Mad Love (Jerome Valeska)
Une semaine avait passé, envahissante pour le jeune homme, qui voyait le jour de son anniversaire arriver avec une appréhension qui se concrétisait au fur et à mesure que les heures passaient. Il avait tout fait pour échapper au regard de Kaysha, et en avait même évité le chapiteau qu’il aimait tant.
Le chapiteau était l’un des seuls endroits où il pouvait fuir sa mère, sans que personne ne le cherche. Invisible au milieu des artistes, il apprenait tout en se taisant, observateur, ses iriss bleues suivant chacun des mouvements que faisaient les acrobates. Jérôme en était certain : arriverait un jour où il pourrait lui aussi se balancer au bout d’un trapèze pour atterrir sur ses pieds avec souplesse.
Il était donc condamné à rester le plus longtemps possible, entre sa caravane et le chapiteau, sans qu’il ne paraisse trop suspect, et sans croiser d’autres enfants. La mission était fastidieuse, mais elle occupait pour ainsi dire ses journées. Jérôme possédait l’art de la dissimulation, il savait se rendre assez petit pour que les regards lui échappent. Et lorsqu’il le fallait, c’est-à-dire très rarement, il savait se montrer. Il attendait pour cela les bons moments, mais jamais un moment ne lui était propice, car tous lui marchaient dessus. Mais cela ne le dérangeait pas vraiment, il ne se posait pas de question concernant sa place au milieu du cirque. Qu’aurait pu penser un enfant face à cette situation ?
La seule chose pour laquelle Jérôme se posait de véritables questions, était la relation qu’il avait avec sa mère. Bien qu’il n’essayât pas d’y penser, la vision de sa mère le rendait triste, et lui faisait peur parfois même. Mais cette cogitation ne durait pas bien longtemps, rapidement distrait, il oubliait Lila Valeska.
Rien n’arrête l’imagination d’un enfant. Leur innocence leur permet d’échapper à ce monde, et si personne ne les ramenait à la réalité, ils resteraient perdus dans les méandres de leurs esprits divagants. Mais Jérôme n’avait pas cette chance.
Le jour de son anniversaire tant redouté, sa mère avait été absente, et s’était attardée au chapiteau. Jérôme avait attendu son retour toute la journée, ne sachant vraiment que faire dans cette impasse. Mais Lila Valeska ne revint pas comme il avait osé l’espéré. Elle entra dans la caravane en riant aux éclats. Il entendit une autre voix l’accompagner. Debout derrière la table de la cuisine, Jérôme se dissimulait comme il le pouvait, curieux pourtant de voir le nouvel arrivant. Sa mère passa devant lui, et se retourna pour tendre sa main à l’homme qui l’accompagnait. Il avait le rire excessif, et le physique puissant. Il attrapa sa mère, pour la plaquer contre la table, et l’embrasser avec une fougue malsaine. Il laissa tourner son regard sur Jérôme qui les observait, impuissant. Sa mère fit pivoter son compagnon, et elle se retrouva face à son fils, le sourire narquois. En croisant le regard froid de sa mère, Jérôme se cacha sous la table, pour ne plus les voir. Il entendit cependant les souffles amoureux de sa mère, et s’enfuit dans sa chambre à quatre pates.
Il posa ses mains sur ses oreilles, ne voulant pas entendre les violents cris dans la chambre à côté, ne les comprenant pas. Effrayé, il se tassa sur lui-même, en s’enfouissant sous sa couette. Il s’empara ensuite d’un livre et tenta de se concentrer pour le lire, en regardant les images des animaux et leur description. Mais rien ne l’empêchait réellement d’entendre ces sons infâmes qui lui tourmentaient l’esprit. Lorsque les ébats cessèrent, Jérôme se retira tout doucement de sa couette, et s’enquit vers la cuisine, affamé. Mais au même moment, la porte de la chambre de sa mère s’ouvrit. Son visage se décomposa en apercevant son fils. Elle lui asséna une gifle sans qu’il n’ait le temps de comprendre.
- Qu’est-ce que tu fais dehors !
Jérôme plaqua instinctivement ses mains contre son visage.
- Qu’est-ce qui se passe ? questionna l’homme en sortant de la chambre, en bouclant sa ceinture.
- J’ai rien fait ! protesta Jérôme de sa petite voix enfantine.
Nouvelle claque.
- Ne me répond pas ! s’exclama sa mère.
- Mais… commença-t-il.
« C’est mon anniversaire », n’eut-il pas le temps de terminer. C’est l’homme qui s’en prit à lui, le soulevant au dessus du sol pour le bousculer contre le meuble de la cuisine. Avant que l’homme ne le rattrape, il se faufila entre les deux adultes et s’enfuit à l’extérieur, pour courir entre les caravanes et s’éloigner de sa mère. Il se replia entre deux, et cacha sa tête dans ses bras, posés sur ses genoux, pour pleurer.
