Le Temps de la Nuit
C'est le Docteur Strange qui accueillit Jérôme à Arkham, avec ses manies habituelles. Le rouquin le regardait faire, sans dire quoi que ce soit, se contentant de l'observer d'un regard et d'un sourire inexpressifs. Il dû enfiler un uniforme de très mauvais goût, rayé de blanc et de noir.
Ils avaient fini par le démasquer, il avait pourtant été si parfait ! Mais ce Gordon avait été plus malin qu'il ne l'avait pensé. Il l'avait peut-être sous-estimé. Ce qui ne faisait pas de lui moins qu'un génie. Ils le firent avancer jusque dans l'enceinte de l'asile, avec le reste des prisonniers. Ou plutôt des internés. Comme aimait à le dire Hugo Strange, il n'est pas le directeur d'une prison, mais d'un asile. À sa droite, des barreaux retenant des hommes et des femmes aux visages dégradés, salis, aux yeux vitreux. Jérôme s'arrêta un instant pour les regarder, soulevant un sourcil qui déforma son front. Le séjour risquait d'être long. Les gardes lui pressèrent légèrement le dos pour qu'il reprenne sa marche.
- Te voilà chez toi, Jérôme, dit d'une voix lente et froide le Docteur Strange.
Il se tourna vers lui, nonchalamment, le regard presque menaçant. Mais un sourire apparu, que le Docteur Strange fit semblant de comprendre, sans se sentir déstabilisé. Il ne l'était jamais. Un génie tel que lui n'était jamais déstabilisé, et surtout pas par des personnages comme Jérôme, qui se prenaient pour ce qu'ils n'étaient évidemment pas.
- Ravi que cela te plaise, dit Strange. Je te laisse faire connaissance avec tes nouveaux camarades.
Il sourit à son tour, en considérant Jérôme derrière ses lunettes rondes, inclinant légèrement la tête. Le jeune homme ne répondit pas, conservant son attitude arrogante et supérieure. Il se sentait déjà comme chez lui. Non pas qu'il faisait parti de ce type de personne, mais qu'il n'aurait aucune difficulté à leur montrer qu'il était bien au dessus d'eux. Il était désormais de l'autre côté des barreaux, avec les autres. Il posa sa tête entre deux, tenant la cage de ses mains, et se mit à rire sans contrôle, alors que Strange passait devant eux.
Tout était long à Arkham. Le temps, la vie, les jours. Même les heures de repas semblaient interminables. La première chose à faire était bien évidemment trouver des personnes notables, qui puissent l'aider – si d''aide il avait besoin – dans ce confinement. Et quoi de mieux que de s'emparer de la bienfaisance d'un homme richissime, aux allures bourgeoises, et aux privilèges inconsidérés dans un endroit tel qu'Arkham ? Et Jérôme avait son parfait candidat pour ce poste considérable : Richard Sionis, homme d'affaire opulent, séduisant, et meurtrier de surcroît, ils avaient tout pour se plaire. L'après-midi était à son milieu lorsque le jeune Jérôme s'assit en face de Sionis. Les deux hommes se regardèrent un long instant, sans qu'aucun d'eux ne parle. Jérôme claqua sa langue imperceptiblement.
- Je suis intéressé par vous, Richard Sionis, dit-il avec un regard professionnel. Plus exactement, j'ai besoin d'un ami au sein de notre petite communauté de cinglés.
Un homme de grande taille s'approcha de Jérôme au même instant, un collier de perle à la main.
- Hé regarde, regarde, il est joli mon collier, tu peux me le mettre, j'y arrive pas.
Il enchaînait rapidement les mots entres eux, les confondant presque, omettant certains sons. Jérôme serra les poings sur la table, alors que l'autre continuait à l’assommer de ses paroles inutiles. Il sourit férocement à Sionis :
- Je vous prie de m'excuser trente secondes, il se tourna machinalement vers l'homme. Dégage, s'il te plaît, avant que je te fasse avaler ton collier perle par perle jusqu'à ce que tu meurs d'étouffement et que ton sang sorte par tes yeux lentement, articula-t-il en serrant les dents.
L'homme ramena son collier à lui, se taisant, craintif. Il se détourna sans attendre.
- Veuillez m'excuser, reprit Jérôme en regardant Sionis, mais il se ressent comme un manque cruel d'éducation par ici.
- Je suis du même avis, jeune homme, répondit Sionis en posant son journal sur la table. Tu es bien jeune pour être ici, qu'est-ce que tu as fait ?
