Le Masque des Métamorphoses
Chapitre 18 : Un nouvel espoir
4384 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 16/05/2021 08:50
Martin passa la nuit enfermé dans son bureau, il n’avait pas envie de rentrer chez lui. Les récents évènements circulaient en boucle dans sa tête, le privant de son sommeil. Ovide avait subi le courroux qui lui était réservé, pourtant, au fond de lui, l’inspecteur n’était pas satisfait, presque inquiet. Trop d’éléments manquaient à l’enquête pour un esprit cohérent comme le sien, trop de non-dits, trop de mystères. Qui avait écrit la lettre ? Un fantôme de loup ? Il n’y croyait point. Où était le tombeau de Penny Burnfire ? Y avait-il de caché dans les branches de l’arbre, comme l’avait dit Ovide, un artefact si puissant qu’il pourrait ramener le mage noir à la vie ? Jusqu’à quel point Ovide avait-il pu mentir ?
Il n’avait pas l’air de craindre la mort, se disait Martin, pourquoi voudrait-il revenir à présent, lui qui prétend avoir réalisé sa vengeance ? Les Moldus avaient dû être surpris de recevoir dans leur hôpital un corps pas plus énergique qu’une feuille morte.
Martin ruminait, fatigué. « Il dit avoir tout fait pour protéger son âme... ». L’inspecteur piqua du nez.
Un arbre aux racines gigantesques se dessina devant lui. Ses branches étaient décharnées, comme asséchées. Elles couvraient de leurs lugubres rameaux le ciel noir et oragé qui surplombait l’empyrée. Martin voulu s’approcher, captivé par ce tronc tortueux qui semblait souffrir ; il l'appelait à lui, mais ses pieds ne lui obéirent pas.
« Ce n’est pas le moment, avance ! », s’inquiéta-t-il.
— Il est trop tard pour déranger les morts, murmura une voix.
Une main l’attrapa par la cheville, l’attirant au fond de cette boue mouvante qui venait d’apparaître. Il ne l’avait pas vue. Il s’enfonça, il allait mourir bêtement, étouffé sous la glaise, là où personne ne le retrouverait. Il n’avait pas sa baguette magique et avait perdu ses pouvoirs. Il vit une large racine reposer sur le sol dur, située à un mètre de lui. Il l’attrapa et à bout de bras, les biceps contractés, il s’extirpa en sueur et se reposa sur la racine à plat ventre. Toujours agrippée à son pied, la main l’avait suivi avec le reste d’un corps. Elle s’était déterrée comme se déracine une mauvaise herbe. Au bout, il y avait une femme.
— Ovide n’y est pour rien, murmura-t-elle.
Martin secoua en vain son pied pour forcer les doigts à lâcher prise. Il craignait que les deux pierres ne l’écrasent.
— Vous ne m’aurez pas aujourd’hui, ins-pec-teur, ajouta le cadavre, je n’ai pas abattu mes dernières cartes.
Martin, affolé, leva la tête ; deux énormes cailloux se précipitaient vers lui. Il voulut courir mais ses jambes ne répondaient toujours pas. Les blocs allaient l’écrabouiller. Il entendit hurler, comme une voix sourde au loin, puis, plus rien. Le choc était pour maintenant, son cœur fit un bond.
Une chandelle crépitait sereinement dans un coin de la pièce. Charlie était sorti au grand air pour profiter de la nuit, pendant que Le Fauve (c’est le surnom qu’il avait donné au chat) roupillait dans un tiroir de bureau entrouvert. La douce lueur de la chandelle rassura Martin. Il récupéra ses esprits. Pourtant, il ne put s’empêcher de s’exclamer, d’un ton fataliste :
— Je ne le retrouverai jamais…
— Ce n’est peut-être pas un arbre qu’il faut chercher, lui répondit une voix fluette.
