Tombé du Ciel~Le Second Avènement

Chapitre 3 : Demandez, et l'on vous donnera

3146 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 29/09/2023 21:23


~Bureau de l’Archange Suprême-Paradis~


Aziraphale avait fait en sorte de raccorder incognito le Portail Céleste de la librairie à son bureau. Tout comme il avait pris soin d’autoriser son activation par un démon. Pas n’importe quel démon, nonobstant… Cela faisait cependant des mois qu’il avait quitté la Terre et ni Muriel, ni Crowley, ni personne n’avait essayé d’entrer en communication avec lui ! Aziraphale ne pouvait pas en vouloir à Crowley ceci dit… Dieu savait comment il avait dû réagir après son départ pour le Paradis, tout avait été si vite ! Et tout était encore si flou dans la tête de l’ancienne Principauté. Son entrevue avec le Metatron, sa proposition, ou plutôt ses propositions, dont son offre inespérée de restaurer Crowley dans la hiérarchie Céleste… Crowley qui avait été si injustement traité, si sévèrement puni !

Aziraphale l’avait connu à son apogée de Séraphin, à l’époque où il bâtissait des quadrants entiers de la galaxie. L’éclat des étoiles animait alors la prunelle de ses yeux sombres et la grâce que Dieu lui avait accordée se reflétait dans la magnificence des nébuleuses qu’il concevait…   

Aziraphale, Chérubin en ce temps-là, travaillait pour sa part sur le projet de la Terre et de ses habitants ! La Terre qui lui permit, bien plus tard, de croiser à nouveau le chemin de Crowley, pour le meilleur et pour le pire. Après la Guerre du Paradis. Après la Chute de Lucifer et de ses dix millions d’anges, dont Crowley, qui ne s’appelait pas encore Crowley d’ailleurs, mais peu importe. La Terre, qui lui permit de créer une amitié insolite et de plus en plus ambigüe avec le démon. Aziraphale avait toujours su que c’était plus que de l’amitié, pire que ça, il avait toujours espéré que ce soit plus que de l’amitié… 

Il se détestait pour ça ! Rétrogradé, humilié, méprisé pendant des millénaires par ses supérieurs, il ne pensait pas pouvoir tomber plus bas et pourtant… Quand il regardait dans les yeux de Crowley, il y voyait tellement plus que ses pupilles fendues de damné ! Il y voyait toute la bonté que l’Enfer n’avait pas réussi à lui arracher. La bonté que le démon s’autorisait parfois à témoigner en présence d’Aziraphale, parfois même pour Aziraphale. L’ange n’était pas dupe, il savait bien que lorsque Crowley disparaissait pendant plusieurs décennies, il subissait les foudres du Diable, mais ils n’en avaient jamais parlé.

Par pudeur. Par fierté. Par stupidité… 

Il y avait tant de choses dont ils n’avaient jamais parlé ! La spécialité de Crowley avait toujours été de poser des questions (trop de questions, pour son propre bien), cependant, c’est Aziraphale qui n’avait pas été capable de lui donner la bonne réponse. Aveuglé par sa volonté de bien faire et empêtré dans des convictions qui n’étaient pas les siennes, l’ange avait ressenti du dégoût lorsque Crowley l’avait embrassé ! Pas du dégoût pour le baiser en lui-même ; bien au contraire. Aziraphale en avait tellement rêvé, c’était même joué la scène, fantasmée mille fois… Non ! Du dégoût contre lui-même. 

Du dégoût contre le plaisir qu’il avait ressenti, son envie irrépressible de s’abandonner à l’étreinte du démon et de lui avouer ses sentiments. Contre son désir de partager l’éternité à ses côtés ; de le protéger de l’Enfer, comme du Paradis. Mais par-dessus tout, du dégoût pour ce qu’il s’apprêtait à faire à Crowley… Le briser un peu plus !

Choisir son devoir, plutôt que son cœur. Choisir le Paradis, plutôt que la Terre. Choisir les anges, plutôt que les humains. Choisir Dieu, plutôt que lui… 

Mais ce choix, Aziraphale l’avait fait pour tenter de sauver l’Humanité ! Une part de lui espérant secrètement qu’en sauvant les Hommes, il pourrait ensuite retourner sur Terre et retrouver Crowley. Qui sait ? Peut-être que le démon pourrait être capable de lui accorder son pardon, comme Aziraphale l’avait lui-même pardonné de l’avoir embrassé pour de mauvaises raisons… 

Aziraphale était en train de montrer la photo qu’il dissimulait dans son veston à son précieux invité, lui enseignant le nom et les habitudes de celui qui comptait le plus à ses yeux, lorsque la lumière du Portail illumina son bureau et que la voix hésitante de Crowley le fit sursauter…  