-Juste tué ma mère, j'ai fais quelques erreurs de débutant. Mais ces imbéciles de la police ont mis un bout de temps avant de me démasquer, et seulement parce qu'ils ont été aidé par un vieillard sénile et répugnant. Enfin, j'ai quand même évité Blackgate.
- Et qu'est-ce qui te fait croire que je veux devenir ton ami ? Ou, du moins – à minima – que toi tu deviennes mon ami ?
Jérôme eut une moue enfantine, rapidement défaite par ses allures d'adulte névrosé.
- Je suis fasciné par votre manque de.... compassion ? Sollicitude ? Empathie ? J'ai suivi votre affaire, c'est pas du joli-joli ce que vous avez fait, et ça me plaît. Et puis, je suis aussi un garçon plein de talent, dit-il en tournant sur sa chaise, je suis un visionnaire, une sorte de génie. Je n'ai rien à perdre, et tout à gagner : la seule chose que je veux, c'est voir cette ville sombrer dans le chaos, pour le plaisir de voir Gotham s'assombrir sous nos actes malfaisants.
- Tu as une bien grande image de toi, répondit Sionis en reprenant son journal.
- Il en faut, pour avoir du crédit.
Sionis adopta un rictus qui parlait de lui-même. Il leva les yeux par dessus son journal pour voir Jérôme. Ce dernier lui répondit par un sourire tout aussi pervers et diabolique. Le rouquin se félicitait pour cette victoire qui devrait lui apporter bon nombre d'avantages et de facilités. À savoir avoir la paix des gardes, et donc le droit de fracasser avec allégresse ceux qui avaient le don de le mettre hors de lui, sans pour autant s'attirer les foudres de ceux qui faisaient deux fois son poids. En bref, Jérôme avait réussi à se faire respecter en un rien de temps au sein d'Arkham. L'amitié de Jérôme et Sionis avait rassemblé à leur table différentes figures du crime : Robert Greenwood, tueur de femmes et cannibale ; le décalé Arnold Dobkins, schizophrène, tueur et violeur au regard batracien ; Aaron Helzinger, grand homme au crâne chauve, à la force impressionnante. Jérôme n'aurait pu rêver mieux : ce n'était pas au cirque qu'il se serait fait des amis aussi redoutables et sinistres. Être considéré comme taré lui réussissait peut-être, finalement.
Il jouait avec un bout de mouchoir récupéré pendant le repas, à moitié allongé sur le banc, les pieds traînant négligemment sur la table, lorsqu'il reçut une tape sur le flanc. Il n'y fit d'abord pas attention, trop occupé à casser le bout de mouchoir endurci avec ses ongles. Un morceau tomba sur son nez lorsqu'une deuxième frappe lui arrivait au même endroit. Il laissa tomber son passe-temps et répondit aux coups de pied de Sionis. Il s'assit sur le banc, et regarda par dessus son épaule pour voir passer une nouvelle arrivante. Une élégante jeune femme, aux yeux bleus, le visage carré, les cheveux blonds. Il sourit en la voyant traverser la salle commune avec assurance. Elle s'empara d'une chaise, s'assit lourdement dessus, croisa les jambes et attrapa un journal qui traînait sur la table. Il croisa le regard de Sionis. Le milliardaire lui montra la jeune femme d'un discret mouvement de la tête. Jérôme claqua les paumes de ses mains sur la table et se leva du banc pour rejoindre Barbara. Il passa par dessus une chaise, en essayant d'attirer l'attention, et s'assit devant Barbara qui l'ignora grandiosement.
- Salut Beauté, je m'appelle Jérôme, déclara-t-il tout sourire.
- Fiche moi le camp, le rouquin, dit-elle avec dédain sans lever les yeux de son journal.
- J'essaye seulement d'être poli, répondit-il sans être déstabilisé. T'es la pour quoi toi ?
- J'ai tué mes parents.
- Oooh... Moi aussi... Enfin... ma mère en tout cas. C'est libérateur, hein ? Owwww, dit-il en s'arrachant la paupière à moitié, un vrai pied !
Barbara ne répondit pas au jeune homme qui parlait beaucoup trop. Elle leva les yeux vers lui, en lui signifiant qu'il était inutile de continuer la discussion qu'il menait seul. Jérôme perdit sa motivation.
