Les baigneurs du dimanche

Chapitre 1 : Barboteuse et paréo

Chapitre final

2810 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 16/07/2024 13:48

Les baigneurs du dimanche


(challenge Ineffable Summer 2024 Summer dress)

 


— Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ?

Crowley fit la grimace, à moitié contrarié que l’ange l’ai tanné deux jours durant pour aller « prendre les eaux » dans le Sud pour faire une pause bienvenue dans le smog londonien persistant. C’était vrai qu’on était en plein mois de juillet et qu'il faisait douze degrés au plus fort de midi…

— Bon, je vais réfléchir.

— Parfait ! s’extasia l’ange en frappant dans ses mains potelées. Pendant ce temps, je prépare toutes mes affaires ! A tout à l’heure !

Le démon fronça les sourcils.

— Mais le concept du « je vais réfléchir » implique que je pourrais dire non et refuser de venir, ronchonna-t-il. T’es au courant de ça ?

Aziraphale pivota dans l’escalier qui conduisait à sa chambre (il devait bien en avoir une), les mains suspendues en l’air comme une réminiscence de posture jazzy très “West End”.

Allons bon, voilà qu’il souriait comme un imbécile maintenant ! Qu’est-ce qui lui prenait ? Il aurait dû être au minimum chagrin et au mieux, complètement vexé…

— Quoi ? Tu veux dire que tu me laisserais la voiture pour que j’y aille tout seul ? s’exclama-t-il, radieux.

Ha, l’angelot n’avait aucun conflit spirituel à croire au Père Noël…

— Dans tes rêves !

— Ah bon, je m’en doutais un peu mais ça ne coûte rien de demander. Prends tes affaires, je charge le coffre et on part… à l’aventure !

— Mes plantes ne peuvent pas rester seules pendant trois jours. Je suis sûr qu’elles en profiteraient pour crever quand j’aurai le dos tourné. Je dois les surveiller.

— Oh mais Crowley ! Tu peux les surveiller à distance en demandant à ton téléphone de garder un œil sur elle. Allez hop hop hop !

Il disparut à l’étage tout frétillant d’une énergie inhabituelle et joyeuse.

Gna gna gna, depuis quand il connaissait l’appli Vérisure, lui ?

 

.°.

 

Pendant tout le trajet vers Brighton – surnommée Londres-sur-Mer – l'ange n’arrêta pas de babiller et d'éteindre la radio à chaque fois que Crowley essayait de chercher une station, si possible pas démoniaque, pour qu’il en vienne de fait à la fermer cinq minutes. Au bout d’un moment, il ne l’écouta simplement plus déverser les potins du quartier.

Depuis quand il était copain comme cochon avec tout Whickber, lui ?

— … et je suis allé porter des sandwichs à Mme Sandwich ! Du dernier cocasse, non ? J’ai suivi l’atelier confiserie de Nina où j'ai rencontré bla bla bla bla…, tu vois ? Bla bla bla et… bla. Non mais imagine le bla…

Col de chemise ouvert et manches roulées, une main sur le volant et la paume de l’autre incrustée sur le pommeau du levier de vitesse, le démon rongeait son frein, en n’attendant qu’une occasion de doubler les gros culs sur l’autoroute*. Du coin de l'œil, il voyait son ami plus volubile que jamais pépier sur tous les tons en gloussant.

— …et là, l’accordeur de piano a dit « un clavecin mais quel gogo ! C’est juste un Yahama de 2010 ! ». Qu’est-ce qu’on a ri !... Crowley, tu ne trouves pas ça drôle ? Tu m’écoutes ?

— Oui oui, je suis tout ouïe… Mais je me concentre très fort pour qu’on se traîne à quatre-vingt miles à l'heure en passant par les petites routes…

— C’est formidable. Parce que j’ai dit à Miss Maggie qu’elle pouvait nous rejoindre plus tard sur la plage pour le goûter, si elle le voulait. J’ai pris le gramophone.

— Hein ?? Pourquoi diable ?

— Eh bien oui. Comment aurions-nous écouté de la bonne musique ce soir pour la collation de cinq heures sur la plage ?...

— Nghnf. Génial. En plein pendant l’heure du pub.