~Librairie A.Z Fell-Soho~


Muriel avait fini par descendre au milieu de la nuit. Elle avait trouvé Crowley couché par terre en position fœtale à côté du Portail, toujours ouvert. L’ange avait eu peur que le démon ne soit blessé, mais après s’être approchée et avoir constaté qu’il était juste endormi, elle l’avait recouvert avec un plaid à carreaux, trouvé dans les affaires d’Aziraphale. Elle n’avait pas osé lui ôter ses lunettes, pas plus qu’elle n’avait osé fermer le Portail. Cependant, elle avait prudemment écarté les nombreuses bouteilles de Talisker qui jonchaient le sol, de peur que Crowley ne se blesse avec, avant de remonter dans sa chambre en catimini. 

Peu avant l’aube, le déchu s’était réveillé en sursaut, en proie à un cauchemar et avait violemment écarté le plaid qui le recouvrait, se souvenant qu’il avait réchauffé le corps nu de Jimbriel, de nombreux mois auparavant… Assis sur le tapis, il avait cherché des yeux les bouteilles de whisky et avait fini par les visualiser, posées sur un des guéridons de l’archangelot. Décidant qu’il était préférable de dessoûler pour avoir les idées claires au vu de l’absence de réponse d’Aziraphale, le démon se concentra, puis fit descendre son taux d’alcool en même temps qu’il faisait remonter le niveau de liquide dans les bouteilles. Chose faite, Crowley se faisait la réflexion qu’il serait long d’attendre l’ouverture de l’établissement de Nina et se demandait s’il n’allait pas faire du café, quand le cercle émit un crépitement avant de laisser apparaître une silhouette nimbée de lumière.

Une jambe allongée et l’autre repliée contre lui, le bras droit reposant mollement sur le genou, le démon descendit ses lunettes sur son nez de sa main gauche, puis fronça les sourcils, dans un effort de concentration : 

— Aziraphale ? 

— Je… Je suis là…

— Oui, je vois bien ! Fallait pas te presser surtout Ta Majesté, ça fait juste sept heures que je t’appelle…  

— Oui, mais… Je… Je n’étais pas seul, tu comprends…

— De mieux en mieux, souffla le déchu.

— Est-ce que… Tu as un problème ? enchaîna Aziraphale, maladroitement.

— Si j’en avais qu’un, ça irait encore… C’est quoi le plan, Ton Honneur ?

L’Archange se triturait les doigts, plus ou moins incapable de regarder au sol, dans la direction du démon : 

— Le… Le plan… Tu veux dire le Plan ? Ou…

— Mon maître contre Michael… En train de se foutre sur la gueule, ça t’évoque quelque chose ? Une idée à toi, peut-être ? le coupa Crowley, en levant les sourcils et en replaçant soigneusement ses lunettes devant ses yeux.

Aziraphale soupira en regardant ses pieds, avant de s’asseoir en tailleur au milieu du cercle, juste en face du démon : 

— Je n’ai pas beaucoup de temps, le Metatron me surveille…  

— Ça tombe bien, j’ai pas toute la journée ! Abrège !

— C’était le, hum… Le premier Signe… 

— Une bataille dans les étoiles ? Va falloir que tu développes un peu… 

— Les mortels devaient le voir, c’était… Ça faisait partie du plan… Tu… Tu l’as vu ? 

Crowley hésita un bref instant avant de répondre : 

— Ta boss a fait en sorte que je ne puisse plus voir les étoiles avant de m’envoyer au Diable… 

Conscient de la cruauté particulière de ce châtiment, l’archange, horrifié, parla d’une voix étranglée : 

Oh Crowley…Tu…Tu ne me l’avais jamais dit !

Machinalement, Aziraphale tendit une main vers les lunettes du démon, lequel écarta brutalement sa tête, figeant le mouvement de l’archange, qui ajouta d’une voix préoccupée : 

— Je… Je n’allais pas te faire de mal… 

— Permets-moi d’en douter, ton camp est très fort pour ça… Le Signe, tu disais ?

Heurté par la remarque de Crowley, Aziraphale semblait de plus en plus indécis et soucieux : 

--C’était-le-premier-signe-annonciateur-du-retour-du-Christ ! déballa-t-il rapidement, de peur de se dégonfler.

Devant l’absence totale de réaction du déchu, qui se contenta de se positionner lui aussi en tailleur, Aziraphale rajouta : 

— Jésus ! 

— Pourquoi, y en a d’autres ? 

— J’ai besoin de toi, Crowley !

