Secrets de Serpentard (II) : Le Pensionnat Wimbley

Chapitre 1 : Le Pensionnat Wimbley

10412 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 06/03/2023 17:31

Hello ! ❤️


Me voilà de retour pour ce deuxième tome des Secrets de Serpentard ! Youpi ! J’étais très impatiente de vous le faire découvrir, et vos retours enthousiastes sur le tome 1 m’ont fait chaud au coeur. Merci infiniment à tous ceux qui ont pris le temps de m'écrire, c'est très chouette de votre part ! ❤️


(Pour ceux qui lisent ces lignes par hasard, je vous redirige vers le premier tome, La noble famille Black, qui est disponible sur mon profil : vous y trouverez une présentation plus détaillée de cette histoire !)


Ce deuxième tome, donc, se situe dans la continuité directe du premier. Il est entièrement rédigé, donc la publication ne sera pas interrompue, et je tâcherai de publier un chapitre par semaine !


Vous allez découvrir, entre autres, dans quelles circonstances Lucius est devenu le favori de Voldemort et comment Narcissa a réagi à cela, comment Nymphadora a découvert sa vocation d’Auror, comment Sirius et ses amis sont devenus des Animagi et ont créé la Carte du Maraudeur, et plus généralement, comment la Première Guerre des sorciers a plongé le monde magique dans le chaos.


Comme dans le premier tome, vous retrouverez quelques lieux bien connus – le manoir des Malefoy, le 12, square Grimmaurd et l’école de Poudlard – mais aussi quelques nouveautés, et notamment ce fameux pensionnat Wimbley...


Et c’est parti ! Bonne lecture !


***


Le pensionnat Wimbley



À l'époque où Lucius et Narcissa n'étaient encore que de jeunes mariés, il existait, au beau milieu d'une des plus grandes forêts d'Angleterre, un lieu charmant et abrité du monde, destiné à accueillir les jeunes sorciers qui en avaient besoin avant leurs onze ans – âge de leur admission à Poudlard.

Pour comprendre les raisons de l'existence d'un tel lieu, il faut savoir une chose : si la plupart des enfants ont un jour rêvé de posséder des pouvoirs magiques, afin de multiplier par douze le nombre de gâteaux contenus dans un sachet ou bien pour effrayer un grand frère enquiquinant, ces pouvoirs, pour ceux qui en sont pourvus, peuvent parfois se révéler très gênants, encombrants, et rapidement se transformer en cadeau empoisonné.

La magie qui habite un enfant peut se manifester de façons très diverses, plus ou moins discrètes, et plus ou moins faciles à contrôler. Ainsi, dès la naissance d'un jeune sorcier, il arrive que d'étranges phénomènes se produisent dans le foyer où il se trouve : il existe ainsi des bébés voleurs, qui font disparaître les objets autour d'eux ; des bébés gloutons, dont le biberon ne se vide jamais, et qui atteignent rapidement un poids record si on n'y prend pas garde ; ou encore les bébés peintres, voyageurs, destructeurs, et enfin, ceux – beaucoup plus nombreux – dont la nature sorcière ne se révèle que plus tardivement.

Lorsque les sorciers parlent des conséquences dévastatrices que peuvent avoir les pouvoirs magiques d'un enfant, la famille Dumbledore est, encore aujourd'hui, le premier exemple qui leur vient à l'esprit : après un incident causé par de jeunes moldus mal intentionnés, les pouvoirs d'Ariana Dumbledore – sœur cadette d'Albus et Aberforth Dumbledore – étaient devenus totalement incontrôlables, obligeant sa famille à lui interdire de sortir de chez elle. Et malgré cela, Ariana avait fini par sortir de ses gonds à l'âge de quatorze ans, provoquant une explosion gigantesque qui fut fatale à leur mère ; et elle-même était décédée peu de temps après, en essayant d'interrompre un duel entre ses deux grands frères et le mage noir Gellert Grindewald.

Lorsque quelqu'un a l'audace d'évoquer le décès d'Ariana Dumbledore à voix haute, un lourd silence suit généralement le récit de cette histoire ; certains sorciers préfèrent donc employer des anecdotes plus légères, comme celle de Fergus Goyle qui savait faire naître des flammèches au creux de ses poings, ou, mieux encore, celle d'Arthur Weasley qui disparaissait de son berceau pour réapparaître dans une maison moldue voisine en poussant de grands éclats de rire.

Mais à ces quelques exceptions près, pour la plupart des familles de sorciers, les pouvoirs magiques de leur enfant ne représentent pas un véritable problème : il leur suffit d'être assez vigilant, d'installer des Sortilèges de Protection un peu partout dans la maison, et d'apprendre à leurs enfants les quelques astuces bien connues du monde sorcier pour se maîtriser dès leur plus jeune âge.

En revanche, lorsqu'une famille de Moldus découvre que leur progéniture a la faculté de traverser les murs ou de faire cracher des crapauds à de méchants camarades de classes, la situation peut rapidement virer au cauchemar, autant pour les parents dépassés que pour l’enfant incompris, qui, le plus souvent, éprouve la plus grande difficulté à réprimer les phénomènes qui se produisent autour de lui. Avant que la société des sorciers ne se préoccupe de ce problème, on pouvait donc observer un grand nombre d'abandons des enfants Nés-Moldus, surtout si l'enfant naissait dans une famille nombreuse ou était habité par une forme de magie particulièrement agressive.

Heureusement pour toutes ces familles et tous ces enfants, un jour, une sorcière nommée Eleanor Wimbley avait croisé la route d'un petit Né-Moldu doué de pouvoirs explosifs que sa famille avait beaucoup de mal à supporter. Touchée par la détresse de ce jeune garçon rejeté par les siens, Eleanor Wimbley s’était présentée devant Albus Dumbledore et avait demandé son aide afin de construire un établissement qui puisse accueillir ces très jeunes sorciers avant l’âge d’admission à Poudlard et leur permettre d'exercer la magie de façon encadrée, à l'abri des regards indiscrets.

Ariana Dumbledore était morte cinquante-six ans plus tôt, mais le souvenir de sa vie tragique était encore cuisant dans la mémoire de son frère aîné ; et, quelques années auparavant, Albus Dumbledore avait été peiné par le devenir d’un jeune sorcier nommé Tom Jedusor, abandonné à sa naissance, dont l’enfance pénible passée dans un orphelinat moldu avait contribué à le mettre sur la voie de la magie noire.

Il avait donc applaudi l'initiative et avait immédiatement fait le nécessaire auprès du Magenmagot pour obtenir le financement requis pour la construction du pensionnat. L'établissement ouvrit ses portes un an plus tard ; la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, au Royaume-Uni et au-delà, et l'établissement connut un succès immédiat.

Le pensionnat Wimbley était donc ouvert à tous les jeunes sorciers de moins de onze ans, que leurs parents soient des Moldus ou des sorciers ; cependant, pour les raisons expliquées précédemment, il comptait une écrasante majorité de Nés-Moldus. Et c'était d'ailleurs la raison pour laquelle il était âprement critiqué par les sorciers britanniques convaincus de la supériorité des Sang-Pur, furieux de voir accueillis dans un établissement magique ce qu'ils considéraient comme des sorciers de seconde classe, voire comme de dangereux fraudeurs qui risquaient de leur usurper leurs privilèges s'ils avaient accès aux clés du monde magique plus tôt que prévu.

Dès l'ouverture de l'établissement, Eleanor Wimbley avait reçu d'innombrables lettres d'insultes et de menaces ; pas moins d'une centaine de demandes avaient été adressées au Magenmagot par de puissants sorciers pour réclamer à grands cris la fermeture du pensionnat ; mais après de nombreux débats houleux, le Magenmagot avait finalement rejeté ces demandes aux motifs abjects, Eleanor Wimbley avait appris à neutraliser les Beuglantes qui lui étaient adressées, et le pensionnat tenait tête depuis vingt ans, au grand dam des plus anciennes familles de sorciers.