- Okay, d'accord, tu vois ce balèze, ce beau-gosse là qui te regarde comme si t'étais une côtelette ? Enchaîna-t-il en désignant négligemment Sionis qui était accoudé à la table en attendant le regard de Barbara. Richard Sionis, le présenta-t-il, c'est un millionnaire, Monsieur à son avion privé, il aussi un bateau avec un jacuzzi dessus. Ce gars-là a tué vingt-cinq personnes, rigola-t-il à moitié, juste pour le plaisir.
- Oui, et alors ? Murmura Barbara en lui faisant comprendre que ce Sionis ne l'intéressait pas plus lui.
- Alors, tu es très à son goût, il veut être ton ami.
- Mmh... laisse-moi réfléchir. Non.
- Ici, c'est essentiel d'avoir un ami pour une fille, dit Jérôme avec un air sérieux qui le renvoyait presque à sa condition de jeune adulte équilibré. Parce que les gardes se fichent qu'il t'arrive des misères, ils se disent que les prisonniers l'ont bien mérité. Et il arrive des misères tout le temps ici... Oh ouais, tout le temps.
Barbara considéra quelques secondes le jeune homme sérieux. Cet idiot avait réussi à l'inquiéter. Mais elle ne s'abaissera pas à la stupide invitation de Sionis. Elle se tourna sur sa chaise et interpella Aaron qui était loin devant elle, assis à la table de Sionis.
- Hé ! Toi là ! Par ici ! Appela-t-elle en levant le bras pour attirer son regard, en sifflant et claquant des doigts. Hé le chauve là ! Regarde moi, oui, oui, toi ! Saaaluuuut, viens par là.
Aaron sourit en voyant la belle Barbara l'appeler. Il se leva pour la rejoindre, méfiant.
- Saluuut, dit-elle une nouvelle fois d'une voix mielleuse.
- Salut, hésita-t-il.
- Je m'appelle Barbara. Tu veux bien être mon ami ? Demanda-t-elle en battant des cils, provocatrice.
- Ouais !
Jérôme se délectait de la scène, voyant Barbara agir ainsi, sans douter de sa propre assurance. Il posa son menton sur une main et la regardait faire.
- Si quelqu'un ici essaye de me faire du mal... tu vas me protéger, n'est-ce pas ?
- Ouais.
- Je te remercie du fond du cœur ! T'es chou, finit-elle en lui tapant le doigt sur le nez.
Elle ricana stupidement une dernière fois, laissant Aaron se contenter du spectacle, pour se rassoir sur sa chaise en face de Jérôme.
- J'ai un ami, maintenant, déclara-t-elle.
Il passa sa main sur sa joue.
- T'es une vraie méchante... ironisa-t-il, faisant semblant d'être outré.
- Toi, sois mignon, va me faire un sandwich.
- Ton ami est un gorille, le mien tire les ficelles dans cet asile. Grâce à lui tu peux avoir des choses qu'on ne peut pas trouver dans cet endroit.
Barbara se sentit tout à coup intéressée par ce que disait le gamin. Elle se pencha en avant.
- Ah ouais ? Comme quoi ?
Jérôme comprenait qu'il gagnait à cet instant.
- Tout ce dont tu as besoin.
- J'ai besoin d'un téléphone.
Victorieux, Jérôme sourit maladivement. Il venait de réussir à charmer Barbara Kean. Il croisa le regard de Sionis, et ce dernier comprit qu'il avait réussi. Barbara et Jérôme se levèrent pour le rejoindre à sa table. Obtenir ce téléphone était gagné d'avance pour la talentueuse jeune femme.
Il ne fallut pas longtemps pour que Barbara soit acceptée dans la petite troupe. Ils passaient le plus clair de la journée tous ensembles, en essayant de tuer le temps. Ce qui était de ce fait plus facile à faire à plusieurs plutôt que seul. Barbara avait essayé d'amadouer Jim avec le téléphone obtenu, mais il n'avait pas cédé à son jeu de séduction, qui se révéla pour le moins inutile. Ils étaient assis autour d'une table, Barbara à moitié allongée sur Sionis pendant qu'Aaron lui vernissait les ongles de pieds. Le millionnaire racontait une histoire drôle, écouté de tous, lorsqu'un homme épais, au crâne sérieusement dégarni et la voix forte entra dans la salle commune pour hurler :
- Écoutez bande d'esclaves !
Tous les regards se tournèrent vers lui : ceux surpris de Sionis et de la plupart des personnes présentes, celui indifférent de Barbara et celui enjoué d'Arnold. Jérôme qui avait allongé sa tête sur ses bras se releva brusquement.
