Get thee behind me, fool friend – 7 Sins Challenge

Chapitre 1 : L'Orgueil - Pride and prejudice

2520 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/01/2024 12:24

Cette fanfiction est une réponse au challenge "7 sins : les sept péchés capitaux" qui se déroule actuellement sur le forum de FFR

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L'ORGUEIL

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TOUT EST DIT

(Pride and prejudice)

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Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, il y avait de cela bien longtemps, mon enfant qui se désigne aujourd'hui sous le sobriquet de Crowley, avait toujours été le plus démonstratif. Le plus enthousiaste. Et cela me fait bien plaisir car comme j'aime à le rappeler, l'enthousiasme arrive quand on se sent inspiré par un dieu.

"Crowley" avait toujours été curieux et réfléchi, avec une passion pour la création. Il devait tenir ça de moi et l'imprégnation avait fonctionné sur lui mieux que sur beaucoup d'autres. Bien que je l'aime tendrement, j'ai perçu que ces qualités héritées pouvaient cependant rapidement le mettre en danger, parce qu'il était pur et sans calcul. Alors, comme tout bon parent prévoyant, j'ai fait ce qu'il fallait pour le protéger de lui-même : je lui ai fait le cadeau d'un ami.

A l'époque, beaucoup de mes enfants étaient très aimants et j'avais l'embarras du choix pour lui trouver quelqu'un qui puisse lui convenir. On entend dire souvent que Dieu pourrait n'être qu'un enfant qui joue aux dés… eh bien, ce serait abusif de dire que je n'aime pas être surprise de temps en temps. Et face à différentes options, les dés sont bien pratiques. Serait-il si inconcevable que le hasard ne fût pas autre chose que l'inconscient divin ?

Il y avait plusieurs possibilités. J'ai pensé à celui que vous connaissez comme Furfur qui avait l'âme d'un dramaturge* ; à Saraqiel, intelligent à l'esprit ordonné apte aux sciences ; à Lucifer aussi, parce qu'il avait du charisme et la capacité d'influencer les autres par sa force de conviction (ne souriez pas, l'omniscience ne dispense pas d'avoir de l'espoir au cœur). Gabriel était un bon choix également, parce que je voulais quelqu'un qui comprenne les règles mais qui reste confiant dans sa capacité à les appliquer et à les faire respecter – c'est, du reste, pour cela qu'il est devenu plus tard Archange Suprême. Il y avait aussi ma petite Muriel, adorable onde de joie qui, comme Crowley, était capable de s'émerveiller de tout. J'ai eu bien eu soin ensuite de la garder loin de Lucifer, quitte à ce qu'elle reste timide et avec peu de confiance en elle.

Alors, j'ai lancé les dés et j'ai attendu patiemment.

Et c'est Aziraphale qui a pris l'appel.

Quand vous êtes dans ma position, c'est donc une bonne sensation d'être vaguement surprise. Je n'avais nullement pensé à lui, ni à ce qui les rapprochait finalement assez naturellement. Pourtant, Aziraphale n'était pas incongru. Il était plein de bonté et respectueux de mes commandements, à défaut de les comprendre. Pourquoi pas ? Son influence aurait peut-être eu une chance de tempérer la fougue de Crowley ? – Je crois que je ne m'y ferai jamais ; son premier nom était si beau !

Je me figurais qu'Aziraphale avait vu en lui la capacité à s'investir profondément et que, même s'il la trouvait un peu effrayante, il était admiratif de la façon dont il pouvait connecter les idées entre elles et en tirer des conclusions. Sa familiarisation avec ce côté un peu "dangereux" de son impressionnant ami, conjointe à sa nature bonne et compatissante lui a permis, à la longue, de dépasser la pusillanimité où il en serait resté pour développer du courage. Petit bonhomme… il est devenu si brave pour certaines choses. Prêt à donner sa précieuse épée, symbole de sa distinction et de son autorité, prêt à combattre une apocalypse presque tout seul ! Quel parcours ! Je suis si fière ! (Non bien sûr que je ne suis pas fâchée pour l'épée donnée, je savais seulement qu'elle tomberait fatalement un jour dans de mauvaises mains).

Je digresse... (l'habitude de parler toute seule sans que personne n'entende).

A part leur complémentarité, il existait une autre évidence et j'aurais sans doute mieux fait de commencer par-là : la couleur inhabituelle de ses cheveux. Quand vous êtes rondouillard avec les cheveux blancs parce que j'avais vu trop juste au niveau des teintures, vous vous sentez à part. Aziraphale n'avait aucun ego, mais il en a obtenu le germe quand il s'est senti secrètement blessé d'être différent à un jeune âge où la seule chose à laquelle il aspirait, comme nombre de ses frères et sœurs, c'était faire partie du chœur qui chantait mes louanges... Il a gardé de cette aspiration le goût de la musique. Il n'aurait jamais osé me remettre en question, et avait essayé de se convaincre qu'il n'avait rien fait de mal, et qu'une intention inconnue présidait forcément à ses mèches trop pâles. Comme je l'ai dit, c'était un bon petit.

