There are stars at the bottom of the sea

Chapitre 9 : L’île au trésor

13774 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois


Dans le chapitre précédent 


Aziraphale a frôlé la mort en sauvant la vie de Crowley, mais ce dernier a réussi à soigner son infection grâce aux algues et aux secrets de son peuple. En convalescence, il fait l’objet de l’attention de tous les membres d’équipage du Revenge. Parmi eux, Ed reste à son chevet et décide de lui raconter sa rencontre avec Crowley. 


TW : violence, non-con, esclavage (sexuel), rien de graphique ! 



~*~



Mardi 18 juillet 1701


Izzy et moi, on faisait partie de l’équipage du Ranger à l’époque. J’étais le second du capitaine Hornigold, mais avec Izzy, on avait d’autres projets ! On attendait juste d’avoir assez de pognon pour pouvoir monter notre petite équipe. C’était la première fois que je foutais les pieds sur Isla de Pinos, mais Izzy, lui, il connaissait un peu, surtout les bars louches de Nuevo Gerona… On était au troisième et dernier soir de notre escale, le Ranger devait quitter le port à l’aube et on avait quartier libre ! On s’était dit que c’était l’occasion de miser notre paye aux jeux pour notre butin personnel. On avait déjà causé un peu de grabuge la veille dans le centre de la ville, alors Hornigold nous avait dit d’essayer de se la jouer discret et de nous éloigner un peu pour pas créer de problèmes avec les locaux. On avait fini par se paumer à la limite de la ville, en plein milieu de la nuit, et on crevait de soif ! Il faisait une chaleur à crever et on avait fini nos gourdes depuis une bonne heure. Faut dire qu’il trottait en ce temps-là Izzy, avec une jambe en plus et sa barbe en moins ! 


— J’ai les bonbons qui collent, Izzy, putain, fais quelque chose… 

— On y est presque ! Je crois qu’il y a un bar dans ce coin… J’y suis entré qu’une fois, il est tenu par un vrai connard, mais il sert à boire, ça c’est sûr ! 

— Comment ça s’appelle ? 

— Le Seven, je crois… 

— Eh ben, c’est pas ça, là-bas ? Ça ressemble à un bordel pas cher…

— Raison de plus pour y aller ! 


Dans l’obscurité, on voyait une espèce de gargote un peu plus loin et l’odeur de tabac m’attirait comme une mouche sur du miel ! De dehors, on n’entendait qu’un vague bruit de vaisselle qu’on remue en provenance de l’entrée et des bruits de baise depuis l’étage supérieur où on pouvait distinguer un peu de lumière depuis deux fenêtres. La porte était grande ouverte alors vu comme on avait le gosier bien sec, on n'a pas hésité trois heures et on est entrés ! 

L’endroit était miteux, pire encore que chez Spanish Jackie, c’est pour dire… 


Le sol était en terre battue, mais trouvait quand même le moyen de coller à nos godasses et les lanternes ne servaient qu’à mettre en lumière l’état pitoyable des lieux et des occupants, si tu vois ce que je veux dire ! J’avais pas l’habitude d’être très r’gardant, mais cette gargote, j’aurais pas eu aussi soif, j’y aurais pas mis les pieds. Y avait un truc dans l’air… Quelques tables étaient plaquées contre le mur opposé au bar et le plafond était tellement bas que j’avais presque peur de me tenir debout, putain ! Des tonneaux, éparpillés un peu partout, faisaient office de tabourets ou de tables d’appoint pour remplacer le mobilier pété par les bagarres et sur les murs, y avait des râteliers à foin qui servaient de séchoirs à tabac de fortune…    


Malheureusement, à cette heure tardive y avait plus grand monde dans le bouge. Quelques gars cuvaient leur rhum à moitié couchés sur les tables ou à-même le sol, dans la pisse et le vomi et des filles de joie, l’air mal en point, débarrassaient les dernières tables en les enjambant. 

Elles étaient toutes plus maigres les unes que les autres et portaient des robes crasseuses qui donnaient pas envie d’y glisser les mains, moi je te le dis ! L’une d’elle serrait un châle sur ses petites épaules toutes frêles et elle s’est approchée de nous d’un pas hésitant. 

Elle avait de longs cheveux roux qui auraient pû être jolis si seulement ils avaient été propres et peignés… Malgré tout, elle était plutôt avenante, avec un sourire pétillant aux lèvres et de grands yeux bleus, soulignés par un épais trait de maquillage. 

Une belle femme à en croire la façon dont Izzy la dévisageait ! Moi, j’avais pas d’opinion, elles m’ont toujours fait autant d’effet qu’un bol de lait… 


— Messieurs… Vous arrivez bien tard, on ne sert plus à cette heure-ci ! 


Izzy a saisi une de ses petites mains et a posé un baiser dessus en s’inclinant. Un parfait gentleman ! Jamais je l’avais vu faire ça avant, ce sac à foutre ambulant ! 


— Mademoiselle… Qu’est-ce qu’une aussi jolie femme fait dans un endroit pareil ? Je me rappelle pas vous avoir vue la dernière fois que je suis venu ici… 

— Oh, je, hum… Je ne travaille pas ici depuis très longtemps, je suis… Je tirais les cartes avant, mais… Disons que ça ne me rapportait pas assez d’argent pour payer mes dettes… 

— Une diseuse de bonne aventure, voyez-vous donc ! Et que me prédisez-vous pour cette nuit torride, ma chère… Quel est votre nom d’ailleurs ? 

— Tracy ! 

— Enchanté, Madame Tracy ! Israël Hands pour vous servir…


J’ai envoyé ma main sur l’arrière de la tête d’Izzy, histoire qu’il oublie pas trop pourquoi on était là et que les histoires de bites, ce serait après…


— Dites-le si je dérange ! 

— Ah et, euh… Edward Teach… 

— Tout le plaisir est pour moi, messieurs. Comme je vous le disais, nous ne servons plus à cette heure, mais nous proposons d’autres plaisirs… qu’elle minaudait, en souriant à Izzy.  

— En fait, on voulait jouer ! Des jeux d’argent, je précise… ai-je ajouté, en faisant tinter les pièces dans ma poche. 

— Ah… Dans ce cas, c’est différent… Monsieur Sandalphon


Sa voix criarde m’avait fait sursauter tandis qu’elle se dirigeait à grands pas vers la porte ouverte dans le fond de la pièce. Je profitais qu’elle disparaisse derrière un rideau pour secouer Izzy, qu'était hypnotisé par son petit cul.   


— Tu nous fais quoi là ? 

— Hein ? Rien ! 

— On est pas v’nu là pour ça… D’abord le blé. Après tu verras comment tu veux dépenser ta part…


Il a grommelé, mais il a fini par se calmer. Il savait que si on la jouait fine, sa nuit serait bonne. Même pas cinq minutes plus tard, Tracy était revenue et posait une main sur l’épaule d’Izzy : 


— Monsieur Sandalphon est toujours prêt à accueillir des joueurs pour peu qu’ils aient une bourse bien pleine ! Il se souvient de vous, monsieur Hands… Par ici, s’il vous plaît !   


C’est là qu’on l’a suivie vers la porte du fond et en fait, le rideau dissimulait des marches ! On est descendus et on s’est retrouvés dans une grande salle un poil plus chaleureuse. Il y avait un sol en parquet. Y avait aussi un bar sur une estrade en bois, plus petit qu’en haut, mais mieux garni, qui donnait sur une pièce sans fenêtre. Contre le mur latéral, c’était clairement une petite réserve de tonneaux d’alcools, de viandes séchées et de rhinocorne. La pièce était encore noyée dans la fumée et on n’y voyait pas mieux qu’à l’étage supérieur ! Cependant, on voyait bien qu’il y avait tout un tas de trucs qui pendaient des poutres : de la charcuterie, des cordes, des chaînes, des casseroles. Je m’en suis pris une dans la gueule d’ailleurs, mon crâne s’en souvient encore…


— Aïe, putain de putain, mais qu’est-ce que ça fout là ça, bordel ?


Les casseroles se sont entrechoquées entre elles, faisant un boucan à réveiller un mort. J’ai vu quelques têtes, dans la semi-pénombre, se tourner vers nous et j’ai entendu du métal traînant par terre, dans un coin, comme un bruit de chaîne qui raclait le sol, mais j’y voyais pas grand-chose… 


— Tout le monde n’est pas aussi grand que vous, monsieur Teach ! Votre ami, monsieur Hands, s’est faufilé sans problème… a souri Tracy, en caressant la joue d’Izzy du bout de son index.


Il souriait comme un débile, ce con.  

Une fois accoutumés au peu de lumière, j’ai vite remarqué les cibles accrochées aux poutres verticales, au milieu d’avis de recherche plus ou moins récents et d’impacts de couteaux.  

Sur les premières tables, il y avait encore quelques clients, qui jouaient aux dés en nous regardant de travers. Ils devaient pas trop avoir l’habitude des étrangers dans ce qui était clairement une salle de jeux privée ! Sur les tables, l’alcool et la rhinocorne se partageaient l’espace avec des jeux de cartes racornis, des dés et des tas de pièces ou de breloques pour les mises.  

Tracy nous a conduits vers le fond de la pièce en se faisant peloter les miches par tous ces pouilleux au passage. L’un d’eux s’est même levé et a plongé sa grosse patte sous son châle pour déchirer le devant de sa robe et exposer ses nibards. 


