Lettockar, tome 1 : la honte des écoles
Chapitre 9 : Et pendant ce temps, dans le donjon...
3014 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 18/02/2022 11:22
9. Et pendant ce temps, dans le donjon…
Le soir même, tandis que les élèves de son établissement fêtaient – ou pas – l'ouverture de la saison de Crève-Ball dans leurs salles communes, le directeur de Lettockar organisait une petite sauterie dans le donjon qui lui faisait office à la fois de bureau et de logement, avec la quasi-totalité de l’équipe enseignante. La décoration n’avait rien de semblable à ce que l’on trouvait généralement dans des bureaux d’académiciens. Sur toute la surface du plafond était sculptée une pyramide surmontée par un œil triangulaire et parcourue d’une banderole de parchemin où était écrit « Novus Ordo Seclorum ». Les murs étaient tapissés de posters et de bannières glorifiant une culture punk honnie par la quasi-totalité des directeurs conservateurs des autres écoles. Quelqu’un avait tagué « All Aurors Are Basterds » sur la porte. Une grande toile noire où le symbole « Anarchy » était tissé en rouge surplombait une armoire scellée par un cadenas qui se tenait exactement derrière le trône du dirigeant de l’école.
Mais cette décoration improbable n’était rien comparée au spectacle qu’offraient les professeurs. Vautrés sur des fauteuils et des canapés défoncés, euphorisés par les tubes de hard rock, de metal et de rap que diffusaient de grandes enceintes, tous se livraient à leur péché mignon de débauche.
Viagrid en était déjà à son troisième tonnelet de whisky : il avait conclu un pacte avec Madame Binouze pour qu’elle lance discrètement un sortilège de Remplissage afin qu’il ne trahisse pas sa promesse comme quoi « celui-là, c’était le dernier ». Les professeurs McGonnadie et Jar Jar Binns commentaient le dernier album des Rolling Stones en jouant à la Bataille Explosive et en se gavant de bretzels ; Nosfylna Morgana s’amusait à maquiller le professeur Pourrave, lequel ne semblait pas tout à fait se rendre compte que quelqu’un lui tartinait le visage avec des couleurs criardes et qui n’allaient que très moyennement ensemble.
Quant aux professeurs Doubledose, Grog et Fistwick, ils s’étaient installés autour du bureau directorial. Sur la table, Grog était affairé à étaler une poudre blanche émaillée de particules brunes, sous le regard enjoué de ses deux compagnons. Doubledose se frotta les mains et demanda à son maître des potions :
- Alors Suppurus, qu’est-ce que tu nous a ramené ?
- Ça les mecs, c’est ma dernière création. Le truc ultime à sniffer. Je l’ai appelée la Poussière des rêves : un mélange de coke et de poudre et de corne de Bicorne.
Doubledose et Fistwick s’échangèrent un regard vorace et se léchèrent les babines. Grog saisit un morceau de carton de sa poche, et commença à tasser la poudre pour tracer une ligne bien nette.
- Ça n’a vraiment pas été facile de trouver la bonne formule, expliqua-t-il. On a bossé dessus avec les sixième année depuis le début du trimestre.
- Ah, c’était donc ça les gamins qui se comportaient bizarrement dans les salles communes ? interrogea Fistwick.
- Possible, répondit Grog d’un air absent, tandis qu’il finissait de tracer la ligne de Poussière des rêves. Vas-y Fistule, mouche-toi à l’envers !
Le professeur de sortilèges ne se fit pas prier. Il baissa aussitôt la tête vers la table, plaça ses narines au début du rail, et le parcourut d’un coup sec en le reniflant intégralement. Une fois terminé, il resta immobile une fraction de seconde, puis rejeta sa tête en arrière d’un gigantesque mouvement incontrôlé. Il s’écria alors avec une joie proche de l’hystérie :
- Sa mère la goule, c’est la meilleure chose qu’on ait inventé depuis la guillotine des amygdales !
Grog accueillit ces mots en éclatant d’un rire triomphant. Fistwick, le nez saupoudré de Poussière, le rejoignit aussitôt dans son hilarité tandis que Doubledose, enhardi par cet enthousiasme survolté, frappait dans ses mains en réclamant sa part :
- A moi, à moi !
