Les Premiers Chasseurs

Chapitre 13 : XII Rencontre à l'auberge

2758 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/04/2022 04:13

CHAPITRE XII : RENCONTRE A L’AUBERGE


Odon Marchas, comme à son habitude, arriva tôt au ministère de la Magie. Il devait préparer la prochaine entrevue entre les différents ministres européens, auxquels s’ajouteraient plusieurs représentants asiatiques. Les débats autour du Secret Magique promettaient d’être intéressants.

Comme tous les matins depuis que le ministre Étienne Courneuf l’avait choisi comme assistant personnel, suite à son excellent travail depuis le début des négociations, il commença par trier le courrier. Il sépara les lettres de services courants des autres. Puis il fit une pile des missives venant d’autres ministères, un bon nombre serait en rapport avec le Secret Magique et les réunions prévues.

Venait enfin le courrier non officiel. Odon Marchas était toujours impressionné par le nombre de lettres d’insulte que le ministre recevait. En discutant avec ses collègues, il avait appris que cette quantité avait largement explosé avec la probabilité de la mise en place du Secret Magique.

Il fit une pile de plis suspects, certains ne laissaient aucune place au doute : de la fumée s’échappait des coins ou du pus de bubobulb malodorant en coulait. D’autres, enveloppées de rouge, affichaient ainsi clairement leurs contenus hostiles. Ces beuglantes furent rapidement évacuées du bâtiment pour exploser loin des oreilles des employés, de même que les dangereuses. Odon Marchas en notait juste l’expéditeur, si celui-ci se faisait connaître sur l’enveloppe.

Il restait un petit paquet de courrier visuellement sans danger. Soit les expéditeurs étaient plus malins ou plus doués, soit ils s’étaient contentés d’exprimer leur mécontentement de manière civilisée, soit au contraire ils étaient d’accord avec la position du ministre. La dernière possibilité étant que le sujet de la missive fut tout autre.

Celles qu’Odon Marchas identifiait directement comme appartenant à cette dernière catégorie allèrent dans une pile à part. Il s’arrêta net en tombant sur la lettre de Philippe d’Estremer. Il brûlait de la lire pour apprendre les dernières évolutions de l’affaire que suivait le comte.

Les recherches qu’Odon et Philippe avaient effectuées ensemble sur les Corvus avaient enflammé l’intérêt de l’archiviste. Il avait continué à se renseigner sur les Corvus, sans grand succès, ceux-ci brillant par leur discrétion.

Odon savait que le ministre ne lui tiendrait pas rigueur de prendre connaissance du contenu de cette lettre, malgré ça, il se retint et continua sa tâche, la mettant de côté pour lui présenter dès son arrivée.

Il n’eut à attendre qu’une dizaine de minutes.

— Bonjour, maître Marchas, salua le ministre.

— Bonjour, monsieur le ministre. Je viens de finir de trier votre courrier.

— Pas trop d’explosions ou de substances étranges ce matin ?

— Quelques-unes, mais rien d’ingérable. Il reste quelques courriers suspects que je vais faire ouvrir par les personnes compétentes. J’ai classé le reste comme d’habitude.

— Et celle-ci ?

— Elle est de monsieur d’Estremer.

— Je comprends mieux, sourit le ministre en s’en saisissant.

Il l’ouvrit et se mit à la lire. Odon scrutait son expression, essayant de deviner le sujet de cette lecture. Il lui semblait que le ministre prenait son temps, et cela l’horripilait.

Quand il eut fini, Étienne Courneuf reposa la lettre sur le bureau. Son visage était figé dans une intense réflexion. Puis, comme se souvenant qu’il n’était pas seul, il tourna lentement son regard vers Odon.

— Maître Marchas, je vois bien que vous bouillez de connaître le contenu de cette lettre, dit-il. Je vous en prie, lisez.

Odon ne se le fit pas dire deux fois et se saisit du parchemin avec avidité.