— Putain, ce que t’es bonne ! Je finis ma partie et si je regagne ma mise, je vais te baiser comme personne t’a jamais baisée ! Ici, sur la table ! Pour que tout le monde t’entende couiner… 


Ca s’est passé hyper vite ! En moins de deux secondes, le type était plaqué contre sa table, son bras coincé derrière son dos et Izzy penché sur sa joue. 


— C’est toi qu’on va entendre couiner pendant que je vais te castrer comme un porc ! C’est pas comme ça qu’on parle aux dames ! 

— Monsieur Hands…


Une voix douceureuse s’est fait entendre du fond de la pièce. Sur la dernière table, un mec était assis avec deux autres types. Sans se lever, il a continué à parler : 


— Vous et votre ami souhaitez jouer, n’est-ce pas ? Alors veuillez laisser les parties génitales de ma clientèle en paix et approchez, je vous prie !  


Izzy a grogné à l’oreille du mec et s’est redressé lentement. Le type s’est redressé lui aussi et au lieu de se la fermer, il a parlé. 


— Ça va, c’est qu’une pute !  


Erreur classique !


Izzy l’a étalé d’un seul coup de poing. Le mec est tombé par terre, en renversant la table avec lui, mais personne n’a osé protester. Izzy s’est ensuite tourné vers Tracy et l’a recouverte avec son châle en la regardant droit dans les yeux. Pourtant elle avait des beaux nichons… C’est pas parce que je penche de l’autre côté de la balance que je sais pas quand une fille est bien gaulée. Elle a eu un petit sourire, et nous a ensuite conduits vers le patron des lieux. 


Et c’est là que je l’ai vu.


A peu près au milieu de la pièce, derrière une table vide, j’ai vu quelqu’un recroquevillé par terre. Au début, j’ai cru que c’était une toute jeune fille, tellement il était frêle. Enchaîné à une poutre, il était entièrement nu, du coup, j’ai bien vu que c’était un garçon. Il devait pas avoir plus de dix-sept ou dix-huit ans. Ses longs cheveux roux emmêlés recouvraient ses épaules et son torse. Son dos était plaqué contre la poutre et il avait ramené ses jambes contre lui pour protéger ses parties. On voyait quand même qu’il était effroyablement maigre ! Sur ses flancs, on distinguait facilement ses côtes se soulever à chacune de ses respirations, rapides et laborieuses. Il était terrorisé ! C’était la chaîne qui était accrochée à sa cheville que j’avais entendu racler sur le sol, plus tôt. Il nous observait derrière son rideau de cheveux et j’ai crû apercevoir un éclat jaune, mais je me suis dit que ça manquait vraiment d’éclairage dans cette foutue cave. 

Jamais j’oublierai son regard.

En arrivant à sa hauteur, Tracy a ralenti et l’a regardé avec un air profondément désolé, avant de continuer vers le proprio. Et quand moi je suis arrivé à sa hauteur, il a tourné son visage et fermé ses yeux. Il tremblait comme une feuille, je sais pas si c’était de froid ou de peur. Sûrement les deux. Il… Il…Y avait des marques sur ses côtes, ses bras et ses jambes… Beaucoup de marques, dont certaines vraiment pas belles à voir… Izzy et moi, on a dû s’arrêter sous le choc parce que le gars s’est remis à nous parler, droit devant nous : 


— Eh bien, eh bien, approchez, je vous en prie ! Tracy m’a dit que vous aviez de l’argent à jouer alors ne perdons pas de temps… 


Izzy m’a poussé pour me faire avancer et on s’est plantés devant sa table. Le type s’est levé tout doucement pour nous accueillir, relevant le menton bien haut, histoire de nous montrer qui était en charge ici. Il était pas bien grand et avait le crâne tout dégarni. Il m’a tendu une main un peu molle, comme si ça le dégoûtait de me toucher et quand je l’ai serrée, il a fait un grand sourire bien faux. Il avait un drôle de bijou brillant entre ses dents de devant, mais en dehors de ça, il était plutôt quelconque. Il nous a fait signe de nous asseoir après avoir serré la main d’Izzy. 


— Je suis monsieur Sandalphon, le patron du Seven ! il s’est présenté en me regardant. Tracy, poupée, va nous chercher une bouteille de rhum, tu veux bien ? Du bon… il a ajouté, en claquant des doigts, avant de taper le plat de sa main sur ses fesses. 

— Et de la rhinocorne, catin ! a ajouté un des deux autres types assis à la table. 


Le patron a dû voir qu’Izzy avait tiqué parce qu’il a de nouveau claqué ses doigts en regardant ses hommes : 


— Laissez-nous ! Allez fermer la boutique ! 


Les deux autres se sont levés sans broncher, mais en nous jetant un ce ces regards… Et ils sont partis à l’étage. L’un d’eux a caressé les cheveux du gamin en passant, ça m’a donné envie de gerber… On s’est assis et Tracy a ramené une bouteille et deux verres en souriant à Izzy avant d’aller se remettre derrière le bar pour nettoyer la vaisselle et ranger de la bouffe. 


— A quoi souhaitez-vous jouer, messieurs ? Connaissant les… Talents de monsieur Hands, je ne vous défierai pas au lancer de couteaux ! J’imagine que vous partagez les mêmes dons, monsieur…

— Teach ! Edward Teach… j’ai répondu vaguement, en observant le gamin, qui jetait des regards affolés dans notre direction. 

— On va jouer aux cartes ! a répondu Izzy, en sortant sa bourse de pièces. 


Il ignorait le gamin, mais je savais qu’il était aussi tendu que moi. 

Sandalphon a ouvert la bouteille et a versé trois verres de rhum, avant de s’allumer un cigare :  


— Le client est roi ! 


Il a ensuite battu un jeu de cartes longuement, en nous dévisageant. J’essayais d’éviter de tortiller mon cul sur ma chaise, tellement ce type me dégoûtait avec son petit air porcin. Mais pour le moment, c’était Izzy qui l’intéressait : 


— Il y a longtemps que je ne vous avais vu à Isla de Pinos, monsieur Hands… 

— Mhm… J’étais en mer ! On fait une escale, on repart demain… 


On a fait une partie, puis une deuxième. On a gagné. Sandalphon a rempli nos verres à nouveau et Tracy nous a emmené de la rhinocorne. On en a pris un peu par politesse, mais on voulait pas perdre alors on a fait attention ! Et puis ce gamin que je sentais nous observer dans mon dos… Sandalphon, lui, il s’est pas privé. 

Au bout de la septième manche, les autres joueurs étaient tous partis, il restait plus que nous, Tracy, lui, et l’étrange gamin. Ses hommes de main avaient fini par redescendre, mais ils s’étaient tellement défoncés qu’ils dormaient sur leur table ! J’ai sorti la vieille pipe que j’avais à l’époque et je l’ai allumée en me tassant un peu dans ma chaise pendant que Sandalphon battait à nouveau les cartes en nous matant toujours avec son air vicelard. Y avait un truc qui brillait dans ses yeux, je savais pas trop ce que c’était, mais ça me plaisait pas du tout. On sentait qu’un truc ne tournait pas rond chez lui…

Le gamin n’avait pas bougé. Il nous regardait à la dérobée derrière ses cheveux, en jetant des coups d'œil apeurés à Sandalphon… Il avait les traits fins et délicats, mais il avait l’air farouche, un peu sauvage. Y avait aucun doute qu’il attirait le regard, ça c’est sûr ; il avait une sorte de beauté arrogante, comme tous les jeunes gens tu vas me dire, mais je sais pas… Y avait un truc différent, un genre de noblesse qui se dégageait de lui, malgré les circonstances.       


— C’est qui lui ? j’ai fini par demander, en croisant mes jambes.  


Izzy m’a jeté un regard en coin, avant de tourner son visage vers le gamin. Sandalphon a souri, sans lever ses yeux du jeu de cartes. Y avait sa dent qui brillait quand il parlait : 


— J’ai vu l’intérêt que vous lui portez, monsieur Teach… En même temps, Anthony ne laisse personne indifférent. 

— Anthony ? 

— C’est comme ça que je l’ai baptisé ! Nul ne connaît son véritable nom, si toutefois il en a un… Je l’ai trouvé le jour de la Saint Antoine, je ne suis pas allé chercher bien loin…

— D’où vient-il ? Il ne ressemble pas aux locaux… 

— Ha ! Si je le savais… Je ne sais pas vraiment d’où il vient, même si j’ai une idée générale ! Tout ce que je sais, c’est que je l’ai trouvé en train de chaparder dans mon stock ! 

— Un voleur ? a demandé Izzy, avec intérêt. 


Il avait commencé à se curer les ongles avec la pointe de son poignard. Je savais qu’il était intéressé…Sandalphon a haussé les épaules en redistribuant les cartes :  


— Peu importe ! Il n’avait pas de quoi payer. Il avait même rien sur lui! Maintenant, il est à moi. Je serai vite remboursé, néanmoins ! il a ajouté, avec un grand sourire aux lèvres. 

— Ah ouais ? a insisté Izzy, en lui resservant un verre.  

— C’est une aubaine, un jeune homme tel que lui. Regardez-moi ce corps… Avec ces cheveux, certains pourront s’imaginer qu’ils baisent une femme s’ils n’assument pas ! il a rigolé bruyamment, en retournant une première carte. Je le proposerai bientôt à ma clientèle, mais il faut déjà qu’il maîtrise bien la langue. Le langage, je veux dire, parce que sa langue, messieurs… Je peux vous dire qu’il la maîtrise ! Une vraie salope quand on sait le motiver ! Mais il faut qu’il comprenne bien les consignes de mes clients… Pour le moment, il maîtrise les ordres simples, mais c’est tout, et il parle très peu. Enfin ça, c’est parce qu’il a souvent quelque chose dans la bouche ! 


