Le Masque des Métamorphoses
Chapitre 15 : La raison du plus fort est-elle toujours la meilleure?
2641 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 13/04/2021 17:52
Quand Martin réalisa que l'intention du mage noir était de l’écrabouiller, quand il comprit qu’il n’aurait pas le temps de se délivrer de ses entraves, il plongea sa main dans sa poche fourre-tout et se retrouva aspiré en elle. L'intérieur était un grand bazar qu’il avait aménagé au fil des ans. Il y avait rangé chaque objet plus ou moins indispensable à un bon Auror, prenant même soin d’y ajouter un lit pour des siestes en toute discrétion.
Une fois dans sa poche, Martin quintupla le volume d’espace, poussant le bric-à-brac le long des murs et dans les tiroirs. Il espérait attirer Ovide dans son piège, mais il ne désirait pas non plus partager un tête-à-tête intime avec lui. Il lui fallait de l’espace. Il ne pouvait pas l’attraper comme dans une cage, il devrait le vaincre. A peine eut-il fait le nécessaire que l'autre déboula, s'étalant à plat ventre sur le sol, confus de se retrouver au centre d’une salle aussi grande qu’un stade de Quidditch, un faux ciel au plafond, et un bordel monstre contre les murs.
— Bienvenue chez moi, se moqua Martin. C’est modeste, mais désormais, c’est moi qui devrais avoir un sacré avantage sur vous.
Des lianes de cuir s’enroulèrent autour d’Ovide. Mais elles se métamorphosèrent aussitôt en tiges de lierre que le mage arracha facilement. Martin s'attendait à recevoir un sortilège enragé pour le détruire. A la place, le sorcier se releva, retira sa propre cape, et aimanta l’inspecteur de ses yeux électrisants. Ils étaient gelés comme l'Arctique, remplis d'une flamme bleue.
— Vous êtes brillants, inspecteur, dit-il calmement, mais quoi qu'il arrive, vous ne m'aurez pas aujourd'hui.
Son avertissement déconcerta Martin. Il se figurait un fou plein de rage, mais au contraire, il avait devant lui un fou plutôt calme, qui prenait même le temps de lui parler. C’était les pires.
— Détrompez-vous, rétorqua-t-il. C'est aujourd'hui que s'arrête votre cavale, et il n'y aura pas de procès pour vous. Mais je ferai les choses dans le bon ordre. Je ne vais pas vous tuer, vous subirez la peine qui vous est due.
— La peine qui m'est due ?
— Vous êtes un Sang-de-Bourbe, cru bon de préciser Martin, seul le baiser d'un Détraqueur est digne de vous.
— Un Sang-de-Bourbe, répéta Ovide en ricanant, un Sang-de-Bourbe ! A croire qu'on ne peut pas fuir son destin. Je vous ai pourtant averti une fois, il n'est pas bon de retourner le passé.
Il brandit sa baguette :
— INERESTREPITUS !
Martin esquiva le sort qui ricocha sur un fauteuil amoché et le fit exploser silencieusement. Les regards se croisèrent comme l’on croise le fer. L’inspecteur se sentit subitement oppressé, comme hypnotisé. Il comprit qu’Ovide cherchait à prendre le contrôle de sa tête. Martin se focalisa immédiatement sur ses défenses psychiques, et avec l’expérience d’un vieux roublard, comme un matador qui se décale du pied, il envoya le sorcier valser plus loin.
— C'est entre vous et moi, dit-il, mais vos ruses ne vous sauveront plus. Celui de nous deux qui manie le mieux la baguette sortira vainqueur de ce duel.
Ovide se releva, il ne rigolait plus. Un vieux vif d’or volait autour de lui, les ailes abimées. C’était un souvenir d’enfance de Martin. Il avait dû profiter du raffut pour s’échapper de sa boîte. Sans crier gare, le vif d’or fusa vers l’inspecteur avec la force d’un cognard. Martin l’esquiva et le vif d’or, déplumé, s’encastra dans une armoire en bois. Ovide n’avait pas levé le petit doigt, ni même ouvert la bouche. Martin n’en doutait déjà pas, mais il comprit clairement qu’il ne ferait pas le poids. En contrepartie, il projeta quelques meubles qu’Ovide détourna sans peine.
— Vous avez désormais l'avantage du terrain, rappela Ovide en se moquant.
— Je ne fais que jouer à votre propre jeu, rétorqua l’inspecteur qui ne voulait pas se laisser intimider.
Il devait gagner du temps pour permettre à Sarah et Henri de s’enfuir. Une petite voix traversa l’inspecteur, elle lui disait que, s’il devait mourir, ce serait dignement, debout, comme un mousquetaire. Mais tout espoir n’était pas perdu. Il avait réellement l’avantage de l’arène. Martin voyait bien qu’Ovide scrutait chaque angle de la pièce avec des yeux suspicieux. Sans doute espérait-il trouver un moyen d’évasion. Il s’arrêta un instant sur la sous-veste de Martin. Il eut un rictus. La sortie était là.
