Mad Love (Jerome Valeska)
Le jour de son anniversaire qu’il avait tant appris à détester, Jérôme ne se sentait pas aussi ridicule qu’à l’usuel. Il savait bien qu’il y aurait Kaysha pour le lui souhaiter, comme elle l’avait fait les trois années précédentes. Il alla à sa rencontre un grand sourire naïf étalé sur son visage enfantin. Comme à chacun de ses anniversaires, le printemps faisait éclore ses premiers bourgeons sur les arbres lointains, et le soleil rendait sa chevelure bien plus rousse qu’en hiver. En le voyant arriver, Kaysha se précipita vers lui.
Elle le regardait avec cette expression qui signifiait qu’elle avait préparé un mauvais coup à quelqu’un.
- Regarde ce que j’ai !
Elle sortit de sa poche une poignée de petits pétards, qu’elle rangea tout de suite dans sa veste trop grande avant que quelqu’un ne les voie.
- Y en a cinq, dit-elle, je propose qu’on en garde une pour le chapiteau, un autre pour le directeur, un pour Cole si possible…
Jérôme la regardait, mais ne l’écoutait plus. Il ne pensait pas qu’elle aurait oublié. Elle dû remarquer son regard perdu.
- Un dans ton oreille droite et l’autre dans ton oreille gauche, qu’est-ce que t’en dis Valeska ?
Il parut se réveiller, alerté par la question et son nom de famille.
- Oh oui… oui, pourquoi pas.
Kaysha secoua gentiment la tête. Elle l’emporta avec elle pour la première cible qu’elle avait envie de voir sursauter : Cole. Les deux enfants le trouvèrent, accompagné des autres garçons, cachés par des caravanes. Ils s’amusaient à voir le quel d’entre tous tirait un caillou le plus loin. Kaysha et Jérôme s’accroupirent pour se cacher derrière une caravane.
- On va avoir des problèmes… chuchota Jérôme.
Kaysha se tourna vers lui, la mine agacée.
- Si tu veux dégager, il est encore temps, lança-t-elle sans aucune précaution.
Vexé une fois de plus, il pinça ses lèvres et ne répondit rien. Kaysha lui laissa un sourire masculin et elle attrapa un pétard. Elle l’alluma avec un briquet, se redressa discrètement et envoya le pétard juste derrière les garçons qui ne le remarquèrent pas. Le claquement sourd fit sursauter tout le monde. Les garçons hurlèrent en sautillant. Deux s’enfuirent. Un sourire vengeur se dessina sur le visage de Kaysha. Elle haïssait Cole.
- Viens, souffla-t-elle alors que les garçons essayaient de définir l’origine du bruit, on va finir par nous voir…
Elle resta courbée sur quelques pas, et ils se mirent à courir. Kaysha s’était permis de rire aux éclats, tout en essayant de respirer pour maintenir sa course.
- Ça lui apprendra à cet imbécile ! Maintenant, le chapiteau, dit-elle en se tournant vers Jérôme.
Ils s’y rendirent en quelques minutes. Jérôme passa tranquillement sa tête pour voir qui se trouvait à l’intérieur. Il écarquilla les yeux en y découvrant Christopher.
- Kaysha, c’est ton père et ses chevaux qu’il y a là dedans !
- Oh, vraiment ? comme c’est dommage, dit-elle en allumant la mèche d’un pétard avant de le lancer sur la piste.
A son explosion, les chevaux se ruèrent dans tous les sens, manquant de blesser Christopher. Kaysha emporta Jérôme avec elle. Elle le maintint contre une énorme roue de tracteur qui devait
faire deux fois sa taille, posée non loin de la grande roue.
- T’as peut-être une idée de sur qui on pourrait jeter notre troisième pétard, Valeska ?
Le rouquin la regarda avec surprise, avant qu’un sourire malfaisant ne se dessine sur ses lèvres rosées. Kaysha lui rendit le sourire et les deux enfants se précipitèrent jusqu’à la caravane du garçon. Il passa discrètement sa tête par la fenêtre entre-ouverte de la cuisine, pour y voir sa mère avachie sur la table, une bouteille d’alcool entre les mains. Kaysha le rejoignit. Elle était dos à eux. Sans plus attendre, elle alluma la mèche et fit glisser le pétard à l’intérieur. Ils prirent leur jambe à leur cou immédiatement, ne prenant pas le risque de se faire voir par Lila Valeska.
