Blaireaux : sorciers de l'ombre

Chapitre 2 : Chemin de traverse !

3374 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 24/04/2020 18:06

Suivant les instructions laissées par des notes éphémères inscrites au dos d’une liste de fournitures scolaires toutes plus étranges les unes que les autres, Pete, suivi de John, Christine, Matthew et même Andréane, sa petite sœur de six ans, s’étaient rendus à Cross Street.


- Je ne comprends pas, dit Christine. Je passe par là très souvent pour mes livres. Je n’ai jamais entendu parler d’une Auberge. Un nom pareil, je m’en serai rappelé…

- Elle est là ! s’écria Pete

Coincé entre une librairie où Christine se rendait presque chaque week-end pour consulter les derniers romans policiers et un grand magasin de disques où John avait acheté la plupart de ses vinyles, un petit pub sombre et miteux semblait avoir réussi à forcer sa place entre les deux enseignes, et arborait presque fièrement une pancarte en bois, gravée au nom du « Chaudron Baveur ».

- Alors là… siffla John, comment est-ce possible qu’on ne l’ait…

- …jamais vu ? termina Christine. Je n’en sais rien. Surtout que si Pete ne l'avait pas montré, je ne l’aurais même pas remarqué…

- Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demanda John

- On entre, répondit Christine avec assurance.

Et attrapant Andréane et Matthieux chacun par une main, elle avança d’un pas décidé vers la petite porte crasseuse.


Ils pénétrèrent dans une grande salle mal éclairée où régnait une forte odeur d’alcool bon marché.

- C’est comme ça qu’ils veulent éduquer des gamins de 11 ans ? s’écria Christine. Qu’est-ce que c’est que cette école de…

- Madame ? l’interrompit soudain un homme derrière le comptoir, on peut vous aider ?

- Ca sent l’moldu, commenta un homme à l’air fortement alcoolisé depuis le fond de la pièce

- Je cherche le, heu…

Christine s’interrompit, mesurant l’immensité de ce qu’elle allait dire à un inconnu qui n’avait peut-être jamais entendu parler de ce qui pour l’instant pouvait n’être qu’une vaste blague.

- Vous connaissez le Chemin de Traverse ? reprit-elle avec assurance

- Bien sûr ma p’tite dame, répondit l’aubergiste, c’est dans le fond de la cour pour y accéder. Vous savez comment faire ?

- Heu… non… avoua-t-elle. Je suis déjà soulagée que cette rue existe vraiment. Pouvez-vous nous montrer ?

- Mais bien sûr, ma p’tite dame.

- Merci bien, mon p’tit monsieur.

- Alors lequel de ces jeunes rentre à Poudlard, hein ?

John et Christine retinrent un cri de joie à ce mot. Ils échangèrent un large sourire mais répondirent avec calme :

- L’aîné.

- Ah bien sûr, bien sûr.

Arrivés à l’arrière-cours de l’auberge, le gérant tapa avec une canne sur un haut mur qui fermait la cour, et les pierres se mirent à virevolter de toute part, ouvrant l’accès à une longue rue marchande, plutôt fréquentée.

- Vous venez de bonne heure ? Vous avez bien raison. La plupart des sorciers attendent la dernière minute pour les fournitures scolaires. Fin août vous verriez ça, c’est noir de monde. Là, vous serez tranquilles.

- La plupart des sorciers, répéta bêtement John qui fixait la foule devant lui sans plus pouvoir cligner des yeux.


Le gérant s’apprêtait à repartir mais s’interrompit en constatant que toute la famille restait immobile. Ce fut Andréane qui brisa le silence en s’écriant :

- Wooooaaaaaah ! Il y a des balais qui volent ! Et des dragons !

Mais personne ne lui répondit.

- Vous seriez pas moldus, vous, par hasard ? demanda le gérant d’un air amusé

- Pardon ? demanda sèchement Christine

- Oh, vous vêxez pas, ça signifie simplement « personnes sans pouvoir magique ». Alors, votre p’tit gars est le premier sorcier de la famille, c’est ça ? C’est une belle chose, ça, fiston, une très belle chose, ajouta-t-il en s’accroupissant à la hauteur de Pete. Seulement, j’aime autant vous prévenir. Certains sorciers peuvent se montrer particulièrement… disons, peu accueillants envers ceux qui n’ont aucun pouvoir… Histoires de pouvoir et d’importance, vous comprenez ? Oh bien sûr, c’est comme ça partout mais… faites attention. Et toi, jeune homme, respecte bien les règles du monde de la magie. C’est très important ! Allez, allez sur le Ch’min, vous le découvrirez bien mieux par vous-même ! Bonnes courses et bonne journée !

Et il repartit dans l’obscurité de la taverne.

- Qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Andréane

- Aucune idée, dit John

- Rien écouté, ajouta Christine. Bon allons-y, moi aussi j’ai cru voir des dragons.

Et ils s’élancèrent tous ensemble, pour la première fois de leur vie, au beau milieu des commerces du Chemin de Traverse.


- Non mais regarde ça !

- Et là, et là !

- Woah ! Vous avez vu ?

- Des hiboux !

- Des plantes avec des yeux !

- Des livres qui mordent !

- Des… baguettes magiques ?

- Non, ça c’est la boulangerie

- Ah pardon.

- Eh ! Y a même une banque !

- Oui, d’ailleurs, parlons-en, de la banque, répondit Christine en haussant un sourcil. Douze galions, dix noises… Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Je n’ai que des livres sterling, moi !

- On n’a qu’à demander aux banquiers magiques ! répondit John

Il indiqua à sa petite famille l’immense bâtiment qui se dressait, majestueux, au beau milieu de l’étroite allée marchande. La structure semblait d’un siècle plus ancien que le reste des boutiques, et son blanc immaculé contrastait fortement avec les murs sombres et poussiéreux qui l’entouraient.

- Tu es sûr que c’est la banque ? interrogea Christine. Ce n’est écrit nulle part.

- Il y a un escalier de marbre, deux grillages et trois agents de sécurité, décrivit John. Je peux t’assurer que c’est la banque. C’est malheureux de voir que les sorciers ont les mêmes tristes priorités que les gens normaux…

Pete et sa mère lui jetèrent un même regard surpris.

- Des gens « normaux » ? répéta Christine. Tu es fou ? Qu’est-ce qui te prend ?

Réalisant les propos qu’il venait de tenir, John devint rouge écarlate. Secouant la tête comme pour effacer un mauvais souvenir, il répondit précipitamment :

- Non ! Non ! Pas « normaux » ! Heu… J’ai juste oublié le terme de ce monsieur… Mol ? Moldu ? Je dois avouer que je ne trouve pas le terme particulièrement flatteur, c’est vrai, mais… Non, pas « normaux ». Sorciers et non-sorciers.

- Voilà, donc les gens, en fait, répondit Christine d’un ton cinglant. Mon petit garçon est une personne, comme toi et moi. Ne va pas lui mettre des idées dans la tête !

- Je suis désolé, murmura John. C’est ma langue qui a fourché.

Contrairement à sa mère, Pete n’en voulait pas vraiment à son père pour ce lapsus. Il avait passé la nuit à se demander quel était ce monde magique, et s’il y avait vraiment sa place. Le monde « normal », comme son père l’avait appelé quelques secondes plus tôt, ne s’était jamais montré très accueillant envers lui, mis à part les membres de sa famille. Est-ce que le monde « magique » serait différent ? Et après tout, il n’avait jamais réellement expérimenté de « pouvoirs magiques » ou montré de signes distinctifs des autres enfants. Alors, était-il juste "anormal", ou était-il vraiment un sorcier ? S’il n’avait pas reçu cette lettre, il serait toujours Pete Doe, un petit garçon comme les autres, angoissé par la rentrée et anxieux de réussir à se faire des amis.


Ils gravirent l’escalier qui menait à la belle banque de style XIXème, la Banque Gringotts, et saluèrent poliment l’étrange petite créature aux oreilles pointues et au teint olivâtre qui leur ouvrit la première grille.

L’intérieur de la banque était plus incroyable encore que l’extérieur. C’était un endroit très riche, luxueusement décoré. Il imposait de lui-même le respect et la bonne tenue. Malgré les dizaines de guichets qui s’étalaient, et où d’autres créatures aux oreilles pointues prenaient en charge des clients affairés, l’endroit était calme et l’atmosphère presque tendue.

- Arf… J’aime pas les banques, grommela John

John se voyait principalement comme un artiste et un amoureux de la nature. Il ne s’intéressait que de loin aux affaires politiques et économiques de son pays, et éprouvait beaucoup de dédain envers les banques et ce qu’il appelait « leur système de vautour, auquel personne ne comprend rien ». Cette aversion s’était visiblement propagée à la Banque de Gringotts et son univers magique.

Christine n’osa rien répondre. Les propriétaires des lieux n’étaient ni souriants ni conviviaux. Elle aurait préféré que John restât muet comme une tombe le temps de leur passage.

- Bonjour, dit-elle d’une voix hésitante en s’avançant vers un guichet libre.

Le guichetier se pencha vers elle pour l’examiner de plus près.

- Bonjour, en quoi puis-je vous aider ?

Sa voix était lente et monocorde, et Christine se sentait de plus en plus mal à l’aise.

