Le Masque des Métamorphoses
Chapitre 4 : La maison du passé
3336 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 19/12/2020 11:45
Martin retrouva Henri dans ses nouveaux locaux, un ancien placard à balais, situé à côté des latrines, et qu’Alexanderéous Baltusio, le responsable du bâtiment, s’était évertué à agrandir d’une précipitation nonchalante, presque fatigante, pour y déposer une étagère suspendue, une méchante planche de bois sur tréteaux, et une chaise de paille dépenaillée. Henri se promit de consolider la chose et de rendre ce lieu de travail plus agréable qu’un nid de poussière. Il n’avait même pas de fenêtre, situation à laquelle il voulait remédier au plus vite. Convoqué en urgence par l’inspecteur, il en profita pour déposer des effets personnels, dont sa boite à quatre fonds, une lampe à pétrole sans pétrole, une plume de paon, et un porte-cape décoratif animé d’une tête de lion, d’une tête de tigre, d’une tête d’hyène, et d’une tête d’alligator, aux dents aiguisées. Ces derniers n’hésitaient pas à mettre vos vêtements en charpie si vous aviez eu la mauvaise idée de les critiquer, ou à mordre si quelqu’un s’aventurait malencontreusement à vous faire les poches. C’était en quelque sorte les chiens de garde d’Henri ; il leur avait donné à chacune un nom particulier, Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan.
— Êtes-vous bien installé ? demanda son nouveau mentor en rentrant dans la pièce.
Il fit le tour du bureau, dépoussiérant les murs avec ses doigts.
— C’est sommaire pour le moment, mais vous aurez le temps de prendre vos marques.
— Ne vous inquiétez pas, inspecteur, cela suffit. Une armoire, un siège, de quoi écrire, c’est beaucoup plus qu’il m’en faut. Votre elfe, comme s’appelle-t-elle ? Goudie ? Elle m’a proposé maintes fois ses services.
— C’est très gentil à elle, c’est une brave servante, vous pouvez compter sur elle.
Martin recentra la conversation vers l’essentiel.
— L’heure est grave, Henri, c’est la raison pour laquelle je vous ai fait venir. Vous allez m’accompagner, je vous résumerai la situation en route.
« Accio », s’exclama Henri en visant son béret, mais Aramis, farceur, ne voulait pas lâcher le chapeau.
— Je n’ai pas le temps de m’amuser ! maugréa le sorcier.
La hyène, déçue, ouvrit ses dents et le couvre-chef s’envola. Par une sorte de pirouette, Henri le fit atterrir sur sa tête. Il regarda ensuite le cadran de sa montre, la fixa un instant, perplexe, la remit dans sa poche et sortit d’une boite métallique un petit bâton de réglisse qu’il coinça entre ses dents.
— Je suis prêt, dit-il sans se faire prier à l’inspecteur à moitié amusé à moitié consterné.
Martin avait l’œil avisé, il savait reconnaitre les qualités de ses subordonnés. Si Horkidor le lui conseillait, c’est qu’Henri n’était pas un imbécile.
Le jeune Auror avait eu vent du nom d’Ovide. Quiconque suivait la laborieuse formation de chasseur de mages noirs entendait, un jour ou l’autre, parler du bonhomme.
— Ce type m’a l’air d’une vraie anguille, commenta-t-il, je le croyais mort.
— Je pencherais plutôt pour un phasme, ajouta Martin. Tout le monde le croyait mort. Il faudra rester prudent, très prudent, il n’hésitera pas à nous faire la peau. Voyez ce pauvre Julien…
— Je suis vraiment navré, inspecteur. Nous ne laisserons pas ce crime impuni.
Ils transplanèrent sur le lieu du drame. Un charme Repousse-Moldu quadrillait la maison. Si un non mage s’approchait, il faisait demi-tour en pensant à ses courses qu’il n’avait pas finies. Pour leur première mission commune, le duo inspecta chaque coin et recoin de la demeure. Ils passèrent au peigne fin les casseroles, les livres, les boites de conserve, le canapé, sous les lattes du parquet, entre les cloisons et les murs, la charpente, le grenier, le conduit de la cheminée, le potager, les clapiers, la basse-cour, etc. Ça et là, pendaient de nombreux cadres bigarrés aux couleurs chaudes et ensoleillées ; des plantes grasses s’imprégnaient de lumière depuis le rebord des fenêtres, et la cave regorgeait de bouteilles poussiéreuses. Partout où ils passaient, de fond en comble, les deux hommes agitaient leur baguette comme des peintres maniant un pinceau. « Revelio Incantatem », la formule nécessitait d’accentuer l’avant-dernière syllabe en roulant le « r », mais rien n’apparaissait, et les baguettes peignaient dans le vide.
