La première tentation de Perceval

Chapitre 1 : La première tentation de Perceval

Chapitre final

4340 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour il y a 5 mois

Cette fanfiction participe à l’activité d’écriture de novembre-décembre 2024 : « Secret Santa, mettez le paquet ! »

Elle est dédiée à Maelyna.

Je sors ici de ma zone de confort car j'ai beaucoup de mal avec les dialogues, j'implore donc votre indulgence. Je n'ai pas pu résister à l'envie de caser les réflexions des personnages sur l'univers qui les entoure, car quelques problèmes se sont posés au fur et à mesure que j'imaginais ce crossover. Je n'apporte aucune solution, je ne fais que poser des questions (oui, j'aime ça)...



La tentation de Perceval

 

 

(Trois cors.)

 

1. INTÉRIEUR JOUR, DEVANT LA PORTE DE LA SALLE DE LA TABLE RONDE.

 

BOHORT : Seigneur Aziraphale ! Quelle heureuse surprise ! Vous voilà donc de retour de votre long voyage ?

AZIRAPHALE (un petit sourire coupable sur les lèvres) : En effet, Seigneur Bohort.

BOHORT : Je suis positivement en-chan-té de vous revoir ! Votre compagnie et votre conversation m’ont tant manqué pendant ces dernières semaines. J’espère que votre mission a été un succès ?

AZIRAPHALE (l’air toujours un peu gêné) : Oui, eh bien… en effet, j’ai rencontré… un certain nombre de… euh… de chevaliers qui seraient peut-être intéressés par la quête du Graal… je dis bien « peut-être »…

BOHORT (les yeux brillants) : Fascinant ! Mais vous serez heureux d’apprendre que nous ne vous avons pas attendu pour recruter de notre côté un élément de valeur.

AZIRAPHALE (surpris et soulagé) : Un nouveau chevalier ?

BOHORT (enthousiaste) : Mais oui ! Et vous avez de la chance, c’est précisément aujourd’hui qu’il sera introduit pour la première fois dans cette salle sacrée, témoin de tant de discussions passionnantes sur la nature du Graal !

(Un bruit d’armure retentit. Les deux chevaliers se retournent, pour voir arriver le roi Arthur accompagné d’un chevalier dont le casque recouvre entièrement le visage.)

VOIX DE CROWLEY : Tiens, tiens, comme on se retrouve…

 

(Générique.)

 

Il y avait des moments dans la vie terrestre d’Aziraphale durant lesquels il avait l’impression de flotter. Des moments où il avait tout simplement du mal à comprendre ce qui se passait autour de lui.

Bizarrement, ces moments étaient souvent liés à la présence de Crowley. Le démon avait le don de faire naître en lui des émotions qu’il hésitait à qualifier de positives, mais qui n’étaient pas entièrement négatives non plus. Des émotions entièrement humaines, et qui par conséquent échappaient à toute tentative de définition.

La dernière fois qu’ils s’étaient vus, Crowley lui avait fait une proposition parfaitement inacceptable. Une proposition à laquelle il n’avait cessé de repenser durant l’année écoulée, mais inacceptable tout de même. Une tentation digne du plus vil démon. Mentir au Paradis ? Leur envoyer de faux rapports, leur faire croire qu’il avait combattu le Mal alors qu’il se serait contenté de rendre visite à Crowley et de boire une bouteille en souvenir du bon vieux temps ?

L’idée, bien, sûr, était tentante. Mais Aziraphale était un chevalier de la Table Ronde. Incorruptible. Il servait la cause du Bien, il était l’envoyé de Dieu sur Terre. Il était rentré à Kaamelott, drapé dans sa vertu, et s’était rendu compte que les choses ne s’étaient pas arrangées en son absence. Oh, bien sûr, les chevaliers étaient pleins de bonne volonté, et cherchaient sincèrement à servir le roi Arthur, mais…

… mais…

… mais il se montraient parfois un peu…

Il n’existait pas de mots pour décrire ce que l’ange ressentait en présence du Seigneur Perceval, ou d’Hervé de Rinel, par exemple. Il avait toujours plus ou moins pensé que la loyauté, la fidélité, la vertu figuraient parmi les qualités essentielles des chevaliers. Un contact prolongé avec certains d’entre eux lui avait fait comprendre qu’elles n’étaient rien sans la logique, l’intelligence et la compréhension basique du monde.