Est-ce qu’il rêvait encore ? Il se secoua la tête. Il vit, assise en haut de sa bibliothèque, une créature aux oreilles pointues, deux gros yeux globuleux au larmier humide. C’était Goudie. Elle l’observait, les jambes pendues dans le vide.
— Goudie… qu’as-tu dit ?
— Ce que j’ai dit ! « Ce n’est peut-être pas un arbre qu’il faut rechercher », répéta-t-elle.
— De quoi parles-tu ? demanda Martin perplexe.
L’elfe était sur le point de pleurer.
— Je suis désolée monsieur, je m’occupe de ce qui ne me regarde pas.
— Non, non, répliqua Martin, comment sais-tu que je recherche un arbre ?
— Ça fait vingt ans que je travaille ici, monsieur, je sais beaucoup de choses. Puis, pendant votre sommeil, vous n’avez fait que de parler d’un arbre.
— Pourquoi dis-tu que ce n’est peut-être pas un arbre que je devrais rechercher ?
Comme un enfant que l’on aurait surpris sur le fait, bêtise en main, de grosses larmes coulèrent le long des joues de Goudie.
— Ecoute Goudie, rassura Martin, quoi que tu me dises, je ne te punirai pas. Je veux juste comprendre pourquoi tu as dit ça ! Tu as ma parole, parle sans crainte !
— Oui monsieur, répondit l’elfe en s’essuyant la face avec ses manches.
Puis elle reprit :
— L’homme que vous recherchiez, il vous a dit qu’il avait créé un magnifique tombeau pour miss Penny, un cerisier qui ne perdait jamais ses feuilles…
— Oui, c’est vrai mais…
L’inspecteur était scotché.
— COMMENT TU SAIS ÇA ?
— Vous m’avez promis monsieur de ne pas me punir, insista l’elfe.
Martin souffla.
— Comment tu sais ça ? reprit-il d’une voix plus posée, je n’en ai parlé à personne…
— Je sais ça, répondit l’elfe en baissant les yeux, parce que j’étais dans la grotte avec vous.
Martin baragouina. Il se serait bien mis une claque pour être sûr de se réveiller.
— Dans la grotte, dans quelle grotte ?
— Quand vous avez capturé le meurtrier.
— Répète ça, tu étais…dans la grotte ?
— J’étais dans la grotte…
— Tu ne me joues pas un sale tour, Goudie ? Tu ne me racontes pas un vilain mensonge ?
— Non monsieur, je vous promets que je ne me moque pas de vous.
— Tu nous as suivi jusqu’à là-bas ?
— Non monsieur, je ne vous ai pas suivi.
— Mais alors… Je ne comprends pas ! Comment pouvais-tu être dans la grotte ?
— C’est moi qui vous y ai conduit, monsieur.
— Non Goudie, excuse-moi, ce n’est pas toi qui…
— Le loup, monsieur, c’était moi.
Martin se frotta les yeux, il avait besoin d’ingurgiter ce que venait de lui dire l’elfe.
— Le loup, c’était toi, répéta-il ? Le fantôme de Bernie Burnfire, c’était toi ?
— Oui monsieur, j’avais besoin de vous conduire sans me faire découvrir.
— Découvrir, découvrir par qui ?
— De vous, mais de manière générale, des sorciers, monsieur.
— Donc le fantôme n’était pas un fantôme ?
— Non monsieur, comme je viens de vous le dire, c’était moi. Ne me demandez pas de me retransformer, car de toute manière, depuis que monsieur Sancielo a embrassé la créature, je n’y arrive plus.
— Mais comment… Mais attends… les lettres, en déduit alors Martin, depuis le début, les lettres, c’était toi ?
— Vous avez tout compris monsieur.
Décontenancé, il lia petit à petit des bribes non résolues de l’enquête avec ce que lui racontait Goudie. Martin, en ébullition, s’avachit sur son siège.
— Rappelle-moi, pourquoi travailles-tu ici ?
— Je travaille ici parce que mon maître me l’a demandé.
— Ton maître ! Ton maître ?
— Oui monsieur, mon maître, monsieur Burnfire.
