On se fait un film ?

Chapitre 1 : Qui veut l'auto d'Aziroger ?

Chapitre final

2498 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/04/2024 19:17

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : « Le coup du lapin » (avril mai 2021), catégorie « Anciens défis no limits »





L’ange comptait faire ce trajet en voiture. « Notre voiture » avait-il déclaré avec aplomb. Sérieux ? Et avec l’intention de conduire en plus.


- N’est-elle pas de toute beauté ? ronronna-t-il en caressant du regard la carrosserie rutilante de la Bentley et en l’effleurant d’une main cajoleuse, un sourire aux lèvres, propulsant l’esprit du démon dans des contrées inconnues, le regard dans le vague.

Crowley, quelque peu réticent à abandonner sa voiture bien-aimée aux mains de l’ange, avait mis une condition :

- Ok, mais je t’accompagne. Six-cent kilomètres, tu vas trouver le temps long …


C’est qu’Aziraphale avait flairé une piste. Et lorsque le libraire avait une idée en tête, il était vain de s’évertuer à l’en déloger. En effet, Jimbriel avait fredonné la veille un air qui, aux dires de Maggie la disquaire, provenait d’un 45 tours miraculeusement dupliqué à l’intérieur d’un antique juke-box dans un certain pub d’Edimbourg . Qu’un client choisisse un morceau, il entendait invariablement « Every Day » de Buddy Holly. Crowley avait fait le rapprochement avec son propre autoradio entêté, qui jouait Queen quelles que soient la station choisie ou la cassette insérée. On le sait, le diable se niche dans les détails.

La librairie était fermée pour une semaine. Jimbriel était à l'abri, cloîtré à l'intérieur, et il avait appris à se préparer du chocolat chaud. Il avait aussi reçu la consigne d'arroser les plantes.


- En route pour Edimbourg alors ! chantonna l’ange en sautillant de joie.

- Mouais. Pas sûr que ce soit une promenade de santé, maugréa le démon.


Un trajet dont ils mettraient des heures à venir à bout, songea le déchu, fataliste, qui connaissait son « associé » et n’aurait pas parié un penny sur la prospérité des radars qu’ils croiseraient ce jour-là. Ils prirent donc la route dans la soirée, avec le projet d’effectuer le voyage de nuit pour arriver dans la capitale écossaise le lendemain matin.


Voilà une heure environ qu’ils étaient sortis de Londres, la circulation était des plus fluides sur l’autoroute et l’autoradio jouait She Makes Me - Stormtrooper in Stilettos de Queen. Tout se passait à merveille - d’ailleurs Aziraphale n’avait-il pas affirmé qu’il détenait un permis de conduire ? - quand Crowley, tournant la tête vers lui, distingua sur ses lèvres un demi-sourire. Il n’eut pas le temps d’en interpréter le sens. Il se rendit compte avec effroi que sa voiture était devenue jaune. Jaune avec une bande en damier sur les bas de caisse. Jaune taxi new-yorkais.

- Jaune, c’est joli, non ? glapit le conducteur.

Glapit ???

Derrière le volant se tenait un lapin vêtu d’une salopette rouge et d’un ravissant nœud papillon bleu à pois jaunes. De sa poche dépassait la chaîne d’une montre de gousset facilement reconnaissable. Des gants de conduite assortis à la voiture complétaient sa tenue.

Crowley ouvrit la bouche de stupéfaction, puis murmura d’une voix affolée :

- Mon ange, t’as fait quoi avec la Bentley ? Et t’es qui ? Le lapin blanc d’Alice ?

- Prends un bonbon pour la route, proposa le lapin pour le calmer.

D’un geste, le déchu baissa son pare-soleil équipé d’un miroir de courtoisie. Ce qu’il découvrit le laissa abasourdi. Une créature de rêve, pur produit des fantasmes humains masculins. Une silhouette évoquant un sablier, en robe moulante rouge pailletée au décolleté plongeant, largement fendue sur le côté, des gants d’opéra aussi interminables que ses jambes fuselées qu’il avait un mal de chien à contenir dans cet espace restreint, d’autant que ses genoux étaient surélevés par ses escarpins à talons aiguilles. Le seul élément qu’il reconnut était cette crinière rousse étalée sur ses épaules dénudées. Soudain, il comprit l’affaire.

Il tourna vers le conducteur ses yeux langoureux à demi voilés par des paupières fardées :

- Ah bravo mon ange ! Tu peux m’expliquer ? Comment dois-je t’appeler ? Aziroger ? Et moi je suis Jessicrowley peut-être ? C’est quoi ce cirque ? questionna-t-il d’une voix glaciale.

- J’ai peut-être eu la main lourde sur le miracle, soupira le lapin, contrit. Mais tu verras, ce n'est pas si terrible une fois qu'on en a l'habitude.

- Alors les copains, où est-ce que je vous jette ? Moi c’est Benty, pour les intimes. *

La voiture parlait, manifestement. Manquait plus que ça. Elle retourna son capot pour observer ses passagers. Ses phares étaient des yeux, son pare-choc une large bouche.