Mais vous avez sans doute remarqué aussi que pour Crowley, j'ai eu la main un peu lourde au niveau capillaire. J'ai commencé ses cheveux avec en tête un joli châtain réchauffé de reflets auburn. Mais la peinture, vous savez bien, c'est toujours pareil ! Ce n'est jamais la même couleur sur le couvercle et une fois posé… Voyant le résultat je me suis mise à produire les pigments d'un vert tilleul adéquat pour neutraliser le rouge radioactif qu'il avait sur le crâne et, pendant que j'avais le dos tourné (c'est une expression, je n'ai pas vraiment de dos), mon petit curieux était déjà parti baguenauder impatiemment en pensant que j'avais terminé ! Le temps que je le retrouve, il était trop tard, c'était teinté dans la masse.

Crowley s'en fichait éperdument, à l'époque, il avait les yeux rivés non sur lui-même et sur l'effet qu'il produisait, mais sur la beauté colorée de l'univers.

Pour en revenir à nos moutons, quand Aziraphale a volé vers la Terre et aperçu quelqu'un qu'il estimait plus mal loti que lui, il s'est précipité pour lui offrir du réconfort.

C'est comme ça que tout a commencé mais ça, vous le saviez déjà, plus ou moins.

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Aujourd'hui, c'est différent. Mon rouquin n'est plus un ange, il a suivi son chemin avec certains de ses frères, et ce chemin l'a entraîné bien loin de la beauté et de la simplicité. Il a appris à la dure la difficulté de penser par soi-même. Lucifer qui avait encouragé le procédé au Paradis, une fois devenu Satan, le réprimait complètement en Enfer. Après en avoir souffert, Crowley y a vu l'ironie et ensuite la double peine que la chute et l'oppression intellectuelle représentaient.

J'admets que j'ai souri lorsque j'ai vu mon enfant utiliser son esprit plus affûté pour "contourner" les règles de Satan en s'y ménageant un espace de liberté. Mais ce ne sont certes pas les rebuffades et les petites mesquineries ubuesques du panier de crabe qu'était l'Enfer qui l'ont rendu brillant. Non. Ce sont les humains. Mais si !

La simplicité règne au Paradis. Si vous pouviez voir ! Il y a du blanc, du blanc, et encore un peu de blanc, du sol au plafond. Pas de meubles ou si peu (blancs), des vêtements beiges ou gris, sans fioritures, aseptisés. Simples, quoi.

La surcharge, le fouillis, l'ornementation, le raffinement, les petits détails qui ne servent à rien mais qui font riche, ça, c'est un truc d'humain.

Une fois plongés dans cette marinade terrestre, mes pionniers ont absorbé le spectacle fascinant des variations du pire et du meilleur de l'humanité. Ils ont développé des préférences pour toutes les choses terrestres, qui sont devenues des goûts affirmés. Ils n'étaient plus tels que leurs frères anges et encore moins leurs frères démons.

Jusqu'à l'exaltante catastrophe que fut leur réussite avec l'Antéchrist. Sans doute en ont-ils acquis un peu de fierté en même temps que du soulagement. Vous rendez-vous compte de ce qu'ils ont fait cette fois-là ? Je vous épargne combien leurs actes pourraient être mesurés en lazari, mais ce n'est pas rien. Je crois que ça n'a pas dû plaire à tous, surtout venant de deux parias méprisés.

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Pour l'heure, Gabriel (s')est sauvé car il a choisi la voie qui le conduirait à évoluer alors que tous pensent qu'il a été puni par sa rétrogradation. Il a évité l'écueil, il a choisi l'amour avec témérité car il n'a jamais été blessé auparavant. Je croise les doigts. Et tant que je vous tiens, non, choisir l'amour ce n'est jamais cucul. J'ai hâte que vous découvriez pourquoi par vous-mêmes.

Mais en ce qui concerne Métatron, Aziraphale et Crowley, me trouverez-vous énigmatique si je dis que… le ver est dans le fruit depuis que la pomme de discorde a été lancée ?

Metatron se persuade qu'il veut le Bien. Que puisqu'il a été ma voix et mon scribe, il a un point de vue imparable. Il se dit qu'il doit reprendre les choses en main après trop d'échecs successifs contre les armées de Satan. Se dit qu'il est l'ange de la situation. Que les âmes humaines sont mûres et prêtes à être récoltées pour la Parousie (pour information, moi, je n'ai jamais dit ça). Regardez-le ! Il a éliminé proprement Gabriel. Maintenant il utilise Aziraphale pour lui tirer les marrons du buisson ardent et contrer Michaëlle.** Si l'affaire tourne mal, il aura un bouc-émissaire tout trouvé ; si elle tourne bien, il s'arrangera pour qu'on sache que le héros du jour avait tout son aval et son soutien… Jamais le terme "d'éminence grise" n'a été plus opportun.

