Mad Love (Jerome Valeska)
Trois semaines passées à Kansas City, le Cirque Haly reprit la route pour une petite ville dans l’Arkansas. Chacun faisait le chemin dans sa caravane. Le tumulte du départ était en pleine effervescence, comme à chaque fois. On faisait les derniers soins aux animaux pour les faire monter dans les cages, on démontait le chapiteau, le directeur hurlait ses ordres, et les artistes se démenaient dans la bonne humeur. Lila Valeska prenait la voiture à la quelle elle accrochait la caravane, et suivait le reste du cirque.
Parcourir les routes était l’une des choses que Jérôme adorait. Il y avait pleins de choses possibles à imaginer en fonction des paysages. Il n’entendait pas sa mère parler seule à l’avant de la voiture, criant sur tout ce qui bougeait trop vite ou pas assez, reprochant de temps à autres à Jérôme de respirer trop fort. Il essayait de tout voir, de ne rien rater, la tête collée à la vitre, s’habituant au rythme de la progression en se laissant bercer par le moteur de la voiture. C’était finalement la meilleure façon de ne plus entendre sa mère.
Le cirque s’installait toujours dans les mêmes villes, ne changeant en rien ses habitudes, arrivant toujours à se faire de l’argent. Après avoir donné leurs derniers efforts pour tout réinstaller, les artistes se prêtaient au rire et la plaisanterie. Ils n’oubliaient pas les vieilles rancunes de familles, mais les laissait reposer de temps en temps, offrant une ambiance agréable à tout le monde.
Jérôme profitait de ces moments pour s’éloigner de tout le monde, de la musique et des danses, des éclats de rire et des corps trop soûlés. Il reçu une tape mesurée sur l’épaule. Il se retourna brusquement.
- Qu’est-ce que tu fous, Valeska ? demanda Kaysha, les cheveux enfoncés dans une casquette trop grande pour elle.
- Je sais pas, rien, répondit-il comme s’il avait été surpris en train de faire quelque chose de mal.
Kaysha leva un sourcil et haussa les épaules. Elle eut un petit rictus amical.
- Viens, je vais te présenter les stars, dit-elle en prenant la manche de Jérôme.
Elle l’emporta sans précipitation dans le dédale de caravanes grisâtres. Ils arrivèrent à un enclos en dehors de la petite ville improvisée par le cirque. A l’intérieur se trouvaient trois chevaux blancs, aux allures majestueuses, que Jérôme admirait autant qu’il craignait. En voyant arriver Kaysha, ils levèrent l’encolure pour hennir doucement en sa direction. Impressionné, Jérôme restait en retrait. Kaysha passa sous la clôture électrique et les chevaux s’approchèrent d’elle, avec toute la délicatesse dont ils pouvaient faire preuve. Elle plongea sa main dans sa poche de sa salopette, et en sortit une friandise rouge que le premier cheval attrapa du bout des lèvres. Elle se tourna ensuite vers Jérôme.
- Ramènes-toi, Valeska !
Il s’approcha de l’enclos, mais n’entra pas. Kaysha, incroyablement patiente et calme, lui prit le poignet.
- Faut pas que t’aies peur, dit-elle, les chevaux sont adorables. Si t’as peur, ils vont le sentir. Détends-toi.
Un cheval s’approcha des enfants. Kaysha du sentir Jérôme se crisper, car lle lui prit la main et l’amena tout doucement jusqu’au nez du cheval. Pourtant effrayé, Jérôme se laissa faire. Il sentit toute la chaleur de l’animal s’étaler sur la paume de sa main, il entendit son souffle lourd et rassurant. Il plongea son regard bleu mer dans celui noir et profond du cheval, en y trouvant quelque refuge confortable. Kaysha lui mit la main à plat dans le vide, et déposa une friandise à l’intérieur. Le cheval baissa subitement la tête pour l’attraper.
- Tu vois, Valeska, ils sont pas méchants.
Le jeune garçon la gratifia d’un sourire.
- Tu travailleras avec eux, quand tu seras grande ?
Kaysha ne répondit pas tout de suite. Jérôme l’attendait, lui laissant le temps dont elle avait besoin, décidant de dire ce que lui et tous les autres avaient envie d’entendre, ou ce à quoi elle pensait réellement.
- J’adore les chevaux, commença-t-elle, mais c’est surtout mon père qui veut travailler avec. Moi, mon vrai rêve ce serait de voler, tu vois. D’être un oiseau. Tu t’es jamais demandé ce que ça pouvait faire de toucher un nuage ?
Jérôme fut étonné. Ce n’était pas le genre de question qu’il avait l’habitude de se poser, mais elle était en effet très intéressante.
- Et toi, reprit Kaysha, qu’est-ce que tu seras quand tu seras grand ?
- Un magicien, répondit Jérôme immédiatement. Le plus grand magicien de tous les temps.
Kaysha lui sourit tendrement.
- J’aime bien les magiciens. Avec un chapeau et une moustache ? et une baguette magique ?
- Bien sur ! tous les magiciens ont une baguette magique.
Les deux enfants arrêtèrent de parler. Ils s’assirent contre un arbre, plus loin de l’enclos. Kaysha passa un bras autour des épaules de Jérôme, dans un élan d’amitié qui ne lui était pas familier, et qu’elle avait réussi à exprimer seulement par ce geste.
- Tu seras un grand magicien, Valeska.
Un sourire en coin étira un côté de la bouche de Jérôme, et les deux enfants se satisfirent de leur insouciance et des rêves de l’un et de l’autre. Rien n’était dès lors plus agréable que leur respiration calme et leur souffle tranquille, accompagnés par le vent tiède de l’été qui approchait.