Crowley étrécissait ses pupilles fendues derrière ses verres fumés, hésitant à lui balancer qu’il allait ruiner son antiquité si le moindre grain de sable venait à sauter vicieusement dans la mécanique. Sans parler d’un air trop iodé.

Il lui jeta un autre coup d'œil en coulisse pour voir comment il le prendrait s’il se permettait de le souligner, et renonça. L’ange gigotait et plissait ses joues rosies de plaisir en faisant une petite moue ridicule. Il était heureux.

 

.°.

 

— Alors qu’est-ce que tu en penses ?

Très fier de lui, l'ange venait d'émerger d’une cabine de plage. Il écartait les bras pour faire admirer son costume de bain des années 20 (1920, pas 2020). Ses bras et sa poitrine étaient intégralement recouverts d’un maillot bleu et blanc à manches longues. Il était rentré dans une sorte de bermuda rayé en maille fine dans les mêmes tons qui lui descendait jusqu'au milieu du mollet charnu. A ses pieds, il portait des sandales blanches en chevreau (que le sel ne flinguerait pas du tout à la première goutte).

D’un pas martial, il alla déposer son impressionnant paquetage dans un coin miraculeusement tranquille, plia sa veste par-dessus, et entreprit de planter le parasol debout à côté de lui, avant de le saluer d’un coup de canotier à ruban.

Face au sourcil dubitatif de son comparse, l’ange lui flanqua la glacière dans les mains.

— Une chance que mon costume de bain soit toujours dans un état impeccable ! Un peu plus serré au milieu, mais ça va…

Crowley qui n’en pensait pas moins s'abstint de tout commentaire désobligeant sur la silhouette replète qu’il avait dans le viseur et approuva d’un sourire très hypocrite… Et il se déshabilla sans façon sur place, jetant ensuite chemise, pantalon et bottes dans le sac de plage, visant comme s’il marquait un panier au basket.

Il était tout aussi fier de son torse plat et longiligne (la perfection serpentine faite démon), et du galbe de ses cuisses élastiques digne d’un clou de girofle déshydraté. L’ensemble était mis en valeur, toute relative, par un large caleçon noir au motif écailleux irisé quand on le regardait sous un angle adéquat. Pour ne pas la perdre, il défit sa cravate grise très fine qu’il enroula autour de son poignet gauche. Aziraphale lui jeta un regard ahuri.

— Mais, tu as oublié ta tenue ? Je t’avais dit de préparer tes affaires !

— Je ne peux pas préparer ce que j’ai pas…

— Mais mon cher, tu vas te gâter le teint à circuler si peu couvert. C’est la mode aujourd’hui de se pavaner avec pour ainsi dire rien, mais tu n’es pas obligé de la suivre. Parce que si tu n’as pas remarqué : tout le monde te regarde !

— Pas sûr que ce soit à cause de mon boxer taille basse.

L’ange posa une main vexée sur sa poitrine en lissant bien le tricot de corps sur son ventre bedonnant, l’air de ne pas voir ce qui clochait.

— Fais quelque chose pour faire apparaître un peignoir… au moins, chuchota-t-il avec un sourire japonais pour les badauds masquant moyennement leur hilarité.

— Nan, ça ira comme ça.

Boudeur, Aziraphale haussa les épaules en marmonnant qu’il n’y pouvait rien si les gens ne savaient plus s’habiller confortablement pour profiter du beau temps. Avec vingt-deux degrés à l’ombre, c’était vrai qu'on pouvait craindre le choc thermique.

— Allons l’angelot, ne me fais pas croire que. T’as connu les deux premiers nudistes au monde ! Et pour ce qui est de mon « teint », je t’assure qu’il ne craint pas les coups du soleil, ni la chaleur. Ce petit présomptueux là-haut, dit-il en pointant le doigt en l’air, il me doit le respect dû à son créateur et ce n'est pas demain que je me mettrai à rougir et cloquer. Mais non, idiot, je parle du soleil… Faut quand même voir que comparé à là d’où je viens, c’est une agréable brise rafraîchissante, ce qu’on a là.

Le baigneur endimanché déploya le parasol, sortit deux draps de plage king size de son sac cabas pour les étaler à l’ombre, bien rectilignes, avant de désigner celui de gauche avec un “si monsieur veut bien se donner la peine”.