Il s’en voulait lorsque de telles pensées s’emparaient de son esprit, lorsque sa patience s’érodait au contact de certains individus qui, certes, voulaient bien faire, mais n’en étaient tout simplement pas capables. Il s’était rendu compte qu’il était très doué pour le pardon, mais beaucoup moins pour la tolérance à la bêtise. Pourtant, il aimait sincèrement ses compagnons d’armes. Vraiment. Mais, parfois, Crowley lui manquait. Crowley et son humour cynique et décapant, qui savait jauger les hommes et les critiquer, parce que sa fonction de démon le lui permettait.

Parfois, il regrettait de ne pas avoir accepté sa proposition.

Et voilà que le démon réapparaissait dans sa vie, sous la forme la moins crédible possible, celle d’un chevalier repenti qui voulait se tourner vers le Bien.

Aziraphale n’y croyait pas une seule seconde.

Mais, s’il devait être honnête avec lui-même, il devait avouer qu’il était content de le voir.

 

 

2. INTÉRIEUR JOUR, DANS UN COULOIR DU CHÂTEAU, APRES LA RÉUNION DE LA TABLE RONDE.

 

AZIRAPHALE (marchant aux côtés de Crowley qui a retiré son casque) : Tu vas m’expliquer maintenant ce que tu es venu faire ici ?

CROWLEY (un petit sourire narquois aux lèvres) : Quoi ? Tu ne vas pas me reprocher de m’être rallié au Bien avec un B majuscule ?

AZIRAPHALE : La dernière fois que je t’ai vu, tu étais un chevalier noir qui vivait dans un château perdu au cœur des marais maudits, en train de… de fomenter une révolte contre le roi Arthur ! Qu’est-ce que tu fais à la Table Ronde ?

CROWLEY : Comme toujours, tu as le don de poser les bonnes questions. Pour commencer, les marais maudits ont été récupérés je ne sais trop comment par un enchanteur pas très sympathique, que je n’avais pas du tout envie d’avoir comme voisin….

AZIRAPHALE : Oh. Ce ne serait pas Elias le Fourbe, par hasard ?

CROWLEY : Si, exactement ! Tu le connais ?

AZIRAPHALE : Euh… Il est venu à Kaamelott et… Et ce n’est pas le sujet de cette discussion ! Qu’est-ce que tu as fait après ?

CROWLEY : Eh bien, je me suis dit que ce serait une bonne idée d’aller tenter les chevaliers alentour, de leur proposer de se rebeller contre Kaamelott, tout ça.

AZIRAPHALE (drapé dans une vertueuse indignation) : Cela ne m’étonne pas de toi !

CROWLEY : Au cas où ça t’aurait échappé, je suis toujours un démon. Tenter les humains, ça fait partie de ma fiche de poste.

AZIRAPHALE : … Et ?

CROWLEY : Et quoi ?

AZIRAPHALE : Qu’est-ce que ça a donné ? Tu as réussi à pousser des chevaliers à se rebeller ?

CROWLEY (un air embarrassé peint sur le visage) : Eh bien… c’est plus compliqué que ça.

AZIRAPHALE (triomphant) : Ah ! J’en étais sûr. Nos chevaliers sont bien trop fidèles pour accepter de rejoindre un conspirateur de la plus basse engeance !

CROWLEY : Au risque de te décevoir, ce n’est pas exactement ce qui s’est passé…

AZIRAPHALE : Quoi alors ?

CROWLEY : Ils sont trop cons. Ils n’ont pas compris ce que je leur proposais.

 

Crowley, à dire la vérité, avait pris le prétexte d’Elias pour partir. Il n’était pas bien certain de comprendre l’origine de la magie qui émanait de l’enchanteur, différent des miracles qu’il était lui-même capable de susciter. Dieu avait semé sur Terre toutes sortes de surprises, semblait-il. Aziraphale aurait probablement parlé du Plan ineffable, qui l’obsédait. Le démon, plus pragmatique, acceptait ce qu’il ne pouvait expliquer, non sans éprouver une certaine rancune à l’égard de Celle qui restait aveugle à la misère des Déchus et sourde à leurs lamentations.