— Tu es en train de me dire que tu es l’elfe de maison de Bernie Burnfire ?
— Oui monsieur, c'est exact.
— Le Bernie Burnfire qui est censé être mort il y a vingt ans ?
— Oui monsieur.
— Depuis tout ce temps que tu travailles ici, tu le fais pour obéir à un ordre de ton maître ?
— J’obéis au dernier ordre que mon maître m’a donné, monsieur, je me suis mise au service du Département pour vous aider à retrouver le meurtrier de miss Penny.
— Depuis vingt ans ?
— Depuis vingt ans.
— C’est toi qui m’as écrit les lettres ?
— Oui monsieur.
— Mais… mais pourquoi n’es-tu pas venu me voir directement ?
— Parce que j’avais peur, monsieur, et que je n'en avais pas le droit.
— Peur de qui ? s’esclaffa Martin. Peur de qui ? Tu dis que tu es l’elfe de Bernie Burnfire, disparu depuis vingt ans, que tout le monde te cherchait, alors que tu traînais dans nos pattes, que tu savais où était Ovide et que tu n’as rien dit !?
— Des sorciers, monsieur, j’avais peur des sorciers. Puis il n’est pas vrai que tout le monde me cherchait, monsieur, car peu de personnes savaient que je travaillais pour monsieur Burnfire. Je ne savais pas à qui je pouvais faire confiance, je ne savais pas ce que j’avais le droit de faire ou non. Je ne voulais pas trahir les derniers ordres de mon maître, je devais lui obéir. Et ce n’est pas vrai, monsieur, ajouta l’elfe toute tremblante, que je n’ai rien dit. Quand vous êtes arrivé au Département, je vous ai longtemps observé, et j’ai compris que vous étiez peut-être l’homme de la situation, le seul qui pouvait faire quelque chose. J’ai franchi le pas. J’ai d’abord écrit cette lettre, ensuite, c'est moi qui vous ai aidé à retrouver la cachette du meurtrier.
— Mais ton maître… est mort ? rappela naïvement Martin.
Il prenait sur lui pour ne pas effrayer l’elfe, mais cette dernière n’était pas dupe.
— Mon maître a disparu, monsieur. Ne sachant pas s’il était mort ou non, je devais me tenir prête au cas où il reviendrait. J’étais d’autant plus incertaine que j’avais parfois l’impression qu’il me parlait. C’était comme si son souvenir s’emparait de mes rêves. J’étais désespérée, complètement perdue. Je l’ai d'abord cherché partout, en vain. Mais quoi qu’il lui soit arrivé, j’ai honoré sa mémoire, et j’ai obéi à sa dernière volonté.
— Sa dernière volonté qui était ?
— De me mettre au service des Aurors de votre pays jusqu’à son retour pour les aider à retrouver le meurtrier de miss Penny.
— Ensuite ?
— Ensuite, j’ai longtemps attendu le retour de mon maître.
— Et ?
— Et il n’est jamais revenu, si ce n’est dans mes rêves.
— J’ai bien compris, Goudie, mais ensuite ?
— Comprenant qu’il ne reviendrait sans doute pas, j’ai décidé de retrouver monsieur Sancielo.
— Comment as-tu fait pour le retrouver ?
— J’ai suivi sa piste, monsieur, depuis la grotte jusqu’à la maison. J’ai mis huit ans monsieur, mais je l’avais enfin retrouvé. J’ai pris le temps d’observer le meurtrier de miss Penny. Je voulais être sûre que c’était lui avant de le dénoncer.
— Attends, coupa Martin, attends, attends, attends, tu étais au courant pour la grotte ?
— Oui monsieur, je connaissais l’existence de la grotte depuis longtemps.
— Explique-moi, Goudie, comment, comment !?