A ce moment-là, il s’est esclaffé et le gamin a sursauté et s’est tassé contre la poutre en se bouchant les oreilles. J’avais envie de dézinguer ce gars, tellement il me répugnait. Izzy m’a regardé à nouveau, en fronçant les sourcils. Il était aussi énervé que moi, mais comme il a toujours été plus réfléchi, il avait déjà un Plan, ce bâtard, je l’ai vu au sourire qu’il a esquissé ! Alors je suis entré dans son jeu et j’ai fait parler le patron pour gagner du temps. 


— Ça fait longtemps que vous l’avez trouvé ? j’ai demandé, en retournant ma carte à mon tour. 

— Un peu plus d’un mois… Je pense le mettre sur le trottoir avant la fin de l’été ! a commencé à se confier Sandalphon, sous l’effet de l’alcool et de la poudre. 


Il commençait à devenir bien rouge ce crétin. Mais fallait encore le laisser un peu mariner dans son jus… 


— J’attends rien de bien compliqué de lui ; mais faut qu’il comprenne si on lui dit de sucer, de se mettre à quatre pattes ou à genoux et si le client veut une bouteille de rhum ou de la rhinocorne… Et puis il est un peu sauvage encore, il a besoin d’être un peu plus brisé ; il m’a déjà mordu deux fois, ce petit animal ! 


Il a haussé les épaules, toujours avec son petit sourire : 


— Après, je veux pas non plus qu’il perde trop de sa hargne. Certains clients aiment quand les putes se défendent…


Izzy regardait le gamin comme si il étudiait son potentiel. Je le sais parce qu’il m’avait regardé exactement comme ça la première fois qu’on s’est vus ! Izzy, il a pas son pareil pour déceler de la graine de piraterie… Sandalphon, lui, il a pas du tout interprété ça de la même manière. 


— Je vois que vous avez eu une bonne paye, monsieur Hands… Peut-être voudriez-vous jouer un peu avec lui ? Des voyageurs tels que vous ne s’offusqueront pas de son manque de manières pour l’histoire d’une heure ou deux ! Et puis… Un peu de résistance n’est pas désagréable, n’est-ce pas ? il a ajouté, en mettant une tape amicale sur l’épaule d’Izzy.  


J’ai vu Izzy grimacer, mais tandis que j’avais déjà la main sur la crosse de mon pistolet, prêt à trouer le crâne de ce merdeux, il m’a jeté un regard du style “ferme ta gueule, je gère”, alors j’ai continué à jouer en serrant les dents.


— C’est très aimable, monsieur Sandalphon, mais je préfère les femmes… a fini par répondre Izzy, en regardant Tracy derrière son bar avec un de ses petits sourires charmeurs dont il a le secret. Et la notion de consentement m’est indispensable ! Je n’ai jamais violé personne… 

Violé ? s’est offusqué Sandalphon. Il a rigolé un moment. Voyons, il n’est même pas Chrétien… C’est un esclave comme un autre, enfin… Pas tout à fait comme un autre… il a ajouté, en regardant le gamin mystérieusement. 

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? j’ai demandé, en remportant la mise, l’air de rien. 


Sandalphon a poussé un soupir d’exaspération. Il venait de perdre toute sa mise. Il a claqué des doigts : 


— Tracy ! Apporte une carafe d’eau ! 


La pauvrette s’est approchée avec l’eau, mais au moment de passer devant le gamin, elle a hésité, elle avait l’air mal à l’aise comme tout… 


— Elle vient cette flotte ? s’est impatienté l’autre tête de con.

J’avais envie de l’étrangler. Tracy a posé la carafe sur la table et elle est restée plantée à côté d’Izzy, à se frotter les mains nerveusement. 


— Qui t’a dit de rester, toi ? Va finir de nettoyer ; si monsieur Hands veut une pipe, on te rappellera ! 


Ce coup-ci, c’est moi qui ai fait les gros yeux à Izzy pour qu’il se détende. Après tout, on n'avait aucune idée du nombre de gars sur lesquels Sandalphon pouvait compter dans les chambres des courtisanes et on devait être partis avant l’aube. Autrement dit, on n’avait pas le temps de foutre le bordel dans le bordel !   

Imperturbable -ou disons plutôt trop bourré et shooté- pour remarquer l’agacement d’Izzy, Sandalphon s’est levé et m’a fixé avec ses yeux globuleux : 


— Et vous, monsieur Teach ? Etes-vous aussi étroit d’esprit que notre ami ou aimez-vous… Vous laissez surprendre ? Vous m’avez tout l’air d’aimer la compagnie des hommes… 

— En effet… j’ai avoué, en soufflant la fumée de ma vieille pipe.


Après tout, c’était la stricte vérité. Je l’ai jamais caché à qui que ce soit et j’emmerde ceux que ça emmerde. Mais même si je n’avais pas du tout regardé le gamin avec une quelconque idée dégueulasse en tête, Sandalphon n’avait pas l’air de faire le distingo. De ce côté, j’ai toujours été d’accord avec Izzy, je demande toujours gentiment avant d’entrer. Mais merde, c’était qu’un gosse et il était visiblement mort de trouille. 

Mais apparemment, selon Sandalphon, tout regard était synonyme de prédation… En tout cas, il a eu l’air satisfait de ma réponse ! Il a souri, puis s’est emparé du pichet. Je t’avoue que j’étais curieux de savoir ce qu’il allait en faire parce que c’était clairement pas le genre à boire autre chose que de l’alcool ! A ce moment-là, ma pipe s’est éteinte et alors que je m’apprêtais à la rallumer, il m’a fait signe de me lever : 


— Approchez, monsieur Teach, et vous aussi, monsieur Hands ! Même si vous préférez les faveurs des femmes, laissez-moi vous assurez que vous n'avez jamais rien vu de pareil… 

— J’ai beaucoup voyagé ! a répondu Izzy, l’air sceptique. 

— Et bien dans ce cas, si vous avez déjà vu pareil sortilège, je vous prierais de me faire partager votre science, monsieur Hands ! 


Il était tellement excité qu’on aurait dit qu’il allait nous présenter le bon Dieu en personne. Et là, j’ai pensé que le gars avait pris définitivement trop de rhinocorne ! J’ai même pensé qu’après tout, il nous suffirait de voler l’argent à son nez et à sa barbe, il ne s’en serait même pas rendu compte ! Ca n’avait rien d’un challenge, apparemment… En tout cas, on s’est levés, tous les deux un peu curieux, et on l’a suivi jusqu’au gamin. Du coin de l'œil, j’ai vu la fille qui nous regardait de derrière le bar, les yeux écarquillés. La tension était palpable et y a un truc qui m’échappait. Et plus on s’approchait de lui, plus le petit écarquillait ses grands yeux ; et bordel de Dieu, ils étaient vraiment jaunes, j’en étais certain ! 

Sandalphon s’est penché pour caresser ses cheveux. Le gosse a essayé de s’éloigner, mais sa chaîne était bien trop courte : 


— Tu ne t’ennuies pas trop, petit animal ? a-t-il demandé d’un ton mielleux qui m’a donné envie de gerber. Sois gentil ! Un peu de patience… Dès que nous aurons fini notre partie, je m’occuperai de toi ! A moins que monsieur Teach ne veuille jouer avec toi avant ? Qu’en dites-vous, monsieur Teach ? Ca vous détendrait avant de reprendre la mer ! Nous pourrions même nous occuper de lui tous les deux en même temps… Il est très souple !  


Ses suggestions me filaient la nausée ! Inconsciemment, j’avais mis ma main sur le pommeau de ma dague et Izzy m’a murmuré à l’oreille, pendant que Sandalphon était toujours penché sur le gamin. 


— Calme-toi, Ed ! J’ai une idée, mais garde ton calme, crétin !   


Sans crier gare, Sandalphon s’est reculé et a balancé la carafe d’eau sur le môme ! Le gamin a poussé un espèce de gémissement étouffé et là… Putain, je voyais des tâches brillantes sur lui ! J’ai crû que Sandalphon avait mis un truc dans nos verres, mais il a rigolé : 


— Vous ne rêvez pas, messieurs ! Ce sont des écailles, approchez… 


D’un pas mécanique, on s’est avancé avec Izzy. Le gamin était couvert d’écailles noires brillantes, oranges et rouges là où il était mouillé ! Le pauvre se tortillait au sol en essayant de s’éloigner de nous. Je sais pas si c’était d’humiliation ou de peur, sans doute les deux… Au milieu des écailles, sa peau était zébrée de cicatrices plus ou moins récentes. D’un coup, Sandalphon l’a empoigné par les cheveux pour redresser son visage et avec son autre main, il a levé la lèvre supérieure du gosse, comme on aurait fait avec une putain de mule. Sur sa tempe, le gamin avait une large ecchymose.  


— Regardez ses canines, comme elles sont pointues ! Il pourrait vous trancher la bite avec ! 


Il hurlait de rire, l’enfoiré, mais il avait raison, j’avais jamais vu des dents pareilles chez quelqu’un. Le gamin essayait de dégager son visage de sa poigne et Sandalphon a arrêté de rire pour s’adresser à lui en tirant brutalement sur ses cheveux. Le gosse a gémi. 