Non, la vérité, c’était qu’au fond de ses marais putrides, il fallait bien le reconnaître, Crowley s’ennuyait.

Et quand il s’ennuyait, il se demandait ce que devenait son acolyte angélique, et finissait par s’ingénier à le retrouver. C’était arrivé déjà quatre ou cinq fois au cours des derniers siècles, comme une sorte de chasse au trésor qui avait le monde pour terrain de jeu et comme indices les habitudes immuables d’Aziraphale. Là où l’on trouvait du confort, de la bonne nourriture, de la culture et de la lumière, là était l’ange. C’est ainsi que Crowley l’avait retrouvé dans les jardins suspendus de Babylone, à la bibliothèque d’Alexandrie, au premier rang du théâtre de Pompée. Cela faisait plusieurs décennies qu’il avait perdu sa trace dans le sud de l’Espagne, lorsque les forces démoniaques l’avaient envoyé bien plus au nord, sur cette île où il pleuvait sans cesse, pour lutter contre un groupe d’illuminés qui s’étaient mis en tête d’apporter au monde la justice et la vertu, et accessoirement de trouver le Graal.

Le Graal, Crowley savait de quoi il s’agissait, il était là lorsque Joseph d’Arimathie avait recueilli le sang du Christ dans une espèce de saladier en métal très lourd, probablement le seul objet disponible dans l’auberge voisine. Pas le plus pratique pour le transport, mais le pauvre gars avait fait avec les moyens du bord. Ce qu’était devenu le récipient, il l’ignorait et il s’en fichait. La légende selon laquelle toute eau versée dans ce truc donnait la vie éternelle l’avait étonné lorsqu’il l’avait entendue, mais enfin, les humains se montraient si crédules qu’il n’était pas resté surpris très longtemps. La croyance populaire avait fini par atteindre les oreilles d’un roi qui avait retiré du rocher une épée magique (encore une histoire étrange, que le démon n’était pas certain d’avoir bien comprise) et fait bâtir un château plutôt cossu dans lequel il avait réuni des chevaliers autour d’une Table Ronde afin de partir en quête du Graal.

On avait donc demandé au démon d’aller voir de plus près de quoi il retournait, et, le cas échéant, de mettre des bâtons dans les roues des humains qui semblaient vouloir sauver le monde. Crowley s’était donc installé dans un château non loin de Kaamelott, et avait lancé quelques incursions contre les représentants du royaume de Logres, assez mollement, il faut bien le dire, car selon lui Arthur et ses compagnons ne représentaient pas un bien grand défi. C’était alors qu’Aziraphale s’était pointé dans son trou humide et boueux, et savoir qu’il faisait partie de la Table Ronde avait donné envie à Crowley d’aller lui-même voir de quoi il retournait.

Depuis trois jours qu’il se baladait dans le château, il n’avait pas été déçu de ce qu’il y avait vu.

 

 

3. INTÉRIEUR JOUR, À LA TAVERNE.

 

LE TAVERNIER : Ces messires, qu’est-ce qui leur ferait plaisir ?

CROWLEY (s’attablant en face d’Aziraphale) : Deux pichets de vin, un blanc, un rouge, et un poulet rôti. (Se tournant vers l’ange.) Alors, toujours fâché ?

AZIRAPHALE : Comment pourrais-je être « fâché » contre toi ? Nous ne sommes pas amis ! Nous n’avons absolument rien en commun ! Et tu arrives à Kaamelott en te présentant comme un chevalier alors que tu es un démon !

CROWLEY : Tu aurais voulu que je me présente comme quoi ? Une autruche ?

AZIRAPHALE (boudeur) : Tu es venu semer la discorde entre nous, je le sais.

CROWLEY (avec un soupir) : Ecoute, je ne crois pas que les chevaliers de la Table Ronde aient vraiment besoin de moi pour ça.

AZIRAPHALE : Qu’est-ce que tu veux dire ?

CROWLEY : Que les humains se débrouillent très bien tout seuls pour se détester, se jalouser et se friter, sans être soumis à aucune tentation. Ça ne fait que trois jours que je suis là, et je n’ai pas eu besoin du moindre miracle pour que tout le monde se prenne la tête.

AZIRAPHALE (un peu embarrassé) : Oui, mais ça, c’est parce que certains sont… un peu irritables, c’est tout.