Grog allait à nouveau verser sa concoction lorsqu’il fut interrompu par un cri surexcité venant du professeur Pourrave. Débordant de ravissement, il désignait du doigt le feu de la cheminée :
- Putain les mecs, c’est Noël ! Regardez, regardez, y’a le Père Noël dans la cheminée !
Tout le monde se tourna alors vers l’âtre. En effet, parmi les flammes, le visage très ridé d’un homme avec un nez aquilin, de longs cheveux argentés et une grande barbe neigeuse, scrutait l’assemblée par-dessus des lunettes en demi-lune. Le visage fermé, il affichait une expression ennuyée, même agacée. Manifestement, il n’éprouvait aucun plaisir à devoir s’entretenir avec les personnes présentes dans la pièce. En le voyant, le directeur Doubledose eut un large sourire provocateur.
- Ne raconte pas de bêtises, Pepino. C’est simplement le directeur de Poudlard qui nous honore de sa visite...
Albus Dumbledore lança un regard calculateur à son homologue de Lettockar. Puis, il parcourut rapidement toute la pièce des yeux, s’attardant une seconde sur le nez tartiné de poudre de Fistwick et sur le visage bariolé de Pourrave. Il s’éclaircit la gorge et déclara sans le moindre entrain :
- Messieurs, mesdames, bonsoir.
L’équipe enseignante de Lettockar s’approcha de la cheminée et lui rendit sa salutation avec un enthousiasme inégal. McGonnadie prit ensuite la parole avec un sourire sournois.
- Cette inconvenance ne vous ressemble guère, Albus. Normalement, vous êtes censé nous prévenir de votre venue via notre ami commun… dit-il en désignant du doigt une toile au-dessus de l’âtre.
- Figurez-vous que je l’ai fait, Poséidon, dit Dumbledore d’un ton aigre. Voilà un bon quart d’heure que le portrait de Krillinus Poissard hurle dans le but d’attirer votre attention, mais hélas, vous faites tellement de bruit que vous ne l’entendez guère...
Une voix désespérée s’éleva tout à coup du portrait qui servait de messager entre les deux écoles :
- Par pitié, Dumbledore, je ne veux plus faire ce travail ! sanglota le dénommé Krillinus Poissard.
- Il fallait pas être directeur de Poudlard au moment de la fondation de Lettockar, mon pote ! lui répliqua Doubledose. Bon, cher confrère, si vous nous disiez plutôt ce qui vous amène ?
À ces mots, il sortit un de ses cigares, en coupa l’extrémité et l’alluma du bout de sa baguette magique. Dumbledore opina du chef et s’exécuta :
- Chers professeurs, comme vous le savez peut-être, Poudlard accueille cette année le Tournoi des Trois Sorciers, qui n’avait pas eu lieu depuis deux siècles.
- Le quoi ? demanda Viagrid en prenant un air bête.
- Il s’agit d’une compétition amicale qui avait lieu tous les 5 ans entre les écoles de Poudlard, Durmstrang et Beauxbâtons, lui expliqua Dumbledore. Elle a longtemps été suspendue car jugée trop dangereuse, mais cette année, les Ministères de la Magie concernés ont décidé de le faire revivre. Chaque école engage un champion pour trois épreuves magiques de haute difficulté.
- A mon ancien job, on en a tourné une « version », avec des copines, chuchota Morgana à Doubledose qui pouffa discrètement.
- Le vainqueur remporte le Trophée des Trois Sorciers ainsi qu’une récompense de 1000 Gallions, poursuivit Dumbledore. Nous y voyons également une occasion pour nous élèves de rencontrer des sorciers étrangers, de nouer des liens avec eux, de sortir un peu de leurs frontières…
Il marqua une pause, comme pour laisser le temps à Viagrid de digérer toutes ces informations. En effet, le demi-ogre avait hoché la tête tout au long de l’explicatif en fronçant les sourcils. Visiblement il avait du mal à suivre.
- Pourquoi on a jamais fait ça, nous ? questionna Pourrave avec un sourire innocent.
- Je te rappelle qu’on est censé être une école cachée… répondit Jar Jar Binns d’un air désabusé.
- Ah oui, j’oublie tout le temps, admit le professeur de botanique en gloussant.
- Et quand bien même vous ne le seriez pas, je ne sais pas si d’autres écoles accepteraient de jouer avec vous… commenta Dumbledore depuis la cheminée.