— T’avise pas d’essayer de m’empêcher de faire ce que je veux avec toi, t’as compris ? Sois gentil, animal… 


Après, il l’a lâché tellement violemment que le gamin s’est cogné contre la poutre. Sandalphon lui a ensuite craché dessus avant de reculer en grondant : 


— A tout à l’heure… J’ai une revanche à prendre je crois, messieurs ! il a ajouté, en nous regardant. 


Il avait retrouvé le sourire en s’adressant à nous pour nous faire signe de retourner à la table. Le gamin sanglotait silencieusement, le visage caché derrière ses cheveux. On est retournés s’asseoir et l’autre con a redistribué les cartes, comme si de rien n’était. Une fois terminé, Izzy a poussé une pile de pièces devant lui : 


— Il semblerait que vous n’ayez plus d’argent à perdre, monsieur Sandalphon.


C’était bon. J’avais enfin compris où il voulait en venir. 


— Allons, messieurs… Ne vous ai-je pas montré un prodige ? Je vous laisse jouer avec lui jusqu’à l’aube si vous gagnez encore une manche ! Je vous promets qu’il sera gentil avec vous ! Tracy s’occupera de vous si vous préférez, monsieur Hands, mais je vous assure qu’une fois que vous aurez mis Anthony à quatre pattes, vous ne verrez pas la différence ! Il est tellement étroit que vous viendrez encore plus vite, faites moi confiance ! Quant à vous, monsieur Teach, si la taille de votre engin est proportionnelle à la vôtre, je vous demanderais juste de ne pas trop l'abîmer parce que je compte bien en profiter, moi aussi ! 


Je sais pas trop ce que le gamin avait compris là-dedans, mais je pense qu’il avait quand même saisi l’essentiel, parce ce qu’il s’est mis à s’agiter, il tirait sur ses chaînes comme un beau diable ! Sandalphon s’est levé comme un ressort et a détaché le fouet à sa ceinture. Il s’est approché en titubant du gamin, qui essayait tant bien que mal de se planquer derrière la poutre. 


— Je vais t’apprendre à rester tranquille, moi ! 


J’ai pas pu m’empêcher de gueuler, tout en retenant Izzy de dégainer son pistolet. C’est que Izzy, les fouets, il aime pas bien ça… Je sais pas si t’as déjà vu son dos, bordel, il reste pas un putain de centimètre de peau qui soit pas abîmée ! Et crois moi, les gars qui lui ont fait ça ne sont plus de ce monde…


Laissez-le et venez jouer plutôt ! J’ai gueulé.


Sandalphon a fait claquer son fouet au sol, juste à côté du gamin, avant de revenir en titubant s’asseoir lourdement sur sa chaise, un rictus de haine planté sur son visage : 


— Ce petit sauvage, il comprend que ça ! Les coups et la bite ! Il a repris un air affable, faisant briller sa dent en or dans un sourire carnassier. En parlant de ça, j’en déduis que ma proposition vous convient, messieurs ? Vous verrez, vous ne le regretterez pas…  

— Le fait est que nous avons mis beaucoup d’argent sur la table… a commencé Izzy, en reprenant un peu de contenance.


Ce bâtard indestructible sait se maîtriser quand il a une putain d’idée en tête ! Mais j’ai quand même senti qu’il allait falloir se grouiller Du coup, j’ai continué de marcher dans la combine du mieux que j’ai pu :   

 

— Et une ou deux heures à nous acharner sur lui ne valent pas autant de pièces d’or ! 


Ça m'a arraché la gueule de dire un truc pareil et j’ai évité de me retourner pour voir si le gamin comprenait ce que je disais… Mais fallait rester crédible à tout prix ! 


— Mais c’est vous-mêmes qui m’avez dit devoir partir à l’aube ! Autrement, je peux vous le laisser toute la journée de demain, qu’en dites-vous ? 

— Pourquoi ne pas le jouer lui ? a demandé Izzy d’un air faussement nonchalant. Si on gagne, on repart avec. Pour de bon. 


Voilà. Je savais - et Izzy aussi - que c’était une offre que le patron n’aurait jamais acceptée en étant sobre, mais là, on avait une carte à jouer !  

Sandalphon a eu un petit rire moqueur. Il lui restait apparemment un peu de jugeote.


— Lui ? Après ce que je vous ai montré ? Il est unique ! Je me ferai bien plus de fric avec lui qu’avec mon établissement tout entier ! Tout le monde voudra baiser la catin scintillante ! Je jetterai de l’eau sur lui pendant que mes clients le baiseront, je vais me faire une fortune ! a protesté Sandalphon, comme prévu.

— Ce n’est qu’un esclave, vous l’avez dit vous-même ! a répondu tranquillement Izzy. A demi sauvage en plus ! Ça se trouve, vous ne pourrez jamais le rendre assez docile pour quoi que ce soit ! 


Il a haussé les épaules.


— Il… Il est farouche, c’est sûr, mais… 

— Et d’après ce que j’ai vu, c’est pas dit qu’on ne vous accuse pas de sorcellerie. Ce serait dommage de finir sur le bûcher pour avoir proposé un démon à vos clients… 

— Un démon ? Mais… Mais enfin… Ce n’est pas un démon, c’est… C’est… il a commencé à balbutier. 

— Vous avez dit vous-même que vous ne saviez pas ce qu’il était, ni d’où il venait ! j’ai ajouté, avec une grimace faussement inquiète.


Apparemment, il n’y avait jamais pensé sous cet angle. On aurait presque pu voir les rouages de sa sale petite tête de fouine tourner à plein régime derrière les vapeurs de l’alcool ! 


— Un démon de la tentation charnelle… a suggéré Izzy, d’un air entendu.  

— Un croisement entre un incube et un succube… L'œuvre de Satan lui-même ! Brrrr… Si les prêtres espagnols apprennent ça… j’ai rajouté, en secouant la tête dramatiquement.  

— Ca… Ça n'a pas l’air de vous déranger…

— Sur un bateau, les superstitions ne sont pas les mêmes que sur la terre ferme et quoi qu’il en soit, la solitude et l’absence de femmes font force de loi… a expliqué Izzy, en croisant ses jambes sur la table. Il avait recommencé à se curer les ongles avec son couteau, en jetant des regards en coin à Sandalphon.

 

Pour finir de le persuader, j’ai sorti de ma poche une bague sertie d’un rubis que j’avais volée à un bourgeois dans le port. Un gros rubis. 


— Et si nous rajoutons cette bague à notre mise ? 


Je l’ai posée sur la table et dès l’instant où les petits yeux porcins de Sandalphon se sont posés dessus, j’ai su que c’était gagné ! Sandalphon a regardé le rubis et le tas d’argent, puis il a observé longuement le gamin, comme pour évaluer sa valeur. Le môme était blotti contre la poutre, tout crasseux et il tremblait comme une feuille, mais il ne me quittait pas du regard.


— Si… Si je remporte, vous ne parlerez à personne de ce que vous avez vu ! 

— Evidemment… Mais si vous perdez, on repart avec le démon ! Marché conclu ? 

— Marché conclu… a soufflé Sandalphon, en essuyant la transpiration qui ruisselait à grosses gouttes sur son front de gros porc. 


En deux coups de cuillère à pot, c’était réglé. On avait gagné ! En même temps, Izzy avait triché, mais bon, il était trop saoul pour s’en apercevoir l’autre salopard, tant pis pour lui… 


— Très bien… Il semble que ce ne soit pas votre jour de chance, monsieur Sandalphon… Les clés de ses chaînes, je vous prie… j’ai demandé, en me redressant et en tendant la main. 


Le gamin n’avait rien perdu de la partie. Je pense qu’il en avait déjà vu suffisamment pour comprendre qu’on avait gagné et ça n’avait pas l’air de le rassurer du tout


— Mais bien sûr… a commencé à répondre Sandalphon, toujours avec son petit sourire de tête de con.    


Bien sûr mon cul ! Je les connaissais les gars dans son genre, je me doutais bien que ça n’allait pas être aussi simple et Izzy non plus ! Au lieu de sortir les clés, cet enfoiré à dégainé son pistolet ! Manque de bol, au même moment je lui ai envoyé le contenu de ma pipe dans les yeux pendant qu’Izzy lui clouait la main sur la table avec son poignard !   

Qu’est-ce qu’il a gueulé…

Le gamin, lui, s’est planqué derrière sa poutre. 

Bon, naturellement, ça a réveillé ses deux gorilles à l’autre bout de la salle. Sandalphon a continué à brailler, en essuyant ses yeux de sa main libre :         


¡Raphaël, Raguel, impidan que se lleven a Anthony!


Le temps que je saisisse le pistolet de Sandalphon, les deux autres étaient sur nous ! 

Izzy en avait déjà empoigné un et moi, j’ai juste eu le temps d’assommer l’autre avec la crosse du pistolet au moment où il allait me déboîter la mâchoire… Tracy a poussé un cri perçant avant de se cacher derrière le bar. 


— Faut dégager, Ed, d’autres vont rappliquer ! m’a dit Izzy, en serrant le cou de Raphaël -ou Raguel- dans le creux de son bras. 