CROWLEY : Tu crois vraiment que tous ces gugusses sont « unis dans la quête du Graal » ? Pas plus tard qu’avant-hier, Arthur était absent, et Lancelot a pris sa place à la Table Ronde. Et il a même dit « le roi, je l’emmerde ». Et mis au cachot la moitié des chevaliers présents.

AZIRAPHALE (ouvrant de grands yeux) : Quoi ?!? Mais c’était forcément sous ton influence ?

CROWLEY : Eh ben non, justement. Je n’ai rien fait. Je me suis contenté de regarder.

AZIRAPHALE : Je… je ne te crois pas.

CROWLEY : Je sais que tu as foi en eux, mais il faut que tu te rendes à l’évidence : les humains sont corrompus. L’orgueil, l’envie, l’avarice, la colère ? Ils connaissent ça mille fois mieux que nous, ce sont des experts. Pas besoin de tentations.

AZIRAPHALE : Mais…

CROWLEY : Je suis prêt à te parier que n’importe lequel des chevaliers dont tu es si fier trahirait Arthur si on lui disait qu’il est le véritable Elu. Lancelot en est déjà persuadé, Léodagan est tellement en désaccord avec tout ce que propose son gendre qu’il sauterait sur l’occasion, Bohort le ferait juste pour ne pas avoir à aller en mission… Je n’ai pas encore rencontré Perceval et Karadoc, mais je suis sûr qu’ils ont leur point faible, comme tous les autres.

AZIRAPHALE : Non, je ne te crois pas.

CROWLEY : Tu prends le pari ? Je propose le trône au premier chevalier qu’on croise. S’il le refuse, je m’en vais. Je quitte Logres pour toujours. En revanche, s’il accepte…

AZIRAPHALE : … s’il accepte… ?

CROWLEY (sous le coup d’une illumination) : S’il accepte, je m’en vais, mais tu viens avec moi !

AZIRAPHALE (stupéfait) : Je viens avec toi ? Mais où ?

CROWLEY : Ne me dis pas que tu ne meurs pas d’envie de retourner à Rome…

   

Rome.

Aziraphale ressentit un coup au cœur en entendant ce nom. En Bretagne, il faisait froid et la pluie s’infiltrait jusque dans les os. Avec un peu plus de confort, il aurait pu apprécier les lieux, car certains paysages valaient vraiment la peine, mais Rome était tellement plus… civilisée ! Il ne s’ennuyait pas, pas vraiment, mais s’il était parti pendant quelques semaines, c’était parce que la stupidité de certains chevaliers l’atterrait. Ce n’était pas une pensée très charitable, mais parfois, il faut savoir se montrer réaliste. Cela faisait plusieurs années que l’ange s’occupait d’Arthur en lui donnant des coups de pouce discrets : il avait eu tout le loisir de constater à quel point certains des chevaliers qui l’entouraient manquaient parfois de bon sens. Il sentait parfois le roi au bord de la crise de nerfs, et il s’efforçait de lui remonter le moral à l’aide d’un ou deux petits miracles, mais il voyait bien que tout était compliqué.

Et puis, il n’osait pas faire plus, car quelque chose l’inquiétait.

A aucun moment il n’avait été question, lorsqu’il avait pu jeter un coup d’œil à certaines parties du Grand Plan élaboré par Dieu, de magie ou d’êtres venus d’un autre plan. Pourtant, Merlin, malgré une certaine… disons… difficulté à comprendre certains raisonnements élémentaires, semblait doté d’une capacité illimitée de miracles d’une certaine sorte. Comme par exemple rafistoler les chevaliers lors des batailles. Ou faire pleuvoir des pierres. Ou créer des boules de feu. On avait dit à Aziraphale que Merlin était le fils d’une pucelle et d’un démon – ce qui, dûment rapporté en haut lieu, avait créé un certain émoi parmi les anges – mais aucune investigation d’aucune sorte n’avait abouti à la moindre preuve. Merlin était du côté du Bien, du côté d’Arthur. Ce n’était pas un ange, ce n’était pas un démon, mais il maîtrisait une forme de magie qui n’aurait pas dû exister.