Ces vingt années avaient été belles, riches et mouvementées, autant pour les sorciers qui tenaient le pensionnat que pour les enfants qui y avaient été accueillis. Le quotidien y était rythmé par l'arrivée de nouveaux pensionnaires, souvent en état de grande détresse ; ceux-ci mettaient un certain temps à s'adapter à leur nouvel environnement, et le personnel du pensionnat Wimbley devait rivaliser de créativité pour apaiser l'angoisse générée par de si grands pouvoirs contenus dans de si petites mains. Les risques du métier étaient nombreux : blessures magiques, lassitude, sentiment d'impuissance ; mais l'espoir et l'émerveillement succédaient à l'abattement, et les sourires des enfants et de leurs familles soulagées encourageaient ces courageux sorciers à poursuivre ce travail fastidieux.

Hélas, à l'aube du vingtième anniversaire du pensionnat, une ombre menaçante planait sur les murs blancs du joli bâtiment – une ombre nommée Abraxas Malefoy.

Le vieil homme était évidemment l'un des principaux détracteurs du pensionnat. Le fait que de jeunes Nés-Moldus soient rejetés par leur famille et condamnés à la misère ne lui avait jamais déplu ; et voir le Ministère allouer ne serait-ce qu'un seul gallion à ce qu'il considérait comme des hybrides contre-nature lui donnait de l'urticaire.

Depuis la création du pensionnat, il s'employait donc activement à répandre l'idée qu'il s'agissait d'un établissement maléfique, véritable gouffre de dépenses, et principale raison de tous les maux du monde magique. Et quelques années plus tôt, après s'être accidentellement empoisonné avec du venin de serpent qu'il destinait à Nobby Leach, il avait redoublé de haine envers l'établissement d'Eleanor Wimbley, redoutant de mourir avant que celui-ci ne disparaisse.

Il avait donc fait saboter quelques meubles et quelques objets destinés au pensionnat, provoquant ainsi des accidents inquiétants ; puis il avait soudoyé l'un des inspecteurs du Ministère qui allaient régulièrement juger de la sécurité et du bon fonctionnement du pensionnat. Moyennant une bourse bien remplie, l'inspecteur était allé raconter à qui voulait l'entendre que lors de son dernier passage, Eleanor Wimbley avait refusé de le faire entrer dans le pensionnat, puis avait ordonné à ses plantes maléfiques de l'attaquer. La Gazette du Sorcier s'était emparée du scoop en consacrant à l'inspecteur une longue interview en première page ; et cette histoire, dans le climat de terreur et de déraison qui accompagnait la montée en puissance de Voldemort, avait porté une lourde estocade à la réputation de l'établissement.

Une enquête était donc en cours. Eleanor Wimbley luttait bec et ongles pour prouver que la visite de l'inspecteur s'était parfaitement bien passée, mais après les accidents inquiétants qui avaient déjà eu lieu au sein du pensionnat, les enquêteurs se montraient particulièrement méfiants et pointilleux.

Abraxas Malefoy espérait donc convaincre Eleanor Wimbley de capituler en lui proposant une importante somme d'argent si elle acceptait de fermer son pensionnat une bonne fois pour toutes. Pour que la proposition soit la plus convaincante possible, il avait ordonné à son messager préféré de se rendre sur place : et il ne s'agissait pas d'un hibou mais son propre fils, Lucius, accompagné de sa chère et tendre épouse.

Le pensionnat se trouvait au beau milieu d'une forêt dense, et pour s'y rendre sans y avoir été invité, il fallait rouler pendant deux heures sur une voie cahoteuse avant d'atteindre la grande clairière où il se trouvait. Mais Narcissa et Lucius n'en furent nullement incommodés, puisque leur voiture spacieuse roulait en lévitation une quinzaine de centimètres au-dessus de la voie accidentée, comme la plupart des véhicules sorciers.

Dans la voiture, tous les deux étaient silencieux, tournés chacun vers leur fenêtre, et regardaient pensivement le soleil apparaître et disparaître derrière les feuilles des arbres. Lucius triturait sa boutonnière avec nervosité et Narcissa caressait machinalement son ventre plat, la mine sombre.

Narcissa avait été grandement déçue par ses premiers mois de mariage. Lucius n'y était pour rien, mais Abraxas Malefoy semblait déterminé à les empêcher de se voir. Comme s'il était effrayé par l'idée que son fils soit heureux, il s'appliquait à remplir chacune de ses journées de tâches assommantes et à l'empêcher de passer la moindre minute en compagnie de son épouse.

Au lieu de réclamer par courrier les dettes qu'on lui devait, comme il l'avait toujours fait, il estimait désormais nécessaire que Lucius y aille en personne, soi-disant pour une plus grande efficacité. De même, Abraxas se plaignait de nouvelles douleurs aux doigts et de problèmes de vue, et quand Lucius n'était pas occupé à réclamer des dettes ou à menacer de pauvres employés du Ministère, et espérait enfin pouvoir se reposer, son père exigeait de lui qu'il l'assiste dans la rédaction de tous ses courriers et dans la tenue de son livre de comptes.

Lucius s'en excusait toujours auprès de Narcissa, mais il était évident que lui-même prenait beaucoup de plaisir à renforcer son influence au sein du monde magique. Dans le climat d'incertitude qui régnait, les sorciers étaient plus vulnérables aux menaces et aux promesses, et même les membres les plus éminents du Magenmagot se surprenaient parfois à accepter ses propositions malhonnêtes en l'échange d'une bourse bien remplie ou d'une promesse de protection...

De fil en aiguille, Lucius lui-même avait insidieusement changé. Certes, il avait toujours parlé des Moldus avec le plus grand mépris, et des autres sorciers avec une condescendance assumée ; mais depuis qu'il consacrait l'entièreté de son temps à manigancer en faveur des Sang-Pur au sein du Ministère et des autres institutions magiques, il s'était pleinement approprié toutes les convictions de son père et avait fait de la lutte contre les Moldus une affaire toute personnelle.

Narcissa ne comptait plus les journées passées à déambuler dans le manoir, ni les soirées à attendre Lucius, où elle finissait par s'endormir sur le livre Le Grand mystère des dragons que Vera lui avait envoyé. Et à propos de dragons, elle s'était rendue plusieurs fois sur la côte irlandaise pour prendre des nouvelles du sien, Balaur, qui était dans une forme éblouissante. Narcissa y allait seule, car elle ne s'était toujours pas réconciliée avec Daisy depuis son mariage, et chaque fois, elle était trop maussade pour chevaucher son dragon, ce qui les attristait tous les deux.

C'est pourquoi, lorsque Lucius avait annoncé à Narcissa qu'il devait se rendre au pensionnat Wimbley, elle avait décrété sur un ton sans réplique qu'elle viendrait avec lui, et l'avait suivi sous le regard désapprobateur d'Abraxas Malefoy.

Elle accompagnait parfois Lucius à des fêtes ou à des réceptions, mais c'était la première fois qu'elle l'accompagnait dans le but de menacer quelqu'un. Elle n'avait pas choisi le pensionnat Wimbley par hasard : elle avait entendu son propre père déprécier le pensionnat et sa directrice un nombre incalculable de fois, et elle était curieuse de voir à quoi ce lieu ressemblait réellement. D'après son père, c'était un endroit mal famé, où des Sang-de-Bourbe aux pouvoirs malfaisants se concertaient pour nuire au reste des sorciers.

Mais sur le chemin qui menait au pensionnat Wimbley, l’esprit de Narcissa était occupé par d’autres tracas. En effet, cela faisait presque deux ans que Lucius et elle étaient mariés, et elle n’attendait toujours pas d’enfant. Pourtant, l’envie lui était venue très vite, comme une évidence, quasiment dès les premiers jours de vie conjugale : elle voulait un enfant à chérir, une frimousse qui mêle les traits de Lucius aux siens, un petit être tout neuf qui l’ancre pour de bon dans sa nouvelle vie et qui efface tous les regrets de l’ancienne. Et c’est avec une inquiétude croissante que, chaque mois, avec une régularité exaspérante, Narcissa constatait qu’elle n’était toujours pas enceinte.