- Ma patience à des limites ! Continua le nouvel arrivant. Vous allez tous soumettre vos âmes à ma volonté !
Le gros bonhomme monta sur une table pour prendre plus de hauteur.
- Sinon je vous jure par le pouvoir du maître que je me repaîtrai de votre souffrance !
Greenwood fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu'il disait.
- Je me délecterai de vos lamentations, continua-t-il. Je vous écraserai tous comme des insectes.
Mais il ne put finir, une quinte de toux le surpris lui retirant le peu de crédibilité qu'il possédait. Il tomba sur la table et une brume bleuâtre s'échappa de sa bouche. Le groupe se leva d'un même élan en essayant de comprendre ce qu'il se passait. La fumée envahissait bientôt toute la pièce et le reste du bâtiment. Les prisonniers et gardes s'étouffèrent, pour sombrer dans un sommeil profond et inébranlable.
Au même instant une porte explosa, pour laisser entrer une femme avec un masque à gaz. Elle tira sur les trois gardes de l'entrée que la fumée n'avait pas encore atteint. Tabitha Gallavan repéra son colis derrière la grille : les meurtriers étaient paisiblement endormis. Elle sourit malicieusement. Aidée de ses hommes, elle sortit les six chanceux et les hissa dans le trafic garé dans la cours d'Arkham. Le somnifère agirait encore quelques heures. Ils avaient tout le temps pour rentrer et les livrer à son frère. Jérôme, Sionis, Barbara, Arnold, Aaron et Greenwood s'étaient échappé de l'asile d'Arkham sans avoir eu besoin de bouger le petit doigt.
***
- Tu ne dis rien, et tu me laisse faire prévint Cat en chuchotant.
Elle accéléra le pas pour passer devant. Des hommes surveillaient les entrées. En reconnaissant Cat, ils la laissèrent passer. Quelqu'un attrapa le bras d'Annie sans ménagement. Surprise, elle tenta de se dégager.
- Elle est avec moi, dit Cat en croisant les bras sur sa poitrine et en se déhanchant avec assurance.
Il parut réfléchir une poignée de seconde et lâcha Annie.
Elles entrèrent dans le grand café aux couleurs éclatantes et chaleureuses. Cat semblait connaître les lieux, elle déambulait sans se presser, ne croisant même pas le regard des gardes. Annie la suivait de près, tout en prenant connaissance de l'endroit, qui, pour être un repère de malfaiteurs, était très distingué. Elle voulut toucher un tableau du bout des doigts, mais Cat l'arrêta avant, lui faisant les gros yeux. Annie leva les épaules, gênée. Elles débouchèrent dans une grande salle, avec plusieurs tables, un grand bar, et une scène de spectacle. Annie faisait aller ses yeux de partout, émerveillée par le confort et la richesse de l'endroit. Un homme les attendait, un sourire crispé fendant grossièrement son visage, accompagné d'une autre personne d'une plus grande corpulence, à l'évidence présente pour le protéger.
- Regarde Butch ! Le chaton est de retour.
La bouche de Butch s'étira en un sourire retenu. Cat ne répondit pas. Annie fronça très légèrement les sourcils et observa Le Pingouin. Quel étrange personnage que celui là, fin, aux allures délaissées mais pourtant soignées, les cheveux noirs et gras, le nez long et crochu, la démarche irrégulière. Elle comprenait d'où lui venait ce surnom de Pingouin. Il baissa les yeux et remarqua Annie.
- Qui est-ce ?
Cat la considéra quelques instants.
- Absolument personne. Elle m'a aidé, elle mérite une partie de la récompense.
- Dois-je en comprendre que tu as ce que je t'ai demandé, Selina ?
- Cat, corrigea-t-elle.
Elle défit le sac de son dos, et le tendit au Pingouin. Butch s'en empara. Annie ne pouvait s'empêcher d'observer le visage disgracieux en face d'elle.
- Je veux ma récompense, maintenant.
- La voilà, dit Pingouin en souriant avec courtoisie.
Il sortit de sa poche plusieurs billets enroulés.
- Comme promis. Tu partageras avec ta nouvelle amie comme tu le voudras.
Cat adopta un rictus satisfait.
- On peut savoir ce qu'il y a dans ce sac ? Questionna Cat en rangeant les billets dans sa poche.
Pingouin sourit malicieusement.
- Tous les secrets ne sont pas bons à savoir, petit Chat. Disons que celui-ci va sûrement m'aider à changer les règles de cette ville. Nous avançons pas à pas.