Le gars devenait tout rouge, et il a fini par pendre mollement au bras d’Izzy, qui l’a lâché. Sandalphon continuait de gémir dans son coin, la main toujours plantée à la table. Si ses yeux avaient pu tuer, on aurait crevé sur place… J’ai acquiescé et je me suis approché du gamin en levant le pistolet et c’est la première fois que j’ai entendu le son cristallin de sa voix : 


¡No! il a crié, en cachant son visage derrière ses bras. 


J’ai relevé le pistolet et j’ai tiré sur la chaîne, qui était accrochée à un gros anneau planté dans la poutre. Elle est tombée lourdement au sol. Il avait encore ses menottes, mais je lui ai tendu ma main pour l’aider à se relever. Il s’est encore plus prostré au pied de la poutre en baragouinant des trucs que je comprenais pas… Izzy nous a rejoints et il a tendu sa main à son tour : 


— Allez, gamin, faut te lever ! Faut partir ! 

Pitié ! Pitié ! criait le gamin, derrière ses bras. ¡Se lo ruego, por favor!

— Mais on va pas te faire de mal bordel ! j’ai tenté de lui expliquer. 


Izzy s’est tourné vers moi, comme s’il cherchait quelque chose du regard.


— Putain, on n’a pas le temps… il a grogné, en se redressant. Tracy ? Tracy


Derrière le bar, le visage paniqué de la courtisane est apparu.


— Monsieur Hands ? elle a demandé timidement. 

— Viens avec nous ! lui a dit Izzy, en tendant sa main. 


Pendant qu’elle nous rejoignait à petits pas pressés, je me suis penché sur le gamin, qui se tortillait par terre, et je lui ai tendu le pistolet par la crosse : 


— Est-ce que tu veux le tuer, petit ? je lui ai proposé, en pointant Sandalphon, qui couinait toujours dans son coin. Il a commencé à vouloir retirer le poignard enfoncé dans sa main, mais Izzy l’avait bien coincé. ¿Quieres matarlo? 


Le gamin me regardait avec des grands yeux et je savais pas s’il avait compris ou pas, ou s’il me prenait juste pour un fou. Puis j’ai senti la main d’Izzy baisser brusquement mon avant-bras : 


— C’est qu’un môme, Ed ! On va pas en faire un meurtrier… 


J’ai haussé les épaules.


— Où est le problème ? J’étais bien plus jeune que lui quand j’ai tué mon père ! 

— Et est-ce que ça t’a apporté la paix ? m’a demandé Izzy, en me fixant droit dans les yeux. 


Tu sais, la façon qu’il a de te regarder quand il veut que tu imprimes bien ce qu’il te dit. Et puis il a tendu la main vers le gosse, qui n’a pas réagi. 


— Il n’a pas assez de forces pour se lever… il a fini par ajouter, en soupirant. 


Sans réfléchir, j’ai balancé le pistolet loin de Sandalphon et je me suis penché à nouveau sur le gamin pour le prendre dans mes bras. J’aurais peut-être dû le prévenir… Il a grogné et il m’a griffé jusqu’au sang ! Il était tellement surpris qu’il s’est tétanisé et il s’est protégé le visage : 


¡Por favor! ¡Por favor, señor! Pas punir ! 


L’espace d’un instant, on a entendu que le cliquetis de ses menottes tandis qu’il essayait de se protéger avec ses bras ! J’ai jeté un œil en direction de Sandalphon. Oh, comme j’aurais aimé l’écorcher vif à cet instant… 

Mais je me suis repris et j’ai attrapé le gamin dans mes bras. Il pesait pas plus lourd qu’une plume et il sentait pas la rose, je peux te dire ! Bien sûr il sentait, enfin tu sais, son odeur, mais c’était couvert par… Par d’autres odeurs dégueulasses. 

Je l’ai serré contre moi tellement j’avais peur de le casser. Il a fini par se calmer, mais il tremblait comme une feuille.


— Allez, on dégage ! Prends le pognon, Izzy ! Et n’oublie pas la bague…  


Pendant qu’Izzy ramassait tout ce qui avait de la valeur sur les tables, j’ai vu Tracy faire les poches de Sandalphon, qu’était toujours cloué à sa table, pendant qu’elle lui balançait des insultes que je connaissais même pas ! Elle a jamais eu la langue dans sa poche celle-là ! Je les ai pas attendus et j’ai monté les escaliers quatre à quatre avec mon précieux fardeau. L’étage était désert, quant à la porte, un bon coup de pied a suffi à l’ouvrir ! 


Je me suis dirigé vers les berges du rio Las Casas ; j’entendais Izzy encourager Tracy derrière moi, je suis sûr qu’il la tenait par la main, ce salaud !


— Maintenant, je vais te poser, petit ! On va pas te faire de mal, d’accord ? ¿Entiendes?


Le gamin a hoché lentement sa tête et je l’ai posé. Il tenait à peine sur ses jambes et il s’est assis tout de suite. Aussitôt, Tracy s’est approchée et elle a enlevé son châle pour lui tendre et le gamin s’en est fait un genre de pagne avec des gestes fébriles, en me regardant avec un air effrayé. Il me lâchait pas des yeux, comme s’il avait peur que je disparaisse s’il osait détourner le regard. L’air à l'extérieur était toujours aussi brûlant, mais il continuait de trembler de tous ses membres. Dans le silence de la nuit, on entendait ses dents s’entrechoquer ! Alors Izzy et moi, on s’est accroupis lentement près de lui, on voulait pas le brusquer, et j’ai détaché ma chemise. Quand j’ai voulu lui donner, il a eu peur et s’est reculé d’un bond, alors Tracy a posé une main sur son épaule et lui a parlé tout doucement : 


— Ils ne te feront pas de mal, Anthony ! ¡No estás en peligro! 


Il a tiqué en entendant son prénom, mais après il s’est détendu un peu. 


— On dirait qu’il aime pas trop ce nom… j’ai remarqué. 

— C’est le nom que lui a donné l’autre mou de la tige, pas étonnant ! a craché Tracy. 


Izzy a rigolé en l’entendant. Il serait bien reparti avec Tracy, ce couillon ! J’ai reporté mon attention sur le gosse : 


— Mhm… Moi, c’est Ed et lui, c’est Izzy ! 


Tracy lui a fait un sourire encourageant et après elle s’est tournée pour parler à Izzy. Je sais pas ce qu’ils se sont raconté, je tenais ma chemise dans ma main comme un con et j’observais le gamin qui, lui, semblait obsédé par mes bijoux ! Ses grands yeux naviguaient entre mes colliers, mes bagues, ma boucle d’oreille et le pommeau de ma dague, ça m’a fait sourire. Il a même tendu une main pour effleurer un de mes bracelets. C’est là que j’ai remarqué pour la première fois ses ongles tout noirs.


— T’aimes bien ce qui brille, hein ? ¿Brilla?


Il a fait un tout petit “oui” avec sa tête. D’une main, j’ai sortie une pièce percée de ma poche et je lui ai tendue : 


— Tiens ! C’est pour toi ! ¡Para ti! 


Il m’a dévisagé et après il a fixé la pièce dans ma main, mais il n’a pas osé la prendre, il a dû croire que c’était un piège et que j’allais le cogner, je sais pas… 


— Je vais pas te faire de mal, d’accord ? Je vais la mettre dans tes cheveux ! je lui ai mimé. ¡En tu pelo!


Il s’est crispé alors, sans trop m’approcher, j’ai juste saisi la pointe d’une de ses longues mèches et j’ai glissé la pièce dedans. Après, j’ai retiré ma main et je l’ai posée sur mon genou, en essayant d’être le moins menaçant possible et de le rassurer avec un sourire. Une fois qu’il a recommencé à respirer, il a tâtonné sa mèche sans me quitter des yeux, ses grands yeux jaunes et brillants, avec leurs pupilles bizarres, que je trouvais incroyablement beaux. Et quand ses doigts ont rencontré la pièce, il l’a portée à son visage et l’a examinée sous toutes ses coutures. C’est la première fois que je l’ai vu sourire, le sourire d’un gamin qui savait pas trop où il était tombé, mais qui sentait que maintenant, tout commencerait à s’arranger… 


— Ca te plaît ? 


Il a fait un nouveau “oui” avec sa tête, mais plus franc que la fois d’avant ! 


— Bien… Je t’en donnerai d’autres, tu veux ? 


Ses yeux ont brillé, et puis contre toute attente, il m’a répondu ! 


— Contre… Contre quoi ? Quoi tu veux ? il a demandé, avec un petit mouvement de recul.  


Moi qui pensais qu’il comprenait rien à ce que je lui disais depuis le début… J’ai eu un petit frisson quand j’ai compris de quoi lui me parlait… Je me suis empressé de répondre en secouant franchement la tête, pour être sûr qu’il comprenne bien :


— Contre rien ! ¡Nada! C’est fini ça ! ¡No más! 


Il m’a regardé d’un air ahuri. Quand j’ai eu l’occasion de lui demander, plus tard, il m’a dit qu’à ce moment-là, il avait pensé que j’avais pris trop de rhinocorne et que je savais plus ce que je disais ! Mais sur le coup, j’ai eu envie de chialer…Tracy a alors sorti une clé de sous sa robe et l’a donnée à Izzy : 


— Ce sont les clés de ses menottes, je les ai prises dans la poche de Sandalphon… 


Izzy l’a regardée bizarrement, comme s’il la trouvait de plus en plus fascinante, et puis il a pris les clés de sa main toute maigre et il s’est à nouveau accroupi près de moi : 


— On va enlever ça, d’accord, gamin ? ¡Vamos a quitárnoslo! 