Lucius, lui, ne manifestait pas la moindre impatience. Après tout, ils étaient jeunes, ils avaient tout leur temps, comme il le disait chaque fois pour rassurer son épouse.

Dans la voiture qui s'enfonçait de plus profondément dans la forêt, Narcissa se mit à l'observer discrètement. Comme d'habitude, il s'était apprêté avec soin ; la lumière qui filtrait par la fenêtre faisait étinceler ses bottes de cuir parfaitement cirées, ses boutons de manchette argentés et la broche qui maintenait sa lourde cape en place. Le menton appuyé sur son poing, les yeux rivés vers le lointain, il préparait sans doute soigneusement les arguments destinés à convaincre Eleanor Wimbley d'abandonner son pensionnat. À vrai dire, il était sans cesse absorbé par ses projets et ses manigances, toujours en train de méditer sur les diverses stratégies qu'il fallait adopter pour venir à bout de ses adversaires. Dans ces circonstances, Narcissa avait bien du mal à retenir son attention, et l'époque où ils se prélassaient ensemble dans la Salle de Bains des préfets de Poudlard lui semblait bien lointaine...

Perdue dans sa contemplation, Narcissa sursauta lorsque la voiture ralentit avec souplesse. Elle se pencha pour apercevoir le pensionnat, mais elle ne voyait aucun bâtiment, ni aucun enfant – seulement une muraille hostile qui se dressait devant eux.

Elle sortit de la voiture, défroissa sa robe et sa cape de velours, et se redressa pour examiner plus attentivement l'obstacle qui leur faisait face. C'était une muraille surprenante, puisqu'elle n'était pas composée de pierres, mais de plantes – des plantes qui étaient elles-mêmes à la fois menaçantes et fascinantes. On ne distinguait pas de tronc, ni de feuilles, seulement un enchevêtrement d’épines acérées, arquées comme des griffes. La voiture de Lucius et Narcissa s'était d'ailleurs prudemment arrêtée à bonne distance, afin d'être hors de portée des épines tranchantes.

– Des Tentagriffes, identifia Lucius, presque avec admiration.

Il eut un petit rire, et ajouta aussitôt :

– Avec une défense pareille, je serais étonné que cette chère Eleanor Wimbley n’ait rien à se reprocher...

Au moment où il disait cela, un sanglier téméraire passa près de leur voiture et s’approcha du mur végétal : aussitôt, un tentacule griffu surgit du massif et voulut harponner l’animal, qui dévia brusquement de sa trajectoire et s’éloigna de l’enceinte du pensionnat en poussant des grognements de protestation.

Au moment où Lucius et Narcissa commençaient à se demander comment ils allaient franchir la muraille de Tentagriffes, il y eut un « pop ! » sonore, et un vieil homme moustachu habillé d'une salopette terreuse apparut devant eux.

 – Qui voilà ? Ah, bonjour, m’sieur dame, grogna l’homme avec une voix rocailleuse. Puis-je savoir ce qui vous amène par ici ?

Lucius eut un sourire en coin en regardant le petit homme de haut en bas, et lui tendit sa main gantée de cuir.

– Bonjour, mon brave... Nous venons rendre visite à Mrs Wimbley. Sommes-nous au bon endroit ?

Le vieil homme leva la tête pour regarder Lucius dans les yeux.

– Vous n'êtes pas attendus, dit-il froidement.

– En effet, notre visite est improvisée... Mais Mrs Wimbley sera sans aucun doute intéressée par ce que je souhaite lui dire.

– Mmh-mmh, fit le gardien avec scepticisme.

– Nous ne nous sommes pas présentés... Je suis Lucius Malefoy, et voici mon épouse... Narcissa.

Narcissa inclina légèrement la tête en signe de salutation, et remarqua que, si l'homme avait à peine regardé Lucius et ignorait la main qu'il lui tendait, il avait plissé les yeux en entendant son prénom.

– Narcissa, répéta-t-il pensivement en hochant la tête. Narcissa... Tiens, tiens...

Puis il releva les yeux vers Lucius qui attendait sa réponse avec un sourire faussement aimable.

– Enchanté, Mr et Mrs Malefoy, répondit l'homme, qui n'avait pas l'air enchanté du tout. Je suis William Painswick, gardien du pensionnat Wimbley.

Ce nom réveillait quelque chose dans la mémoire de Narcissa – quelque chose de désagréable, sans qu'elle sache identifier quoi. Mais elle pouvait deviner, à la fierté qui transparaissait dans la voix du vieil homme, qu'il n'existait pas de statut plus honorable à ses yeux. Elle vit, brodé sur le torse que le vieil homme bombait orgueilleusement, un hibou argenté aux deux grands yeux ronds, perché sur une inscription brodée du même fil argenté : Pensionnat Wimbley.

– Je souhaite m'entretenir avec Mrs Wimbley, répéta Lucius. C'est assez urgent.

William Painswick projeta en avant ses sourcils broussailleux, et fixa Lucius avec intensité.

– Et je peux savoir pourquoi ?

– C'est confidentiel, répondit Lucius avec agacement.

– Mauvaise réponse, grinça William Painswick. En tout cas, j'espère que vous n'êtes pas un de ces guignols qui lui envoient des Beuglantes tous les quatre matins... C'est moi qui trie son courrier, et je peux vous dire que ces saletés me bousillent les oreilles.

Narcissa vit Lucius tendre la main vers sa baguette, sous sa cape, et lui retint le poignet.

– Pas du tout, voyons, dit-elle avec douceur. Nous aimerions simplement lui parler quelques instants. Pouvez-vous lui demander de nous recevoir ? Elle sera peut-être d'accord.

William Painswick regarda à nouveau Narcissa avec un air étrange, puis disparut en grommelant. Narcissa et Lucius attendirent quelques minutes, sans rien dire. Lucius tapotait nerveusement sur le sol avec la pointe de ses bottes noires, et Narcissa écoutait le vent caresser le feuillage orangé des arbres au-dessus de leur tête ; puis William Painswick réapparut.

– Elle est d'accord, grogna-t-il.

Lucius émit une exclamation satisfaite.

– Mais il faut que vous me donniez vos deux baguettes, poursuivit William Painswick. Et je vous préviens, ce n'est pas négociable.

Lucius s’apprêtait à protester, mais Narcissa lui saisit à nouveau le poignet et lui fit signe de s’incliner.

– Bien sûr, les voici, dit-elle en tendant sa propre baguette.

De mauvaise grâce, Lucius plongea sa main sous sa cape de velours et imita son épouse. Il considéra d'un œil dégoûté les doigts épais aux ongles noircis qui se refermaient sur sa baguette.

– Ne l'abîmez pas, dit-il avec froideur. Cela vous coûterait cher.

– Je vous retourne la mise en garde, Mr Malefoy. Une fois à l'intérieur, je compte sur vous pour ne pas faire de geste brusque... Autrement, dit-il en désignant les Tentagriffes, nos petites gardiennes se feront un plaisir de s'occuper de vous.

Le gardien rangea les deux baguettes dans sa poche et fit un geste de la main vers la haie de griffes. Avec un craquement sinistre, celles-ci s’écartèrent docilement devant eux pour former un tunnel tout juste assez large pour laisser passer deux personnes côte à côte. Au bout du tunnel de griffes obscures, Narcissa pouvait voir une lumière douce, de l'herbe, et elle crut même entendre quelques rires d'enfants. Elle eut immédiatement envie de s’approcher, mais Lucius la retint : à la place des Tentagriffes se tenait un fossé profond de plusieurs mètres, qui les séparait de l'extrémité du tunnel.

Elle se tourna pour interroger William Painswick, mais celui-ci avait de nouveau disparu. Après quelques secondes, une pierre large, ronde et plate surgit du fond du fossé et Lucius et Narcissa le traversèrent sans encombre.