Puis, agenouillé sur la sienne, il attrapa l'épaisse valisette en osier contenant tout le nécessaire à pique-nique, artistement rangé dans de petits logements satinés couleur perle et maintenus avec un délicat ruban d’organza rouge.

— Qu’est-ce que tu fiches encore ? Pose-toi deux minutes… File-moi donc le mini-bar, je me dessèche rien qu’à te voir t’agiter.

— Mais non voyons, miss Maggie va arriver, il faut que tout soit prêt. Tiens, elle est là-bas. Youhou ! Miss Maggie ! Nous sommes là ! appela-t-il avec un gracieux mouvement de la main dans sa direction.

Crowlay décapsula une bière et fit la grimace.

— Mais qu’est-ce qu’elle porte, elle aussi ? Une djellaba ?

— Pour un séculier, tu n’y connais pas grand-chose ! C’est un caftan, mon cher. Et son accompagnatrice porte un paréo.

— Ah bah ça, vous faites bien la paire tous les deux, à vous balader à la mer habillés jusqu'au cou… Maggiiiiie ! roucoula-t-il en s’interrompant aussitôt d’un ton charmeur. Quelle belle surprise ! Votre tenue est ravissante… Et celle de votre amie aussi. A qui ai-je l’honneur ?

Biglant sur les écailles miroitantes du short de Crowley, la svelte copine blonde modèle réduit, se trémoussa en rosissant et, par extraordinaire, son paréo glissa de ses épaules.

— Comme je te le disais dans la voiture, miss Georgia** est la cousine de notre Maggie, n’est-ce pas ma chère ? Tenez votre magnifique voile d’été est tombé, n’allez pas vous abîmer la peau pendant notre dînette.

— Non, non, je préfère ne pas risquer de le salir. Et puis avec un peu d’écran total, tout ira bien. M. Crowley, pouvez-vous m’aider ? J’ai quelques minutes avant que tout soit prêt pour le pique-nique, n’est-ce pas ?

— Euh… certainement, mais vous serez sans doute plus à l’aise si Maggie…

— Non non, dit-elle en s'installant sur le ventre avant de dégrafer le haut de son bikini à la vitesse de l’éclair.

Aziraphale toussa en la regardant en biais et Maggie adressa au vieux garçon un gentil sourire réconfortant, tout en lui prenant des mains les assiettes à dessert en porcelaine de Chine.

— Ah pour nous autres qui sommes un peu enrobés, souffla-t-elle en les disposant sur la nappe à carreaux, ce n’est pas si facile, n’est-ce pas ?

— Euh mais non… que dites-vous ? Non… Vous êtes aussi admirable qu’un… euh… Rubens ? déclara-t-il avec un sourire embarrassé.

— Eh voilà, M. Fell qui fait du gringue maintenant. On a bien fait de venir…

Crowley adressa à l’ange un sourire narquois, tout en continuant à tartiner minutieusement le dos qui lui était offert complaisamment.

— Mhh, vous avez des doigts de fée, M. Crowley. C’est divin.

— Oh vraiment ? Je n’ai pas l’habitude d’entendre ça. J’essaie de m’appliquer…

— Bien ! coupa l'ange d’un ton sec en lui lançant un regard courroucé. Allez, place à la dégustation maintenant ! Je sers !

Il tapa du couteau sur un verre en cristal.

— Mais tout d’abord, commençons par un toast ! proposa-t-il en anticipant que le démon lâcherait tout sur une promesse alcoolisée.

Effectivement, il balança le tube de crème aussi sec.

— Oh déjà ? se désola miss Georgia en se recouvrant avec réticence. Mais… ? M. Fell ? Vous n’avez donc pas trop chaud ? Pourquoi n’enlevez-vous pas votre haut à manches longues ?

— C’est ce que je me tue à lui dire… Maggie, soutenez-moi sur ce coup ! Je ne tiens pas à ce qu’il fasse une syncope…

– Pff.

 

.°.

 

— Alors qu’est-ce que tu en penses ? questionna Crowley en l’interpellant de loin.

Aziraphale avait gardé le chapeau, mais tombé le t-shirt, ses chaussures fermées, et retroussé son pantalon au genou. L’angelot bomba le torse en essayant de rentrer un peu le ventre, et puis les poings sur les hanches, il fit quelques pas dans l’eau écumeuse qui venait lécher le rivage et ses doigts de pieds roses.