- Si c’est pour nous baver vos sempiternelles leçons de morale que vous êtes venu, c’était inutile de vous donner cette peine, Dumbledore, répliqua Doubledose. Maintenant, dites-nous ce que vous nous voulez et cassez-vous.
Le vieux sorcier, qui avait eu une bien rude journée, lui jeta un regard mauvais qui ne lui était pas coutumier. Lui qui se distinguait par sa gaieté et son amabilité inébranlable envers n’importe quel visiteur, y compris les moins amicaux, il était rare qu’il montre une telle froideur envers un interlocuteur. Mais il parvint à chasser son amertume et déclara :
- Hier soir a eu lieu un imprévu très alarmant dans le Tournoi des Trois Sorciers. Un quatrième champion a été désigné par la Coupe de Feu.
Les professeurs de Lettockar levèrent tous un ou deux sourcils. Ceux qui connaissaient le Tournoi des Trois Sorciers sentirent même un léger malaise face à l’anomalie de la situation.
- Un quatrième champion ? dit lentement Doubledose. Mais qu’est-ce que … ?
- Je suis tout aussi stupéfait que vous par les événements, Niger, dit Dumbledore. Un dérèglement d’une telle ampleur remet en cause toute la sécurité d’un championnat que nous avons eu beaucoup de peine à mettre en place… d’autant que cela intervient alors que la communauté magique vient à peine de se remettre d’un événement qui l’a profondément secouée...
- Vous parlez de la Marque des Ténèbres à la Coupe de Quidditch ? interrogea le professeur McGonnadie, le regard perçant.
- Vous voyez juste, Poséidon. À vrai dire, je ne crois pas que cette succession d’incidents soit une coïncidence. Je ne vous cache pas que je suis extrêmement inquiet. Je ne puis hélas pas vous en dire plus pour le moment… je manque encore d’éléments pour fournir une explication. Mais je vous promets de vous tenir informés de la suite des événements...
- Bien aimable à vous, lui dit Doubledose sans aucune joie au milieu d’un rond de fumée. Mais ce quatrième champion, que va-t-il lui arriver ?
Les traits de Dumbledore s’affaissèrent, accablés. Après un profond soupir, il répondit :
- Il n’a pas le choix : la Coupe de Feu génère un contrat magique qui lie les champions. Il doit participer aux épreuves. Et c’est d’autant plus dramatique que ce champion est beaucoup moins avantagé que ses trois concurrents. En fait, il a été décidé que pour ce tournoi, seuls les élèves de 17 ans ou plus auraient le droit de candidater. De fait, j’ai tracé une Ligne d’Âge autour de la Coupe durant toute la période d’inscription pour repousser les élèves trop jeunes. Hélas, quelqu’un a trouvé le moyen de la neutraliser, et c’est un garçon de 14 ans qui a été sélectionné.
- Voyez-vous ça, ricana Fistwick. C’est toujours autant le bordel, à Poudlarve...
- Et c’est qui, ce quatrième, au juste ? demanda Madame Binouze.
- Harry Potter, peut-être ? suggéra Grog sur le ton de la plaisanterie.
- En effet, il s’agit de Harry.
Dumbledore avait répondu d’un ton sec, mais qui trahissait aussi une lourde affliction. La moitié des professeurs présents se retrouvèrent bouche bée devant la nouvelle. Grog mit péniblement fin au silence.
- Wow, sans dec ? C’est vraiment lui ?
- Oui, « sans dec’ », répliqua Dumbledore, reprenant la formule de Grog d’un ton dédaigneux.
- Encore lui ? Mais comment il fait pour être toujours au centre des événements, celui-là ? lâcha Doubledose, atterré.
- Nous nous posons tous la question, Niger, répondit Dumbledore d’une voix douce. En tout cas, je suis sincèrement convaincu que ce n’est pas Harry qui a mis son nom dans la Coupe d’une quelconque manière que ce soit. La Coupe de Feu est un objet d’une très grande puissance magique : une personne de son âge n’est pas en mesure de la trafiquer. Et le connaissant, je le vois mal vouloir se mettre en danger dans ce Tournoi, pour les raisons que vous venez de citer…
- Donc, selon vous, quelqu’un aurait inscrit Potter a Tournoi à son insu dans le but de lui nuire ? le questionna Fistwick.