La jeune femme souleva un sourcil, peu convaincue. Avant qu'elle ne puisse répliquer, Annie intervint.
- Vous êtes Oswald Coppelbot ?
La féline eut un regard excédé, et se tourna vers elle pour lui intimer de se taire. Mais Annie l'ignora. Le Pingouin l'observa plusieurs secondes.
- Je vous ai déjà vu, continua Annie. Vous aussi vous m'avez vue. C'était il y a quelques années. Je m'en souviens, parce que vous êtes la dernière personne extérieure que j'ai vue.
Désorienté, il ouvrit la bouche, mais rien n'en sortit. Pas même un souffle. Il se souvenait. C'était la fille de l'immeuble. Personne ne connaissait son nom, et pourtant tout le monde savait qu'elle était là. Mais après toutes ces années, plus personne ne la croyait en vie. Il devait avoir un peu plus de vingt-ans en ce temps là. Annie ne pu s'empêcher de ressentir une immense colère.
- Vous m'aviez vue ce jour-là. Pourquoi n'avoir rien fait ? Demanda-t-elle.
Il ne répondit pas immédiatement.
- Nous sommes à Gotham, dit-il, comme tout pouvait alors être excusé.
Elle soutint son regard froid, et sentit un frisson la parcourir.
Il était de la Gotham comparse. Elle ne pouvait rien répliquer. Le nom de cette ville semblait justifier tous les maux du monde.
- On y va, dit Cat en se détournant.
Éloignées du repère du Pingouin, Cat fit un demi-tour sur elle-même pour regarder Annie dans les yeux.
- Est-ce que t'es malade ? Demanda-t-elle en élevant la voix.
- Quoi ? Fit semblant de s'étonner Annie.
- Tu te fous de moi ? T'as eu de la chance, c'était Pingouin. Mais si c’avait été Fish Mooney ou un autre paria de la mafia, tu aurais très bien pu te faire tuer, et personne n'aurait rien vu !
- Je n'ai rien à perdre, répondit Annie la voix posée. Je ne sais même pas qui est « Mooney ». Il ne m'est rien arrivé, ni à toi d'ailleurs, je ne vois pas de quoi tu te plains.
Le visage décomposé, Cat leva les mains vers ses joues, en pliant toute ses phalanges comme si elle avait eut des griffes au bout des doigts.
- Mais tu ne comprends pas ! La rue c'est pas comme ça, tu fais pas ce que tu veux quand tu veux !
- Qu'est-ce que j'aurais dû faire ? Me taire peut-être ?
- La réelle question c'est qu'est-ce que toi tu as décidé de faire ? Faire le tour de la ville pour partir à la recherche de tous ceux qui t'ont un jour croisé dans ta misérable piaule pour leur faire comprendre qu'ils devraient culpabiliser jusqu'à la fin de leurs jours pour ne pas t'avoir aidé ? Si c'est pour ça que tu t'es barrée, tu peux tout de suite rentrer chez toi. Tu te venge que si tu as les moyens de te venger, et laisse-moi te dire que t'en a pas les capacités.
Annie se mordit l'intérieur des joues. Cat devait avoir raison, parce qu'à cet instant elle se sentit incroyablement ridicule. Elle resta silencieuse un moment, en écoutant les rumeurs lointaines de la ville en mouvement tout autour d'elle. N'obtenant pas de réponse, Cat laissa échapper un bruit de bouche qui signifiait toute son aberration. Elle sortit les billets de sa poche et en tendit plusieurs à Annie.
- Tiens voilà ta part. Bonne chance.
Elle se détourna. Les billets entre les mains et les yeux humides Annie ne bougeait pas. Cat était la seule à l'avoir aidée depuis sa fuite, et elle la laissait partir sans rien dire. Il était pourtant évident qu'elle avait besoin d'elle. Annie chassa la brume qui avait envahit son esprit, cristallisant ses idées et sa réflexion dans des ténèbres malsaines. Elle repoussa ses cheveux derrière elle et se mit à courir dans la direction de Cat, passa devant elle pour l'empêcher de continuer sa route.
- Attends, dit-elle. J'ai besoin de toi, tu le sais bien.
Agacée, elle fit trembler légèrement son nez.
- Sincèrement ? Oui. Pousse-toi maintenant.
- Non non, ce que je veux dire...
- Je sais très bien ce que tu veux dire. Mais je peux pas t'aider. Tu te débrouilles très bien sans moi.
