Les Princes

Chapitre 1 : Apocalypse ? Now ?

1793 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 04/06/2024 14:40

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catégorie anciens défis no limits

image : Le wallpaper “Mystique”




Quatre heures avant la fin du monde, et les voilà adossés là, de chaque côté de ce gros tronc d’arbre. Songeurs. L’un le regard perdu dans le bleu nuit du ciel, l’autre sur les frêles graminées au sol, sous un soleil brûlant.


L’ange et le démon étaient démasqués. D’une part parce que l’antéchrist présumé s’était révélé n’être pas le bon garçon - cruelle déception pour Hastur dans la vallée de Megiddo – et d’autre part à cause des photos compromettantes que possédait Michael, les montrant ensemble à plusieurs reprises. Les quatre cavaliers avaient entamé leur mortelle chevauchée, on ignorait encore qui était le véritable antéchrist et où il se trouvait, et ni l’un ni l’autre n’éprouvait réellement le désir d’une guerre qui mettrait un terme à la vie sur Terre, telle qu’ils la connaissaient et l’appréciaient. Bien sûr, Aziraphale avait conservé jusqu’au dernier moment l’espoir de s’adresser à la bonne personne pour que tout s’arrange. Crowley, bien plus lucide face au danger, avait déployé toute sa force de persuasion pour qu’ils fuient ensemble, loin de toutes ces hostilités, sur Alpha du Centaure. L’ange, terrifié à l’idée de perdre son ami, s’était laissé convaincre. Et ils avaient réussi. Enfin presque.


Ils auraient dû, avant de partir, vérifier leurs miraclomètres respectifs. La jauge était bien trop basse pour ce long voyage. Quelques petits miracles domestiques avaient en effet été effectués les jours précédents, et la jauge prenait du temps à remonter. Les voilà donc à mi-chemin, sur une petite planète de rien du tout.


- Je crois qu’on a bel et bien sauvé nos miches, déclara le démon.

- Tu as remarqué comme c’est petit ici ? répondit rêveusement Aziraphale. Ce n’est sûrement pas Alpha du Centaure. Je me demande où nous sommes tombés.

- C’est vrai. C’est juste une grosse boule. D’ailleurs t’as vu ? Moi j’ai du soleil, et de ton côté c’est déjà la nuit, au clair de lune.

- Bizarre, en effet. Et que sommes-nous censés faire maintenant ?

- Réfléchissons, conclut Crowley.


C’est alors qu’un petit bonhomme tout à fait extraordinaire s’avança vers eux.

- Bonjour, leur dit-il le plus naturellement du monde.

L’ange et le démon le regardaient, les yeux comme des soucoupes, ne s’attendant manifestement pas à trouver âme qui vive sur cet étrange caillou. L’apparition avait la taille d’un petit garçon d’une dizaine d’années, aux cheveux blonds comme les blés, et portait une fine écharpe qui voletait au moindre souffle d’air.

- Hem … bonjour, commença Aziraphale, courtois. Que fais tu là ? Qui es-tu ? Et où sommes-nous ?

- Les grandes personnes sont bien étranges, murmura le garçon en guise de réponse. Elles ne s’inquiètent que de chiffres et de faits. Elles ne voient pas l’essentiel. Et bien, si vous voulez savoir, ici c’est chez moi. C’est l’astéroïde B666, une toute petite planète. Et vous êtes installés contre le tronc du seul et unique baobab que je n’ai pas réussi à arracher à temps. Il ne faut pas laisser pousser les baobabs, sinon ils vous envahissent et encombrent toute la planète. Et pour finir, leurs racines la font éclater, résuma-t-il très sérieusement. Voulez-vous visiter ?

- Eh bien, pourquoi pas ? Ce serait merveilleux, répondit l’ange en souriant. Après vous …


Les voilà donc partis tous trois. Le jeune garçon, qui ressemblait à un prince avec sa couronne de bouclettes dorées, racontait son royaume à une Principauté autrefois gardien de la porte orientale du jardin d’Eden et à un Duc des Enfers sous couverture.


- Voici mes volcans, expliqua l’enfant en désignant trois monticules de terre à peine plus hauts que des taupinières. Il faut les ramoner soigneusement toutes les semaines pour qu’ils brûlent doucement. L’un d’eux est éteint, mais on se sait jamais, pas vrai ?

La promenade était agréable. Les hautes herbes bruissaient doucement sous les légers souffles d’air frais. Aziraphale et Crowley goûtaient ce moment de paix alors que sur Terre, le pire se préparait.

- Et là, c’est ma rose. Je l’arrose tous les jours, et je la protège sous un globe pour la nuit. Parce que ses quelques épines ne lui seraient pas d’un grand secours pour éviter de se faire manger, vous ne croyez pas ? J’en prends grand soin. Elle compte pour moi.

Ainsi devisait le petit prince, avec dans la voix une traînée de mélancolie qui n’échappa nullement aux deux autres.


Une demi-heure plus tard, ils étaient de retour auprès du grand arbre.

