De mon esprit à votre esprit

Chapitre 2 : Une commission d'experts

4252 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a presque 5 ans

Les fans d'Harry Potter s'étonneront peut-être de trouver dans cette fic une distinction (non canon) entre les termes "magie noire" et "arts sombres". Lorsque j'ai commencé cette fic, je n'avais lu Harry Potter qu'en français et j'avais trouvé l'expression "Arts Sombres" (de l'anglais "Dark Arts") qui m'avait plu, sans réaliser qu'elle était utilisée pour désigner la "magie noire". J'ai donc imaginé une différence entre Arts Sombres et magie noire, qui sera expliquée de manière plus détaillée au fur et à mesure que l'histoire progressera. Je demande donc votre indulgence sur ce point précis, que je ne peux modifier pour rendre ma fic plus canon : cette distinction aura son importance par la suite. Le juge Flaversham est un personnage imaginé de toutes pièces, ainsi que Yerma Baxter. Tous les autres appartiennent à l'univers de J.K.Rowling.

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Chapitre 2 : Une commission d’experts


Deux jours plus tard, dans un coin désert de Londres, une banale cabine téléphonique fut, l’espace d’un instant, emplie d’une lumière aveuglante. Une seconde plus tard, deux hommes en sortaient. Le premier, un vieillard à la longue barbe blanche, vêtu d’une étrange robe bleu nuit constellée de croissants de lune, soutenait un homme au teint cireux, enveloppé dans une grande cape noire. Après avoir fait quelques pas sur le trottoir, dans la lumière rouge du crépuscule, le plus jeune s’arrêta et s’adossa au mur d’une maison voisine, respirant avec difficulté. Fort heureusement, la rue était déserte.

– Accrochez-vous à moi, Severus, proposa Dumbledore, je vais vous aider à transplaner jusqu’à Pré-au-Lard.

Rogue secoua négativement la tête.

– Je préférerais attendre, monsieur le directeur, si cela ne vous ennuie pas. Je ne pense pas que transplaner maintenant soit une bonne idée. Ils ont un peu forcé sur la dose, ajouta-t-il après une hésitation.

– J’imagine qu’ils se sont vengés comme ils ont pu de leur échec, soupira le vieux sorcier. Je suis vraiment désolé, mon garçon. Je ne pensais pas que Dawlish…

– Cela n’a aucune importance, Albus.

Une violente nausée lui coupa la parole et il sentit sa bouche s’emplir de bile. Il déglutit péniblement. Peut-être, après tout, serait-il préférable de transplaner maintenant, pendant qu’il en était encore capable. Sans ajouter un mot, il prit le bras du directeur qui lui posa doucement la main sur l’épaule, et tous deux disparurent dans un léger pop.

Une demi-heure plus tard, le maître des potions avait retrouvé ses cachots avec soulagement. Lorsque Dumbledore l’eut quitté, non sans lui avoir prodigué des recommandations – comme s’il ne savait pas lui-même quel remède s’administrer dans ce genre de cas ! –, il se laissa tomber plutôt qu’il ne s’assit dans un fauteuil, encore quelque peu nauséeux malgré la potion qu’il s’était empressé de prendre. L’un dans l’autre, il n’était pas mécontent de sa prestation.

Cette journée aurait pu, après tout, être bien pire.

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Le matin même, il avait failli se rétracter lorsqu’il avait vu de loin la fatidique cabine téléphonique qui permettait l’accès au Ministère, où il n’avait pas mis les pieds depuis sa sortie d’Azkaban. Il n’avait pas particulièrement envie d’y retourner, son dernier passage en salle d’audience ayant été rien moins qu’agréable, et il se doutait que ce qui l’y attendait par cette belle après-midi d’été ne serait pas non plus une partie de plaisir. Mais le visage bienveillant de Dumbledore à son côté le rappela à la raison. Rogue avait survécu au Doloris du Seigneur des Ténèbres et à une année de détention à Azkaban ; après cela, il devait être en mesure d’affronter un vieux juge un peu gâteux et une escouade d’experts en Legilimencie…

Le maître des potions se laissa conduire à travers un dédale de corridors, croisant de temps à autre un visage connu. Sa venue au Ministère fut remarquée de quelques personnes qu’il n’avait pas vues depuis des années – et qu’il se serait bien passé de revoir, songea-t-il en tournant ostensiblement la tête tandis qu’un Auror ou un magistrat à qui il avait eu affaire douze ans auparavant le fixait avec une insistance étonnée et peu amicale.