— Et dorénavant, en ce qui concerne le courrier en provenance de monsieur d’Estremer, je vous autorise à l’ouvrir sans m’attendre. Je sais que vous souhaitez connaître le fin mot de cette histoire. Et vu que le comte d’Estremer demande encore une fois des renseignements, il est plus logique que vous soyez directement mis au courant, dans un souci d’efficacité.

— Des renseignements ?

— Lisez, vous allez voir.

Odon se mit à lire. Le récit des péripéties vécues par Philippe d’Estremer était succinct, il avait des tonnes de questions pour en apprendre les détails qui lui venaient à l’esprit.

— Taran… souffla-t-il.

— Ce nom vous dit quelque chose ? questionna le ministre.

— Possible… J’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part.

— Je vous laisse répondre directement au comte d’Estremer quand vous aurez les renseignements demandés.

— Et concernant les autres demandes du comte ? Connaissez-vous un spécialiste des poisons ?

— Pas personnellement, mais je sais à qui m’adresser pour en envoyer un, dit le ministre.

— Et pour les réfugiés ?

— Je vais charger quelqu’un d’autre de s’en occuper au nom du Ministère. Ne vous inquiétez pas et effectuez ces recherches. Je pense qu’elles sont d’une nécessité vitale.

Obéissant à l’injonction du ministre, Odon concentra ses recherches sur Taran. Seulement, après des heures à être penché sur de vieux grimoires poussiéreux et du parchemin malodorant, il ne trouva rien. Ce nom était celte et signifiait « tonnerre ». Bien sûr, il trouva plusieurs Taran parmi les registres des Sorciers d’origine bretonne, mais n’ayant pas le patronyme de celui en question, il ne put faire mieux que de dresser une liste. Sans oublier qu’il était possible que le « Taran » rencontré par le comte d’Estremer et Mathias Corvus se soit affublé d’un pseudonyme.

Ce fut le grognement insistant de son estomac qui parvint à le tirer de l’étude de ces documents. Il sortit du Ministère et transplana jusqu’à une rue du Paris magique. L’habitude le guidant, il se rendit jusqu’à la porte d’un établissement dont l’enseigne indiquait « La Table du Sorcier » sans faire attention à ce qui l’entourait, toujours pris dans ses réflexions. Il avait amené avec lui un ouvrage pour continuer à le consulter pendant son repas.

La serveuse ne vint même pas lui demander sa commande quand elle le vit s’installer, elle lui apporta un godet de vin et une assiette chaude. Elle ne s’offusqua pas qu’il ne lui adressât pas un regard, elle avait l’habitude de le voir plonger ainsi dans un livre quand il venait. Malgré tout, elle aurait aimé qu’il la salue.

— Merci, Fannette, souffla-t-il sans un regard alors qu’elle repartait.

La serveuse se retourna, surprise et heureuse, le rouge lui montant un peu aux joues. Elle ne répondit rien et repartit travailler, laissant Odon à son repas et ses études.

Il mangeait sans faire attention à la saveur du plat quand quelqu’un l’interpella :

— Marchas ! Odon Marchas !

L’archiviste leva les yeux de son ouvrage et remarqua juste devant lui Quildas Hautfaucon qui affichait un air d’heureuse surprise.

— Quildas ! Que fais-tu ici ? demanda-t-il.

— La même chose que toi, je suppose, je me suis arrêté pour déjeuner. Puis-je me joindre à toi ? Ce sera plus agréable que d’être seul à table, et nous pourrons nous remémorer de vieux souvenirs.

Quildas parlait comme si Odon et lui étaient de vieux amis qui se seraient perdus de vue et se retrouveraient par hasard. Seulement, il n’en était rien. Certes, ils avaient partagé le même dortoir et les mêmes salles de cours à l’Académie de Magie Beauxbâtons, mais cela s’arrêtait là. Ils ne furent jamais plus que des camarades de classe.

