Now I'm Here - paresse

Chapitre 1 : Now I'm Here - paresse

Chapitre final

1796 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 03/02/2024 21:19

Cette fanfiction est une réponse au challenge "7 sins : les sept péchés capitaux" qui se déroule actuellement sur le forum de FFR


« Le travail paie dans le futur, la paresse elle paie comptant » Jacques Dutronc


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Bien qu’il ait récupéré son vaste appartement à Mayfair depuis le départ de Shax (devenue prince des Enfers suite à la « défection » de Belzébuth), il aimait venir prendre un café chez Nina, qu’il trouvait bien meilleur que certains breuvages vendus aux alentours, si on exceptait le Talisker. Il y avait pris goût et s’octroyait régulièrement l’ingestion de 6 expressos dans un grand mug, suivie d’une petite visite à la librairie A.Z. Fell. Régulièrement, ça signifiait quotidiennement. Enfin, plusieurs fois par jour pour être honnête …

Crowley était un démon nostalgique.


Ce matin-là, la porte de la libraire s’ouvrit brusquement et Crowley entra en quelques enjambées chaloupées pour s’écrouler tel un sac de sable jeté en vrac sur le bon vieux fauteuil de l’Ange. Il balança négligemment une jambe par dessus l’accoudoir en saluant la nouvelle propriétaire des lieux d’un vague « ‘jour Mu ».

Muriel - car c’est elle - lui lança un joyeux « Oh ! Bien le bonjour Mr Crowley !»

Il avait décidé de l’appeler Mu tout court pour la bonne raison qu’il ne pouvait plus supporter les noms de ces maudits individus emplumés finissant par un « iel » depuis que le sien, d’Ange, avait rejoint le paradis dans l’espoir vain de changer les choses de l’intérieur. La bonne blague ! Il avait abandonné tout ce qu’il aimait ici-bas pour se retrouver dans un panier de crabes célestes tous aussi fourbes et sournois les uns que les autres. Une deuxième raison était que ça lui rappelait ses faits d’armes, quand il s’était servi d’Odegra, la langue de Mu, pour établir le tracé de la M25. Cette trouvaille parfaitement diabolique lui avait valu les éloges de son camp, en ce temp-là. Mais ça, c’était avant.

- Tu vas faire quoi aujourd’hui ? demanda la fine silhouette noire.

- Oh ! il faudrait que je range un peu ! Il y a des livres partout, dans les étagères, sur des tables, par terre, je ne sais pas si Mr Fell s’y retrouvait mais moi non. L’autre jour, je cherchais Emma, de Jane Austen, mais c’est mission impossible. Les seuls livres bien rangés, c’est Mr Jim qui les a classés par ordre alphabétique de la première lettre de la première phrase. Vous imaginez un peu ?

- Je n’imagine que trop bien, Mu. Range donc ! Moi je vais faire un petit somme …

Il se lova dans le vieux fauteuil familier de son Ange et on ne tarda pas à percevoir quelques ronflements réguliers.


Muriel était perplexe. Et d’abord, comment faire ? Le "comment" trouvé, la mise à exécution serait un jeu d’enfant. Bien. Réfléchissons. Cependant, Muriel n’était pas connue pour sa vivacité d’esprit. Réfléchir n’était pas son fort. Elle décida de classer les ouvrages selon la hauteur de la tranche. Elle commença à rassembler quelques volumes de la même taille. Mais les poser où ? Le mieux serait de tout enlever puis de tout remettre, peut-être ?

- Ah ! C’est compliqué ! Je ferai ça dans l’après-midi.

Elle s’installa sur une chaise et reprit son bouquin en cours, qu’elle adorait : ça s’appelait Américan Gods, d’un certain Neil Gaiman. Le titre avait piqué sa curiosité : pourquoi ce pluriel, n’existait-il pas un seul et unique Dieu ? Au fil de sa lecture elle s’était bizarrement laissée emporter par les personnages et l'histoire.

Depuis son tout premier, The Crow Road, elle en avait lu des ouvrages ! Elle en avait apprécié certains, adoré beaucoup (Jane Austen en particulier), à peine ouvert quelques autres, comme 50 nuances de Grey, qu’elle avait pris pour un guide de préparation du thé, ou Histoire d’eau, qu’elle pensait être le récit du déluge et des aventures de Noé et sa famille. Hermétique à cette prose, elle avait abandonné dès les premières pages.


Quelques chapitres plus tard, le démon se réveilla en grognant, comme à son habitude, s’étira et vit Muriel sur sa chaise, qui refermait son livre terminé.

- Eh ! Mu ! tu devais pas ranger ces maudits bouquins ?

- Hem … et bien si Mr Crowley. Mais là je faisais une petite pause pour lire.

- Lire ? quelle idée saugrenue franchement.

- Et vous Mr Crowley, votre somme était-il plaisante ?

- Plaisant, Mu, un somme, c’est masculin. Une sieste, c’est féminin, et tu pourrais dire plaisante.

- C’est quoi une sieste ?

- Ben c’est quand tu prends un moment dans la journée pour dormir.

- C’est quoi dormir ?

