Blaireaux : sorciers de l'ombre

Chapitre 18 : Epilogue

Chapitre final

2031 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 05/11/2021 14:09

EPILOGUE

Godric’s Hollow, le 31 octobre 1981


Ciel, qu’octobre est froid.

C’est le soixante-dix-septième hiver que je vis, moi Draomær, le plus vieux du conseil des sages, et pourtant, jamais je ne me suis fait à la rudesse et à l’impétuosité de l’air de ce mois.

Qui sont ces hommes qui marchent encore dans les rues, à cette heure ? Sont-ils fous ? Sont-ils égarés ? Cherchent-ils des amis ou des ennemis ?

Tiens, c’est drôle. Cet homme qui marche au-devant de son groupe semble avoir trouvé l’entrée de cette maison pourtant invisible aux yeux de tous. Cette demeure m’a toujours intrigué… Si j’allais y jeter un œil ? Je tombe de sommeil et de froid et la fenêtre est ouverte. Je vais me poser sur son cadre, découvrir à mon tour, les mystères de cette maison imprenable. Profiter de sa chaleur.

Mais qui crie comme cela ?

Un bébé ! Pourquoi est-il laissé seul ainsi ? Quelle idée. Si j’avais mon ancienne forme, celle de l’esprit du dragon, j’aurais déployé mes ailes et l’aurais avalé en une seule bouchée. Mais cet esprit ne vit plus en moi puisque je touche au crépuscule de ma vie. Moi, l’un des plus vieux membres du Conseil des Sage-Oiseaux, je me retrouve à errer, et à quêter la chaleur par quelque fenêtre ouverte de ce sinistre village …

Mais pourquoi pleure-t-il ? Je crois entendre des cris venir d’en bas, mais mon ouïe me fait de plus en plus défaut. Je sens que ma dernière heure approche. Allons, voilà la mère qui vient prendre son bébé dans ses bras. Elle semble crier. Je la vois même pleurer. Elle a peur.

Je tombe de sommeil…

AH ! Mais qui est cet intrus ? Est-ce la mort elle-même ? Et que se disent-ils dans leur langage humain ? Je ne devrais pas rester là… AH ! DIABLE !

- Côâaââ !!

Vite ! Partir ! Loin ! Très loin !

J’ai volé sans m’arrêter ni me retourner pendant cinq minutes. Ici, sur la plus haute branche du plus haut arbre de ce bois, ils ne me retrouveront pas.

Que s’est-il passé ? Comment ce geôlier de l’Enfer a-t-il pu me lancer un maléfice aussi ancien et aussi perfide ? Il a tué cette femme et attaqué son petit ; mais pourquoi ? De ce que j’ai vu, son sort aura été déjoué par une chausse-trappe beaucoup plus puissante, oui certes, mais enfin… Ce contre-maléfice s'est retrouvé pris au piège par le sortilège de l’Effroi des âmes. Un sort pire que la mort elle-même et qui s’en prend à tout être vivant à sa portée. Un sort fourbe, inventé par les sorciers des temps oubliés.

Cette créature nous a tous entraînés dans sa chute : lui-même, cet enfant et moi – moi qui n’aurait jamais dû me trouver là !

Je sens mon âme se défaire peu à peu. Je la vois se décomposer, se déchirer en lambeaux, comme sous l’effet du feu ; je l’entends qui hurle de douleur, non… ! Non, c’est impossible, je ne pourrais pas tolérer une telle peine, une telle souffrance !

Tous ces humains qui courent après l’immortalité et qui pour cela s’infligent la mort par eux-mêmes ne sont que des esprits en peine, dénués de toute raison. Car il ne peut être que fou de chagrin, celui qui, consciemment, fait subir à son âme ce que son pire ennemi ne lui infligerait pas. Tous ils s’agitent et, au lieu de puiser dans la terre la nourriture de leur courage qui, seul, pourrait les conduire à l’élévation stellaire, qui seule leur assurerait une vie longue et pleine, ils creusent, creusent, et creusent encore pour enfoncer profondément leur tombe, persuadés que jamais la mort ne les y viendra chercher. Malheureux ! Evidemment ! Jamais la mort elle-même ne se rendrait en un lieu aussi terrifiant que le cœur d’un homme vidé de lumière et de joie.

Je ne peux me résoudre à un tel destin. Il faut que je rejoigne les autres Sages du conseil. Peut-être me sauveront-ils ? Je suis prêt à trépasser dès ce soir, pourvu que cela se fasse en une seule fois et sans douleur. Mon corps peut accepter le supplice ; mon âme pas. Car celle-ci a été portée et bercée par mon enveloppe charnelle toute ma vie, à l’abris de tous maux. Elle n’est pas prête à endurer une telle torture.

Mon sang se glace à l’idée de m’envoler et de devoir repasser au-dessus de ce village maudit pour rejoindre mes frères. Cependant je n’ai pas le choix. Je dois partir les retrouver afin d’obtenir leurs conseils.

Courage, Draomær. Courage. Voilà. Quand j’aurais survolé et dépassé cette maison à l’écart, je serai à nouveau en sécurité.

Etrange, cette maison aussi est encore éclairée à cette heure. Méfiance.

Quoi ?

Une femme est sur le porche de la maison. Est-ce à moi qu’elle s’adresse ?

- Mon Dieu… Ou bien esprits… Lune… N’importe qui ! Je vous en prie, ne laissez pas mourir mon petit garçon, mon petit Peter, je vous en prie… Je t’aime, je t’aime tellement. Chut, ne pleure pas mon ange… Ne fais pas comme ta maman…

Je ne comprends pas ce qu’elle dit, mais elle pleure dans la nuit et elle crie vers la lune. A la veille de la nuit des morts, elle porte son bébé si jeune aux dents du froid…

Il n’a pas l’air bien. Il est frêle. Il semble aveugle. Je sens son aura : ce bébé va mourir. Cela ne fait aucun doute. Mais qu’à cela ne tienne, je reprends ma course, mon ennui est pire.