Aziraphale était mal à l’aise avec ce qui n’aurait pas dû exister. Avec ce que Dieu leur avait peut-être caché. Mais Merlin n’était qu’une petite énigme à côté du mystère que constituait l’existence (quoique non avérée) de la Dame du Lac.

L’ange lui-même ne pouvait pas la voir, il n’était donc pas exclu qu’elle ne fût qu’une émanation de l’esprit du roi Arthur. D’ailleurs, étant donné que personne ne pouvait la voir, c’était l’explication la plus logique. Mais un doute subsistait, et Aziraphale n’aimait pas douter. Généralement, le responsable de ses doutes était Cowley. Avec de petites questions comme « Pas les enfants, quand même ? », il arrivait à mettre l’ange dans un état de stress intérieur particulièrement intense. La Dame du Lac ne jouait pas dans la même catégorie, mais elle parvenait malgré tout à l’angoisser. Dieu n’avait pas prévu un autre plan, un plan différent du plan angélique ET du plan humain ? Une sorte de nature intermédiaire qui…

Non. Non, Dieu avait créé les anges et les hommes, et les démons s’étaient créés eux-mêmes, et c’était tout.

Il se demandait si Crowley se posait lui aussi ce genre de questions.

 


4. INTÉRIEUR JOUR, TOUJOURS À LA TAVERNE.

Karadoc et Perceval ont rejoint Aziraphale et Crowley à leur table.

 

PERCEVAL : Alors, Seigneur Aziraphale, vous avez fait bon voyage ? Ça me fait plaisir de vous voir !

AZIRAPHALE : Moi aussi, Seigneur Perceval.

KARADOC : Patron, trois autres poulets, deux saucissons aux noisettes, trois miches de pain frais et trois bouteilles de vin !

LE TAVERNIER : Ça marche !

CROWLEY (un peu effaré) : Vous allez manger tout ça à vous deux ?

KARADOC : Ah non, c’est juste pour moi.

AZIRAPHALE (un peu précipitamment) : Et donc, que s’est-il passé à la Table Ronde depuis mon absence ?

PERCEVAL : Oh, vous savez, des missions ici et là… Des trucs d’amateur. Avec Karadoc, évidemment, on est passés à autre chose.

AZIRAPHALE (réprimant un soupir) : A quoi, exactement ?

KARADOC (à voix basse) : On est en train de mettre au point une technique pour se battre avec les objets qui nous entourent. Par exemple, imaginons que vous me menacez, là, tout de suite… Eh bien, je peux me servir de… (joignant le geste à la parole) ce poireau pour vous chatouiller sous le nez. Ça risque de vous agacer rapidement.

AZIRAPHALE (sous le regard consterné de Crowley) : En effet. Très habile.

PERCEVAL : Moi, pendant ce temps, je peux en profiter pour vous aveugler avec mon bonnet… Oh, zut, il est tombé… Mais bon, vous voyez le style.

CROWLEY (bouche bée, stupéfait) : Ah. Je comprends mieux pourquoi tu es parti si longtemps « en mission de recrutement » sans recruter personne.

AZIRAPHALE (rougissant, le bonnet de Perceval pendant sur une de ses oreilles) : Je voulais juste… un peu de calme.

CROWLEY : Je comprends. Je comprends vraiment. (Se tournant vers Karadoc et Perceval.) Messieurs, que diriez-vous si je vous annonçais que vous êtes tous les deux promus à une exceptionnelle destinée ?

KARADOC et PERCEVAL (en même temps) : Ouais, c’est pas faux.

CROWLEY (perplexe) : Qu’est-ce qui n’est pas faux ?

PERCEVAL : Eh ben, ce que vous avez dit, là. Mais si vous pouviez nous donner un peu plus de précisions, ce serait bien.

CROWLEY : Si je vous disais que vous êtes destinés à monter très bientôt sur le trône à la place du roi Arthur, que me répondriez-vous ?

 

Crowley était sûr de son coup. Il avait déjà fait ça des dizaines de fois. Tout le monde voulait être roi à la place du roi. Il y avait forcément une petite voix qui s’élevait alors pour dire « Mais oui, c’est évidement, tu ferais mille fois mieux que le roi actuel ! ». Dans le pire des cas, l’humain était déjà jaloux comme un pou et rêvait de passer ledit roi au fil de l’épée, voire de le torturer pour lui faire payer toutes les années passées à son service. Dans le meilleur des cas, la tentation se frayait un chemin dans l’esprit pourtant globalement fidèle du type en question, qui se disait alors qu’une retraite agréable serait la meilleure des choses pour le souverain qui avait rendu tant de bons et loyaux services au royaume, et qui devait à présent passer la main aux jeunes.