– Je ne pensais pas qu'elle accepterait de nous voir, avoua Lucius. Habituellement, elle ne laisse personne rentrer, sauf les inspecteurs du Ministère.

Une fois arrivés au bout du tunnel, l'ensemble du terrain fut visible. William Painswick les attendait ; il guetta leur réaction avec un petit sourire en coin, et Narcissa fit de son mieux pour lui cacher son étonnement. En se basant sur ce que lui avait raconté son père lorsqu'elle était enfant, Narcissa avait imaginé un lieu sombre et sinistre, peuplé de gens hargneux et mal intentionnés ; mais il était évident que c'était loin d'être le cas.

Ils se trouvaient sur le bord d'un immense terrain, couvert d'un tapis d'herbe grasse et verte, bordé par la haute haie d'épines hostiles qui l'isolait totalement du monde extérieur et par quelques arbres de couleur rouille. Au milieu du terrain se dressait un large édifice circulaire, couvert d'un dôme impressionnant ; le tout était en pierre calcaire brute, si blanche qu'elle semblait émettre de la lumière. Au-dessus de la porte d'entrée était gravée l'inscription suivante : PENSIONNAT WIMBLEY – Refuge pour jeunes sorciers aux pouvoirs encombrants. Cette inscription surplombait un gros rond de pierre, sur lequel était gravé le symbole du pensionnat : un hibou aux ailes argentées qui ouvrait deux grands yeux ronds. La façade était sculptée en bas-relief : deux immenses silhouettes humaines se tenaient de part et d'autre de l'immense porte en chêne, de profil, et se serraient la main au-dessus de la porte. La première silhouette portait un chapeau pointu, tandis que la deuxième était tête nue – un Moldu, sans aucun doute.

– Quelle indécence, marmonna Lucius en voyant la fresque.

La bâtisse blanche s'étendait vers d'innombrables pavillons éparpillés au fond de la clairière, qui était si grande qu'on devait plisser les yeux pour en apercevoir l'extrémité, obscurcie par les grands arbres qui s'y trouvaient. Partout sur la pelouse, de gros crabes pourvus d'antennes immenses coupaient le gazon avec leurs pinces – mais Narcissa ne les remarqua même pas, immédiatement happée par la contemplation du petit groupe d'enfants qui jouaient au milieu du terrain.

Ils étaient manifestement occupés à jardiner, supervisés par un homme noir de peau qui riait d'une manière étrange en se balançant d'avant en arrière et par une jeune femme aux cheveux frisés, accoudée sur une pioche. À vue d'œil, les enfants avaient entre cinq et dix ans ; et en voyant leurs petites mains maculées de terre, leurs frimousses adorables, leurs cheveux ébouriffés et leurs yeux rieurs, Narcissa sentit quelque chose se froisser douloureusement dans sa poitrine.

Seuls quelques détails trahissaient leurs pouvoirs magiques : l'un d'eux flottait quelques centimètres au-dessous du sol, les tresses d'une petite fille ondulaient comme des serpents autour de sa tête, et l'ombre d'un autre dessinait des motifs inquiétants sur le sol. Le potager dont ils avaient la charge n'était pas un potager ordinaire, car les légumes, au lieu de pousser tranquillement dans la terre, s'amusaient à sauter au-dessus des enfants qui essayaient de les récolter. À côté d'eux, un gros oiseau aux pattes minuscules, coiffé d'une unique plume verte qui formait une houppette, observait les jeunes enfants en se dandinant.

La femme aux cheveux frisés les encourageait avec amusement :

– Allez, les enfants, attrapez-moi ces Courges Sauteuses, il nous les faut pour le dîner ! Et Jimmy ! Il faut enlever les mauvaises herbes, pas les faire pousser !

– Oh non, Reginia ! Moi, je les aime bien ! Regarde celle-là, elle est toute mignonne...

– Eh bien, garde-la pour ta chambre. Mais ici, c'est pour les légumes !

– Pas étonnant qu'ils aiment les mauvaises herbes, puisqu'ils en sont eux-mêmes, glissa Lucius à l'oreille de Narcissa.

William Painswick se retourna, le regard dur :

– Mrs Wimbley est dans son bureau, dit-il en désignant la grande bâtisse blanche. Venez.

Rares étaient ceux qui avaient déjà vu Eleanor Wimbley en chair et en os. Eleanor Wimbley n'aimait pas sortir de son pensionnat, et il était situé dans un coin si reculé de la forêt que peu de personnes s'aventuraient jusque-là.

Alors que Lucius et Narcissa passaient près d'eux, ils entendirent plus nettement les paroles que les enfants échangeaient avec les deux adultes qui les surveillaient.

– Plus que deux courges à attraper ! lança la dénommée Reginia. Et après ça, nous irons commencer les préparatifs pour le spectacle de Noël, d'accord ?

– Oh ouiii !

– On peut y aller tout de suite, Reginia ?

– Une fois que vous aurez récolté assez de courges pour le dîner ! Allez, nous y sommes presque !

– Pfff...

– C'est nul, les courges !

– Ça parle de quoi, cette année, le pestacle ?

– Vous verrez bien...

– Dis-nous, dis-nous !

– Pas besoin de crier, les enfants ! Je ne le sais pas encore, puisque c'est vous qui allez l'inventer.

– OOOH !

– Trop-gé-nial !

– C'est vrai ? On va inventer une histoire ?

– Oui... Tous ensemble.

– Waouh, s'extasièrent en cœur plusieurs d'entre eux.

– Mais on n'est pas des écrivains, Madame Reginia !

La jeune femme leur sourit tendrement.

– Tout le monde peut inventer des histoires, Luisa. Et je suis sûre que vous en avez plein à raconter.

– Est-ce qu'il pourra y avoir une princesse ?

– Et un dragon ?

– Moi, j'aimerais qu'il y ait un petit chat, murmura timidement un jeune garçon aux énormes lunettes.

– Vous voyez, rit Reginia, vous avez déjà plein d'idées...

Narcissa dut se faire violence pour s'éloigner d'eux et pour entrer dans le pensionnat à la suite de William Painswick. En franchissant la porte de chêne, sous l'arche de pierre blanche, elle remarqua la finesse des détails sculptés sur celle-ci. Le hall d'entrée était une grande pièce simple aux murs blancs, pourvue de trois petites portes et de bancs en bois rustiques. Un étendard violet pendait du plafond, brodé du fameux hibou argenté.

– Asseyez-vous, dit William Painswick en désignant un des bancs en bois. Mrs Wimbley va vous recevoir.

– Combien de temps devrons-nous attendre ?

– Comme vous pouvez l'imaginer, Mrs Wimbley est très occupée, dit William Painswick. Elle vous recevra dès qu'elle le pourra.

– Nous n'avons pas toute la journée, grinça Lucius.

– Oh, bien sûr, vous pouvez tout à fait revenir un autre jour. Nous sommes à votre disposition, Mr Malefoy...

William Painswick grimaça un sourire faussement aimable, puis retourna dans le jardin. Lucius poussa un soupir agacé, tandis que Narcissa se mit à examiner le reste de la pièce avec attention.

Le long des murs s'étalait une frise composée de vingt photos d'enfants, une par année, chacune comptant de plus en plus d'enfants souriants. Certains n'apparaissaient qu'une seule fois mais la plupart d'entre eux étaient présents sur au moins quatre ou cinq photos, de telle sorte qu'on pouvait les voir grandir au fur et à mesure des années.

– J'espère que nous n'allons pas attendre trop longtemps, dit Lucius en s'asseyant sur un des bancs.

Narcissa resta debout et suivit des yeux la frise d'enfants souriants. Avec un pincement au cœur, elle posa une main sur son ventre désespérément plat.

– Alors, la plupart de ces enfants sont...

– Des Sang-de-Bourbe ? Bien sûr. Aucune personne sensée n'accepterait de faire élever son enfant ici. Les parents de ces mouflets sont soit des Moldus, soit des sorciers imbéciles qui ne comprennent rien à la magie.