- Et qu’est-ce que tu fais de tes journées, à part ramoner tes volcans, arracher les nouveaux baobabs et bichonner ta fleur ? s’enquit Crowley aimablement.

- Je m’ennuie, admit le garçon après un long silence. J’aimerais avoir des amis. Voudriez-vous être mes amis ? Je suis si seul.

Le ton était tellement plaintif qu’Aziraphale eut aussitôt pitié :

- Bien sûr, avec joie !

- C’est que, intervint le démon avec gêne, on ne fait que passer. En fait, on était en route vers Alpha du Centaure, mais on a eu un petit problème … mécanique. On repart bientôt.

- Pourquoi ? D’où vous venez, ça n’était pas un bel endroit ?

L’ange réfléchit un instant avant de répondre :

- Non, en effet, ça n’allait plus très bien quand nous sommes partis. Des … hem … catastrophes en prévision pour les humains. Le Grand Plan, l’apocalypse, tout ça. C'est un peu compliqué à comprendre pour un petit garçon.

- Qu’est-ce qu’un humain ? S’il vous plaît … dessine-moi un humain !

- Ouh là ! C’est drôlement difficile à dessiner, répondit Crowley. Tu vois, et bien c’est un peu comme toi et nous. Toi quand c’est petit, nous quand c’est grand.

- Et il y en a beaucoup ?

- Des millions, des milliards !

- Donc vous, vous êtes humains ?

- Non. Oui. En quelque sorte ...

- Alors vous avez des tas d’amis ? Quelle chance ! Moi je suis tout seul ici. Avec vous, qui ne pouvez pas devenir mes amis … Un soupir fêla ses derniers mots.

- Petit bonhomme, ce n’est pas par mauvaise volonté, reprit Aziraphale. Mais il se peut que nous ayons quitté ta planète avant le coucher du soleil.

Le visage du petit prince s’éclaira d’un sourire radieux :

- J’aime bien les couchers de soleil ! Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois. Rien qu’en déplaçant ma chaise. Mais alors, là où vous allez, vous n’aurez plus d’amis ?


L’ange et le démon s’étaient réinstallés au pied du baobab. Cette dernière remarque les plongea dans un abîme de perplexité. Un sentiment ténu de culpabilité commença de leur griffer l’âme. D’accord, ils sauvaient leur peau et restaient ensemble, ce qui n’était tout de même pas rien. Mais les autres ? Qu’allait-il leur arriver ? Qui pour les protéger, prendre soin d’eux ? Ce garçon, qui ne connaissait apparemment rien aux humains, y avait songé, lui, et en termes d’amis.

Il en était de peu recommandables, certes, dans le lot. Mais le jeune Warlock, par exemple, n’avait finalement rien d’un antéchrist malfaisant. La nonne du couvent Sainte Béryl était sans nul doute une jeune femme tout à fait charmante. Anathème valait elle aussi la peine d’être connue, toute perturbée qu’elle fût par son destin de descendante. Et combien d’autres, qui ne méritaient certainement pas d’être anéantis, coincés dans un combat sanglant et sans merci entre les forces du Bien et du Mal ! Et puis que feraient-ils, seuls sur Alpha du Centaure ? Pourrait-on y conduire un bolide tout confort en écoutant son groupe préféré ? Dévorer d’anciennes éditions de Jane Austen ? Flâner autour d’un point d’eau où batifolent des canards ? Y aurait-il des plantes là-bas, sur lesquelles hurler ? Et, pour l’amour du ciel, trouverait-on des crêpes en dessert ?



- On n’est jamais content là où l’on est, dit finalement Aziraphale. Non, décidément, ce n’est pas notre place. Ni sur cet astéroïde, ni sur Alpha du Centaure. Le monde a besoin de nous.

- Sans doute, admit le démon, on s’est dégonflés, c’est sûr.

- Nous n’avons pensé qu’à nos petites personnes. Mais que vaut la vie, toute éternelle qu’elle soit, si nous ne la partageons qu’à deux ?

Le silence était assourdissant. Le jeune garçon les regardait tous deux tour à tour, avec dans les yeux encore mille questions.

- Miraclomètre ? demanda finalement Crowley d’un ton décidé.

- Ma jauge a remonté suffisamment pour retourner sur Terre.

- La mienne aussi, c’est bon.


Le petit prince, qui avait tout compris car les mots sont inutiles - le langage est source de malentendus – leur fit part de son approbation :

- Je suis content que vous ayez trouvé ce qui vous manquait. Vous allez pouvoir rentrer chez vous…

- Petit bonhomme, déclara l’ange avec émotion, je suis ravi de t’avoir connu. Je ne t’oublierai pas. Je penserai à toi la nuit, quand je regarderai les étoiles.

- Ngk, ajouta Crowley. Et encore heureux qu’il n’ait pas quitté ses lunettes fumées, sinon tous les démons de l’Enfer se seraient immanquablement moqués de lui sans vergogne pour avoir, un beau jour, sur l’astéroïde B666, face à un gamin d’une dizaine d’années, versé une larme.

 

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