Le ministre lui-même avait tenu à accueillir le directeur de Poudlard dans le bureau du juge Flaversham – en reconnaissant ce nom, Rogue ne put s’empêcher de savourer à l’avance la revanche qu’il allait prendre sur ce vieillard sénile qui avait voulu le renvoyer en prison après que l’on eût prouvé son engagement dans la guerre au côté de l’Ordre. A la vue du professeur de potions, les deux sorciers pâlirent et échangèrent un bref coup d’œil inquiet, sous le regard encore plus malicieux qu’à l’ordinaire de Dumbledore.

– C’est un honneur que vous vous soyez déplacé, monsieur le Ministre.

– Professeur Dumbledore… Vous disiez avoir trouvé un tuteur pour la fille de Baxter ? demanda Fudge à brûle-pourpoint en fixant le plus jeune des sorciers avec angoisse.

– C’est exact. Permettez-moi de vous présenter le professeur Rogue, qui a accepté de prendre en charge Miss Baxter à sa sortie d’Azkaban.

La foudre tombée au milieu du bureau n’eût pas pétrifié davantage le vieux magistrat, qui mit dix bonnes secondes à réaliser que l’on s’adressait également à lui.

– Vous êtes Occlumens et Legilimens ? s’écria le Ministre, incrédule.

– Voyons, monsieur le Ministre, le coupa Flaversham qui avait repris ses esprits et regardait à présent Severus d’un air mauvais, vous n’avez pas souvenir d’une autre affaire concernant la libération d’un autre prisonnier, il y a de cela douze ans, et qui fit grand bruit à l’époque ? Il semblerait, Dumbledore, que vous souhaitiez faire en sorte que l’histoire se répète…

– Monsieur le juge, rétorqua Rogue de son ton doucereux, après avoir lu attentivement la liste de conditions requises pour pouvoir prendre en charge l’enfant – liste que vous aviez fort aimablement remise au professeur Dumbledore –, il ne m’a pas semblé que ma candidature puisse être sérieusement rejetée. Après tout, il n’était pas précisé qu’il était nécessaire d’avoir un casier judiciaire vide… Etant Legilimens, Occlumens et maître ès Arts Sombres, j’ai pensé que j’avais toutes les aptitudes nécessaires pour prendre en charge Miss Baxter et, dans la mesure du possible, l’aider à s’intégrer dans la communauté sorcière en lui apprenant à contrôler ses pouvoirs.

L’idée même qu’il pût aider qui que ce fût à « s’intégrer dans la communauté sorcière » était du plus haut comique, mais, de toute évidence, la jeune fille serait mieux partout ailleurs qu’à Azkaban, même chez le maître des potions aigri, asocial et désagréable qu’il était. Le dépit, si visible dans les yeux des deux personnages officiels, et mâtiné de haine pour Flaversham, arracha à Rogue un sourire mauvais.

– Fort bien, professeur, répondit le juge à contrecœur. Je vais convoquer une équipe et il va vous falloir subir un certain nombre de tests.

Bien sûr, songea le maître des potions en faisant un bref signe d’assentiment, je me doute bien que vous n’allez pas me confier une héritière Baxter-Herrera sans un minimum de garanties

Comme il fallait s’y attendre, Flaversham insista pour prendre lui-même la direction des opérations – sans doute afin de mieux pouvoir se consoler de ce cuisant revers de situation par le spectacle de son ancien ennemi humilié devant une commission d’experts déjà prédisposés contre lui. En un quart d’heure, il avait convoqué les six meilleurs Legilimens du Ministère. Parmi eux se trouvait John Dawlish, un des hommes qui avait autrefois condamné l’ancien Mangemort à Azkaban après s’être acharné sur lui. L’interrogatoire mené par cet homme plutôt stupide mais excellent Legilimens s’était révélé particulièrement éprouvant à l’époque. Rogue, qui s’était préparé à cette éventualité, demeura impassible en le reconnaissant ; en revanche, l’Auror se figea sur place sitôt qu’il l’aperçut.