Ravi de leur coup, les enfants se réfugièrent plus loin, à l’extérieur du faux village de caravanes.
- On va garder les deux derniers pétards, dit Kaysha avant de s’assoir par terre. Si jamais on a une meilleure occasion, ajouta-t-elle.
Jérôme acquiesça silencieusement. Elle lui tira doucement sur le pantalon pour qu’il s’asseye en face d’elle.
- Maintenant, la surprise, dit-elle.
Kaysha regarda Jérôme avec malice. Celui-ci la regardait avec perplexité. Elle fouilla dans la poche de sa veste trop grande, et en sortit un paquet blanc.
- J’ai volé ça à cet abruti de Caleb.
- Tu t’es pas fait prendre ? s’étonna Jérôme en ouvrant grand ses yeux, donnant l’impression que ses pupilles flottaient seule sur la mer blanche de sa sclérotique.
- Sérieux, Valeska, j’ai une tête à me faire prendre ?
Elle tira deux cigarettes du paquet, elle en tendit une à Jérôme en mettant l’autre dans sa bouche.
- Allez ! fais pas le flippé, met ça dans ta bouche !
Il pinça la cigarette entre ses lèvres. Kaysha attrapa un briquet et le dirigea d’abord sur la cigarette de Jérôme puis sur la sienne. Ils prirent une inspiration en même temps et s’étouffèrent presque immédiatement. Kaysha se mit à rire, suivie de Jérôme. Elle tira encore dessus et envoya la fumée dans le visage de Jérôme. Kaysha se mit à rire, suivie du garçon. Elle tira une nouvelle bouffée de cigarette et envoya la fumée dans le visage de Jérôme. En la regardant, Jérôme l’imita. Sans raison, elle lui tendit sa cigarette et prit celle du garçon, elle se retourna de trois quart et posa son dos contre l’épaule de Jérôme.
- Joyeux anniversaire, Valeska, dit-elle.
- Je pensais que t’avais oublié, murmura-t-il après quelques secondes.
Elle se retourna pour le regarder. Elle lui laissa un bisou sur la joue.
- Oublier ton anniversaire, Rouquin ? sois pas idiot !
Ils posèrent leurs dos l’un contre l’autre. Jérôme éteignit sa cigarette et la laissa tomber dans l’herbe alors que Kaysha essayait de la terminer, comme si le goût ne la gênait pas. Ils laissèrent
le temps passer, sans se bousculer.
- Ton père et ma mère vont nous tuer en sentant la fumée.
- C’est pas la première fois que je fais une connerie….
Elle sortit un déodorant de l’intérieur de sa veste avec lequel elle s’aspergea. Jérôme tourna sa tête vers elle tant bien que mal, elle lui passa le déodorant. Un chien aboya au loin, et comme si le son était un signal, elle se leva en s’aidant de ses mains. Elle en tendit une à Jérôme et l’aida à se lever.
- J’ai pas envie de rentrer. Chez moi on va pas fêter mon anniversaire.
Kaysha lui offrit un sourire défait. Elle lui bouscula l’épaule d’un léger coup de poing amical.
- On l’a pas fêté non plus.
- T’as risqué ta peau en piquant ces cigarettes.
Elle prit ses épaules dans son bras et l’emporta avec lui. Avant de le laisser entrer chez lui, elle le serra dans ses bras.
- Toi et moi, Valeska.
Elle lui prit la nuque dans sa main et fit coller leurs deux fronts. Il clôt ses paupières sur ses yeux tristes.
- Oublie pas, Valeska, sourit toujours.
Jérôme posa sa main sur l’épaule de Kaysha. Celle-ci se détacha soudainement et prit le chemin de sa caravane. Il allait lui crier de revenir, de rester. Mais aucun son ne sortit de sa bouche qui restait obstinément muette. Elle disparut, il adopta inconsciemment son visage apeuré et entra chez lui. Il devinait la première réplique cinglante de sa mère, qui serait sûrement quelque chose comme « Je sais que t’as pas le profil d’un vrai homme mais t’es pas obligé de mettre du parfum de fille » ce à quoi suivrait probablement un « balaye et fais la vaisselle ».
Il haussa les épaules avant d’avoir entendu sa voix. Plus ils avançaient ensemble au milieu des âmes de ce cirque, plus Jérôme comprenait que Kaysha lui était indispensable.