- En effet. Depuis hier, nous explorons toutes les pistes. Et je viens vous voir pour celle qui, somme toute, serait la moins pire. En fait, Alastor Maugrey – mon professeur de Défense contre les Forces du Mal – a émis une théorie sur la façon dont la Coupe de Feu a été détraquée. Quelqu’un lui aurait lancé un puissant sortilège de Confusion et y aurait inscrit Harry sous le nom d’une quatrième école.
- Et alors ?
- Et donc, je me demandais si, au vu de vos mœurs et votre humour assez particuliers, il ne vous serait pas venu en tête de nous faire une farce d’un bien mauvais goût...
Doubledose haussa les sourcils. Il n’avait guère entendu l’un de ses enseignants parler d’un tel projet, et il doutait fortement que cela puisse avoir eu lieu à son insu. Il consulta tout de même une à une les personnes présentes dans son bureau : toutes secouèrent négativement la tête. Aussi, il se retourna vers la tête enflammée de son homologue.
- Non, désolé, c’est pas nous.
- Vous croyez sérieusement qu’on a que ça à faire, de venir foutre la zone dans vos jeux à la con ? s’exclama McGonnadie avec mépris.
Le directeur de Poudlard haussa un sourcil fin et immaculé, mais il ne répliqua pas. Il reprit d’une voix neutre :
- Eh bien, merci de votre réponse. J’aimerais vous dire que je suis rassuré, mais hélas, comme je vous l’ai dit, si c’était vous qui aviez fait le coup, ça n’aurait jamais été qu’un tour déplaisant mais sans suite. Maintenant, cela m’oblige à envisager des scénarios bien plus préoccupants...
Dumbledore s’apprêtait à prendre congé quand Doubledose le retint.
- Hé, Albus, ce serait pas un coup de votre professeur de Défense contre les Forces du Mal, par hasard ?
Dumbledore fut incapable de parler pendant un court instant. Puis il répondit d’un ton à la fois brusque et incrédule :
- Pourquoi dites-vous cela, Niger ?
- Ben je sais pas, vous avez pas remarqué que chaque année, y’a une couille qui arrive avec le nouveau prof de Défense ? Y’a trois ans, votre gars avait Lord Voldemort collé derrière la tête. Ça commence fort. Celui d’après, c’était un baratineur qui savait rien faire de ses dix doigts, et vous l’avez quand même recruté. L’année dernière, vous avez eu un loup-garou qui a été poussé à la démission. Sérieusement, l’ancêtre, vous trouvez pas qu’il y a quelque chose qui cloche avec ce poste ?
Albus Dumbledore fut alors submergé par des répliques railleuses émanant des professeurs.
- Soi-disant que c’est notre école qui est un coupe-gorge et la vôtre un paradis, en attendant votre Tournoi se fait détraquer sous votre pif ! envoya Grog.
- Et c’est pas vous qui aviez un Basilic qui se promenait dans les entrailles du château depuis 1000 ans ? Un monstre qui peut tuer d’un seul regard, bordel ! persifla Jar Jar Binns
- Ouais, nous, on a jamais eu besoin de Détraqueurs pour protéger nos élèves d’un tueur en fuite ! ajouta McGonnadie.
- Et nous, on se fait pas sauver les miches à chaque fin d’année par des mômes de 12 ans ! vociféra Doubledose.
- En fait, elle serait pas toute pourrie, votre école ? acheva Fistwick.
Toute la pièce hurla de rire. Sans laisser à Dumbledore le temps d’en placer une, Fistwick leva sa baguette magique et mit fin à la discussion d’une façon odieuse.
- Allez, on vous a assez vu pour la soirée ! Aguamenti !
Une gerbe d’eau jaillit de la baguette magique et vint éteindre le feu, coupant toute communication. Dumbledore eut juste le temps d’entendre Doubledose lui crier « Pauv’con, ça va enfumer toute la pièce ! » avant de voir tout ce petit monde disparaître et que son visage soit aspergé d’eau. Pendant un instant, le malheureux directeur de Poudlard resta statique, visiblement immobilisé par l’exaspération. Puis, il finit par s’extirper de sa cheminée et, toujours ruisselant, s’adressa dans un soupir à un Severus Rogue médusé qui s’était discrètement tenu près de lui durant tout l’entretien :
- Je crois que je les déteste.