- Et bien, heu… Nous sommes des, heu… Des moldus (à ce mot, Christine fut persuadée d’avoir vu le banquier sourire en coin, subrepticement) et je crois comprendre que les boutiques avoisinantes n’acceptent pas les Livre Sterling…

- Vous devez en effet vous soumettre à la devise magique qui a cours dans notre pays, chaque pays ayant adossé la valeur de sa devise à un référentiel différent…

John poussa un soupir d’ennui à cette seule phrase.

- La Banque de Gringotts est le seul établissement financier à accepter la Livre et à l’échanger contre de la monnaie magique britannique. Pour toute autre monnaie non-magique européenne, vous devrez vous rendre dans une banque centrale de…

- Non, c’est justement tout ce que nous avons, l’interrompit Christine. Des Livres Sterling.

Le guichetier ne sembla guère apprécier d’avoir été coupé. Il remit machinalement ses lunettes en haut de son nez, et reprit :

- Très bien. Dans ce cas, vous pouvez échanger vos ressources aux tarifs indiqués sur le tableau ci-contre.

D’un mouvement très subtil de la main, il fit émerger sur la table en marbre qui le séparait de la famille Doe une tablette en granit où étaient inscrits des taux de conversion très étranges.

- Un Gallion… 4.93 pounds… Une noise… 29 cents… C’est du chinois, pour moi, commenta John.

- Mais pas pour notre compte en banque, soupira Christine. Et vu que c’est le seul établissement de conversion, je suppose que nous n’aurons pas l’embarras du choix pour la commission…

A ces mots, la bouche de la créature du guichet s’étira en un large sourire, et il prononça malicieusement :

- Le temps du choix est un temps perdu à jamais…

Christine lui jeta un regard noir.

- Oui, et vous allez me dire que le temps, c’est de l’argent, je sais. Bon. Voici 100 Livres. Donnez-moi donc des… des Gallions, et des noises… Nous verrons bien si cela suffit.

Christine posa ses 100 Livres sur la table. Mais devant le sourire entendu du banquier, elle hésita, puis posa 100 Livres supplémentaires. La créature s’éloigna d’eux, l'air satisfait.

Quand ils ressortirent de l’édifice avec une cinquantaine de Gallions, des noises et quelques mornilles, John eut du mal à séparer Andréane et Matthieu qui se battaient pour tenir et examiner sous tous leurs angles les étranges petites pièces d’or, d’argent et de bronze. Pete, quoique silencieux, était également très intrigué par cette nouvelle monnaie, mais n’osa pas prendre des mains de sa petite sœur la grosse pièce d’or rutilante. Seule Christine ne partageait pas l'engouement pour cette monnaie dont le taux de conversion lui paraissait odieusement élevé.

- On va là ? On va là ? criait frénétiquement Andréane en pointant du doigt toutes les vitrines, derrière lesquelles gigotaient des oiseaux, des plantes, mais aussi des balais, des friandises, et même des livres.

- On va aller chercher les fournitures de Pete, d’abord, répondit Christine calmement, et s’il nous reste des Gallions à la fin, on ira faire un tour chez… « Pirouettes et Badin ». On dirait un magasin de farces-et-attrapes !


Cette après-midi fut comme un rêve, pour Pete. Il ne savait plus où caser, dans sa tête, la quantité d’informations fantastiques qu’il était en train d’emmagasiner. Balais volants, livres voraces, créatures mythiques, bonbons mystérieux… Même l’argent était spécial, et la découverte de cet univers filait à une vitesse hallucinante.

Bien qu’ils passassent près de trois heures sur ce Chemin exigu, Pete eut l'impression de n’avoir mis que cinq minutes à acheter sa robe de sorcier, son chaudron, ses livres de magie et tous les autres accessoires étonnants qui lui étaient demandés pour sa rentrée des classes. La seule boutique dans laquelle il retrouva sa lucidité fut celle d’Ollivander, la boutique de baguettes magiques.

Le vieil homme au cheveux blancs avait passé 15 minutes à lui donner et à lui reprendre (et parfois à lui redonner, et lui re-reprendre) des bâtons de bois tordus, composé de morceaux d’animaux toujours plus curieux – ventricule de dragons, poil de licornes ou encore moustache de troll.

Au bout d’un certain temps, Pete commença à s’inquiéter. Et si l’on s’apercevait en fait qu’aucune baguette ne lui correspondait car il n’était pas sorcier ? Ou s’il avait été un magicien sans aucun pouvoir ?

M. Ollivander s’aperçut de la pâleur soudaine du jeune homme et son visage s’éclaira, comme dans une profonde révélation.

- Chêne blanc… murmura-t-il.