- S'il te plaît, tu pourrais m'apprendre quelques trucs, je sais pas, quelques combines, et après ça je te fiche la paix. Et puis on forme plutôt une bonne équipe et...
- Hé, hé, hé, la coupa-t-elle, y a pas d'équipe, pas de binôme, pas de nous.
- Bon, d'accord, comme tu veux, mais je te demande pas grand chose.
La féline souffla d'exaspération.
- Je te jure que si tu m'attire des problèmes je te tue, dit-elle en pointant son doigt à la base de son cou.
- Promis je me laisserai faire, répondit Annie en esquissant un sourire.
- Allez viens, on va bouffer.
Annie s'apaisa en voyant la jeune femme tiquer pour effacer un sourire qui lui narguait les lèvres. Elle ne savait pas si elle devait lui dire merci, Cat n'étais pas du genre à recevoir les compliments ou les reconnaissances. Elle enferma les billets dans la poche de sa veste, et lui emboîta le pas.
***
- Si tu peux pas sauter ce toit, tu vas pas y arriver, lui cria Cat depuis l'autre immeuble.
Au début, ça avait parut être une bonne idée. Annie avait suivit Cat en haut des immeubles, regarder par dessus et se pencher n'avait pas été une dure épreuve, mais sauter par dessus, elle lui en demandait trop.
- Si je me rate, je vais mourir écrasée ! Répondit-elle.
- Au moins t'auras essayé ! Et au pire je te rattrape ! Dépêche-toi avant que je te laisse pourrir ici !
Elle avait essayé à plusieurs reprises, et s'était à chaque fois arrêtée au dernier moment. Elle reprit son élan et une grande inspiration, et s'élança à vive allure. Mais elle ne pouvait s'empêcher de se voir rater le toit d'en face, et tomber dans le vide interminable. Malgré elle, son corps se refusait à sauter par dessus le vide et elle se retrouvait penchée sur le toit à regarder le sol lointain.
- Arrête de penser à ce qu'il y a derrière ce toit ! Lança Cat en perdant patience.
Plus facile à dire qu'à faire. Annie se détacha du vide en face d'elle et prit plus d'élan. Elle s'attarda un peu, en essayant d'ignorer son corps bouillonnant, qui lui hurlait que tout cela n'était que folie. Elle enroula ses cheveux autour de son doigt afin les empêcher de bouger pour les relâcher entre ses omoplates. Et puis, peut-être découvrirait-elle qu'elle savait voler. Sur ces méditations, elle laissa l'insouciance s'emparer de son âme, se précipita le long du toit et s'élança d'un bond arrivé au bout. Cat se redressa immédiatement, prête à réagir à n'importe quelle éventualité. Annie n'eut plus conscience de son être durant ce qui parut être un long moment, dans lequel elle n'était finalement plus elle-même. Elle comprit qu'elle était encore en vie seulement lorsque son corps s'abattit sur le bord du toit. Ses mains tenaient la surface rugueuse pour qu'elle ne s'effondre pas sur le sol. Ses pieds frottaient le mur qui n'avait plus de fin. Elle sentit un de ses bas s'effiler au contact de la structure.
- Cat ! Appela-t-elle.
Cette dernière apparut au dessus d'elle, et attrapa les bras d'Annie qui pendait dans le vide, le cœur battant à toute vitesse. Cat la tirait vers elle pendant qu'elle poussait sur le mur avec ses pieds pour se hisser sur l'immeuble. Sentant le sol dur sous elle, elle se laissa complètement tomber dessus, en essayant de calmer sa respiration et les tremblements qui agitaient le reste de son corps.
- Ça va ? Demanda Cat en la regardant, assise juste à côté d'elle.
Annie leva légèrement la tête pour croiser son regard, et elle se mit à rire. Elle passa ses mains sur son visage et son corps.
- Je suis en vie ! S'exclama-t-elle entre deux rires.
Elle laissa sa tête retomber sur le sol en fermant les yeux.
- Putain, qu'est-ce que c'est bon, dit-elle en ouvrant ses bras.
Elle avait mal de partout, le mur râpeux lui avait laissé des traces sur ses jambes et ses bras, la tête lui tournait, ses bas étaient foutus, sa robe déchirée, mais elle était vivante.
Son initiation à la rue était fabuleusement bénéfique.
Voilà ce chapitre 4 qui se termine.
N'hésitez pas à commenter, à donner vos avis, me dire ce que vous aimez et surtout ce qui vous déplait, dites ce que vous en pensez :3
A bientoooot :)