– C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? s’écria-t-il. Ce n’est pas cet ex-Mangemort qui va s’occuper de la fille de Baxter ! Si vous voulez qu’elle devienne experte en magie noire, confiez-la à cet homme…

– Je me porte garant pour le professeur Rogue, affirma tranquillement Dumbledore. J’engage ma responsabilité à la place de la sienne dans cette affaire.

Severus sentit malgré lui sa gorge se serrer en entendant ces mots. Après toutes ces années, il ne comprenait toujours pas comment le directeur pouvait avoir en lui une confiance aussi aveugle.

Ces quelques mots firent une profonde impression dans l’assemblée. Dumbledore passait – non sans raison – pour un excentrique, mais, en règle générale, il était apprécié dans la communauté sorcière et reconnu comme un homme sage, quoique parfois trop optimiste. Dawlish ne semblait guère convaincu, mais la présence de Fudge l’empêcha de lancer une pique à l’homme dont il devait aujourd’hui tester à nouveau les capacités d’Occlumencie après avoir tenté sans succès, des années auparavant, de pénétrer dans son esprit. Les cinq autres experts échangèrent quelques mots en lançant de rapides coups d’œil vers Rogue. La révélation de son passé de Mangemort n’était pas pour mettre les plus jeunes de son côté… Six paires d’yeux aiguisés et agressifs se posèrent sur lui, tandis que Flaversham, prenant place au côté de Fudge derrière l’équipe, arborait un sourire triomphant. Serrant les poings, Severus s’assit, le visage parfaitement neutre, face à cette ce tribunal qui, pour être improvisé, n’en demeurait pas moins inquisitorial. Il ne pouvait pas se permettre de se laisser aller. Outre que la vie d’une enfant dépendait peut-être de ses réponses, il avait un jour juré obéissance à Dumbledore et n’avait nullement l’intention de rompre son serment aujourd’hui.

– Severus Tobias Rogue, commença le vieux juge de sa voix sévère, pour quelle raison souhaitez-vous que vous soit confiée la garde de la jeune Yerma Baxter ?

Le professeur de potions hésita un bref instant. La veille au soir, il avait longuement débattu avec Dumbledore au sujet des réponses qu’il allait devoir fournir. « La vérité », avait dit le vieux sorcier. Rogue n’était pas sûr que choisir la vérité fût réellement judicieux, mais il ne pensait pas non plus que faire étalage de bons et grands sentiments pût être réellement convaincant. Non qu’il ne se sentît pas de taille à lutter contre six Occlumens : il avait bien trompé le Seigneur des Ténèbres pendant près de deux ans ! Toutefois, il savait que Dawlish (et probablement les autres experts) ne le croiraient pas quoi qu’il dise – et ils auraient raison : il ne prenait cette enfant sous sa protection que parce qu’il y était obligé, et non parce qu’il se découvrait une vocation de sauveur de l’humanité… Il laissait volontiers ce rôle à Potter. Dumbledore avait raison, la vérité était encore sa meilleure arme.

– Tout d’abord, répondit-il lentement, en choisissant ses mots, parce que le professeur Dumbledore me l’a demandé.

– En sommé, l’interrompit Dawlish avec violence, il s’agit pour toi de jouer ton rôle de bon petit soldat, c’est ça ?

Rogue, qui savait parfaitement retenir ses soupirs dans toutes circonstances, soupira ostensiblement.

– Non, Dawlish, je n’ai pas dit cela. Si tu prenais la peine de m’écouter jusqu’au bout, tu comprendrais que j’ai d’autres motivations.

– Par exemple enseigner la magie noire à une jeune fille de quatorze ans ? ironisa une sorcière toute de rose vêtue qui ressemblait assez à un crapaud.