– Mais au moins, au lieu d'être influencés par leur famille moldue, ces enfants sont éduqués par des sorciers... Non ?

– Parce que tu crois qu'Eleanor Wimbley leur donne une éducation digne de ce nom ? Crois-moi, elle passe son temps à leur raconter que les Moldus et les sorciers sont faits pour s'entendre, et surtout qu'ils sont égaux en terme d'intelligence... On ne peut pas imaginer de telles bêtises.

Narcissa haussa les épaules, et vint s'asseoir à côté de lui sur le banc.

– Je suis fatiguée, soupira-t-elle en posant la tête sur son épaule.

Elle espérait que Lucius la réconforte, comme il savait si bien le faire, mais il était bien trop préoccupé par la mission que lui avait donné son père.

– Je vais demander à ce vieillard de l'appeler immédiatement, dit-il en se levant. Je n'ai pas de temps à perdre.

Il s'éloigna à grands pas et sortit à nouveau dans le jardin. Narcissa appuya sa tête sur le mur de pierre blanche et poussa un nouveau soupir, très lasse. Elle resta ainsi plusieurs minutes, à regarder le plafond drapé de mauve ; puis elle réalisa que quelqu'un parlait d'une voix douce dans l'une des pièces voisines. Intriguée, elle se leva et se mit à la recherche de la provenance de cette voix.

Son ouïe la guida jusqu'à l'une des portes en bois ; timidement, elle l'entrouvrit et la voix se fit plus distincte. Elle jeta un regard derrière elle : le hall d'entrée était toujours désert et silencieux.

Elle ouvrit entièrement la porte et fit quelques pas dans un couloir aux murs blancs et lumineux, couverts de dessins d'enfants. La voix provenait d'une pièce sur la gauche de Narcissa, où un jeune homme était assis en face d'une minuscule petite fille ; c'était lui qui parlait avec une voix aussi douce. Lorsque Narcissa apparut dans son champ de vision, il lui adressa un bref sourire puis reporta son attention sur l'enfant.

Autour d'eux, la pièce était remplie d'objets et d'accessoires tous aussi étranges les uns que les autres, étiquetés avec soin : des Gants protecteurs, des Chaussures gravitationnelles, des Casques anti-pousse de cheveux, mais aussi de la Peinture contre les transplanages intempestifs et des Détecteurs d'étincelles magiques.

– Tu es vraiment sûr, Romeald ?

Tous les deux contemplaient une paire de gants noirs très fins, brodés de runes avec du fil argenté, posés sur la table devant la petite fille. Elle parlait avec une voix craintive et maintenait ses mains en l'air comme si quelqu'un la tenait en joue : elle avait manifestement très peur de toucher quoique ce soit.

– Ne t'en fais pas, tu ne détruiras rien, dit le jeune homme. Ces gants te conviendront parfaitement, je les ai faits pour toi.

La petite fille regarda les gants avec un air circonspect. Elle avait les cheveux courts, châtains, ébouriffés et coupés de façon anarchique. Ses yeux clairs étaient profondément cernés et on pouvait deviner sa détresse à ses vêtements trop larges, ponctués de cratères brûlés, et à la maigreur extrême de deux bras qui en émergeaient.

– Alors... ils ne risquent pas d'exploser ?

– Non, Livia. Regarde les dessins que j'ai brodés dessus : ce sont des motifs enchantés. Ils vont absorber la magie qui s'échappe de tes mains et t'empêcher de faire exploser des objets. On essaie ?

Avec une grande appréhension, la petite fille abaissa sa main gauche et attrapa les gants du bout des doigts. Quelques crépitements laissèrent une marque de brûlé sur la table, mais les gants restèrent indemnes. Elle les enfila avec une émotion mal contenue, puis le dénommé Romeald lui tendit un crayon à papier.

– Tiens, dit-il. Prends-le.

La petite Livia toucha prudemment le crayon à papier : rien ne se produisit. Ébahie, elle le prit dans sa main et le regarda comme s'il s'agissait du plus précieux des trésors.

– Ça marche, dit-elle, les yeux brillants.

Moins surpris, Romeald semblait néanmoins aussi émerveillé qu'elle.

– Ça veut dire que je vais pouvoir écrire comme les autres ? Me brosser les dents toute seule ?

Elle tenta maladroitement de manipuler le crayon, mais cela faisait manifestement très longtemps qu'elle n'avait rien tenu entre ses doigts ; le crayon lui échappa des mains et tomba sur le sol avec un son mat.

– Ne t'en fais pas, dit Romeald, nous allons faire plein de petits exercices pour te réhabituer. Les gants sont peut-être un peu grands pour toi, je vais les ajuster...

Pendant que le dénommé Romeald avait le dos tourné, Narcissa s'éloigna et retourna s'asseoir sur le banc du hall d'entrée, embarrassée et perplexe. Avant qu'elle n'ait eu le temps de réfléchir à ce qu'elle venait de voir, des bruits de pas parvinrent à ses oreilles ; elle se redressa et tendit le cou, curieuse de voir à quoi pouvait bien ressembler Eleanor Wimbley.

Mais les deux femmes qui apparurent dans l'encadrement de la porte ne prêtèrent aucune attention à Narcissa. La plus jeune des deux pleurait et la deuxième l'entraînait vers le jardin. Deux badges indiquaient leurs prénoms : Elcidie et Kardelia.

– Là, là... Allons prendre l'air, ça va te faire du bien.

La jeune femme tenait des lunettes cassées dans sa main, et avait une marque rouge en-dessous de l'œil.

– Raconte-moi, dit doucement l'autre femme en lui prenant la main.

– C'est la petite nouvelle, Sheryl, sanglota la première. C'est impossible de s'occuper d'elle, on arrive à peine à rentrer dans sa chambre... Elle arrive à grimper aux murs et réduit tout ce que nous lui donnons en poussière... Chaque fois que nous essayons de la rassurer, ses pupilles s'embrasent et quelque chose de terrible se produit...

– J'imagine que vous avez installé tous les Sortilèges de Protection nécessaires ?

– Bien sûr... Nous avons suivi la procédure habituelle. Mais cela fait plusieurs jours que c'est comme ça, on n'en peut plus ! Et les recherches sur ses parents ne donnent rien. Ils se sont tout simplement volatilisés... Vraiment, c'est trop horrible.

– Elle doit bien le sentir, hélas. Et maintenant, que fait-elle ?

– Elle dort.

– Bon, c'est bien. Je passerai la voir dans l'après-midi, d'accord ? C'est une situation difficile, il faut que nous nous relayions. En attendant, repose-toi.

Elles échangèrent un pâle sourire.

– Les premiers mois ici, ça n'est jamais facile, poursuivit celle qui semblait plus expérimentée. Et c'est vrai, il arrive que certaines situations restent insolubles pendant un long moment, malgré toute notre bonne volonté. La première chose à faire, c'est de s'entraider...

Elles franchirent la porte d'entrée et leurs voix s'évanouirent dans le jardin. Narcissa se tassa sur le banc, de plus en plus mal à l'aise. Elle commençait à regretter d'être venue, lorsqu'un autre bruit de pas se fit entendre depuis la porte qui se trouvait en face d'elle, et une femme entra dans la pièce.

C'était une femme noire de peau, de taille moyenne, vêtue d'une simple robe violette. Ses cheveux crépus étaient tressés et piquetés de perles argentées.

– Bonjour, lui dit la femme avec un grand sourire. Vous devez être Mrs Malefoy ? Je suis Eleanor Wimbley, la directrice de cet établissement.

Narcissa se leva, incapable de lui témoigner autre chose que du respect. Eleanor Wimbley était bien plus âgée et plus petite qu'elle, et Narcissa était habillée de manière beaucoup plus élégante, mais elle se sentait tout de même intimidée par sa présence. Malgré sa robe banale, ses mains calleuses et l'absence de pierre précieuse accrochée à son cou, Eleanor Wimbley avait une allure envoûtante, et son visage rayonnait de sagesse et de douceur.