Le gosse a timidement tendu ses poignets tout fins et abimés et Izzy a enlevé les menottes, qu’il a balancées loin d’un geste rageur et j’ai encouragé le gamin à enfiler la chemise alors qu’il frottait les traces rouges que les menottes avaient laissées. Sauf qu’il n’avait jamais dû porter de vêtements avant, maintenant que j’y pense et il regardait la chemise sans savoir ce qu’il devait en faire… 


— Attends, on va t’aider, gamin ! a proposé Izzy. 


Alors je lui ai mimé de tendre un bras, ce qu’il a fait, et avec Izzy on a commencé à lui enfiler ma chemise. Et là… Là, il a ramené ses cheveux sur le côté et… Et on a vu… Son dos. Il… Il était couvert de traces de fouet et aussi… On a vu la marque de brûlure au fer chaud… Izzy, il… Il s’est immobilisé et je l’entendais souffler fort. Moi, je pouvais pas détacher mes yeux de ce “S”, gravé dans sa peau pour toujours… 


— C’est lui qui t’a fait tout ça ? Izzy a demandé, d’une voix sourde.


Le gamin a tourné un peu sa tête en fronçant les sourcils, Izzy avait parlé un peu vite et le gamin avait encore du mal avec le français. Alors Izzy a répété, en pointant son dos : 


— Qui est-ce qui t’a frappé ? ¿Quién es? Le fouet ? ¿El látigo? 


Je voyais bien qu’il était sur le point de perdre la boule. 


El Maestro… le gamin a murmuré dans un petit souffle.

— Que lui ? Pas les autres ? 

¡Sólo él! Que… Que lui… 

— Putain de fils de pute de face de couille gangréneuse, tu mériterais que je t’enfile le canon de mon pistolet dans le trou de balle et que… 


Izzy s’est levé comme un ressort, faisant sursauter le gamin et il est parti en direction du Seven en continuant de maudire Sandalphon. J’ai même pas essayé de le retenir, je me serais mangé son poing dans le nez.


— Monsieur Hands… s’est affolée Tracy, de sa petite voix haut perchée. 

— Izzy ! Izzy ! Où tu vas putain ? 


Je m’en doutais bien où il allait, le connaissant. Mais quand il a une idée en tête, putain… Je suis entouré de bon Dieu de têtes de mules, même aujourd’hui ! Oui, c’est de toi que je parle, Aziraphale ! Et Crowley est pas mieux!

J’ai fini de l’aider à enfiler ma chemise et après, il l’a serrée contre lui en la reniflant. Ça m'a fait quelque chose de le voir comme ça… Il était si vulnérable et en même temps, il y avait une lueur de combativité dans ses yeux et son regard était fixé sur le pommeau de ma dague. Je l’ai sortie doucement de son fourreau et je lui ai tendu :


— Ça aussi, ça te plaît ? 


Il l’a saisi sans hésitation cette fois, et a fait tourner la dague dans tous les sens entre ses mains. C'était pas la première fois qu’il avait ce genre d’armes dans les mains, ça se voyait.


— Je t’apprendrai à t’en servir si tu veux ! Je t’apprendrai à te défendre ! Comme ça, plus personne ne pourra te faire de mal… 


Au moment où je formulais cette promesse, on a entendu un coup de feu au loin. Un seul.

Une balle.

Une tête. 

Tracy a poussé un cri perçant et le gamin a sursauté en me regardant avec ses grands yeux et il a lâché la dague, que j’ai récupérée.    


— Sssshhht… C’est rien, mon petit… J’ai dit en rangeant ma dague, pour essayer de l’apaiser. Le juge Izzy a rendu la justice et lavé ton honneur ! 


De la façon dont il m’a regardé, j’ai compris qu’il avait rien compris, mais c’était pas grave parce que je connaissais déjà Izzy par coeur ! Et j’avais raison… Il est revenu d’un pas plus léger, il s’est planté devant le gamin et il a tendu son poing fermé vers lui. Bien sûr le gamin, il a eu un mouvement de recul et il m’a regardé en équarquillant les yeux : 


¡Por favor!

— Tu n’as rien à craindre d’Izzy ! ¡Amigo! J’ai répondu, en tapant sur l’épaule de Izzy.


Izzy a ouvert son poing devant ses grands yeux jaunes. Au creux de sa paume, y avait le truc en or que Sandalphon avait sur sa dent, taché de sang frais. Étonnant qu’il ait pas pris la dent avec... Et là, le gamin a compris ! Il a regardé Izzy avec un mélange de gratitude et d’adoration. 


— Y a un pensionnaire de plus en Enfer ce soir… a dit Izzy, avant de cracher par terre de mépris. Il te fera plus jamais de mal, gamin ! Il ne vous fera plus de mal. Il a ajouté en regardant Tracy. Les impies croissent comme l'herbe, ils fleurissent, ceux qui font le mal, mais pour disparaître à tout jamais (1). 

 

Tracy a pris la main d’Izzy dans la sienne. Elle pleurait.  


— Merci, monsieur Hands ! 

— Si j’avais pu endurer votre souffrance pour vous l’épargner, je l’aurais fait ! il a répondu, en les regardant l’un après l’autre et en écrasant le bijou sous sa botte. 


Et c’était vrai. Ça l'est toujours d’ailleurs ! C’est un vrai chevalier sous ses frusques de pirate, cet enfoiré ! Et pour finir de se faire mousser, il a enlevé un sac qu’il portait en bandoulière et que j’avais même pas encore remarqué ! Dedans, y avait de la bouffe. Il avait profité de retourner tuer Sandalphon pour récupérer une gourde d’eau, du pain et de la viande séchée. Il s’est accroupi et a fait passer la gourde d’eau à Tracy et au gamin. Tracy a bu un peu, mais le gamin a terminé la gourde cul sec ! 

Elle s’est ensuite contentée de quelques morceaux de viande, mais quand Izzy a tendu le pain et la viande au môme, il s’est jeté dessus comme si il avait pas bouffé depuis des jours. Ce qui était probablement le cas vu toutes ses côtes qu’on voyait… 


— Va falloir y aller, Ed ! a fini par dire Izzy, en se redressant et me secouant l’épaule. 

— Déjà ? Mais… 

— Le soleil va se lever ! Hornigold va nous faire la peau si on arrive en retard sur le Ranger


Le gamin nous observait avec des yeux inquiets en terminant la miche de pain. 


— On va être partis pour des semaines… Peut-être des mois… 


Je pouvais pas m’empêcher de regarder le gamin. L’abandonner comme ça, dans un état de faiblesse pareil… Il parlait même pas la langue ! Je lui donnais pas trois jours avant d’être obligé de… Avant de se retrouver à… Pour pouvoir manger… Quel autre choix, quelle vie, il allait avoir, si on le laissait là? 


Et d’un coup, le gamin a posé sa main sur mon poignet : 


— Moi… Je venir avec toi ! ¡Contigo!¡Contigo, por favor!


J’ai pris sa main dans les miennes et je l’ai serrée fort. J’essayais de le rassurer alors que je n’y croyais pas moi-même…


— C’est… C’est pas possible, ça… C’est pas moi qui commande, tu comprends ? ¡No soy el capitán! 

— ¡No me dejes aquí! ¡Por favor, no me dejes aquí! Pas laisser ici moi ! 


Il me cramponnait désespérément avec ses grands yeux suppliants… Qu’est ce que je pouvais lui dire? J’ai réfléchi un moment…


— On pourrait… On pourrait l’amener avec nous et le cacher ? j’ai demandé à Izzy, j’avais le cœur en miettes.


Izzy a regardé le gamin avec un air désolé.


— Mais t’es pas dingue? Il tient à peine sur ses jambes, Ed… 

— Je peux le porter ! Il pèse rien ! 

— Ed… 

— Comment tu veux qu’il s’en sorte putain ? Après tout ce qu’il a subi, après qu’on lui ai donné une lueur d’espoir, il va être obligé de faire le trottoir, toi et moi on le sait ! 


Izzy s’est mit à me secouer. Il était la voix de la raison et je le savais…


— On va lui laisser l’argent, Ed ! Et on reviendra le chercher, je te le promets ! Moi aussi, ça me crève le cœur de le laisser là ! Mais pour le moment, on n'a pas le choix! 

— Je peux… est intervenue Tracy. 

— Oui, ma belle ? a demandé Izzy.

— Je pourrais m’occuper de lui ! Il me connaît, il me fait confiance ! Je veillerai sur lui jusqu’à ce qu’il aille mieux, il ne lui arrivera rien ! De toute façon, je ne vais pas rester sur l’île ! Je vais prendre un bateau pour Cuba ! Là-bas, nous serons bien ! S’il faut que je… 


Elle a eu un frisson, les yeux perdus dans le vague pendant quelques secondes, avant de se reprendre :


— Je ferai ce qu’il faut pour rassembler assez d’argent et je l’emmènerai avec moi ! Il sera le Joyau de La Havane… elle a ajouté en le regardant avec des yeux plein d’amour. Elle s’est mise à lui caresser tendrement la joue. Tu veux rester un peu avec moi, Anthony ? ¿Te gustaría quedarte conmigo un tiempo?


Il a acquiescé silencieusement.  


— On va te laisser tout ce qu’on a pris à Sandalphon, d’accord ? lui a dit Izzy, en commençant à vider ses poches.


Elle a ouvert de grands yeux et a secoué la tête frénétiquement.