— Je dois admettre, reprit Martin, que je n’ai jamais eu affaire à un homme comme vous. Sans doute le plus brillant de nous deux. Mais contrairement à vous, j'ai mis mon talent pour servir les sorciers, alors que vous, vous l'avez utilisé pour détruire des hommes.
— Vous me jugez à l'aune de votre misérable expérience, inspecteur, je ne vois pas la chose de la même manière. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour vivre.
— Trêve de blabla, quoi que vous décidiez de me dire, je ne vous croirai pas, je n’aurai aucune pitié pour vous. Vos minutes sont comptées. Affrontons-nous d'abord, et quand je vous aurai battu, je vous arracherai les vers du nez avant de vous envoyer jouer avec le diable.
Ovide sourit.
— Laissez-moi choisir mon arme, dit-il à la surprise de Martin.
Il rangea sa baguette dans sa manche, tendit les deux bras en l’air, et claqua des mains. Il tenait à présent dans sa poigne un long bâton noueux. C’était un bâton d’enchanteur, relique très rare des temps anciens.
— Je vois que vous avez bien retenu les leçons du professeur Inradix, dit Martin en observant le bâton.
Il n’était peut-être pas si ancien que cela.
— Vous avez rencontré le maître en la matière, répondit Ovide, voilà l’élève.
Il abattit son artefact sur le sol, une onde de choc souleva l’air et écrasa le bordel qui reposait le long des murs. Secoué, l’inspecteur glissa en arrière mais parvint à tenir sur ses jambes. Un cercle de feu noir s’embrasa tout autour du sorcier. Les flammes crachèrent un épais nuage de fumée qui s’éleva en tourbillonnant et recouvrit les hauteurs du vaste plafond.
« S'il veut m'intoxiquer, c'est loupé », songea Martin en regardant la tornade de flammes. Mais piégée tout en haut, la fumée se condensa au-dessus de lui comme la nuée d’un volcan, sombre et menaçante. C’est alors que deux yeux rouges enflammés transpercèrent l'opaque poussière cendrée. Ils furent suivis d’une bouche béante, édentée, mais avec un palais en flammes pareil à la cheminée embrasée d’un immense cratère. La tête se dégagea du nuage en poussant un hurlement si assourdissant que l’inspecteur recula sous l’effet de la bourrasque. Un panache de fumée descendit du ciel. Deux mains géantes faites de braise et de souffre voulurent l’attraper, mais elles étaient retenues par des chaines forgées dans l’acier, et le titan ne put avancer. Tout droit sortie du ventre de Lucifer, la créature était une marionnette sous l’emprise d’Ovide. C'était un Nébuleux, un mythe magique oublié de tous, subtil mélange entre sorcellerie et créatures fantastiques, un monstre qui n’existait que dans les vieilles légendes.
— Votre tour de passe-passe ne m'impressionne pas ! cria l'inspecteur à Ovide enfermé dans son cercle de feu qui le protégeait.
En vérité, il était effrayé, c’est la première fois qu’il voyait cela. Il se sentait tout petit, impressionné.
Tour de passe-passe ou pas, la créature cracha un jet de flammes qui s'abattit en fracassant le sol comme une puissante cascade de montagne. La baguette brandie au-dessus de sa tête, Martin se protégea derrière un enchantement qui l’enveloppa solidement dans une bulle grasse et épaisse. Il réussit à déjouer les flammes un temps, mais sa protection avait failli se briser avant que le torrent de feu ne cesse. Son sortilège avait résisté à la déflagration aux prix de toutes les forces que Martin y avait laissées. Son cœur palpitait, il faisait chaud comme dans une chambre magmatique. Il ne tiendrait pas une attaque supplémentaire. Tout, autour de lui, cramait, des années de babioles accumulées patiemment partaient en fumée, son manteau flambait de l’intérieur.
Il jugea rapidement de la situation. Pour vaincre la créature, il fallait déconcentrer le bonhomme, mais ce dernier semblait inatteignable derrière son rideau de flammes. Il se souvint d’une parole d’Inradix : « Les enchantements, ça épuise », avait dit le vieillard. Le nuage de feu devait peut-être puiser son énergie quelque part, à l’évidence, dans son créateur. Il en conclut que plus le Nébuleux serait grand, et plus l'enchantement nécessiterait de la maitrise et de la concentration. Martin avait trouvé une solution.
Le visage du monstre disparut dans son nuage et réapparut derrière l’inspecteur pour essayer de le surprendre. Martin tenta un sortilège qui rebondit sur Ovide abrité dans son hôtel de feu. L’autre rigola comme un chat qui joue avec la souris.
« Tu es dans ma poche de manteau, se dit Martin en lui-même, et dans ma poche, j'ai besoin d'espace, de beaucoup d'espace. »
— MAGIVACUO !