— C’est quand même invraisemblable, dit Henri au bout d’une heure après avoir fait un tour complet des lieux, une vraie maison moldue ! En dehors de la chambre, rien n’indique ici la présence d’un sorcier. La magie laisse pourtant toujours une trace, je me demande s’il n’était pas seulement de passage.
— Même s’il n’était que de passage, on aurait dû retrouver quelque chose, fit remarquer Martin en scrutant la litière pour chat, pourtant… vous avez raison. Même constat dans le jardin, des patates, des tomates et des poireaux, mais pas la moindre trace de magie, tout a été planté à la main. Pas un charme, pas une formule, pas un ingrédient, pas un habit… même pas un chaudron pour cuisiner. Nous sommes dans une vraie maison de Moldu…
Il fit un tour sur lui-même.
— … et je n’ai pas retrouvé le chat. Remarquez, qui plus est, qu’il n’y a pas une seule photo. Par contre, notre hôte avait un bon coup de crayon. Regardez, il y a des centaines de dessins, des toiles et des croquis. J’ai trouvé ce calepin et ces feuilles… ce portrait de femme réapparait souvent, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, etc., là au fusain, là au crayon à papier, même en peinture. Ça ne vous dit rien ?
Henri haussa les épaules.
— Vous savez, l’art moldu manque toujours d’un peu de vie. Mais il faut reconnaitre que la jeune femme est très belle. Apparemment il aime bien les arbres aussi. Là, elle est endormie sous une sorte de cerisier, ici encore. Avouons qu’il est plutôt doué.
Martin et Henri regagnèrent la chambre complètement dévastée, le sol noirci et encombré. Le revêtement de plâtre, décroché de son support, laissait par endroit les briques rouges à nu. L’atmosphère était lourde, oppressante, les traces du combat bien visibles.
— Revelio Incantatem.
Un seul sortilège suffit à faire scintiller une myriade de lueurs comme un ruban d’étoiles. Ils examinèrent chacun des objets avec la plus grande précaution. Il semblait à Martin que quelque chose manquait. Mais quoi ? Le lit était par terre, retourné sur ses ressorts, le matelas éventré. Dans l’armoire, couchée sur le sol et les portes défoncées, ils ne retrouvèrent qu’une boite en plomb vide parmi un fouillis de jeans, de chaussettes, de pulls, de chemises, et de t-shirts calcinés. La boite pouvait facilement contenir une baguette. Dans la table de chevet, il tomba sur une photo abimée en noir et blanc ; celle d’une jeune fille, dix ans tout au plus, la peau très foncée et un sourire malicieux. Une Moldue, sans aucun doute. Martin s’en étonna. Il n’y avait pas d’inscription, pas de date sur l’image qui servait de marque-page. Il la reposa et leva la tête. La dernière fois que l’inspecteur était là, le corps de Julien reposait le long du mur, brûlé, désarticulé, les yeux abîmés par la mort. Tout avait été si vite, il n’avait pas souffert. Des hommes avaient transporté son corps avec précaution.
Ces mêmes hommes avaient pour consigne de ne rien toucher. Martin avait le sentiment de ne pas avoir été obéi. Quelque chose n’était pas à sa place. Quoi donc ? En attendant le suspect était en fuite, soit en transplanant, soit en passant par la brèche. Il aurait chuté d’un étage sans laisser de trace ? Sans doute avait-il un balai à portée de main ? L’inspecteur était dubitatif quant à cette dernière idée. Car à moins d’avoir des réflexes extraordinaires, il devait lui-même avoir été salement amoché par l’explosion ; or, un homme blessé aurait eu grand mal à s’accrocher à un balai. Martin passa les murs en revue. Il prit l’angle en mire. La lampe, remarqua-t-il, il manquait la lampe qui était coincée entre le bureau et les briques. Où était-elle, pourquoi l’avoir enlevée ? Mais Henri tira l’inspecteur de sa réflexion.
— Vous m’avez bien dit que monsieur Suspis avait été chargé de l’enquête autrefois ?
— J’ai cru comprendre, répondit Martin en se penchant vers le mur, que Suspis connaissait bien l’Auror anglais venu enquêter, un certain Burnfire. Je me souviens du tollé à l’époque. J’étais moi-même en formation. Je crois que le ministère avait tout mis en œuvre pour ne pas ébruiter l’histoire, ce qui avait encore moins plu à la communauté.
— Vous voulez parler de la disparition d’Ovide ?