Et si vous vous demandez comment je peux le savoir et l'avoir laissé agir, c'est que vous ignorez encore comment ça fonctionne, tout ça. Mais on ne peut pas vous en tenir rigueur car le manuel s'écrit un peu au fur et à mesure. Ah zut, je l'ai dit. Faites comme si vous n'aviez rien entendu. Eh bien alors quid de l'omniscience ? Chut ! C'est… ineffable, voilà ! Je continue.

Après le départ de Gabriel, à la croisée des chemins, chacun de mes deux petits anges a dû faire un choix. Et contrairement à Métatron, ils l'ont fait le plus sincèrement du monde, ils ont ouvert la petite boîte à trésors de leur cœur. Même Crowley. Ce n'est pas facile pour lui qui a appris qu'il ne peut plus faire confiance. Je le plains parce qu'il a tort et raison en même temps. Bienvenue dans mon monde bourré de paradoxes ! Pardon, notre monde, devrais-je dire.

En réalité, lui et Aziraphale sont d'accord sur l'essentiel mais pas sur les modalités du futur qu'ils envisageaient pour eux. Ils achoppent sur la géographie et la nature de la mission. Aujourd'hui, je suis d'accord pour dire que le Diable est dans les détails.

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Alors Crowley se morfond dans la librairie. Il est toujours habillé de pied en cap. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est élégant, mais je vois le gilet, je vois la cravate qu'il s'est faite avec le cordon de son ancienne aube, le serpent à sa ceinture... En général c'est pour moi qu'il s'habille ainsi, il me jette son apparence au visage (je n'ai pas de visage mais c'est l'idée) : Youhou, je suis le serpent que Tu as fait de moi. Reptiliens mes yeux, mon tatouage, ma ceinture et mes chaussures avec lesquelles je foule la terre où je dois ramper… Mais ça fait un moment qu'il ne le fait plus que par désir d'impressionner celui qui ne l'abandonne pas. Qui ne l'abandonne pas d'ordinaire…

Aziraphale pourrait revenir dans sa boutique n'importe quand. C'est ce qu'il espère mais pris entre deux contradictions d'une force égale, il reste affalé sur ses deux fesses à ne pas lever le petit doigt. Il pense qu'il est celui qui a fait le plus grand pas en avant, qu'il s'est dévoilé comme jamais (ce qui est vrai) et sûrement bien plus que Belizabeth *** (ce qui est vrai aussi). Il pense qu'il est allé trop loin et qu'il a abasourdi et effrayé Aziraphale (ce qui est vrai), il pense qu'il a tout perdu une troisième fois (ce qui est faux).

Et Aziraphale n'a pas le temps de penser. Son esprit est envahi. Voyez-vous, il n'a accepté la charge d'Archange Suprême que parce qu'il pensait que Crowley l'aiderait à faire face à cette nouvelle situation. Le retour du Christ. Le retour du Christ ! On sait bien ce qui se passe après ! "Il n'y a pas de ton camp, ou de mon camp, il n'y a que notre camp" avait-il pourtant affirmé comme un blasphème. Mon nouveau Suprême est submergé par la déception si amère qu'il a lue dans son ami de cœur et par le sentiment qu'il l'a blessé d'une façon irréparable. Et pourquoi ? Parce qu'il ne s'est préoccupé que de ses propres désirs et qu'il a supposé que Crowley n'attendait que l'occasion de les satisfaire. Il est submergé par la douleur qu'il a ressentie à l'entendre refuser son offre de rester "ensemble" sur une base plus quotidienne et d'œuvrer à faire le Bien. Il est persuadé que cela manque à son ami. Et là encore, il a raison et il a tort.

Comme ultime argument d'une dispute incompréhensible qu'il était en train de perdre, Crowley lui a cloué le bec à sa façon. Mon petit nigaud ne s'y attendait pas vraiment (d'ailleurs… Crowley, non plus. C'était la dernière chose qu'il voulait que de devoir admettre son "attachement" !). La tragédie est là. Un baiser tonitruant venu de nulle part est arrivé, Aziraphale ne fait qu'y repenser comme prélude au cauchemar de voir le démon affirmer qu'il n'y avait plus rien à dire, et s'en aller, estimant leur désaccord par trop insoluble pour faire l'effort de continuer.

Et maintenant mon Aziraphale a honte. Alors il reste bien droit sur ses deux fesses, à compulser des dossiers bien moins plaisants que les éditions rares de Jane Austen ; à se tourmenter sur ce pouvoir aujourd'hui dérisoire entre ses mains et dont il ne voulait pas à moins qu'il ne fût partagé ; à se figurer le pire que pourrait engendrer son échec dans cette mission. A tout jamais, perdre l'humanité et perdre son ami par-dessus le marché.

On dit que le mal triomphe par l'inaction des anges de bien. Je ne leur en veux pas, ils ne sont pas inactifs, ils sont pris dans les rets de l'Orgueil.

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Notes de l'auteure

* C'est le même acteur qui joue Shakespeare en s1 et Furfur en s2.

** Le rôle étant tenu par une femme, j'ai choisi de féminiser le prénom.

*** A cause d'une rature et de l'inévitable fluctuation des voyelles, son nom a toujours été mal écrit, voyez avec Métatron.

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