Il leva les yeux en entendant des pas s’inscrire dans la poussière.
- Pourquoi pleures-tu, Jérôme ?
C’était Cicéro, l’un des rares qui avait remarqué Jérôme, et qui avait pour lui une once d’affection.
- C’est mon anniversaire, répondit le garçon en reniflant, les yeux noyés dans ses larmes, et maman ne fait que de me battre !
Cicéro se baissa vers le jeune homme pour lui répondre.
- Personne ne se soucis de toi, Jérôme, et jamais personne ne le fera. C’est mieux pour toi de le comprendre vite.
Jérôme ne pu rien répondre, face aux paroles si dures et aux allures si réelles d’un homme si vieux que Cicéro. Sur ce, le vieil homme s’en alla, laissant Jérôme dans son désarroi, perdu au milieu de ses larmes, perdu au milieu de ces caravanes. Seul, il laissa ses larmes s’écouler longuement sur son visage, le soleil printanier déclinant déjà. Sa mère lui avait mille fois répété des choses horribles, et il les avait assimilées avec plus ou moins de facilité. Mais ce que venait de lui dire Cicéro, alors qu’il n’était même pas de sa famille, aurait suffit à le détruire sur le champ, s’il n’avait pas été interrompu.
Quelque chose se cogna à sa jambe. Il ouvrit les yeux et reconnu le chat qui avait subit les maltraitances des garçons. Ce dernier ne semblait plus du tout souffrir, et avait même l’air heureux. Le chat miaula.
- Qu’est-ce que tu veux ? demanda Jérôme, agressif.
Il éloigna le chat d’un coup de pied qu’il ne voulait pas méchant, mais juste assez compréhensible pour ne plus le revoir. Il aperçu des jambes se placer devant lui, à travers la petite ouverture entre ses bras sur lesquels il avait posé sa tête. Kaysha le regardait dans un mélange de curiosité et de mécontentement, en tenant le chat entre ses mains.
- C’est pas parce que t’es pas content, que tu dois frapper ceux qui t’ont rien fait, reprocha-t-elle.
Jérôme se renfrogna.
- Vas-t-en, je parle pas avec les filles.
Elle haussa les épaules.
- De toute façon, tu parles avec personne, répondit-elle. Et puis, moi, je suis pas une fille. Mais si tu veux continuer à pleurer comme un bébé tout seul, je te laisse.
Elle passa une main sur la tête du chat qui lui rendit la caresse, et elle se détourna. Elle portait une jupe avec des baskets, un t-shirt sur lequel était imprimé un monstre poilu, et une veste noire. Elle posa le chat sur le sol, et revint sur ses pas après avoir fouillé dans ses poches. Elle laissa tomber plusieurs bonbons devant les pieds de Jérôme.
- Je prends ça, quand je suis triste. Surtout quand je pense à maman, expliqua-t-elle rapidement. J’imagine que ce sont des bonbons magiques, et qu’ils peuvent soigner la tristesse. Tu peux faire pareil, si t’as envie.
Elle tourna sur ses talons.
- On peut pas soigner la tristesse, s’étonna Jérôme.
- T’en sais rien, répliqua-t-elle en le regardant. T’as qu’à essayer.
Intrigué, le jeune homme s’empara d’un bonbon au caramel et l’avala tranquillement. Kaysha lui tendit sa main.
- Tu vas te salir, dit-elle.
Jérôme évita sa poignée de main, et se releva tout seul pour se mettre à sa hauteur.
- Tes bonbons ne soignent pas la tristesse.
- C’est parce que t’y crois pas assez, c’est tout.
- C’est ton chat ? demanda-t-il en désignant l’animal qui semblait suivre la jeune fille de partout.
- Maintenant, oui. Je te présente Shamallow.
- C’est débile comme nom !
Kaysha fronça les sourcils, blessée.
- Parce que « Jérôme », c’est pas ridicule ? Je viendrai te parler quand tu pleureras plus comme une fillette. Et en plus, t’as salis ton pantalon.
Elle prit Shamallow dans ses bras et se détourna du garçon sans rien demander de plus. Le soleil laissant ses dernières traces orangées sur le sol poussiéreux, Jérôme se décida à rentrer chez lui. Il effaça les larmes qui lui coulaient sur ses tâches de rousseur, et ébouriffa ses cheveux qui lui tombaient sur le front en rafale. Il attrapa sa veste à deux mains pour la rabattre sur son ventre sans la fermer. Sa mère n’était pas là, bien évidemment. Jérôme attrapa un paquet de chips. Il se réfugia dans sa chambre, et retrouva sa place sous sa couette. Il alluma sa lampe de poche, et reprit le livre d’imageries animalières pour s’endormir dessus.