– Ce n’est pas si mal finalement ! reconnut-il, un tantinet réticent.

Crowley leva les yeux au ciel – ce qui fut perceptible même derrière les lunettes qui n’avaient pas quitté son nez un seul instant. Maggie reporta son attention sur sa cousine qui s'ébattait dans un maillot mouillé laissant fort peu à l’imagination.

De toute évidence pas fans de baignade, le démon et la disquaire assis le dos rond sur leur serviette préféraient regarder les deux autres s’amuser pendant qu’ils restaient en retrait, en simples observateurs du monde.

L’ange accroupi – étonnamment souple – titillait un crabe avec un bâtonnet pour l’inciter à retourner à l’eau.

— Est-ce qu’on ne l’imagine pas facilement quand il était enfant, en le voyant comme ça ? demanda-t-elle, toute attendrie.

— Oui. Il n’a pas trop changé.

— Vous le connaissez donc depuis si longtemps ? s'étonna-t-elle.

— Oh, vous n’avez pas idée.

Le démon jouait inconsciemment avec le bandage gris entourant son poignet.

— Depuis la maternelle ? Le jardin d’enfants ?

— On peut dire ça.

Quelques instants silencieux s’écoulèrent, seulement perturbés par Georgia qui imitait le cri d’une mouette.

— Ah, c’est pour ça qu’on dirait parfois que vous êtes comme des frères. Vous vous chamaillez et puis l’instant d’après pfft, c’est oublié. Mais pourquoi êtes-vous venu quand même, alors que vous vous ennuyez ?

Le démon avait reniflé au mot « frères ».

 — Pour les mêmes raisons que vous… Je veux dire, il s’amuse. Et c’est bien de le voir comme ça.

— Oui. Le mari de Georgia l’a quittée avec un enfant en bas âge et il a demandé le divorce. Elle ne sourit plus très souvent. C’est adorable d’avoir eu quelques attentions pour elle. Vous êtes gentil, finalement.

— Je ne vous permets pas de dire ça ! grogna-t-il mais sans aigreur.

Le vent se levait. Maggie se recoiffa et serra son caftan à motif oriental sur son cœur solitaire. Elle soupira et répondit finement :

— Alors mettons que je ne l’ai pas dit.

— J’aime mieux ça !

Miss Georgia lançait des paquets d’algues en direction de l’ange qui faisait semblant d'être indigné, tenant son crabe étourdi délicatement entre le pouce et l’index.

— Et alors, pourquoi vous ne vous baignez pas, vous ? relança-t-elle.

Il esquissa un sourire en coin.

— Parce que mon maillot est trop grand. D’aucuns ne se plaindraient pas si je le perdais en nageant mais Aziraphale est très pudique. Enfin, il l’était avant de se mettre à accueillir des types à poil dans sa librairie…

Maggie pouffa devant sa mine mi-figue mi-raisin.

— Et… ?

Dans la lumière qui commençait à s’adoucir, la question implicite resta en suspens si longtemps qu’elle pensait qu’il ne répondrait pas. Il soupira.

— C’est à peu près mon seul ami et je ne tiens pas à ce que ça change. Je n’ai rien d’autre d’important dans la vie et c’est… si fragile. Entre nous.

La disquaire acquiesça lentement sans avoir le moins du monde l’idée de se moquer.

— J’aurais peur de tout foirer en étant… juste un peu trop moi-même, murmura-t-il entre ses dents.

Mais Aziraphale revenait vers eux, la démarche pataude dans le sable brûlant – qui lui faisait peut-être le même effet d’un sol consacré, allez savoir.

— Crowley, miss Georgia m’a convaincu d’aller me baigner un peu plus avant dans l’eau et t’invite à venir nager avec elle. Est-ce que tu viendrais ?

Le démon arrêta de respirer.

Maggie sourit en regardant ailleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 Notes


* Il ne s’agit pas de « Fat bottom girls » mais d'une locution que j’ai entendue toute mon enfance pour désigner les camions de fret sur la route des vacances.

** OC inspiré de façon aussi transparente qu’un paréo par Georgia Moffet, aka Mme Tennant, la seule que le fandom me pardonnera à moitié d’insérer ici. L’épouse légitime.

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