Odon pourrait même dire qu’il n’a jamais cherché son amitié. Quildas était du genre vénal et opportuniste. À l’Académie, déjà, il avait monté un petit trafic de potions et autres amulettes. Si les secondes étaient souvent des colifichets sans aucun pouvoir ni aucune valeur, il fallait lui reconnaître qu’il fournissait des breuvages magiques d’excellentes qualités de sa propre fabrication. La seule interaction entre eux fut un échange de bons procédés quand Odon lui demanda une potion anti-sommeil contre une assistance pour des révisions.

De plus, s’il en croyait les rumeurs, Quildas mettait ses facultés au service du plus offrant, dans la continuité de ce qu’il faisait à l’Académie. Odon n’en savait pas plus, n’ayant pas cherché, le sujet ne l’intéressant pas.

Sans même attendre l’accord de l’archiviste, Quildas Hautfaucon prit place. Il se tourna et héla Fannette.

— La même chose que mon ami, s’il vous plaît, commanda-t-il.

— Bien monsieur, répondit la serveuse.

— Elle est charmante cette petite ! apprécia Quildas une fois qu’elle se fut éloignée.

— Je sais, répliqua Odon. Qu’est-ce qui t’amène dans la région ?

— Rien de spécial, mes affaires… Faut bien gagner sa vie, et pour se faire, je me déplace beaucoup. Et toi ? Il paraît que tu travailles avec le ministre lui-même ! Je suis impressionné ! Je pensais que tu étais archiviste.

— Je le suis. Le Ministère a besoin d’archivistes.

— Ça oui, je sais, mais j’ai ouï dire que tu travaillais directement avec le ministre.

— Cela m’arrive, répondit-il, préférant rester évasif.

— Je n’ose pas imaginer le nombre de secrets d’État que tu dois entendre !

Odon resta silencieux. Fannette vint apporter son repas à Quildas qui lui adressa un sourire un peu trop charmeur au goût de l’archiviste. Aussitôt qu’elle fut repartie, Quildas leva son verre, invitant Odon a trinqué avec lui.

— Aux vieux camarades ! lança Quildas.

Odon ne répéta pas, consentant seulement à entrechoquer son godet avec celui de Quildas. Ce dernier but quelques gorgées de vin avant de s’attaquer au plat de mouton accompagné de choux qui se présentait devant lui.

— Tu viens souvent manger ici ? demanda Quildas pour relancer la conversation.

— Régulièrement, j’y ai pris mes habitudes.

— Pour la nourriture ou pour la serveuse ? Je plaisante ! Et sinon, pour continuer sur nos emplois respectifs, on disait donc que tu dois entendre pas mal de choses au Ministère. Il y a un sujet très important sur lequel, je trouve, le Ministère ne dit rien ou pas assez : le Secret Magique.

— Tu en sais autant que les autres, je suppose : rien n’est encore acté.

— Oh ! Tu sais très bien qu’il va être mis en place, ce n’est qu’une histoire de temps. Comme tu l’as dit : comme tout le monde, je sais que certains pays sont réticents, estimant ne pas avoir besoin de se cacher, mais il suffit d’être un peu logique et pragmatique pour savoir que ce qui se passe chez nous arrivera un jour chez eux. Personnellement, je me prépare à changer ma manière de travailler pour faire face à ce changement. Le problème c’est qu’on ne sait pas quand le Secret Magique sera mis en œuvre.

— Le Ministère communiquera cette information quand ce sera fixé.

— Oui, c’est ce qui a été officiellement annoncé… Mais tu dois bien en savoir plus, avoir une information plus précise, ne serait-ce qu’une période…

— Désolé, je ne peux rien te dire, et ce n’est pas par volonté de garder un secret d’État sur ce sujet, c’est parce qu’il n’y a simplement encore rien de décidé. La date de mise en œuvre du Secret Magique ne sera pas dissimulée, elle sera annoncée dès qu’elle sera fixée. Tu peux faire confiance à monsieur Courneuf pour être transparent là-dessus, il respecte ses administrés.