— Non, de celle de Burnfire. Je pense que nos responsables craignaient la réaction du Département anglais. Un de leurs Aurors disparaissait mystérieusement, et nos services étaient incapables de rendre des comptes. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait. On passait pour des incompétents.
Ils quittèrent la chambre.
— Monsieur Suspis a dû faire profil bas, dit Henri en descendant les marches. Perdre la trace de Burnfire en même temps que celle d’Ovide, il ne devait pas s’en vanter !
— Il l’a qualifié du « plus grand échec de sa carrière » précisa Martin, des mots qui ne doivent pas être pris à la légère, Henri. Pourtant, au vu de la fonction qu’il occupe aujourd’hui, on peut en conclure que cet échec n’a pas entaché sa réputation. Je me demande comment il va réagir maintenant qu’on sait qu’Ovide est encore vivant ?
— Que voulez-vous dire ?
— Etant donné que c’est lui-même qui avait annoncé sa mort, à l’époque, je pense qu’Alicius est bien embarrassé à l’heure qu’il est.
Martin s’arrêta à hauteur d’Henri pour partager sa pensée.
— J’ai un mauvais pressentiment, Henri, chuchota-t-il. Je ne sais pas encore dans quoi on se fourre, mais j’ai l’impression qu’on se dirige tout droit vers un tas de fumier bien foireux. Méfiez-vous des parterres de roses.
— Vous sous-entendez que le ministre ne vous a pas tout dit ?
— Je le crois en effet, mais ne vous méprenez pas Henri, cette affaire remonte à loin, et elle concerne une vieille crapule insaisissable et un des hommes les plus puissants du pays. Laissez-moi vous expliquer ma manière de procéder. Je ne fais confiance qu’à mon propre jugement. Et je vous encourage à faire de même, car s’il y a bien deux choses qui ne font pas bon ménage, ce sont les enquêtes judiciaires et les affaires politiques. Alicius est un grand ministre et un grand bonhomme, mais il n’est plus le talentueux Auror d’autrefois. Il prend cette histoire bien trop à cœur, sans recul, c’est un homme de pouvoir qui aime contrôler les évènements, et il accorde trop d’importance à son image. Je le connais plutôt bien pour me permettre de vous dire les choses telles qu’elles sont. Malheureusement, dans ce cas précis, ce n’est pas une bonne chose pour nous. Vous verrez, cela risque de nous jouer des tours. J’espère juste qu’il me fera suffisamment confiance pour nous laisser faire notre travail sans se faire plus intrusif qu’il ne faut. Mais connaissant le bonhomme, s’il y a risque de ternir sa réputation…
— Eh bien voilà qui est encourageant, ironisa Henri, on vient à peine de commencer que vous nous prédisez déjà un conflit avec notre chef.
— J’espère que vous saurez me ramener à la raison si jamais vous pensez que je m’égare, dit Martin en reprenant sa marche, notamment grâce au Raisonneur que vous avez dans la poche.
Il désignait la petite chaîne qui pendait de la veste d’Henri.
— Vous connaissez cet objet ! s’exclama Henri en souriant. Ce n’est pas toujours fiable, mais c’est plutôt utile.
— Comment l’avez-vous eu ?
— C’est ma mère qui me l’a donné.
Il sortit sa montre d’argent.
— Plus jeune, je n’avais pas beaucoup confiance en moi. Ça m’a beaucoup aidé pendant les études.
— Vous savez que cela fait partie des objets interdits en cours ? fit remarquer Martin.
Au passage il se saisit du carnet de dessin qu’il avait posé sur la commode et le rangea dans sa poche fourre-tout.
— Voyez-le comme une bonne étoile, se défendit Henri. Mais difficile de s’y fier, il s’emmêle souvent les aiguilles.
— Que dit-il pour l’enquête ?
— Rien que vous ne sachiez déjà, inspecteur. On part de loin, surtout si notre propre ministre venait à nous mettre des bâtons dans les roues.
— Vous ne connaissez pas aussi bien Suspis que moi, reprit Martin, ce qui a aussi ses bons côtés. Cela vous permettra une plus grande neutralité vis-à-vis de lui, vous serez moins affecté. C’est un atout pour vous, Henri, faites confiance à votre jugement, et laissez-moi gérer le ministre.
Ils sortirent de la maison et regagnèrent le bord de route. La lune éclairait la campagne environnante avec tant d’éclats qu’un chat en aurait été aveuglé. Pas une lumière humaine, pas un bruit, ne venaient déranger le sommeil des champs.