Sans doute avait-elle voulu l’embarrasser, mais elle avait encore beaucoup à apprendre en matière de sarcasme. Elle lui ouvrait même une porte. Severus bénit la décision de Maugrey Fol’Œil de vivre en ermite et de refuser de prêter concours au Ministère. S’il avait été présent, le maître des potions aurait dû endurer des remarques autrement blessantes : le vieil Auror le connaissait bien, et savait toujours toucher l’endroit sensible. Maugrey avait un don extraordinaire pour faire s’effondrer un homme sans le toucher, rien qu’en lui parlant. Mais Dawlish et le crapaud, qui semblaient les membres les plus vindicatifs de cette assemblée, semblaient plus haineux que subtils. Il ne serait pas difficile à Rogue d’en venir à bout.

– La magie noire… Un concept bien vaste, commença-t-il de sa voix soyeuse. Vous ne me contredirez pas, je l’espère, lorsque j’affirme qu’il faut maîtriser les Arts Sombres pour pratiquer la Legilimencie ou l’Occlumencie ?

Un vague malaise parcourut l’assistance, tandis que Dumbledore réprimait un sourire et que Flaversham semblait avoir des difficultés pour ne pas éclater.

– Je prendrai votre silence pour un assentiment. Tout ce qui différencie cette jeune fille de nous autres Legilimens laborieux (le maître des potions se délecta des froncements de sourcils offensés des trois quarts de l’assistance), c’est qu’elle possède ces pouvoirs depuis la naissance. Qu’est-ce que cela prouve ? Qu’elle a accès aux Arts Sombres plus facilement que nous, voilà tout.

– Avouez que cela vous fascine, dit une jeune femme – probablement une Auror – d’une voix calme et intéressée, dénuée de colère.

– Je ne le nie pas. Je trouve extrêmement intéressant de travailler avec une Occlumens-Legilimens de naissance. Jusqu’ici, je n’en ai jamais rencontré. (Rogue se gifla mentalement : et le Seigneur des Ténèbres, alors ? Mais personne ne releva cette erreur monumentale.) Il me semble qu’il s’agit d’un cas assez rare pour être remarqué. Je trouve dommage de reléguer cette enfant à Azkaban sous le prétexte qu’elle a eu le malheur de naître différente.

– Bien évidemment, glapit le crapaud, étant donné votre ancienne position, vous ne pouvez que prendre la défense d’une Sang-Pure comme elle, qui plus est héritière des Baxter !

– Je me moque que cette enfant soit une Sang-Pure, répondit Rogue qui sentait monter en lui la colère devant tant de stupidité. Ce que vous faites avec Miss Baxter n’est pas si différent de ce que Vous-Savez-Qui (Il s’était repris à temps : il aurait été du plus mauvais effet de donner à Voldemort le titre que seuls les Mangemorts lui attribuaient) a fait aux Sangs-Mêlés et aux nés Moldus. Vous l’avez enfermée parce qu’elle est différente alors que vous savez qu’elle peut apprendre à contrôler sa magie. Voilà donc ma dernière raison : je veux prendre en charge cette enfant pour la soustraire à l’intolérance de gens tels que vous !

Ce fut un tollé général. Immédiatement, Dawlish se leva et tendit un doigt accusateur vers son ancien ennemi :

– Et tu vas lui apprendre à nous haïr et lui enseigner la magie noire contre nous !

– Dawlish, crois-tu vraiment que j’aurai besoin de lui apprendre à haïr ? N’importe quelle personne normalement constituée haïrait tous ceux qui ont été, de près ou de loin, responsables de son incarcération à Azkaban.

Alors qu’il prononçait ces mots, le regard de Severus, en effet, flamboyait de haine. Flaversham se recula instinctivement, une lueur d’angoisse au fond des yeux.

– De plus, reprit plus calmement le maître des potions, je répète que je n’ai nullement l’intention d’apprendre la magie noire à qui que ce soit. Je parle de maîtrise des Arts Sombres, ce qui est très différent.

– Cette distinction est ridicule ! s’exclama Fudge, qui jusque-là n’avait pas ouvert la bouche.

– Je ne suis pas d’accord, protesta la jeune sorcière qui avait parlé de la fascination de Rogue pour les Arts Sombres.