Il n’aimait pas trop tenter les hommes. Ni les femmes, d’ailleurs. C’était presque trop facile. Il avait arrêté de compter le nombre de fois où il avait piqué des idées chez les humains pour les proposer au Conseil de l’Enfer – qui s’était généralement déclaré unanimement emballé. En matière de torture, de coups tordus et de méthodes innovantes pour trucider son voisin, les démons n’avaient vraiment rien à envier aux hommes.

Il se disait parfois que c’était en partie de la faute d’Aziraphale, qui avait mis la première arme dans la main du premier homme. Avec ls meilleurs intentions du monde, bien sûr : le monde extérieur au Jardin était empli de prédateurs, et Adam et Eve, avec leur peau tendre et leurs organes aisément transperçables, risquaient de se faire boulotter en quelques minutes. L’épée de flammes leur avait été bien utile pour survivre. Mais lorsqu’on fait ce cadeau avant même d’offrir une robe ou une tunique, on risque d’orienter l’humanité vers une vie de violence et de sang.

C’était un peu injuste, il le savait bien, mais il ne pouvait s’empêcher de se dire que son propre cadeau à Eve avait été une pomme, ce qui était tout de même moins belliqueux. (Oui, il était un peu de mauvaise foi. Les démons le sont souvent.)

Quoi qu’il en soit, et peu importent les raisons, les humains étaient prompts à convoiter le bien d’autrui, et presque aussi prompts à s’en emparer. Voilà pourquoi Crowley était sûr de son coup. Une petite tentation facile, à peine un coup de pouce à donner à l’esprit en face de lui.

Il ne s’attendait donc absolument pas à ce qui se passa ensuite.

 

 

5. EXTÉRIEUR JOUR, À L’EXTÉRIEUR DE LA TAVERNE, DEVANT UNE FONTAINE.

 

CROWLEY (la main sous l’eau froide et le visage contracté) : Mais ça va pas, non ? Vous êtes complètement malade !

KARADOC (tourné vers Perceval) : ben, c’est vrai, ça, qu’est-ce qui vous a pris ? Une fourchette, quand même, ça peut être dangereux. Vous auriez dû vous contenter du poireau.

PERCEVAL (blanc de colère) : Il avait qu’à pas me provoquer ! Personne ne peut prendre la place du roi Arthur, vous entendez ? Personne ! Le roi Arthur, c’est le roi Arthur. Point barre, merci zizi, au revoir messieurs-dames.

AZIRAPHALE : Je suis sûr que le Seigneur Crowley ne voulait pas…

CROWLEY (l’interrompant, l’air mauvais) : Le Seigneur Crowley ne voulait pas se prendre une fourchette dans la main ! Le Seigneur Crowley en a sa claque de ce pays de tarés et de débiles ! Le Seigneur Crowley va foutre le camp à Rome !

AZIRAPHALE : Tu ne peux pas en vouloir à Perceval parce qu’il a refusé ta proposition. Cela ne fait que réfuter ta théorie selon laquelle tous les humains sont corrompus par l’attrait du pouvoir.

CROWLEY (entre ses dents) : C’est bien ma veine de tomber sur le seul chevalier incorruptible de tout le royaume de Logres…

PERCEVAL (un peu calmé) : Désolé, Seigneur Crowley, je ne voulais pas vous faire mal, mais quand vous avez parlé du roi Arthur… Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’ai vu la fourchette et je n’ai pas réfléchi.

CROWLEY : Je vous crois sans peine.

AZIRAPHALE (rayonnant) : Tu as la preuve que tu voulais, ou plutôt celle que tu ne voulais pas. L’humanité n’est pas si pourrie en fin de compte.

CROWLEY (à voix basse) : Je ne suis pas sûre que ce type soit vraiment représentatif de l’humanité, mais d’accord, tu as gagné. Je m’en vais.

 

(Noir.)

 

CROWLEY : La question qui se pose maintenant, c’est : est-ce que tu m’accompagnes ? 

 


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