R.A.B

Lorsque Kreattur vint le voir dans sa chambre, Régulus sut que le moment était venu. Il examina le médaillon, copie de l’original, et hocha la tête. Avec un sourire sournois, il prit un morceau de parchemin pour y écrire un message, authentique pied de nez à celui qui l’avait réduit en esclavage.

    « Au seigneur des ténèbres, je sais que je ne serai plus de ce monde bien avant que vous lisiez ceci. Mais je veux que vous sachiez que c’est moi qui ai découvert votre secret. J’ai volé le véritable Horcruxe et j’ai l’intention de le détruire dès que je pourrai.

      R.A.B. »

Le jeune homme hésita longuement à écrire un mot à sa mère. Mais il préféra la laisser imaginer qu’il avait décidé s’éloigner de la guerre volontairement, de partir pour ce tour du monde dont il rêvait. Il espérait que Narcissa comprendrait après leur conversation, et serait présente pour consoler sa mère de son absence.

Il regarda sa chambre, dont il était si fier. Sa chambre décorée aux couleurs de Serpentard. Il y avait ses trophées remportés au Quidditch — il avait été un attrapeur doué. Pas le meilleur probablement, mais suffisamment habile pour faire gagner son équipe à plusieurs reprises. Il passa le doigt sur ses livres scolaires, se sentant nostalgique de la période où il n’avait pas d’autre préoccupation que de ramener de bonnes notes à ses parents.

Il rangea soigneusement son bureau — il n’avait jamais aimé le désordre — et caressa une dernière fois le manche de son balai, mélancolique.

Puis, décidé, il se tourna vers son elfe qui l’attendait, le fixant de ses grands yeux larmoyants.

   – Kreattur. Je veux que tu me conduises à cet endroit maudit. À l’endroit où il t’a emmené, où il a caché le vrai médaillon.

L’elfe sembla prêt à protester, mais Régulus se redressa et eut l’air plus sévère.

   — C’est ton Maître qui te l’ordonne. Conduis-moi là-bas.

Larmoyant, Kreattur s’approcha et saisit la main de Régulus. L’instant d’après, ils atterrissaient dans une caverne lugubre.

Régulus regarda autour de lui. Il se trouvait sur un îlot au milieu d’un lac. La caverne était sombre, et ils baignaient dans une lueur verte maladive, étrangement oppressante. L’endroit était si grand qu’il ne parvenait pas à voir le plafond et encore moins les rives du lac obscur, dont la surface était aussi lisse qu’un miroir. Kreattur attira son attention, en tirant doucement sur son bras.

   — Normalement, l’entrée est là-bas, et il faut traverser l’eau. Mais Kreattur a déposé le Maître ici. L’objet est caché dans la vasque.

Régulus hocha la tête avec un demi-sourire, tout en examinant avec curiosité la fameuse vasque.

Elle était emplie d’un liquide sombre, et en s’approcha, Régulus découvrit que la potion contenue dans le contenant était vert émeraude. Il fronça les sourcils, cherchant dans ses souvenirs quelle potion pouvait avoir cette couleur.

Kreattur saisit un coquillage creux, et le lui montra.

   — Il faut boire la mauvaise potion, Maître. Kreattur va le faire.

Régulus se souvint de ce que son elfe lui avait dit. La potion l’avait blessé la première fois, et il refusa de le torturer une fois encore. Il culpabilisait de lui avoir ordonné d’obéir au seigneur des ténèbres et il prit le coquillage, sourcils froncés.

   — Hors de question. Je vais le faire. Toi, tu récupéreras l’objet, tu mettras celui que tu m’as fourni à la place. Ensuite, tu rentreras à la maison, et tu le détruiras par n’importe quel moyen. Et quoi qu’il arrive Kreattur, tu ne parleras à personne de ce qui s’est passé ici. Tu m’entends ? Personne ne devra savoir ce qui s’est passé.

L’elfe hocha la tête, visiblement à contrecœur. Il avait manifestement envie de protester, mais sa nature l’obligeait à obéir à son Maître et Régulus le savait parfaitement. Il soupira et posa une main sur l’épaule de la petite créature.

   — Tu es un bon elfe Kreattur. Tu as été le meilleur ami dont je puisse rêver.

   — Maître Régulus… Kreattur peut recommencer. Kreattur peut supporter la mauvaise potion. Kreattur peut échapper aux choses dans l’eau. Le Maître n’a pas besoin de…

Régulus l’interrompit.

   — Non. J’ai besoin que tu puisses retourner à la maison et que tu détruises cette chose, Kreattur. Et j’ai besoin que tu prennes soin de mère. Je vais le faire, et tu vas obéir à ce que je t’ai demandé. Échanger les objets, rentrer à la maison et ne jamais parler à personne de tout ça.

L’elfe eut un gémissement faible et hocha la tête en se tirant les oreilles, cessant de protester.

Avec un soupir tremblant, Régulus s’approcha de la vasque et se perdit dans la contemplation du liquide vert. Il plongea la coquille dedans et avec un frisson d’appréhension, il but le breuvage.

Il grimaça au goût amer, mais puisqu’il ne sentait pas le moindre effet, il recommença. Il en était à la troisième gorgée quand il commença à sentir la douleur. Il avait l’impression que chaque muscle de son corps était chauffé à blanc, que ses os se brisaient un par un.

Haletant, il s’effondra à genoux, retenant un hurlement. Cependant, il plongea la coquille une fois de plus dans la vasque, s’obligeant à continuer. Il ne gardait en tête que son objectif, refusant d’abandonner.

En plus de la souffrance physique, il se mit à se souvenir des raids meurtriers menés par les Mangemorts. Il avait l’impression que toutes les victimes de Voldemort hurlaient dans son esprit, l’accusant de n’avoir rien fait. D’être resté un spectateur impuissant de cette débauche de cruauté.

Les larmes commencèrent à rouler sur ses joues pâles et il rendit la coquille à Kreattur.

   — Aide-moi, Kreattur. Jusqu’à la fin, mon ami.

Le petit elfe obéit, pleurant sans se cacher de son Maître, visiblement déchiré entre ses sentiments et son obligation d’obtempérer.

Régulus but la vasque en entier, gémissant sous la douleur, se retenant de crier. Il n’avait plus la force de protester, il n’avait même pas la présence d’esprit de repousser la coquille contenant le liquide ignoble. Il savait juste qu’il devait le faire, même s’il ne se souvenait plus pourquoi.

Finalement, le collier maudit apparut et Kreattur le saisit vivement, avant de laisser tomber la copie au fond de la vasque. Aussitôt, la potion émeraude réapparut, remplissant de nouveau le récipient.