– Vous souhaitiez me parler, je crois ?

– Euh... C'est à dire que... Mon mari était justement parti vous chercher, bafouilla Narcissa en regardant vers la porte qui donnait sur le jardin.

– Eh bien, il aurait mieux fait de m'attendre ici. Puis-je vous faire visiter en attendant son retour ?

Narcissa regarda vers le jardin et aperçut Lucius qui arpentait le fond du terrain en fulminant.

– Ne vous en faites pas, votre mari nous rejoindra en chemin. Venez, suivez-moi !

Eleanor Wimbley s'était lentement approchée d'elle ; elle lui prit délicatement le bras et l’entraîna vers la porte qui menait vers le dédale infini des couloirs du pensionnat. Narcissa n’opposa qu'une faible résistance, hypnotisée par la douceur et l’enthousiasme d’Eleanor Wimbley.

En ouvrant une des trois portes du hall d'entrée, elles entrèrent dans un couloir courbé qui semblait suivre le mur extérieur du pensionnat. Le couloir aux murs de pierre blanche était ponctué de portes ouvertes, qui donnaient sur des salles de classe ou de jeu, toutes différentes, mais toutes circulaires, « pour que personne n'aille jamais au coin », plaisanta Eleanor Wimbley. La salle de géographie donnait l’impression de rentrer dans un globe terrestre grandeur nature ; dans la salle dédiée aux mathématiques, des prismes et des sphères colorés lévitaient dans les airs ; dans celle dédiée à l'histoire, une frise chronologique d’une complexité inimaginable défilait lentement sur les murs, et en touchant une partie, on avait accès à d’innombrables photographies d’époque et aux séquences d’archives correspondantes.

– Vous voyez, disait gaiement Eleanor Wimbley, nous ne leur apprenons pas à se servir de la magie, ils sont beaucoup trop jeunes pour cela ; mais nous essayons de leur apprendre à contrôler leurs pouvoirs et à maîtriser leurs émotions – ce qui revient souvent au même, à cet âge-là. Et pour cela, nous essayons de leur expliquer comment fonctionne la magie qui habite en eux, mais aussi le monde dans lequel ils vivent, et comment les sorciers et les Moldus interagissent entre eux.

Narcissa songea, honteuse, qu'elle n'avait aucune connaissance de tout ce dont Eleanor Wimbley parlait ; heureusement, la directrice du pensionnat changea de sujet pour décrire à Narcissa l'organisation de son établissement.

Le pensionnat était ouvert à tous les enfants qui en avaient besoin, indépendamment de la nature de leurs parents, Eleanor Wimbley insistait bien sur ce point. Elle les recueillait à la demande des familles qui étaient à bout de force ; ou bien elle recevait un signalement de la part de sorciers, qui avaient identifié un jeune sorcier méconnu en détresse. Dans ce dernier cas, elle menait l'enquête pour savoir s'il s'agissait réellement d'un petit sorcier, et si c'était bien le cas, elle s'autorisait à rendre visite à la famille en question pour leur expliquer pourquoi les murs de leur maison s'étaient transformés en sucre d'orge ou pourquoi l'aîné de la fratrie avait vu ses cheveux devenir orange après une dispute avec son petit frère, et en quoi tous ces évènements désagréables étaient totalement indépendants de la volonté de leur enfant.

Cette révélation menait à plusieurs types de réactions : les parents étaient souvent soulagés de trouver une explication à tous ces incidents, mais d'autres étaient parfois horrifiés ou simplement perplexes. Eleanor Wimbley leur proposait alors son aide, soit par le biais de visites répétées à domicile, soit en hébergeant temporairement leur petit sorcier.

Le choix était souvent difficile. Les parents détestaient l'idée de se séparer de leur enfant, souvent jeune ; mais la situation était parfois si difficile pour tout le monde qu'on finissait par en arriver là. Évidemment, les parents de ces enfants pouvaient faire revenir leur enfant auprès d'eux à n'importe quel moment, mais en dehors des vacances scolaires, cela arrivait très rarement ; et les familles pouvaient venir au pensionnat autant qu'elles le souhaitaient.

– Vous hébergez des... des parents Moldus ? s'étrangla Narcissa en apprenant cela. Et ils voient tout ça ?

– Bien sûr, nous les accueillons à tout moment. Ce sont de très jeunes enfants, vous l'avez bien vu. Je n'ai pas la prétention de remplacer leur famille. Souvent, lorsqu'ils emmènent leur enfant ici pour la première fois, ils restent plusieurs jours avec eux, pour la transition... Et, pour les parents qui le souhaitent, c'est l'occasion de se familiariser avec les principes fondamentaux de la magie...

Narcissa ouvrit de grands yeux ronds. Des Moldus qui apprenaient la magie ? Elle pria intérieurement pour que son père n'ait jamais vent de cette conversation.

– Je parle des principes théoriques, bien entendu, sourit Eleanor Wimbley en voyant l'expression stupéfaite de Narcissa. C'est important pour eux de comprendre pourquoi leur enfant n'arrive pas à se contrôler et comment l'aider. Pour le moment, cet enseignement a eu des effets extrêmement bénéfiques, autant pour les enfants que pour leurs parents. L'objectif final est de trouver un équilibre entre leur famille et le nouveau monde qui s'offre à eux.

Narcissa n'avait jamais pensé aux difficultés que pouvaient éprouver ces enfants pour vivre de cette manière, entre deux mondes. Mal à l'aise, elle repensa aux quelques fois où elle avait ri aux plaisanteries de Lucius sur les Nés-Moldus qui n'avaient jamais entendu parler de Poudlard avant leur première rentrée...

– C'est pourquoi, pour les quelques sorties que nous faisons avec les enfants, je les emmène aussi bien à des concerts de musique moldue qu'à des matches de Quidditch, poursuivit Eleanor Wimbley. Et croyez-moi, cela les émerveille tout autant. Quand je pense que nous avons vécu si longtemps dans la haine de nos voisins... Il est temps de s'en affranchir, n'est-ce pas ?

Tout en bavardant, Narcissa et Eleanor suivirent le couloir qui s'enfonçait en spirale dans le pensionnat, et passèrent devant un grand réfectoire avec une unique table centrale, taillée dans la même pierre blanche que les murs du pensionnat, puis devant des dortoirs confortables, remplis de lits superposés couverts de peluches. Au-dessus de leur tête, le dôme de pierre était de plus en plus haut. Arrivées sous le centre de la voûte, elles parvinrent à une porte que Narcissa faillit rater tant elle était bien camouflée, taillée dans la même pierre blanche que le reste des murs, si bien qu'elle aurait pu n'être qu'un simple renfoncement. Eleanor Wimbley approcha sa main de la porte, et un hibou argenté se mit à briller sur la pierre blanche. Elle poussa la porte et fit signe à Narcissa de rentrer dans son bureau.

Dans la pièce ronde, un grand bureau en bois était couvert d'enveloppes violettes, frappées du sceau du pensionnat Wimbley – le hibou argenté aux grands yeux ronds. Les murs étaient tendus de draperies violettes, brodées du même hibou argenté. Et sur le sol, à nouveau, se trouvait une grande dalle ronde où était gravé le même motif, et autour de laquelle les pierres formaient des cercles concentriques. D'innombrables photographies trônaient sur les étagères et sur le bureau : on y voyait Eleanor en compagnie de familles réconciliées, d'enfants, d'adolescents ou de jeunes adultes, tous souriants, brandissant un diplôme ou la main d'un époux. Chaque photo était accompagnée d'un petit mot : Merci pour tout, je vous dois tellement ; Merci infiniment pour votre aide précieuse ; Merci encore pour votre présence et votre soutien...

Au fond de la pièce, dans un recoin sombre, se trouvait une imposante vitrine, derrière laquelle une quantité importante de Beuglantes s'époumonaient inutilement contre le verre blindé. La plupart d'entre elles étaient blanches et parcheminées, mais trois d'entre elle se démarquaient par leur couleur rose vif. Narcissa s'en approcha, intriguée.