Ils se retrouvaient coincés tous trois dans cette stupide apparence de toons pour on ne sait combien de temps.

- Salut Roger, ça fait un bail pas vrai ? Ouh là là ! Permettez señorita ! C’est moi qui conduis, c’est moi le taxi. Où on va ?

- Laisse, souffla la pulpeuse créature. Si ça lui fait plaisir, on n’est plus à ça près. Quand même, je sais pas ce qui t’a pris. Il grogna "Edimbourg" à l'attention du taxi.

- Mes actes ont dépassé mes pensées, désolé mon cher. Ça arrive, même aux meilleurs.


Crowley résigné et Aziraphale un brin coupable poursuivirent donc leur chemin. L’autoradio jouait à un volume indécent la musique de Bugs Bunny et ses amis. La jolie rousse l’éteignit d’un doigt rageur en poussant un soupir exaspéré. Le céleste se demanda si le moment était bien choisi, mais il n’y tenait plus.

- Tu crois que Bounty pourrait …

- Benty, corrigea le démon agacé.

- Heu, j’aurais bien un petit creux, moi … C'est la faute de ce nom aussi. Il me met l'eau à la bouche.

- OK mon ange. On s’arrête à la prochaine aire. Tu veux quoi ? De la brioche ? Ou un gâteau aux carottes ? ironisa-t-il.

L’atmosphère se détendit alors qu’ils pouffaient tous les deux comme des gamins farceurs. Un quart d’heure après, Benty, sans ralentir ni clignoter, prit la bretelle de sortie en dérapage à peine contrôlé, qui fit dangereusement chasser l’arrière. « Cette caisse prend vraiment du bon temps », songea Crowley.

- Traînez pas, faut qu’je gagne ma croûte moi, leur lança-elle avec un clin de phare.

Les voyageurs échangèrent un regard entendu.

- Notre aspect n’est-il pas un peu … saugrenu ? questionna l’ange.

- Je vais y aller. J’ai une apparence un peu plus … ngk … humaine.

Le démon réussit à s’extraire de la voiture et se déhancha langoureusement jusqu’à la boutique, somptueuse silhouette sous la lumière des réverbères du parking. Il revint peu de temps après avec un sandwich triangulaire sous cellophane pour son compagnon, et un énorme gobelet d’expresso pour lui.

- Alors ? interrogea Aziraphale en déballant son repas. Pas de problème ?

- Aucunement. J’ai juste dû emprunter un cric du côté garage pour ce gars à l'accueil. Un dénommé Eddie Valiant d’après son badge.

- Mais pourquoi, doux Jésus ?

- Pour lui remonter la mâchoire.

Tous les trois éclatèrent de rire en pensant que les choses n’allaient pas si mal que ça, et Benty démarra sur les chapeaux de roue. La route se poursuivait sans encombre, mais le facétieux véhicule râla un peu :

- Dites, les copains, y’a pas moyen d’accélérer un peu ? A ce train-là, la nuit suffira pas. Ils appellent ça « autoroute », on a droit à 130 km/h.

- Entièrement d'accord, ajouta Crowley, en habitué des vitesses extrêmes.

- Hors de question ma chère. Je ne voudrais pas risquer une collision. L’excès de vitesse n’est pas inclus dans mon miracle.

Le ton ne supportait pas de contestation. Le taxi soupira.


Un long moment plus tard, ils virent dans le rétroviseur s'approcher à vive allure, gyrophare en action et sirène hurlante, un véhicule de police. Benty s'arrêta en grommelant un « je le savais » sur la bande d'arrêt d'urgence. Les forces de l'ordre stoppèrent juste derrière.

Un flic descendit et marcha lentement vers eux, la main posée sur l'arme nichée dans son holster. Son visage évoquait vaguement une fouine.

- Police de la route, veuillez sortir du véhicule !

- Laisse moi m'en occuper, glissa Crowley à l'ange discrètement avant de se déplier face à l'agent.

Celui-ci ne fut pas le moins du monde impressionné. Soit il n'était pas le couteau le plus affûté du tiroir, soit il était gay.

- Je veux voir le conducteur, et ses papiers, gronda-t-il en extrayant son arme du fourreau. Vous savez que vous rouliez largement au dessous de la vitesse limite ? Risque d'accident, ça.

La jolie rousse coula un regard vers Aziraphale, qui signifiait clairement « Je te l'avais bien dit » puis posa les doigts sur le Sig-Sauer.

- Oh ! Oh ! Un officier de police humain a très envie de manier son joujou ? fit-il de sa voix la plus suave. Je vais t'aider …

"Ma poule a pondu un œuf,

celui-ci l'a vu, récita le démon avec un sourire mutin en soulevant l'index du flic,

celui-ci l'a pris … le majeur

celui-ci l'a cuit … l'annulaire

celui-ci l'a mangé" … l'auriculaire

Il n'eut pas le temps pour le pouce qui "a léché le plat", car le pistolet tomba aux pieds du flic, qui regardait la pulpeuse rouquine les yeux remplis d'une totale incompréhension.