— Je suppose… Tu le connais mieux que moi, c’est sûr. Pour rester sur ce sujet, concernant la mise en œuvre justement, comment vont-ils faire ?

— Pourquoi cette question ?

— Nous sommes tous concernés, le Secret Magique va profondément changer notre vie à tous, Sorciers comme Moldus, je suis juste curieux de savoir comment ils vont s’y prendre. Même si je suppose que je ne comprendrais pas tout.

— Encore une fois, je ne peux rien dire, je n’ai pas été en contact avec les érudits qui travaillent sur la question.

— Certains moldus seront protégés et garderont leur mémoire intacte, tu dois bien savoir comment ils comptent réaliser cet exploit. Une liste enchantée d’individus à ne pas toucher ? Une potion qu’ils devront ingérer ? Une amulette pour les protéger ?

Odon soupira, cette conversation commençait à l’ennuyer fermement. Et il doutait de plus en plus du hasard de cette rencontre.

— Écoute, tu te doutes bien que si cette information était en ma possession, c’est qu’elle serait publique, et donc tu n’aurais pas à me poser ces questions. Le fait que je travaille au Ministère ne veut pas dire que j’entends forcément tout ce qui s’y dit. Je ne suis qu’archiviste, je te rappelle, mon domaine c’est les vieux parchemins et grimoires. Rien de neuf en somme !

Quildas savait qu’il n’obtiendrait rien ainsi. Soit Odon ne savait vraiment rien, soit il l’avait percé à jour et se jouait de lui. Il savait le bougre intelligent, bien plus que lui.

— Je suis désolé, mais je dois retourner au travail, annonça l’archiviste.

— Bien sûr. Ce fut un plaisir de te revoir. Je vais rester quelques jours dans le coin, on se croisera peut-être de nouveau, autour d’un repas ou d’un verre. D’ailleurs, je crois que je vais même prendre une chambre ici… S’il y a moyen que la beauté de tout à l’heure vienne faire le lit… Si tu vois ce que je veux dire.

Odon sentit une pointe de colère poindre, mais il n’ajouta rien. Il se dirigea vers le comptoir où il paya son repas. Fannette cacha mal sa déception de le voir partir si vite.

— Vous retournez déjà au travail ?

— Il le faut ! répondit-il simplement. Faites attention à lui, ajouta-t-il après avoir lancé un regard en direction de Quildas Hautfaucon.

— J’ai l’habitude des clients qui me regardent ainsi, monsieur Marchas. Mais merci de vous inquiéter pour moi.

— Odon, appelez-moi Odon. Bonne journée, Fannette.

— À vous aussi, Odon.

Quildas Hautfaucon vit Odon Marchas quitter l’auberge. Il n’avait pas obtenu ce qu’il était venu chercher, mais tant pis, il se doutait que ça ne serait pas facile. Il réfléchissait déjà à la prochaine phase.

Il avait fini son godet de vin, il héla Fannette pour qu’elle vienne le lui remplir.

 

Odon Marchas attendit d’être de retour au Ministère pour repenser posément à cette discussion avec Quildas Hautfaucon. D’une certaine manière, son ancien condisciple n’avait fait que poser les mêmes questions que le ministre recevait presque quotidiennement par le courrier. C’était le personnage et le contexte de cette rencontre qui le dérangeait le plus.

De ce qu’il s’en souvenait, Quildas ne faisait jamais rien sans y avoir un intérêt. Bien sûr, il était possible qu’il se fasse simplement des idées et qu’il avait juste envie de s’informer sur ce sujet au combien important pour la communauté magique.

D’une certaine manière, il s’inquiétait plus pour ce que ferait Quildas vis-à-vis de Fannette.


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