— Pour ressusciter un mort ? Celui-là, en plus… Tu devrais pouvoir gérer avec tes nouveaux pouvoirs ! Je te rappelle que je suis le sous-fifre de Satan, pas le tien… 

— Non ! Pas pour ça… J’ai besoin de toi en bas… En Enfer ! précisa l’archange.

— Sans blague ? Et moi qui croyais que tu parlais du sous-sol pour l’inventaire…  

Crowley ! Il se trame quelque chose… Je… J’ai l’impression que le Metatron ne me dit pas tout ! Tu ne voudrais pas passer un peu de temps avec… Les autres démons… Écouter ce qui se dit, observer ce qui se passe…

— Tu… Tu veux que je sois ton espion, c’est bien ça que tu me demandes, Archange Aziraphale ? 

L’interpellé leva les yeux au ciel en soupirant : 

— Pourquoi tu m’appelles comme ça ?

— Et comment voudrais-tu que je t’appelle ? Monsieur le Présidange ? Votre Archanjesté ? Votre Éminange ? Votre Aziraltesse ?

— Ça va durer longtemps ? Avant, tu m’appelais “mon ange”... lâcha Aziraphale, malgré lui.

— Cet ange-là, ce n’est plus toi ! trancha le démon.

Blessé, l’archange se releva et une fois debout, il offrit sa main au démon, mais celui-ci préféra se débrouiller seul pour se relever.

— Tu refuses de m’aider ? Ça ne fait rien, je comprends… soupira Aziraphale.

— Ce n’est pas parce que je n’approuve pas tes choix que je refuse de t’aider, Ta Magnificence… Tout n’est pas tout blanc, ni tout noir, tu te rappelles ? J’irai en Enfer, je verrais, j’écouterais et… Je te dirais, rajouta-t-il, entre ses dents.

— Merci ! Oh merci, Crowley ! lâcha Aziraphale, soulagé, réprimant son envie irrépressible de toucher le déchu d’une quelconque manière que ce soit. 

— Tu mettras pas trois cuites à me répondre par contre la prochaine fois que j’allume ce machin ! ronchonna le démon, en désignant le Portail.

— Euh… C’est pas tout… 

Crowley pencha sa tête sur le côté : 

— Ça tombe bien, j’avais peur de m’ennuyer en jouant à l’agent double… 

— Tu… Tu m’attends deux secondes ? 

— Mais je t’en prie, Ta Sainteté ! répondit le démon en s’inclinant théâtralement. 

Ignorant les sarcasmes de Crowley, l’archange disparut quelques instants dans le cercle de lumière et lorsqu’il se matérialisa à nouveau, le sourire ironique du démon s’évapora ! 

Il s’écarta vivement du Portail, qu’Aziraphale s’empressa de fermer d’un élégant mouvement de la main vers le bas (bien que de faible amplitude, compte tenu du fait qu’il avait les bras chargés). L’archange s’avança sur le tapis où se trouvait Crowley quelques secondes avant de se planquer à moitié derrière une des colonnes de la pièce. 

— Putain c’est quoi ça, Aziraphale ? 

Avec un timide sourire, l’archange s’approcha du démon. Crowley demeurait tétanisé, le regard fixé sur l’enfant qui dormait paisiblement dans les bras du Prince du Paradis. Le petit garçon, vêtu d’une simple aube ornementée de quelques fils dorés, avait la peau mate, pour ce que le démon pouvait voir de ses petites jambes aux pieds nus ! Son visage était enfoui dans la veste d’Aziraphale, mais la généreuse tignasse de cheveux bruns légèrement ondulés qui en dépassait contrastait avec le blond platine des cheveux de l’archange. 

Immobile, Aziraphale fixait Crowley ne voulant pas l’approcher de trop près et celui-ci releva enfin sa tête pour observer son vis-à-vis, qui parla d’une voix douce, pour ne pas réveiller son précieux fardeau :

— Il s’appelle Issa ! (1)

— Attends… T’es sérieux là ? Un enfant ? Ton camp n’a rien retenu ?

— À vrai dire… C’était mon idée…

Quoi ? s’étrangla le démon, le plus silencieusement possible.

— Quoi, quoi ? Tu aurais préféré la version prête à l’emploi ? Un Christ adulte, qui ressuscite les morts à peine le pied posé sur Terre ? Parce que ça, c’était le plan du Metatron, vois-tu ? 

— Et t’as rien trouvé de mieux, ton Altesse ?

— J’aurais peut-être trouvé mieux si je n’avais pas été tout seul ! rétorqua Aziraphale, acerbe.

— Mais tu ne l’étais pas ! Tu as une tripotée d’anges avec toi là-haut ! ajouta le démon, en pointant un doigt accusateur vers le plafond.

— Mais c’est de toi dont j’avais besoin, Crowley ! rétorqua Aziraphale, la voix cassée.