— A l’époque où miss Penny sortait de l’Académie, alors que je me mettais au service de mon maître, il m’a demandé de la surveiller. Je devais intervenir seulement pour la protéger. Mon maître craignait pour sa sœur, à cause des Mangemorts et de son travail. J’ai suivi miss Penny et un camarade à elle dans cette grotte, monsieur Sancielo. J’ai vu des choses…qui ne vous regardent pas. Peu de temps après, miss Penny a compris que je l’espionnais. Elle était très, très, très en colère contre moi. Elle m’a demandé de partir. J’ai obéi. C'est à ce moment qu'elle a disparu. Monsieur Burnfire était d’une tristesse à noyer les poissons. Je me suis fait punir… j’avais terriblement honte, j’ai déshonoré le nom de ma mère. J’ai alors travaillé plus dur que jamais pour aider mon maître au mieux.
L’elfe déglutit avant de reprendre :
— Bien plus tard, quand Le Seigneur des Ténèbres est mort, mon maître est venu me voir, et il m’a dit : -Goudie, j’ai peut-être une piste pour retrouver le meurtrier de ma sœur. Je vais m’absenter un temps. Si je ne reviens pas, je veux que tu ailles travailler dans les services de monsieur Suspis, que tu obéisses à leurs ordres comme si c’étaient les miens, et s’il m’arrive quelque chose, que tu retrouves ce meurtrier pour qu’il soit jugé.
— Mais pourquoi ne lui as-tu jamais parlé de la grotte ?
— Miss Penny m’avait ordonné de ne rien dire à personne. Elle me l'a fait jurer même. Donc je n’ai rien dit. Mais en vérité, c'est moi qui ai donné les indices pour que mon maître retrouve monsieur Sancielo, comme je l'ai fait avec vous.
— Ton maître est parti, et c’est la dernière fois que tu l’as vu ? reprit Martin.
— Oui et non. Quelques jours après, j’ai reçu un message de lui où il était écrit : « Ne fais confiance à personne jusqu’à mon retour ». C'étaient ses dernières paroles.
Martin sautait d’émotion en émotion. Tout était là sous ses yeux, depuis le début. Il se demanda s’il avait encore les épaules pour son métier. Il songea à Inradix au calme dans sa forêt.
— Alicius Suspis ne t’a pas reconnu ?
— Alicius Suspis ne savait pas qui j’étais.
L’inspecteur hocha la tête, il ne se sentait clairement plus à la hauteur. Il fixa l’elfe décontenancé. Un sentiment d’admiration l’envahit, décidemment, tout le rendait humble.
— Je suis désolé Goudie, pour toutes les épreuves que tu as endurées, dit-il en s’agenouillant près d’elle.
Ses nerfs se détendaient.
— Je suis navrée monsieur, de vous avoir mis dans de beaux draps. Heureusement, ce n’était pas un linceul.
— Je vois que tu fais un concours de mauvaises blagues avec Henri !
— Vous faites confiance à monsieur Dessouche, monsieur, répondit l’elfe sans que Martin sache si elle avait compris la remarque, je lui fais donc confiance aussi.
— Tu as dit que tu avais observé Ovide, continua Martin qui voulait connaître le fin mot de l’histoire, qu’as-tu vu ?
— L’homme vivait sans utiliser de magie. Il faisait tout lui-même, son linge, ses repas, son ménage... un vrai esclave. Mais il avait aussi un comportement bizarre.
— Que veux-tu dire par bizarre ?
— Le plus souvent, c’était un homme solitaire, plutôt sympathique, mais toujours très seul. Il rencontrait très peu de ses semblables. Il adorait Le Fauve, il jouait avec, le caressait pendant des heures. Mais par moments, il se mettait en colère, pris d’une rage inexplicable, sans raison. Il se parlait à lui-même, renversait sa maison, s’effondrait abattu, puis il reprenait un cours de vie normal. C’était étrange monsieur. On aurait dit un fou de Saint-Mangouste.
— Saint-Mangouste ?
— Un hôpital en Angleterre, monsieur.
— Après ? Continue ! Qu’est-ce qui t’a poussé à le dénoncer ?