– J'en reçois tous les jours, soupira Eleanor Wimbley. Je me fiche des insultes qui me sont adressées, mais je ne tiens pas à ce que les enfants se familiarisent avec les grossièretés qu'elles contiennent.

Eleanor Wimbley rejoignit Narcissa à côté de la vitrine pleine de Beuglantes, saisit un petit sachet posé sur une étagère et le glissa dans une petite trappe sur le côté de la boîte vitrée. Le spectacle devint alors tout à fait intéressant : la poudre se répandit dans la vitrine comme une fumée grisâtre, et les Beuglantes se mirent à éternuer à tout bout de champ, postillonnant des morceaux de papier et se percutant les unes les autres.

– On s'amuse comme on peut, sourit Eleanor en donnant un petit coup contre la vitrine.

Narcissa sourit à son tour, et reporta son attention sur les photographies qui remplissaient la pièce.

– Comment vous est venue l'idée de créer ce pensionnat ?

Le sourire d'Eleanor Wimbley s'élargit. Narcissa n'avait pas posé beaucoup de questions depuis que les deux femmes s'étaient saluées, et Eleanor interpréta celle-ci comme un signe de sympathie.

– C'était il y a tout juste vingt ans, dit Eleanor. Je m'en souviens comme si c'était hier. Vous avez dû apercevoir mon frère Erik, tout à l'heure... Il est un peu différent, vous l'avez sans doute remarqué ? Enfin, peu importe ; à l'époque, il était hospitalisé en permanence, et un jour, il s'est lié d'amitié avec le petit garçon qui occupait la chambre voisine...

Eleanor s'approcha de son bureau, et prit un petit cadre photo qui s'y trouvait. La photo était un peu plus vieille que les autres ; on y voyait Eleanor, plus jeune de vingt ans, à côté d'un petit garçon blond qui souriait timidement, le menton baissé. Tous les deux se tenaient devant un terrain vague parsemé de grosses pierres blanches. Eleanor s'appuyait sur un panneau bancal où était inscrit PENSIONNAT WIMBLEY – Construction en cours, et le petit garçon brandissait joyeusement une pelle plus grosse que lui.

– C'est lui, dit Eleanor. C'est un Né-Moldu. Il vivait dans une famille nombreuse, trop à l'étroit... Ses pouvoirs magiques étaient extrêmement puissants, impossibles à contrôler... Il s'était attiré beaucoup d'ennuis, et sa famille était totalement dépassée. Sur un coup de tête, j'ai décidé de l'aider, lui et tous les jeunes enfants sorciers qui étaient dans la même situation. J'ai vendu ma maison, et avec le peu d'argent que j'avais, j'ai acheté ce terrain. Nous avons construit le pensionnat ensemble, tous les trois, avec mon frère.

– Votre frère vit ici ?

– Oui. La compagnie des enfants et le calme de la campagne lui réussit beaucoup.

D'un large geste du bras, elle désigna toutes les photos qui se trouvaient dans la pièce.

– Il s'est même découvert une passion pour la photo... Pourvu qu'il n'y ait pas de flash, bien sûr.

Narcissa reporta son attention sur la photo jaunie qu'Eleanor lui montrait et ne put s'empêcher d'être attendrie par le regard farouche et les cheveux blonds du petit garçon.

– Comment s'appelle-t-il ?

La question parut troubler Eleanor. Elle regarda Narcissa avec le même regard étrange que William Painswick lorsqu'elle avait prononcé son prénom.

– Edward, répondit-elle finalement, avec une certaine méfiance.

Narcissa hocha la tête, surprise par ce changement d'attitude.

– Et... Qu'est-il devenu ?

Eleanor la regarda encore un peu plus intensément, et ramena la photo jaunie contre elle.

– Il va très bien, répondit-elle prudemment. Il est... marié, et a une petite fille.

Elle semblait craindre la réaction de Narcissa. Dans une pièce voisine, un très jeune enfant se mit à gazouiller, mais Narcissa n'y prêta aucune attention.

– Eh bien, qu'y a-t-il ? demanda Narcissa, un peu pincée.

Eleanor hésita, indécise, puis secoua la tête et retrouva toute sa sérénité.

– Ce n'est rien, dit-elle avec légèreté. Venez, j'ai autre chose à vous montrer !

Eleanor Wimbley entraîna Narcissa près d'une armoire, et en ouvrit la porte. Narcissa constata que celle-ci était remplie par une quantité incroyable de médailles.

– Il y a des médailles de l'honnêteté, de l'enthousiasme, de la persévérance, dit Eleanor. J'en distribue généreusement...

Narcissa se sentait de plus en plus mal à l'aise. Elle regarda vers la porte, et pensa que Lucius devait être en train de les chercher.

– Si vous étiez un de ces enfants, je vous aurais sans doute donné celle-ci, dit Eleanor Wimbley.

Narcissa se retourna. Eleanor lui tendait une médaille brillante. Elle la saisit entre ses doigts, et effleura par inadvertance la peau noire d'Eleanor Wimbley, qui était chaude et rassurante. Elle examina la médaille de plus près, et y lut le mot « COURAGE ». Troublée, elle fronça les sourcils pour manifester son incompréhension.

– J'ai appris ce qui est arrivé à votre mère, dit calmement Eleanor Wimbley. Ce doit être très dur pour vous. Il paraît que c'était une femme d'une douceur et d'une gentillesse exceptionnelles.

Narcissa eut soudain très chaud, et ses mains se mirent à trembler autour de la médaille argentée. Elle fut frappée par la bienveillance et la sincérité de ces mots. Exceptés peut-être Lucius et Daisy, tous ceux qui lui avaient exprimé leur soutien l'avaient fait en employant des formules toutes préparées, en se dandinant d'un pied sur l'autre avec un air embarrassé ; mais surtout, dans la peine qu'ils avaient exprimé, ces hypocrites n'avaient jamais parlé que de l'inoubliable beauté de Druella Black, comme si c'était la seule qualité qu'ils regrettaient d'elle, comme si la mère de Narcissa n'en possédait aucune autre et avait perdu toute valeur à leurs yeux lorsque la maladie avait altéré la finesse de ses traits. De nombreuses fois, face à ces fausses démonstrations de sollicitude, Narcissa avait ravalé des réparties cinglantes et s'était contentée de sourire docilement en marmonnant de vagues remerciements.

– Et puis, ajouta Eleanor Wimbley avec malice, vous méritez cette médaille rien que pour habiter sous le même toit qu'Abraxas Malefoy ! Avant l'apparition de Voldemort, c'était sans aucun doute la personne que les sorciers craignaient le plus... Vous saviez que certains parents menaçaient leurs enfants de les envoyer chez les Malefoy s'ils ne finissaient pas leur assiette de légumes ?

 Eleanor Wimbley rit avec légèreté, et Narcissa l'imita timidement.

– Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle là-dedans, dit une voix traînante derrière elles.

Lucius avait fini par les retrouver, et même s'il affichait un calme apparent, Narcissa devinait au léger tremblement de sa voix qu'il était absolument furieux d'avoir été obligé de leur courir après pendant qu'elles devisaient gaiement.

– Ah, vous voilà enfin, Mr Malefoy ! Nous vous attendions en faisant une petite visite du pensionnat...

– Oui, c'est ce que j'ai constaté, dit Lucius en rentrant dans la pièce, faisant claquer ses talons sur le sol.

Narcissa se rappela soudain la raison de leur venue, et fourra précipitamment la médaille dans l'ourlet de sa cape. Elle sentait le regard furieux de Lucius l'interpeller ; quant à Eleanor Wimbley, elle continuait de sourire sereinement.

– Vous disiez tout à l'heure que vous vouliez me parler, Mr Malefoy ?

– Absolument ! Figurez-vous que je ne suis pas venu pour faire une petite visite, mais pour une affaire de la plus haute importance !