Un silence tomba sur l’assistance, bientôt rompu par un sorcier assez âgé :

– Moi non plus, je ne suis pas d’accord. Les Arts Sombres peuvent être utilisés de façon bénéfique. Sinon, il faudrait nous interdire de pratiquer la Legilimencie, ajouta-t-il en souriant.

Rogue jubilait intérieurement : le plus dur était fait, les experts étaient à présent divisés et deux sorciers déjà presque gagnés à sa cause. Il se composa un masque impassible tandis que l’éternel débat sur les termes de magie noire et d’Arts Sombres semblait sur le point de faire oublier aux Legilimens les raisons de leur présence dans cette salle. Ce fut un sorcier assez insignifiant, qui n’avait rien dit depuis le début, qui leur rappela qu’ils n’étaient pas ici pour débattre d’un problème aussi épineux, mais pour déterminer si Rogue était, oui ou non, digne de confiance et suffisamment responsable pour prendre en charge l’enfant.

Quatre heures plus tard, l’interrogatoire prit fin. Le maître des potions se sentait vidé mais triomphant. Après les questions sur son passé de Mangemort – questions auxquelles il avait répondu avec sincérité et qui avaient soulevé moins d’indignation que ce à quoi il s’était attendu et préparé – étaient venus les tests de ses capacités d’Occlumens. Son expérience passée et une prédisposition naturelle à ériger des boucliers mentaux avaient fait de lui un maître en ce domaine : il n’eut donc pas trop de mal à repousser l’assaut des six Legilimens qui se trouvaient devant lui, mais l’expérience fut tout de même assez éprouvante et il se sentait déjà fatigué lorsqu’il lui fut demandé de prouver qu’il maîtrisait lui-même les Arts Sombres. Après quelques sorts aisément exécutés, il avait sinon convaincu l’assemblée, du moins montré qu’il était inattaquable sur ce point. Sans compter la satisfaction personnelle qu’il éprouvait à l’idée d’avoir pénétré –sans trop de douceur) l’esprit de Dawlish qui bouillait de rage dans son coin.

Mais son triomphe fut de courte durée et il ne put réprimer un mouvement de répulsion en voyant Flaversham tirer d’un petit sac une fiole emplie d’un liquide épais, à la transparence bleuâtre caractéristique.

– Ça te rappelle quelque chose, Rogue ?

Dawlish, pauvre imbécile. Seul l’emploi du Veritaserum en tout dernier recours, quinze ans auparavant, avait convaincu le jury de sa relative innocence. Ils avaient fait traîner le procès, les interrogatoires, les témoignages, et, enfin, lorsqu’ils n’avaient plus pu reculer, ils avaient fait avaler à l’accusé une dose importante d’élixir de vérité qui l’avait rendu malade pendant le procès même. Un souvenir que Rogue n’aimait pas évoquer. Maigre revanche des Aurors et des juges qui avaient échoué à le faire condamner. Bien évidemment, seul Dumbledore savait qu’il était parfaitement immunisé contre le Veritaserum. Il ne s’inquiétait pas pour la cohérence de ses propos, mais l’idée même du goût amer de la potion, des nausées et des malaises qui allaient s’ensuivre, et de tous les souvenirs qui lui étaient associés, faisait déjà courir un filet de sueur le long de son dos. Le regard inquiet du directeur, à son côté, lui redonna courage. Il ne donnerait certainement pas à Dawlish la satisfaction de le voir se rebeller, et perdre ainsi le peu de confiance qu’un ou deux sorciers pouvaient avoir en lui dans cette assemblée. Prenant la fiole, il avala une gorgée du liquide et parvint à ne pas grimacer.

– Vous devez tout boire, professeur, ordonna Flaversham avec un petit ricanement. Nous connaissons vos… aptitudes à résister au Veritaserum.