L'inspecteur formula son sort en battant une mesure à deux temps. Et alors qu'un nouveau jet de flammes embrasait la gueule du Nébuleux, le plafond et les murs de la pièce s'éloignèrent encore, agrandissant considérablement l’espace, au point que les hauteurs du plafond rivalisèrent avec celle d’une petite montagne. Martin n’avait plus d’énergie, jetant ses dernières forces dans ce coup de maître. L’air chaud, comme aspiré, suivit l'ascension en altitude, emportant le panache de fumée et le cracheur de feu. Le jet de flammes s’éloigna et ne toucha jamais terre.
L'inspecteur entendit crier. Ovide venait de rompre son sort, posant un genou à terre. L’enchantement nécessitait trop de force, et au fur et à mesure que la bête grandissait, le sorcier s’épuisait. Ovide changea de stratégie. Il remua son bâton comme un lasso. La fumée se condensa sur elle-même dans un orage enflammé. Puis, d'un geste de la main, le mage fit tomber la nuée ardente. Le mélange de gaz et de cendre brûlante s’abattit comme une avalanche sur le sol dans un roulement de tonnerre.
Mais Martin hasarda un stupéfix en direction du sorcier pendant que celui-ci était occupé à son puissant sortilège, et avant d’être touché par le dangereux nuage calciné, il se projeta hors de la poche de son manteau en glissant une main dans la poche de sa sous-veste. De la même manière qu’il avait évité les roches, il fut expulsé dans le sens inverse, et se retrouva dans la grotte, auréolé par un minuscule jet de cendres.
Henri attendait désespérément son retour. Il avait endormi Sarah pour l’apaiser.
— Inspecteur ! cria-t-il en le voyant s'étaler sur les pierres de la cave.
— Mais qu’est-ce que vous foutez encore là ! ? s’énerva l’Auror.
La cape de Martin s'embrasa à petit feu. La clavicule cassée, les genoux souffrants, il se releva et se précipita, boîtant, pour essayer d'éteindre les flammes, mais le feu rongea le tissu et grignota le vêtement. Un cri de douleur résonna en écho contre les parois de la caverne. Martin envoya sa cape à l'autre bout de la grotte. Ovide était là, allongé par terre, les vêtements en lambeaux, son bâton toujours en main. Enseveli sous son propre nuage de braise, il avait réussi à se protéger un minimum grâce à un sortilège de bulle-de-savon semblable à celui que Martin avait utilisé pour se défendre du Nébuleux. Mais le stupéfix de l’inspecteur avait fait mouche, et l’homme n’avait eu que la force de sa volonté pour formuler un sort. Très amoché, il émanait de sa peau brûlée une odeur de chair grillée.
— Expelliarmus, lança Martin, récupérant le bâton noirci du mage.
Une paire de menottes s’enroula autour des poignets du vaincu. Martin en profita pour récupérer la baguette qui gisait par terre à côté de son propriétaire. Elle était très abimée, sans doute ne fonctionnerait-elle plus jamais. Ensuite, du bout de sa propre baguette, il fit apparaitre un filet d’eau et arrosa les brûlures du sorcier. Au contact du liquide, une vapeur blanche frétilla comme le bruit d’une poêle trop chaude que l’on passe sous un robinet d’eau froide. L’homme hurla de douleur.
— Henri, dit-il, je veux que vous alliez livrer ce message. Nous avons arrêté Ovide. Je vous attends avec du renfort. Mais avant de revenir, vous déposerez Sarah au soin.
— Inspecteur, on peut peut-être l'emmener...
— C'est un ordre DIRECT Henri, ne traînez pas...
L’Auror ne contesta pas. Il jeta un coup d'œil au sorcier, souleva Sarah solidement immobilisée dans un rêve artificiel, et l’emmena par le chemin de la sortie.
— Henri, le rappela Martin, donnez-moi une heure, s’il vous plaît.
Henri hésita, dérangé par les plaintes du brûlé vif qui agonisait.
— Entendu, finit-il par dire, mais je ne veux pas savoir ce qui s’est passé durant ce temps-là.
Martin acquiesça et Henri s’en alla.
L’inspecteur souleva Ovide, l'assit le long du mur, sans précaution, évitant à peine les cloques qu’il avait sur sa peau encore brûlante. Il lui ligota les jambes, hésitant dans ce qu’il devait faire, balançant entre raison et vengeance. Il n’avait plus de colère en lui, seulement une profonde tristesse. Il n’avait jamais torturé un homme, et il en était incapable, même aujourd’hui. Il avait vaincu Ovide dans les règles de l’art.
Il leva les yeux vers les lueurs de la grotte, vers cette mystérieuse voûte étoilée, calme et apaisante. Il aperçut, cachée dans sa niche, la boule de poil qui le guettait de ses yeux de félin, mais pas le fantôme d’un spectre à l’horizon, sans doute dissimulé dans la pierre, observant ce qui allait se passer. Il soupira. Son rôle d’inspecteur reprit le dessus.
— Nous avons, j'espère pour vous, une bonne heure devant nous. Une heure, où vous allez tout me dire.