— Ce que je ne m’explique pas, reprit Martin en levant la tête au ciel, c’est comment un sorcier comme Ovide aurait pu s’adapter avec autant d’aisance à la vie de Moldu ? Comment pouvait-il se passer de magie pour vivre ?
Il fronça les sourcils et fixa le bout du chemin par où ils étaient arrivés avec Julien avant que celui-ci ne perde la vie. Sa dernière route. Personne dans ce bled de Moldus ne connaissait le drame du jour. « Tant mieux songea Martin en lui-même, car les Moldus ont un goût trop prononcé pour ce genre d’histoire. Tout le monde y trouve son mot à dire, cela fait vivre l’opinion ».
— Remarquez, dit Martin à Henri, que cela est ingénieux. Nous, les sorciers, nous ne nous occupons que des affaires de sorcellerie. Dans l’hypothèse où Ovide aurait eu le courage de renoncer à ses pouvoirs, pas étonnant que personne n’ait mis la main dessus. Durant toutes ces années on recherchait un sorcier, un tueur de Moldus, et non une de ses potentielles victimes.
— Je ne sais pas si on peut renoncer à la magie inspecteur, dit Henri les mains dans les poches, mais je doute que la magie puisse renoncer à vous. Vous êtes un sorcier ou vous ne l’êtes pas. Voilà tout. A force de traquer et de tuer les Moldus, il a dû apprendre à les connaître. Il est peut-être tout simplement arrivé à pied dans cette maison, depuis le trimard, et constatant qu’elle était vide, il s’y est installé pour faire chauffer son thé en utilisant des allumettes.
— N’avons-nous pas là suffisamment d’indices pour y voir plus clair ? finit par s’exclamer Martin après réflexion.
— A quoi songez-vous ? interrogea Henri qui mordillait une herbe ramassée sur le bas-côté.
— Un Moldu, la soixantaine environ, reprit l’inspecteur, se trouve être un Mangemort de la pire espèce que tout le monde croyait mort. Quelqu’un l’a découvert et l’a dénoncé. En attendant notre suspect a appris à maitriser une baguette, mais aussi à s’en passer, car il semblait vivre comme un Moldu. Or, Henri, si vous me suivez, où apprend-on essentiellement ces deux choses si ce n’est à… ?
— A Beauxbâtons, s’exclama-t-il !
— Exactement, reprit Martin, à Beauxbâtons. Enfin, en dehors des écoles buissonnières, ce qui n’est pas à exclure, je n’en connais pas d’autres. Or écoutez bien : d’après Alicius, aucun professeur de Beauxbâtons n’a jamais reconnu le visage du suspect, personne ! L’individu nommé Ovide n’a littéralement pas de passé, du moins pas chez nous. Il faut pourtant bien qu’il vienne de quelque part, les sorciers ne naissent pas dans les œufs de dragons.
— Laissez-moi deviner inspecteur, soit Ovide est un étranger, soit…
— Soit ?
— … Soit il y a eu un changement identité entre son passage à l’école et sa première apparition publique.
— Exactement ! Quand Ovide a fait surface, lors de la Première Guerre des Sorciers, il était relativement jeune, une vingtaine d’années tout au plus. Là encore pas d’âge exact, mais ça correspond plutôt bien à notre homme. Il faut donc commencer par-là et rechercher si son identité peut correspondre avec un élève qui aurait été à l’école dans une fourchette large…, disons de vingt ans, pour être sûr de ne rien louper, pendant l’ascension de Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom jusqu’à l’apparition officielle d’Ovide.
— Ça fait un petit paquet, dit Henri songeur. Ne pensez-vous pas que l’on devrait plutôt limiter nos recherches aux noms d’élèves portés disparus, ou qui auraient subitement arrêté l’Académie durant cette période ? Je sais que le contexte de l’époque ne nous aidera pas, mais si cela peut nous éviter d’avoir à fouiller tous les dossiers…, autrement on en aura pour des jours, le temps qu’Ovide s’évapore définitivement.
— Portés disparus pendant, ou après l’Académie, précisa Martin. Mais nous sommes sur la même longueur d’onde, rajouta-t-il en devinant l’immense tâche qui inquiétait Henri. Après tout, notre suspect vient de renaitre de ses cendres. Intéressons-nous d’abord aux morts avant de déranger les vivants, ou nous risquerions de perdre notre temps. Dans l’hypothèse où Ovide a changé d’identité et de physionomie, il nous importe de trouver qui il était. Allons directement piocher les indices là où ils se trouvent, c'est-à-dire à l’Académie. C’est l’occasion de retourner dans le sud voir nos anciens professeurs, s’ils sont toujours vivants, ajouta-t-il d’un sourire forcé.