Ladite éclata d'un rire sonore et poursuivit :

- Eh bien, mon gros poulet, où est ton sens de l'humour ? Attends, j'ai mieux :

"Une poule sur un mur … l'ongle manucuré tapota la paume du policier, désormais aussi vide que son cerveau.

Qui picotait du pain dur, picoti picota … poursuivit-elle avec ses autres doigts

lève la queue et puis s'en va !"

Aussitôt dit, Crowley se propulsa dans le taxi en criant :

- GOOOOOOOOOOO !

- Nom d'un crapaud cornu, bien joué l'artiste ! apprécia Benty en mettant les gaz, sous les yeux médusés des agents.

- J'ai vraiment cru que les carottes étaient cuites. Mais tu as fait picoti avec ce policier n'est-ce pas ? Tu as été magnifique !

On pouvait lire dans les yeux bleus d'Aziraphale à livre ouvert. Il les posa sur le démon avec une profonde vénération, une lueur indéfinissable dans ses prunelles.

- T'enflamme pas mon ange, je suis juste dessiné comme ça, murmura Crowley qui reconnaissait ce regard pour l'avoir maintes fois observé chez des humains.


Le céleste sembla redescendre sur terre, et le voyage se poursuivit sans encombre durant quelques heures. Le lapin blanc se demandait comment mettre un terme à cette farce, quoique, sans l'avouer, il trouvait cette aventure plutôt réjouissante. Annuler le miracle par un nouveau miracle lui semblait une solution qui manquait de panache.


Il était perdu dans ses pensées quand s'afficha sur un portique de signalisation un avertissement « Prudence ». Aucun des trois n'y prêta attention. Benty continuait de filer sur l'asphalte à une vitesse fort heureusement toujours raisonnable quand soudain ses phares se dirigèrent au sol pour l'éclairer.

- Par Sainte Bielle et Sainte Manivelle ! Qu'est-ce que c'est que cette flaque ? J'espère que c'est pas de la … TREMPETTE !

Sur la route était répandue une large mare d'huile, sans doute échappée d'un moteur qui les avait précédés. Le taxi jaune dérapa et fit plusieurs tours sur lui-même. Rien de plus traître qu'une route glissante.

- Les gars, je vais peut-être pas fondre, mais je contrôle plus rien ! hurla Benty affolée.

Au bout de quelques secondes qui leur semblèrent une éternité, la petite voiture heurta une première fois la glissière de sécurité. L'airbag d'Aziraphale se déclencha instantanément, coinçant l'animal dans un cri muet. Celui de Crowley n'en eut pas la place, mais il résista au choc tant bien que mal. **

- Cette fois les copains je crois que c'est la fin, s'écria Benty paniquée en continuant de tournoyer immodérément. Je vous dis à la prochaine, je crois que j'arriverai p...

Avant d'avoir fini sa phrase, elle percuta une deuxième fois de plein fouet la barrière métallique. Le choc fut suivi d'une fantastique gerbe d'étincelles. Le petit taxi disparut, laissant place à l'élégante voiture noire conduite par un Aziraphale médusé, les mains crispées sur le volant, le nœud papillon ébouriffé et les cheveux en bataille. À ses côtés se tenait Crowley, frappé lui aussi de stupeur, avachi dans son siège comme à son habitude, les lunettes de soleil de travers sur son nez et la fine cravate en tire-bouchon, dont la première réaction fut :

- Elle n'a rien ?

Non, elle n'avait rien. Pas une bosse, pas une égratignure sur la carrosserie étincelante de sa voiture adorée. C'était comme si rien ne s'était passé.


- Eh bien, mon ange, fin de la récréation, souffla-t-il soulagé.

Il regarda le lapin qui n'en était plus un et qui semblait perdu dans ses pensées. Retrouver son démon sain et sauf comblait d'aise Aziraphale, plus que ce qu'il aurait pu imaginer. Ses joues s'empourprèrent, puis le sang reflua de son visage vers un ailleurs improbable.

- Ça va ? demanda Crowley d'un ton inquiet, haussant un sourcil dubitatif.

- Tickety-boo ! répondit le céleste avec une assurance feinte. C'est parfait mon cher. Nous avons repris nos apparences habituelles, et il ne nous reste plus qu'un cinquantaine de kilomètres. Tout n'est-il pas pour le mieux ?

- C'était drôle, tout de même … admit le déchu.

- Ah ! Tu vois ? Et tu as été magnifique. Mieux que Dingo.

Ils échangèrent un sourire complice, qu'Aziraphale ponctua d'un éclatant :

- En route pour le 66 Goat Gate ! Edimbourg, nous voilà !




Notes :

*Pour mémoire, le taxi s'appelle Benny dans le film.

**C’est une Bentley toutes options. Si vous doutez, demandez à son concepteur.






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