— Un peu plus tard, j’ai fait quelque chose de mal, monsieur. Je suis rentrée chez lui, sans son autorisation. Mais je pensais que mon maître me l’aurait demandé. Comme il n’y avait pas de charme pour m’en empêcher, c’était très facile. Je suis juste passée par une fenêtre. J’ai reconnu miss Penny sur des dessins à lui. C’est à ce moment que j’ai commencé à réfléchir à un moyen pour permettre aux Aurors de le retrouver… Je ne savais pas comment faire. Je vous connaissais un peu, vous étiez différent de vos collègues, vous faisiez attention à moi. J’ai pensé à mon maître, il aimait se transformer en loup. J’ai pensé que c’était une solution pour vous mettre sur la piste, j’ai tout de suite su que vous feriez le rapprochement.
« Coup de bol » se dit Martin qui reprenait du poil de la bête, « gros coup de bol ».
— Puis, monsieur, Ovide s’est encore enfui. En plus de la grotte, il a utilisé différentes cachettes que je ne connaissais pas. Vous avez démissionné, mettant tous mes espoirs à mal. J’ai voulu aider votre remplaçant, mais il n’arrivait à rien. Il prenait une voie complètement différente de la vôtre, allant se perdre je ne sais où. C’est alors que monsieur Suspis a eu une idée…, une très mauvaise idée.
— Tu n’as pas besoin de me le dire, j’ai compris, affirma Martin.
— Quand Ovide a attaqué le ministère, j’ai cru que monsieur Bredole était mort. C’était…épouvantable…tout ce désordre. Il fallait vous faire revenir. J’ai couru jusqu’à la volière et j’ai demandé à Foudre-de-Guerre de vous retrouver le plus vite possible.
— C’est toi qui m’as envoyé le faucon ? dit Martin qui ne s’étonnait plus de rien.
— Oui monsieur, c'est moi. J’ai eu très peur pour lui, car un sorcier s’en est pris à lui au moment où il s’envolait. Mais il vous a retrouvé, et vous êtes arrivé.
Monsieur Sancielo a rejoint la grotte. J’ai toute de suite deviné qu’il pouvait y être. J’ai été vérifier. Il prévoyait de partir, vers le sud je crois, loin vers le sud. Il chantait. Mais il avait une affaire à régler avant. Ne me demandez pas, je ne sais pas laquelle. Et comme je ne pouvais pas vous parler de sa cachette, je me suis juste arrangée pour vous réunir grâce au spectre de mon maître. La suite…
— ... je la connais, acheva Martin.
Il lorgna le portrait qui écoutait attentivement tout en mangeant des fruits piqués dans la corbeille d’un autre tableau. Il ne disait mot. Le crâne semblait roupiller profondément. Le problème avec ce crâne, c’est qu’on ne savait jamais quand il dormait.
— Goudie, sais-tu où se trouve la tombe de ta maîtresse ?
— Non, je l’ignore.
— Pourquoi dis-tu que ce n’est peut-être pas un arbre qu’il faut rechercher ?
— Parce qu’Ovide, l’amant de miss Penny, vous a parlé d’un arbre qui ne perd jamais ses feuilles. Il adorait peindre, et la sœur de mon maître aimait le regarder peindre. C’était pour lui une autre manière de transformer les choses. Je pense donc que ce n’est pas forcément un arbre qu’il faut chercher.
— Tu penses à une peinture, comme celle utilisée pour tuer Alicius ?
— Peut-être, Ovide était très doué pour plein de choses, habile de ses doigts, avec une imagination débordante, presque obsessionnelle.
— Un arbre enchanté pourrait aussi correspondre à la description qu’il a faite du tombeau de Penny, fit remarquer Martin.
— Oui et non monsieur, car Ovide a dû imaginer le tombeau de ma maîtresse comme une œuvre d’art. Un arbre, c’est très joli, mais est-ce vraiment de l’art ?
