énorme chien aux poils hirsutes, semblable en tout point à la forme qu'il prenait lorsqu'il se transformait. Une vision qui désagrégea toute trace de colère en lui, qui le rempli d'une chaleur bienfaitrice, chassant ses derniers doutes.