Un bref silence s’installa, le temps nécessaire au démon de se rapprocher de quelques pas et de poser ses mains sur ses hanches, en soufflant longuement, le visage braqué sur le tapis : 

— C’est lui ? Je veux dire… Vous l’avez juste rajeuni ?

— Euh… Pas exactement… Il, euh… Ne se rappelle rien, sa mémoire a été effacée ! Techniquement c’est… Une autre personne, enfin… Un enfant… 

— Un enfant… Humain ?

— Ah non ! C’est un ange… Il est d’Essence divine, immortel et tout ! 

— Il a pas l’air bien vieux… Il a quel âge ?

— Sept ans ! rétorqua fièrement l’archange.

— Ah, ça m’aurait étonné aussi… Et donc ? Qu’est-ce que tu veux ? Qu’il s’entraîne sur moi ? Si tu veux que j’aille en Enfer espionner après, va falloir qu’il en laisse un peu pour les autres… 

— Ne sois pas stupide, je ne laisserai personne te faire de mal, ni lui, ni personne d’autre ! 

Les mots avaient franchi la barrière de ses lèvres beaucoup trop rapidement, mais c’était trop tard ! Crowley les avait entendus. Un nouveau silence se distilla dans la pièce, uniquement troublé par les faibles ronflements de l’enfant.

— Hum… J’ai besoin que tu t’en occupes ! Je ne peux pas le garder là-haut, sinon mon plan ne tient plus la route… Il est censé grandir sur Terre pour reconnaître les Justes des Pécheurs. 

— Réveille-le et montre-lui le Pécheur que je suis, l’ange déchu, le Serpent d’Éden… Comme ça il saura reconnaître le Mal et après trouve quelqu’un d'autre pour le materner ! 

— Mais je n’ai confiance qu’en toi, Crowley ! Et si je voulais lui montrer le Mal, ce n’est certainement pas toi que je lui présenterais… rajouta Aziraphale, d’une voix déterminée. 

— Je ne comprends pas bien, tu veux que j’emmène le mioche avec moi à Dis (2), pendant que j’espionne Shax et les autres ? L’apprentissage va être rapide, crois-moi, dans les fosses enflammées d’Abbadon ! Et puis comment ça se fait qu’il dorme ? Tu dors pas, toi !

— Je lui ai dit qu’il était possible pour les êtres Célestes de dormir, je lui ai dit que toi, tu aimais bien dormir et il a voulu essayer ! Bref, ne change pas de sujet ! Muriel pourra très bien s’en occuper pendant que tu seras en Enfer…

— Muriel ? Mais elle est pas capable de miraculer un café buvable ! Comment tu veux qu’elle m’aide ? 

— La belle affaire ! Tu lui apprendras, tu te débrouilles très bien avec les enfants ! Je t’ai vu t’occuper de Warlock et puis je ne suis pas idiot tu sais, je t’ai vu sauver tous ces enfants du Déluge… 

— Je vais déjà prendre beaucoup de risques à espionner pour toi, pourquoi je m’occuperai en plus du fils du Dieu qui m’a banni ? Si je me fais prendre par mon camp, je serais châtié pour trahison et si je me fais prendre par ton camp, je serais châtié pour Christnapping !

— Parce que je te le demande ? Tu… Tu te souviens de tout ce que tu m’as dit la dernière fois ? 

Le visage de Crowley se décomposa un peu plus. Il réduisit la distance qui les séparait en deux souples enjambées et se saisit délicatement de l’enfant sous le regard étonné d’Aziraphale, puis s’écarta aussitôt, comme si cette proximité lui était intolérable. Il bascula ensuite l’enfant contre son épaule en même temps qu’il tournait le dos à l’archange, puis répondit d’une voix étouffée : 

— Je suis un démon. J’ai menti.  




(1) Issa = prénom arabe équivalent à Jésus, dans le Coran, Îsâ ibn Maryam (Jésus fils de Marie)


(2) Le Rempart de la Cité de Dis se situe au VIè Cercle de l'enfer, selon Dante. J'ai inversé sa classification (pour mettre Satan dans le Cercle N1) , donc ici, Dis se trouve au IVè Cercle (mais ça n'a aucune importance pour la suite 😉). En gros, avant Dis, il y a les “petits joueurs” et à l’intérieur de la Cité, les caïds… Le Pandemonium, que j’ai évoqué dans le premier chapitre étant la capitale de Dis.



***** Voilà enfin les retrouvailles... J'espère que vous ne vous attendiez pas à ce qu'ils se tombent dans les bras 😟. Merci encore à tous ceux qui laissent une trace de leur lecture, vous êtes des anges ❤️. À bientôt, bisou, câlin, Bucky 😘 ***** 

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