— Ça ne peut donc pas être une sculpture, ajouta le portrait la bouche pleine.
Il s’empiffrait de popcorns comme devant un film.
— Et pourquoi pas ? demanda Martin.
— Car c’est de l’art de seconde zone, répondit le portrait.
— N’importe quoi ! répliqua Martin en secouant la tête. Un arbre, une peinture d’arbre, une sculpture d’arbre, de toute manière, ce sera un artefact magique très puissant quoi qu’il en soit. Je n’ose imaginer ce qu’il arriverait si l’on mangeait les fruits de cet arbre, en supposant qu’Ovide y ait déposé… une partie de son âme… c’est terrifiant.
— Un arbre éternellement en fleurs est aussi un arbre éternellement sans fruit, rajouta l’elfe de maison.
Martin, fatigué d’être agenouillé, posa ses fesses au sol.
— Goudie, il faut que je te dise, je trouve que tu es une elfe très courageuse. Vraiment très courageuse.
— Ah oui, très courageuse, ajouta le portait.
Le crâne ne rajouta rien, il dormait vraiment.
— Tu es celle qui a résolu cette enquête. La vérité est que, sans toi, Ovide n’aurait jamais payé pour les crimes qu’il a commis. Tu as accompli ce qu’aucun sorcier n’a été en mesure de faire. Toi, une elfe de maison. Sache que je t’en serai éternellement reconnaissant.
— Il t’en sera éternellement reconnaissant, répéta le tableau.
— Je n’ai fait qu’obéir, monsieur.
— Non Goudie, quelque chose d’autre t’a motivée à agir ainsi, quelque chose de plus profond qu’un simple contrat magique entre un elfe et son maître.
— Bien plus que de la magie, ça c’est …mmmh, MMMMH !
Le portrait avait la bouche collée, incapable d'ouvrir ses lèvres.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, monsieur, mais vos mots me touchent.
— Que vas-tu faire à présent ? demanda l’inspecteur en se relevant.
— Mon maître est parti pour de bon, aujourd’hui je l’accepte.
— Tu as de la famille pour t’héberger ?
— Disons monsieur, que je n’ai pas le sentiment d’avoir fini ma mission. Quelque chose au fond de moi me dit de rester.
— Vois-tu, je partage le même sentiment que toi. J’ai l’impression que tout cela n’est pas fini, se confessa Martin. Tu voudrais m’aider à retrouver la tombe de Penny Burnfire ?
— Si je voudrais ? C’est ce que je veux, monsieur !
Martin fixa sa fenêtre. La nuit était parfaitement étoilée, c’est du moins ce qu’il aurait vu si la vitre ne reflétait pas le vacillement des chandelles. Le Fauve sortit de son tiroir. Il s’étira de tout son long en baillant, ses griffes écorchèrent le tapis. Il ne portait plus de grelot doré. Martin avait eu pitié de lui. La procédure voulait qu'il soit euthanasié, il s’y refusa, Sarah le refusa, Henri ne le voulut pas. Après ses étirements d’accordéon, l’animal s’approcha, fier, la queue en l’air et la tête haute. Il bondit sur les genoux de l’inspecteur et se frotta avec un ronronnement de moteur. Il se mit en boule et, fatigué d’un tel effort, il s’endormit.
« Je veux absolument empêcher le retour de ton maître, songea Martin, et pour ça, il faut que je profane une tombe. Ce n’était pas à lui de décider comment enterrer Penny Burnfire, mais à sa famille. Mais sa famille, lui dit une petite voix dans sa tête, aujourd’hui, elle n’en a plus, alors à quoi bon… Un arbre, un tableau, une sculpture… et si je laissais les morts tranquilles pour une fois ? »
Il regarda sa peinture de jeunesse. Le bec cloué, elle boudait comme à son habitude. Cette croûte difforme, comme il aimait l’appeler, il l’avait composé en s’aspirant d’une peinture de Moldu. « C’est décidé, à partir de demain, je m’intéresse à l’art. »