Il tira un étui de son impressionnant placard de boîtes à baguettes et le tendit à Pete qui l’ouvrit précautionneusement. Il l’eut à peine effleuré qu’un frisson glacé lui parcourut la main et le bras, jusqu’à l’épaule. Mais quand il s’en saisit, il fut pris d’un sentiment de sécurité intense, comme s’il avait enfin retrouvé un membre éloigné de sa famille. Il n’attendit même pas l’invitation de M. Ollivander pour la tendre d’un geste assuré et voir l’effet produit. Il fit le geste, et un impressionnant coup de vent jaillit de sa baguette, ouvrant d’un seul coup l’ensemble des tiroirs, placards et autres réceptacles du magasin. Ses deux parents furent comme poussés en arrière, Matthew sursauta et Andréane éclata de rire quand le bas de sa robe se souleva.

- Fantastique, mon garçon, fantastique ! s’extasia Ollivander. Une magnifique baguette en bois de Chêne blanc, un arbre ancestral et protecteur ! Le bois des sorciers loyaux et courageux !

- Et à l’intérieur y a quoua ? interrogea Matthew d’un ton rêveur

- A l’intérieur, répondit Ollivander d’un ton mystérieux, nous avons là une plume d’oiseau-tonnerre. C’est un oiseau majestueux et incroyablement fort. Il peut provoquer des tempêtes d’un simple battement d’ailes, et descend, dit-on, de l’oiseau-Phoenix. C’est une baguette extrêmement puissante, mon garçon, extrêmement puissante. Il faudra être très attentif en classe pour t’en servir correctement, et être très prudent.

- Est-ce qu’on ne pourrait pas commencer par une baguette un peu moins dangereuse, pour sa première année ? demanda John avec inquiétude.

- Mais, mon cher monsieur, ce n’est pas le sorcier qui choisit sa baguette. C’est bien la baguette qui nous choisit.


Sortant du magasin, Christine déclara, furieuse, à son mari :

- Et c’est la baguette qui choisit son prix aussi ?!

- Du calme, chérie. Regarde comme ils sont contents !

Devant eux, leurs trois enfants avaient ramassé des bouts de bois par terre et jouaient à lancer des sorts dans tous les sens en criant « Pan ! Piou ! A l’attaque ! Abracadabra ! » et Andréane passait son temps à rire.

Mais au grand étonnement de leurs parents, beaucoup d’adultes autour d’eux lançaient aux trois enfants des coups d’œil agacés.

- J’ai l’impression qu’abracadabra, c’est un peu offensant par ici, murmura John qui baissa la tête et pressa le pas.

Pete n’avait pas remarqué les regards des adultes sur lui, mais s’inquiétait de plus en plus des groupes d’enfants qu’il croisait. Beaucoup portaient des robes noires et des chapeaux pointus, comme celle et celui qu’il venait d’acheter. Tous ces enfants devaient sûrement fréquenter la même école, cette fameuse « Poudlard », où il devrait apprendre à les connaître et à sociabiliser. Cette seule pensée lui nouait l’estomac comme avec un cordage de bateau.

Etant arrivés à bout de la liste de fournitures scolaires de Pete, ils décidèrent de retourner vers le Chaudron Baveur et de rentrer à la maison. Tous les cinq étaient éreintés d’avoir marché et fait les boutiques, mais surtout d’avoir jonglé mentalement toute la journée avec le vocabulaire et le système monétaire.


- Je veux la poupée qui parle, maman ! disait Andréane

- Non, mon cœur, c’est trop cher.

- Cinq livres, avait lu Pete en déchiffrant l’étiquette de la poupée

- Non, cinq noises, rectifia son père

- Non, cinq Gallions, je crois, avait conclu Christine


Ils préférèrent donc ne pas s’attarder sur le Chemin de Traverse, et se dirigèrent tranquillement vers le Chaudron Baveur, afin de rentrer chez eux.

Sur le trajet, ils repassèrent devant l'animalerie qui vendait d'étranges animaux : hiboux, chouettes, rats, chats, crapauds… Pete s’arrêta une minute devant un grand hibou gris qui semblait le suivre du regard. A travers la vitre, il eut un petit sourire pour l’animal et leva la main pour lui dire bonjour. L’animal plissa les yeux, se courba vers l’avant, et répondit d’un profond salut. Pete en fut agréablement surpris. Il leva les yeux au ciel et, pour la première fois, s’émerveilla de tous les rapaces qui volaient et virevoltaient au-dessus d’eux, dans cette petite zone magique, transportant des lettres et des colis dans leurs becs, ou attachés à leurs pattes.


S’il s'agissait bien d'un monde où l’on pouvait saluer les oiseaux sans être pris pour un fou, il y avait tout à parier qu’il se plairait bien mieux dans celui-ci que dans l'autre.

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