— Je n’ai… Non ! Je n’ai pas besoin de tout cet argent, monsieur Hands ! La traversée ne coûte pas si cher que ça voyons, vous êtes fou ! 

— Comme ça, tu pourras t’acheter une maison ! Et des robes ! Et des châles ! Beaucoup de châles, ma belle… 

— Ahem ! J’ai fait. 


Ils avaient un peu tendance à oublier qu’ils n’étaient pas seuls, ces deux-là.


— Oui, enfin, hum… Prends l’argent et occupe-toi du gamin ! On reviendra le chercher dès qu’on pourra… 


J’ai attrapé doucement son bras.


— Tiens ! 


Je lui ai tendu ma dague : 


— Garde-la ! Et n’hésite pas à t’en servir pour couper des queues au besoin ! 


Tracy l’a prise d’une main ferme et m’a regardé droit dans les yeux, avec un petit sourire au coin des lèvres. Je peux te dire que j’avais jamais vu une femme avec des couilles pareilles ! 


— Je m’en souviendrai, monsieur Teach ! Vous pouvez compter sur moi ! Plus personne ne nous fera de mal, vous avez ma parole ! 

— Bien… Je l’ai aidée à se relever, et elle a posé sa main sur l’épaule du gosse. Bonne chance, madame Tracy ! Il faut pas traîner ici… 

— On va rester dans une auberge pendant quelques jours et nous prendrons le bateau la semaine prochaine, dès qu’il aura repris des forces… Viens, Anthony ! ¡Vamos! elle a ajouté doucement, en tendant sa main au gamin, qui avait encore l’air un peu hésitant.

— Attends ! 


Je l’ai interrompue pour aider le gamin à se relever et j’ai mis mes mains sur ses épaules. Il était si maigre, il tremblait sur ses guiboles toutes fines… 


— Je reviendrai te chercher, mon petit, je te le promets ! ¡Lo prometo! Je ferai de toi le meilleur pirate des Antilles, tu veux ? ¿Un pirata? 


Il a acquiescé, et puis il a commencé à enlever ma chemise, il voulait me la rendre… Je l’ai stoppé. 


— Non ! Garde-la ! C’est la tienne maintenant ! ¡Para ti!

— Je… ¡Gracias, señor! 


J’allais partir, quand il m’a retenu en tirant sur ma manche : 


¡Pirata contigo! 

¡Sí! ¡Lo prometo! 


Il y avait tellement de détresse dans sa voix… Je l’ai serré contre moi ! Ça devait être la première fois que quelqu’un le serrait contre lui pour… Autre chose que des saloperies… Il s’est crispé, mais il ne m’a pas repoussé. Alors Izzy s’est approché et il nous a séparé doucement, avant de poser une main sur son épaule et une sur la mienne :


— On reviendra te chercher, chico… On reviendra, Ed ! On reviendra… 


Tracy a mis une main autour de ses épaules et l’a éloigné dans la nuit. Ils allaient pas bien vite, il était complètement vidé de son énergie. Il s’est retourné plusieurs fois pour nous regarder, jusqu’à ce qu’ils soient trop loin. 

C’était comme si on m’arrachait un bout de moi, putain, alors que je le connaissais même pas, ce gosse… J’ai fini par tourner mon visage vers Izzy et j’ai fait un geste de la main vers son flingue : 


— Ca t’a apporté la paix ? 


Il a soupiré et il m’a mis une tape dans le dos : 


— Partons… 


                                                              * * * 



pouf pouf… Trois semaines se sont écoulées. Trois putain de semaines pendant lesquelles j’ai pas arrêté de penser à lui, à ses grands yeux jaunes et tristes, à son étrange peau et à la détresse dans sa voix… On ne faisait que s’éloigner de Cuba. Hornigold nous a emmenés au sud d’Hispaniola, au beau milieu de la Mer des Caraïbes. La campagne d’abordages était un fiasco, alors en dépit du bon sens, il nous a emmenés à la recherche du Crow. Hornigold n’arrêtait pas de dire que si l’un d’entre nous trouvait l’épave, il lui donnerait un bateau et son propre équipage. Tu connais la légende du Crow, Aziraphale ?  


Le jeune anglais sursauta à la question soudaine : 


— J’ai, hum… J’ai le droit de parler maintenant ? demanda-t-il, incertain.

pouf… Ouais, mais pas longtemps ! 

— Entendu, hum… 


Il tortilla un peu ses mains dans les draps, réfléchissant un moment.  


— Mon père parlait souvent de ce navire… Un excentrique Lord Anglais avait chargé toutes ses possessions à bord du Crow en direction de la Jamaïque en 1657, peu de temps après la colonisation de l’île par l’Angleterre. Il s’est abîmé en mer lors d’une tempête semblable à celle que nous avons essuyée, si mes souvenirs sont bons. Personne ne l’a jamais retrouvé malgré de nombreuses recherches pour récupérer son trésor, que l’on disait considérable… 


Ed s’est penché doucement vers Aziraphale. Son regard brillait d’une malice inhabituelle.


pouf pouf… C’est faux…  


                                                              * * *


Mardi 08 aout 1701


— J’en ai plein le cul de fouiller cette mer à la nage ! 

— La ferme, Ed ! Si on trouve ce maudit rafiot, on pourra réaliser notre rêve… 


Après quelques brasses, je me suis accroché au canot qui était en mer, lui-même accroché au navire et dans lequel Izzy était étalé d’un air nonchalant, déjà en train de tailler un de ses putains de bout de bois. On alternait les plongeons, pour qu’il y ait toujours un de nous à la surface, au cas où l'autre aurait du mal à remonter. Là c’était mon tour, et putain, j’en avais marre!


— Mais ça fait des jours qu’on plonge comme des connards ! J’arrive pas à retenir ma respiration moi, je suis pas un foutu pêcheur de perles, je suis un pirate ! 

— Si tu fumais moins, tu pourrais retenir ta respiration plus de dix secondes, crétin ! Il m’a dit, en me pointant avec l'extrémité de son couteau.

— Si je deviens capitaine un jour, plus jamais tu me traites de crétin, Izzy, c’est clair ? 

— Ouais, ouais, promis… 


Il se foutait de ma gueule, ce con ! On a entendu taper dans le bastingage au-dessus de nos têtes, c’était Hornigold : 


— La nuit tombe ! Remontez, vous deux, vous prenez le premier quart ! 


On est remontés à l’échelle, les autres étaient déjà dans leurs quartiers et le capitaine s’était enfermé dans sa cabine. On s’est séchés et on s'est fait un petit frichti à la lumière des lanternes. La mer était calme, Izzy avait recommencé à sculpter sa connerie et moi, je m’étais allumé ma pipe pour tuer le temps. 

Tout le monde était couché depuis un moment quand j’ai entendu un clapotis au niveau de la ligne de flottaison. J’ai pensé à un poisson-volant au début, mais ça a persisté et après un silence, j’ai vu l’échelle bouger ! On avait oublié de la remonter… On s’est regardés quelques secondes avec Izzy et on n’a pas bougé d’un poil, mais Izzy a sorti son pistolet de son étui et moi, ma dague. D’un coup, on a vu une silhouette apparaître et enjamber le bastingage avec une agilité et une rapidité pas croyables ! 

C’était lui. 

Le gamin était à peine plus épais que quand on l’avait laissé à Isla de Pinos, mais il avait bien meilleure mine ; les joues rosies et moins creusées, ses yeux jaunes moins enfoncés dans leurs orbites qui brillaient dans la pénombre. Il était complètement à poil, à part un sac en lin, qu’il tenait en bandoulière ! Il s’est planté sur le pont face à nous avec un petit sourire en coin. Je me suis levé d’un bond, mais j’ai pas osé approcher : 


— Anthony ? 


Il a fait une grimace, mais il a acquiescé en silence. A la lueur des lanternes, j’ai vu la pièce trouée briller dans ses cheveux ! Il l’avait gardée. Il en avait même ajouté d’autres ! 


— Mais… Mais enfin, qu’est-ce que tu fais ici, gamin ? a demandé Izzy, en s’approchant tout en rangeant son flingue.

¡Pirata contigo! il a dit fermement. 


Je l’ai regardé un moment, bouche bée. 


— Mais putain de… On avait dit qu’on viendrait te chercher ! Pourquoi… Comment… Comment tu nous as retrouvés ? 

— Y a eu un problème avec Tracy ? s’est inquiété Izzy. 

— Non ! Ningún problema. Tracy bien ! Vous, bouger beaucoup… Je trouvé toi comme ça ! Ton odeur ! ¡Tu olor! il a expliqué, en me montrant du doigt.


J’ai eu le réflexe de me renifler, mais j’ai rien senti de particulier, à part l’odeur du sel et de la sueur qui me collaient à la peau, comme tout bon pirate qui se respecte.  


— Mais… T’étais si faible…


Il s’est approché de nous en faisant de grands gestes, avec un grand sourire aux lèvres.


— Bien ! Bien, moi bien ! ¡Pirata contigo! Moi pirate avec toi et toi !

 

Il a bien appuyé sur nos torses, avec le bout de son index à l’ongle noir.


Pirata contigo, pirata contigo… C’est que c’est pas si simple, mon bonhomme… Je ne suis pas encore capitaine, tu comprends ? je lui ai demandé. ¿Entiendes? 


Il a penché la tête pensivement, puis son regard s’est illuminé et il a fouillé dans son sac. Il en a sorti une poignée de pierres précieuses et de pièces, bordel ! Il s’est approché timidement et il me l’a tendue : 


— Pour toi ! Et Zizzi ! 