Avant que Dumbledore n’ait eu le temps de protester, le maître des potions avait bu le contenu intégral de la fiole qu’il rendit au juge sans qu’un muscle de son visage ne trahît son état d’esprit ou ses sentiments. Il réprima un haut-le-cœur puis fit le vide dans son esprit. Il se félicitait d’avoir continué, année après année, à s’entraîner à résister à l’élixir de vérité tout en présentant les principaux symptômes de soumission mentale : le regard vague, les maxillaires crispées, les muscles tendues, la voix atone…

Les questions se succédèrent. Pourquoi êtes-vous devenu Mangemort, pourquoi avez-vous rejoint Dumbledore par la suite, enseigneriez-vous la magie noire à un élève, avez-vous déjà tué ou torturé, pourriez-vous recommencer dans un accès de colère, autant de questions qui rendaient Rogue d’autant plus malade qu’il y avait déjà répondu quelques heures auparavant.

– As-tu déjà eu des rapports sexuels normaux avec une femme ? Je veux dire, sans avoir à la violer ?

Severus se retint in extremis de se jeter sur Dawlish pour l’étrangler. Par un miracle incroyable, la voix de la jeune Auror, emplie de colère, empêcha ses collègues d’entendre la réponse murmurée dans un souffle rauque :

– Vraiment, Dawlish ! Nous ne sommes pas ici pour interroger le professeur Rogue sur sa vie privée ! Cela n’a rien à voir avec ses capacités à s’occuper de l’enfant !

– Les seuls dangers, ma chère Lisbeth, répondit le sorcier sur un ton narquois, ne sont pas ceux de la magie noire. Qui nous dit qu’il ne maltraitera pas Miss Baxter, qu’il n’essayera pas d’abuser d’elle ? Qui sait ce que peut faire cet homme frustré, aigri, empli de rancœur envers l’humanité tout entière ?

Rogue pâlit sous l’accusation, mais un regard apaisant de Dumbledore l’empêcha de riposter : le Veritaserum plaçait celui qui le buvait sous l’emprise des interrogateurs et ne laissait pas à la victime l’occasion de devancer les questions. L’interrogatoire humiliant se poursuivit, centré à présent sur les capacités du professeur à garder son calme en toute circonstance et à ne pas « maltraiter » l’enfant, comme l’avait dit Dawlish. Le maître des potions sentait sa vue se brouiller et son estomac protester contre la forte dose d’élixir qu’on lui avait fait ingurgiter sous sa forme pure. Au moment où il crut qu’il allait se trouver mal, le vieux sorcier qui avait pris la parole en faveur des Arts Sombres annonça tranquillement :

– Je pense qu’il est inutile de poursuivre cet interrogatoire particulièrement éprouvant pour le professeur Rogue. Nous n’apprendrons rien de plus.

La dénommée Lisbeth acquiesça, bientôt approuvée par deux autres sorciers, si bien que Dawlish et la femme en rose durent se ranger à l’avis général. Rogue vit dans les yeux de Flaversham qu’il aurait lui aussi eu envie de poursuivre cette séance de torture mentale, mais il ne pouvait sans se contredire aller contre l’avis des experts qu’il avait lui-même convoqués. Il fut permis au maître des potions d’aller boire tandis que la commission délibérait ; impatient de quitter la salle étouffante, il se leva un peu trop brusquement et sentit le sol se dérober sous ses pieds ; fort heureusement, Dumbledore, qui s’attendait à cette réaction, le soutint discrètement.

– Ca ne s’est pas bien passé, murmura Rogue lorsqu’ils furent tous deux dehors. Ils ne la laisseront jamais sortir.

– Vous vous sous-estimez, Severus, répondit tranquillement le directeur. Comment vous sentez-vous ?

Severus ne répondit rien. Il se sentait avant tout vide et nauséeux, mais l’avouer eût amené le vieux sorcier à se préoccuper de sa santé. Il se contenta d’esquisser un sourire et accepta avec reconnaissance le verre d’eau que lui tendait Dumbledore.

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Rogue revint soudain à la réalité et jeta un regard atone sur les objets familiers de ses appartements. Une sueur froide coulait le long de son dos, mais il ne parvenait pas à déterminer si la peur sourde qui faisait battre son cœur à grands coups était celle de se voir refuser la garde de l’enfant, ou bien, au contraire, de l’obtenir…


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