Ce vol dans la nuit fraîche m’éclaircit soudain les idées. N’y aurait-il rien à faire de cet enfant au seuil de la mort, avec mon drame ? J’y retourne.

Réfléchissons.

Cet enfant est sur le seuil de la vie ; il crée actuellement une ouverture entre les deux Mondes. Je pourrais m’engouffrer dans la mort à sa place, sauf que la mort ne laissera jamais passer ma malédiction et l’Effroi des âmes cherchera immédiatement un nouvel hôte. Il s’en prendra sans aucun doute à ce bébé sans défense, peut-être même à sa mère. Ce sortilège est tel un gaz toxique, invisible et fatal à tous ceux qui le respirent. Mais c’est sûrement ma seule chance de connaître une mort paisible ; et c’est, sans nul doute possible, la seule chance de lumière pour les yeux clos de ce nouveau-né.

Cependant, si je fais cela, je mets dans le cœur de cet humain un destin troublé et obscure. Sa vie sera une suite de douleurs sans nom. Il faut que j’y médite.

Tiens, qui est-ce que j’entends arriver par ici ?

 

- Draomær, je te salue.

- Hulainn, salut à toi. Que viens-tu faire ici ?

- Je te cherchais. Tu es en retard au dîner et le Roi n’aime pas attendre ses invités.

- Je n’ai plus que faire du Roi. J’ai été pris en traître par un sorcier des ombres et suis maintenant victime du sortilège de l’Effroi des âmes.

- Par le Phénix Millénaire !

- Il y a peut-être une issue possible pour moi grâce à ce bébé qui est là, sous nos yeux.

- Il est mourant.

- Oui. Ce n’est plus qu’une question de temps.

- Il fait un pont avec la mort.

- Je pourrais prendre ce pont. Mourir à la place de cet enfant.

- Tu lui laisserais ton maléfice.

- Oui.

- Cela ne fonctionnera pas. La mort ne t’a pas appelée. Elle ne voudra pas de toi.

- Elle comprendra peut-être.

- Non.

- Alors que faire ?

- Ta seule issue est un Renversement.

- Je n’y avais pas pensé.

- Renverse le destin de cet enfant en échange d’une contrepartie considérable. Cela l'épargnera probablement de la mort et sauvera ton destin. Ton âme restera déchirée jusqu’à ton dernier souffle mais tu ne souffriras plus.

- Quelle contrepartie serait assez grande pour faire changer d’avis à la mort ?

- Tes pouvoirs.

- Que dis-tu !

- Tu n’as rien d’autre.

- Je dois méditer.

Hulainn a raison. C’est la seule solution. Après tout, elle est préférable à la mort, mais pour un sage du conseil, vivre sans ses pouvoirs est une humiliation. Je finirai mes jours dans l’errance.

- Et bien ?

- Patience, Hulainn. Tu as raison. Et tu vas m’aider à réaliser l’incantation.

- Nous allons tous t’aider. Nos frères arrivent. Mets-toi au centre du cercle pendant que nous chantons. Ne résiste pas. Tu vas te sentir affaibli mais tu ne dois pas lutter. C’est ta seule chance de mettre fin au maléfice.


Ils ont commencé à chanter. Mes forces me quittent.

- Hulainn, que s’est-il passé ?

- Notre incantation a échoué, Nabv. La mort a finalement préféré Draomær à l’enfant. Elle l’a emportée au moment où nous sacrifiions ses pouvoirs.

- Qu’en est-il de l’enfant ?

- Il a pu bénéficier de l’échange mais tout s’est entremêlé. Comme je l’avais prédit, la mort n’a pas laissé entrer le maléfice d’Effroi de l’âme avec notre ami, alors celui-ci s’est jeté sur le petit comme une bête vorace. Nous sommes chanceux d’avoir été épargnés par ce chaos.

- La mère a-t-elle été épargnée de même ?

- Je le crois mais n’en suis guère sûr.

- Et les pouvoirs de Draomær ?

- Il avait déjà commencé le Renversement. La mort a dû emporter ceux qui étaient encore en lui. Je ne sais pas qui est advenu du reste.

- Le reste a pu s’évanouir.

- Le reste a pu être récupéré par l’enfant.

- Peut-être l’enfant.

- Ces fourberies proviennent des humains et demeurent chez les humains. L’ordre des choses est maintenu.

- Partons honorer feu Draomær et quittons ce village.

- Encore une seconde, Nabv. Regarde !

- Qu’y a-t-il ?

- L’humain. Ses yeux. Il est ébloui par la lumière de la maison. Il voit.

- Il bouge.

- Il vit. Et il vivra. Ses forces lui reviennent.

- Draomær a peut-être lâchement troqué son maléfice mais il a au moins rallongé la vie de ce bébé.

- Cet enfant n’est peut-être pas le seul à avoir été touché. Sans le vouloir, notre ami a peut-être étendu son maléfice à d’autres humains.

- Tous les humains sont maléfiques. Partons maintenant.


FIN


Un grand merci à mon relecteur attitré qui vous a épargné un bon nombre de coquilles et de fautes d'orthographe ; merci à ceux qui m'ont aidé à terminer cette histoire par des retours et des messages au fil des chapitres ; et enfin, merci à vous qui avez lu cette histoire jusqu'au bout. 🙂 J'espère qu'elle vous a plu !

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