J’ai éclaté de rire ! 


Izzy ! a rectifié l'intéressé en m’écrasant le pied. Où as-tu trouvé ça, gamin ? 

— Dans le mer ! Au fond… Bateau ! Beaucoup pièces ! 

— Un… Un bateau ? Au fond ? Où ça ? 

¡No muy lejos! il a expliqué en pointant vaguement la mer, à l’ouest du Ranger. Pas loin ! 

— Bordel de merde, Izzy… Il a trouvé le Crow… Tu pourrais nous montrer, Anthony ? 

¡Sí! Mais… Son regard s’est voilé et il a baissé la tête. Pas Anthony… ¡Por favor! 

— Pas Anthony ? Mais… Mais comment alors ? Quel nom ? ¿Qué nombre? a demandé Izzy. 


Il a haussé les épaules. S'il avait un nom de naissance, il ne voulait pas le porter visiblement… En y repensant, je suis même pas sûr que ce soit prononçable en une quelconque langue humaine.


— Il… Il a trouvé le Crow et il est comme les corbeaux, Izzy, il aime ce qui brille… 


J’ai réfléchi un moment, et je me suis tourné vers le gamin : 


— Que dirais-tu de… Crawly ? Ou Crowley ? ¿Tu nuevo nombre? Crowley ? j’ai proposé. 

— Crowley, a répété le gamin, avant de sourire. Crowley ! ¡Sí! ¡Gracias, señor!

— Ed ! Appelle-moi Ed, d’accord ? 

— Ed ! il a répété, docilement. 

— C’est bien ! 


J’ai voulu lui tapoter la tête, mais je me suis agrippé les doigts dans des morceaux d’hameçons et de dents, accrochés à ses cheveux.


— Aïe… j’ai gémi en suçotant le bout de mon doigt qui saignait.

¡Lo siento mucho! Pardon ! 

— Mais… Pourquoi t’as foutu des hameçons dans tes cheveux ? 

— Pour pas… Les hommes tirer sur mon cheveux… Pardon, Ed ! 


J’ai eu un léger frisson, et j’ai fini par poser une main sur son épaule en souriant le plus chaleureusement que je pouvais.


— Arrête de t’excuser pour tout, gamin ! 


                                                              * * *  


pouf pouf… Le lendemain, il nous a conduits jusqu’à l’épave du Crow et Hornigold a tenu parole ! Après avoir pillé le bateau, on a regagné la Jamaïque et il nous a donné un des sloops de sa flottille, l’Adventure, ainsi qu’une poignée d’hommes, dont Fang faisait partie. 

Hornigold s’est intéressé à Crowley, bien sûr, mais il n’a pas insisté, trop heureux qu’il était d’avoir trouvé le trésor. pouf pouf… Avec Izzy, on a appris au gosse à se battre ! 

On a fait de lui un des meilleurs pirates que j’aie jamais vus et avec ses… Talents de plongeur … On a vite gagné beaucoup d’argent ! On s’est acheté un bateau plus gros, puis encore un autre… 

Mais chaque fois que l’équipage changeait, s’agrandissait… Y avait toujours un gars pour avoir des idées ou des gestes déplacés sur Crowley ! Tu sais comment sont les gars en mer. Je suppose que Muriel devait pas être beaucoup plus vieux que Crowley lors de son premier voyage, et je suis sûr que tu as dû surveiller ton frangin de près pour éviter qu’il lui arrive des bricoles…

Aziraphale a acquiescé silencieusement. Malgré sa non-violence, il avait souvent dû user de ses poings lors de leurs premières traversées pour faire comprendre aux autres membres d’équipage qui avaient des vues sur Muriel qu’il faudrait le tuer s’ils espéraient le toucher. Lors de ces rixes, son physique imposant avait gracieusement joué en sa faveur, et on finissait toujours par ne plus les embêter.


— Il s’est… Je sais pas, a continué Ed, il s’est mis en tête que jamais personne ne pourrait l’aimer, tu vois ? Qu’il était juste bon à satisfaire la curiosité des autres et leurs… Leurs besoins… Il ne pouvait pas être lui-même. On a sillonné les Antilles comme ça jusqu’à ce qu’on tombe sur le Revenge ! Et sur Stede… pouf pouf… 

— Et, hum… Qu’est-ce que… Qu’est-ce qui a changé, Capitaine ? 

— Tout ! Tout à changé… Crowley a enfin pu s’épanouir et ne plus cacher ce qu’il était ! Il était heureux ! Je veux dire, vraiment heureux, tu vois ? Tu l'as senti toi aussi. Cette ambiance sur ce bateau. Tu sais que même si tu ne le vois pas, Muriel ne risque rien ici… Peu importe ce qu’il est…


Ed lui a fait un petit clin d’oeil et Aziraphale n’a pas répondu, se contentant d’un léger hochement de tête :  


— Crowley, il… Il s’entendait bien avec Stede au début… J’étais fou amoureux et heureux moi aussi, pour la première putain de fois de ma vie ! a poursuivi Ed, le regard dans le vague, avec un sourire nostalgique.


Et puis son visage s’est assombri, laissant mourir son sourire sur ses lèvres. Il s’est ébroué et a rallumé sa pipe avec des gestes nerveux, en se tortillant sur sa chaise. A cet instant, la ressemblance avec Crowley était saisissante et Aziraphale mesura à quel point il avait pu s’imprégner des comportements de son père adoptif. 


— Je… Ahem… J’ai cru comprendre qu’il y a eu une dispute, mais… Nul ne vous oblige à me raconter, Capitaine ! a tenté de relancer couragement Aziraphale, soucieux de préserver la souffrance évidente de Blackbeard à l’évocation de cette période. 


Ed s'est raclé la gorge, visiblement mal à l’aise.


pouf… Pour faire simple, Stede a été pris de remords et il est retourné vivre avec sa femme, pour un temps ! Il avait besoin de réfléchir, qu’il m’a dit plus tard. C’était… Ça a été difficile. Ouais… Difficile… J’ai perdu pied, j’avoue, putain ! J’étais fou de chagrin… J’ai… J’ai pris trop de rhinocorne et encore plus d’alcool… Mais rien ne pouvait… Putain, rien ne pouvait endormir cette douleur… 


Ed avait rageusement refermé son poing contre son cœur. Il ravala ses larmes et poursuivit : 


— Ahem… Je croyais que j’avais touché le fond, mais c’était pas vrai… Je contrôlais plus rien, je me contrôlais plus moi-même ! Je suis devenu… Un vrai connard ! Crowley a voulu me raisonner, il a essayé plusieurs fois en fait… Un jour, je l’ai bousculé… Je voulais pas faire ça putain… Il m’a regardé comme il regardait Sandalphon… Et il… Il est parti… Il a dit qu’il me reconnaissait plus et qu’il devait prendre un peu de distance. Il supportait plus de me voir tout détruire comme ça ! Alors comme Stede, il m’a quitté à son tour… Il a sauté à l’eau et on l’a pas vu pendant des semaines. Et , j’ai touché le fond ! Le lendemain, j’ai tiré dans la jambe d’Izzy… 

— L’emprise de l’alcool et… D’autres substances peuvent faire faire de terribles choses… a répondu Aziraphale avec douceur. 


Il aurait voulu poser sa main sur celle de Ed, mais il n’osait pas…


— Pas tant que la tristesse ! Et c’est là où je veux en venir… Je croyais… Ahem… Je voulais protéger Crowley, tu comprends ? Je voulais pas qu’il s’attache à toi parce que… Si jamais… T’es un bon gars, Aziraphale, mais même les meilleures personnes peuvent infliger la souffrance ! Et je ne veux pas que Crowley souffre, plus jamais !  

— Capitaine ! s’est empressé de dire l’Anglais, en posant finalement une main timide sur la mitaine en cuir de Blackbeard. Je ne… Je ne ferais jamais souffrir Crowley de manière volontaire ! Mais il est vrai que je ne peux pas vous promettre qu’il ne souffrira jamais à cause de moi, parce que personne ne peut savoir ce genre de chose, mais sachez que… C’est justement ma plus grande crainte à moi aussi ! 

— Non, tu piges pas, petit… J’ai vu Crowley quand tu étais malade… Je l’ai vu malheureux comme les pierres ! Il a plongé pour toi ! Je lui avais interdit et il l’a fait quand même ; pas une seule fois il m’a désobéi en dix-huit putain d’années et pour toi, il a pas hésité une seconde ! Des fois, c’est quand on souffre qu’on se rend compte à quel point on est vivant et à quel point on… Tient aux autres… Et Crowley tient à toi ! C’est pas grave si des fois vous avez du mal à vous comprendre, personne ne parle la même langue au début ! Ce que je veux dire c’est que… Je suis content qu’il se soit… Attaché à toi ! Et s’il doit souffrir à cause de toi, ben je serai là ! Je serai là pour le ramasser à la petite cuillère et pour l’aider à se relever ! Parce qu’il vaut mieux connaître l’amour et la souffrance que rien connaître du tout…  


— C’est beau ce que vous dites là, Capitaine ! ne put s’empêcher de répondre Aziraphale, ému. 


Il lui sourit gentiment, tapotant doucement la mitaine noire de Blackbeard.


— Par contre toi, je te tuerai !


Aziraphale retira vivement sa main. 


— Ah… 



(1) (Psaume 91,8)


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