- Rhôôô, Mu, je n’ai jamais été très doué pour répondre aux « pourquoi ? » des enfants. Pourquoi la mer est salée ? Pourquoi il fait nuit ? Mais bon, je suis de bon poil, je vais essayer. Alors dormir, c’est perdre la conscience du monde extérieur (en l’occurrence le monde SANS Aziraphale soupira-t-il) et du temps qui passe (ce qui tombe bien parce que l’éternité c’est long, surtout vers la fin, comme aurait dit Woody Allen). Et bonus ! tu peux faire des rêves.

- C’est quoi des … commença Muriel, qui eut la bonne idée de s’interrompre pour laisser Crowley continuer à son rythme.

- C’est des images qui traversent ta tête alors que t’as rien demandé. Des fois c’est cool, des fois … moins.

- Ah … fit Muriel songeuse. Mais moi, je n’ai pas le temps. Il y a tellement à faire ! Si jamais Mr Fell revient, il faut qu’il trouve sa librairie propre et bien organisée. Il faudra aussi faire les poussières, emporter ces vieux tapis au pressing, changer les ampoules grillées, et puis ranger ses disques aussi, certains sont sortis de leur pochette ...


L’après-midi, avant d’entamer les grands bouleversements livresques, elle se prépara une tasse de thé. Quand Crowley revint, elle était encore à la regarder.

- Alors, Mu, ça avance ?

- Heu … pas trop Mr Crowley. Je m’y mets quand mon thé sera froid.

- Tu veux un coup de main ?

- Oh ! ce serait très gentil Mr Crowlety ! Le sang du Déchu ne fit qu’un tour :

- NON, Mu, je ne suis Pas GENTIL ! Je suis un démon, je suis méchant, menteur, cruel, tentateur et IMPARDONNABLE ! hurla-t-il.

Muriel s’était recroquevillée sur sa chaise, attendant que l’orage passe. Ce n’était pas la première fois qu’elle lâchait un mot capable de faire entrer le démon dans une colère noire. Elle avait l’habitude : aussi, elle devrait apprendre à tourner 7 fois la langue dans sa bouche avant de l’ouvrir en sa présence …

Une fois calmé, il lui adressa un demi-sourire. Mu était si maladroite et gaffeuse parfois, que ça en devenait attendrissant ! Crowley imagina que ce n’était pas sans raison qu’elle avait stagné dans la hiérarchie céleste ...

Il prit une énorme pile de livres sur un guérison pour la poser … sur un autre. Puis une deuxième, qu’il envoya valdinguer par dessus son épaule.

- Bon. Tout compte fait je ne suis pas d’humeur ménagère aujourd'hui. Il vaudrait mieux que je sorte promener la Bentley. Elle a besoin de se dégourdir les jantes.


L’après-midi était bien avancé.

- Et si j’essayais la … comment ça s’appelle ? Sieste !

Muriel se lova dans l’antique fauteuil et attendit de longues minutes. Les yeux fixés sur le lustre du plafond, elle essayait de « dormir ». Les anges ne dorment pas, ou très peu, c’est une vérité universelle. Ce fut donc un lamentable échec. Une heure plus tard, le démon était de retour.

- M'enfin Mu ?…

- J’essaie de dormir, Mr Crowley.

- Oh mais ma pauvre Mu, j’ai oublié de te préciser un truc : il faut fermer les yeux.

- Ahhhhhhhhhhh ! Compris, conclut-elle avec un large sourire béat, il faudra que j’essaye demain à nouveau !


Le lendemain, le capharnaüm de la librairie était au point mort. Muriel arpentait la boutique en proie à une angoisse diffuse. « Et si le Métatron avait un jour de nouveau besoin de l’Ambassade ? Je ne sais pas moi, une nouvelle mission sur terre, ou tout simplement voir si tout va bien pour moi ? » Elle n’envisageait tout simplement pas la possibilité de clients : rares autrefois, ils étaient aujourd’hui pleinement absents, tant l’ancien propriétaire des lieux s’était évertué à les décourager d’acheter quoi que ce soit.

Elle se dirigea vers la plus grande étagère du fond, celle pour les grands livres. Un rayonnage était déjà plein, elle s’attaqua à celui du dessous.

- Pfff ! Je suis épuisée moi. Je vais me reposer un peu.

Son regard s’arrêta sur la couverture d’un petit livre. Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ?

Muriel regagna le fauteuil angélique, au milieu d’un fatras de bouquins, de disques et de papiers froissés au sol. Elle déposa délicatement un 33 tours sur la platine vinyle presque centenaire, A Night at the Opera, qu’elle adorait, elle trouvait cela « moderne ». Est-ce-que Freddie Mercury était au paradis ? Elle ne savait pas, ne quittant que très rarement son bureau de scribe de 37ème rang. En tout cas, un humain qui chantait d’aussi jolies chansons avec une si belle voix ne méritait pas de se retrouver en enfer, quels que soient ses péchés.

Elle décrocha le téléphone, alla même jusqu’à le débrancher (on ne sait jamais), regarda sa tasse de thé froid puis s’installa confortablement avec un coussin moelleux et un plaid tartan, puis ouvrit le livre Eloge de la paresse.


L’apprentissage de la sieste serait pour demain.



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