– C'est donc cela. Après les lettres, disons... Quelque peu désobligeantes que j'ai reçues de votre père, je crois savoir de quoi il s'agit.

Lucius lui tendit une lettre du Ministère.

– Voilà une convocation pour une audience. L'enquête est mal engagée pour vous, Mrs Wimbley. Le témoignage de l'inspecteur vous condamne.

Eleanor prit délicatement le parchemin que Lucius lui tendait, le déplia délicatement et la parcourut d'un œil amusé.

– Comment se fait-il que le Ministère ait envoyé quelqu'un d'aussi important que vous pour me faire parvenir une simple lettre ? Un hibou aurait parfaitement fait l'affaire.

– C'est moi qui ai insisté pour vous la faire parvenir, dit Lucius. Je tenais à vous faire une proposition.

– Je vous écoute, dit Eleanor en haussant les épaules.

Lucius fit quelques pas dans le bureau, examina avec mépris les nombreuses photos qui y étaient exposées, et s'assit dans un gros fauteuil de cuir sans y avoir été invité.

– Combien ? demanda-t-il, ses mains jointes sur ses jambes croisées.

Eleanor Wimbley eut un petit rire.

– Combien voulez-vous ? insista Lucius. Pour fermer définitivement ce pensionnat, et vivre paisiblement jusqu'à la fin de vos jours ?

– Mr Malefoy, vous perdez votre temps. Je n'accepterai pas la moindre noise de votre part, et tant que je vivrai, j'emploierai toutes mes forces pour maintenir ce pensionnat ouvert.

– Oh, je vous en prie, épargnez-vous de telles souffrances, dit Lucius avec un petit geste désinvolte de la main. Et faisons gagner du temps à tout le monde. Prenez les quelques milliers de gallions que nous vous proposons, faites vos bagages et disparaissez, le monde magique s'en portera bien mieux.

Eleanor secoua la tête avec obstination.

– Je crois au bon sens du Ministère, dit-elle, et votre proposition m'y encourage. Si vous étiez tout à fait certain de l'issue défavorable de cette enquête, vous ne seriez pas ici... Je me trompe ?

Lucius émit un claquement de langue agacé.

– Mrs Wimbley, s'il vous plaît, éclairez-moi sur vos motivations... Partir à la pêche aux petits Sang-de-Bourbe pour les propulser dans notre monde si bien gardé, héberger des Moldus dans un établissement magique, leur expliquer le fonctionnement de notre société... En voulez-vous à ce point aux sorciers, pour persister ainsi à vouloir les faire tomber en disgrâce ?

Les yeux noirs d'Eleanor Wimbley brillèrent un peu plus intensément.

– Je vous retourne la question concernant vos motivations, Mr Malefoy. Vous qui venez de vous marier, et qui avez manifestement plus d'argent que quiconque, quel intérêt trouvez-vous à gâcher une journée de soleil comme celle-ci pour faire fermer un établissement d'une importance totalement surestimée, et qui se contente de mettre à l'abri une vingtaine d'enfants dont vous ne connaissez ni le nom ni l'histoire ?

Narcissa baissa les yeux, car elle était en partie d'accord avec Eleanor Wimbley. Tout cela était si assommant ! Pourquoi Lucius préférait-il ce genre de visite désagréable à sa propre compagnie ? Pourquoi ne pas laisser cette femme tranquille, et profiter du ciel encore clément pour se promener dans leur jardin, avant de se prélasser tranquillement au coin du feu, tous les deux ?

Mais Lucius, décidément, ne décolérait pas.

– Mon père et moi œuvrons nuit et jour pour conserver la grandeur de la société des sorciers, face à des nuisibles comme vous, grimaça-t-il. Nous, les grandes familles de sorcier, sommes la force de l'Angleterre, comme nous l'avons toujours été ! Nous sommes connus dans le monde entier pour notre Registre des Sang-Pur ! Nous n'avons aucunement besoin d'être dilués avec cette racaille ! Que chacun reste dans son monde, et les hippogriffes seront bien gardés !

Eleanor Wimbley le toisa froidement, puis se détourna et entreprit de ranger son bureau en désordre.

– Si vous n'avez rien d'autre à me dire, je vous renvoie vers la sortie, dit-elle.

– C'est un choix regrettable, Mrs Wimbley. Lorsque cet établissement aura mis la clé sous la porte, vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer. Et je doute qu’après avoir fait perdre un temps précieux au Magenmagot, le Ministère soit aussi généreux avec vous que lorsque vous avez fait ouvrir ce pensionnat.

– William vous raccompagnera, indiqua Eleanor Wimbley en faisant un geste agacé vers la porte. Ah, Mr Malefoy, j'oubliais...

Lucius se tourna vers elle, sur ses gardes.

– Où avez-vous trouvé votre chapeau ? J'aimerais acheter le même, pour l'épouvantail que nous allons mettre à côté du potager.

Lucius ne se laissa pas démonter.

– Voilà une brillante idée, commenta-t-il. Malheureusement, je doute que ce soit dans vos moyens. Permettez-moi de vous prodiguer un petit conseil : si j'étais vous, je n'investirais pas trop dans ce potager. Il sera bientôt détruit, comme tout cet établissement.

– Oh ! Je vous en prie, faites-le fermer... J'en ouvrirai deux autres !

– Nous aurons l'occasion de le vérifier, répliqua Lucius. Narcissa, partons d'ici.

Narcissa sortit à grands pas, très droite, sans accorder un regard à Eleanor Wimbley, et Lucius claqua furieusement la porte derrière eux.

Une fois que les deux époux furent sortis, Eleanor Wimbley cessa de sourire et tomba sur son fauteuil en poussant un long soupir de lassitude. L'étau se resserrait de jour en jour ; les sorciers conservateurs étaient toujours puissants, malgré ce que voulait faire croire le Ministère. La possibilité que le pensionnat doive fermer ses portes était de plus en plus probable, et cette idée lui était insupportable.

Machinalement, elle releva le cadre qu'elle avait précipitamment tourné face contre son bureau avant d'aller accueillir Narcissa.

– Mon petit Edward, heureusement que tu es là pour me donner du courage, dit-elle en retrouvant le sourire chaleureux qu'elle avait momentanément perdu.

Elle sortit la photo de son cadre, et lut une nouvelle fois les quelques lignes qui étaient écrites au dos de celle-ci :

Chère Eleanor,

J'espère que tout va bien au pensionnat. Notre petite Nymphadora est née en pleine santé. Elle nous a même offert une première surprise : c'est une Métamorphomage ! Elle est pleine d'énergie, et nous comble de bonheur à chaque instant.

Je suis si heureux que j'ai du mal à y croire. Merci encore, Eleanor, car c'est notre rencontre qui m'a mis sur le chemin de ce bonheur-là.

Andromeda se joint à moi pour t'embrasser avec affection, et Nymphadora attend avec impatience de recevoir ta visite.

À très bientôt,

Ted.

Sur la photo souriaient Edward Tonks, dit Ted, son épouse Andromeda et leur charmante petite fille aux cheveux roses. Le garçon avec qui Eleanor avait construit le pensionnat était devenu un charmant jeune homme, au regard toujours farouche. Quoiqu'il arrive, songea Eleanor pour se rassurer, je n'aurai pas fait tout cela en vain...

Elle fut interrompue dans ces réflexions par un petit coup donné sur sa porte par William Painswick : les Malefoy venaient de disparaître dans la muraille de Tentagriffes.

– C'est bon, ils sont partis, dit-elle d'une voix forte en direction de la draperie violette qui se trouvait juste derrière elle.

Elle écarta la tenture et frappa trois coups sur la porte dérobée qui se trouvait derrière. Presque aussitôt, la porte s'ouvrit lentement et une jeune femme apparut dans l'encadrement. Ses traits ressemblaient à ceux de Narcissa de manière saisissante, et ses longs cheveux noirs et bouclés frémissaient d'effroi.

– Ma pauvre Cissy, gémit Andromeda. Eleanor, il faut faire quelque chose ! Lucius est un monstre !



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