Un monde d'Arcs-en -ciel
Chapitre 25 : Les noces
De retour à la villa d’Izu, Maya regarda l’acte de cession et s’aperçut que son nom avait été écrit de la main-même de Chigusa. Ce document avait donc été préparé bien longtemps à l’avance et confié à son vieil ami le président de l’ANT.
Elle avait donc une telle confiance en moi ? Elle a toujours cru en mon talent… Ma mère m’a donné la vie, mais Sen’seï… Sen’seï m’a…
Des larmes coulèrent de ses yeux et Masumi s’en inquiéta.
-Chérie, mon amour, que se passe-t-il ?
Maya se précipita dans ses bras.
-Masumi chéri, jure-moi… jure-moi que tu resteras toujours avec moi, que tu ne me quitteras jamais. Lorsque les gens qu’on aime disparaissent, c’est dur… ça fait si mal…
-Je te le jure, mon amour. Tu es ma raison de vivre. Sans toi, ma vie n’aurait plus de sens.
Cette nuit-là, Masumi fut particulièrement tendre avec Maya. Il mit tout son amour à la réconforter et elle finit par s’endormir dans ses bras.
De son côté, Ayumi, bien que s’attendant à la victoire de Maya, n’en était pas moins déçue. Rei s’en aperçut et c’est avec infiniment d’amour et de tendresse qu’elle la réconforta.
Le lendemain, à la une de tous les journaux figuraient deux photos. L’une représentait Maya recevant le document donné par le président de l’ANT, l’autre montrant Masumi embrassant amoureusement Maya. Eisuke était furieux et convoqua Masumi à la résidence Hayami.
-Que signifie ceci, Masumi ? Nous n’avons pas besoin d’un tel scandale en ce moment. Takamiya Hiroshi m’a appelé ce matin. Il est lui aussi outré. Il exige que tu mettes fin immédiatement à cette relation afin d’épouser Shiori-san dans les plus brefs délais.
-Ceci signifie que si je dois me marier, ce sera avec Maya et non Shiori.
Soudain, le regard d’Eisuke devint vague. Il regarda Masumi et se mit à hurler :
-Qui êtes-vous ? Que faites-vous chez moi ? Allez-vous en, vous me faites peur !
En entendant ses cris, son domestique accourut.
-Ce n’est rien, Kaichô, ce n’est qu’un visiteur qui va vite s’en aller. Vous devriez vous reposer, maintenant.
Après avoir reconduit Eisuke dans sa chambre, le domestique revint au salon.
-Pouvez-vous m’expliquer ce qui se passe ? Depuis combien de temps est-il dans cet état ?
-Pardonnez-moi, Masumi-sama, mais Hayami-sama m’a fait jurer de ne rien vous dire. Cela fait bientôt trois mois qu’il a ces pertes de mémoire. Je l’ai supplié d’aller consulter un docteur, mais il a toujours refusé. Je ne savais plus que faire.
-Il n’y a pas trente six solutions. Dès que possible, je l’emmène à l’hôpital !
Le diagnostique tomba comme le couperet d’une guillotine.
-Votre père souffre de dégénérescence cérébrale. Autrement dit, il a la maladie d’Alzheimer.
-Et que peut-on faire ?
-Rien. Cette maladie est incurable. Sa mémoire va peu à peu disparaître complètement, il va devenir dépendant jusqu’à l’issue fatale. Je vous conseille d’obtenir sa tutelle légale et de le placer en milieu médical où il ne risquera aucun accident. Personne ne vous critiquera d’agir ainsi. C’est la meilleure solution tant pour lui que pour vous.
-Merci, Sen’seï, je vais suivre votre conseil.
Masumi, ayant été reconnu par Eisuke, n’eut aucun mal à obtenir la tutelle de son père. Maya était vraiment navrée pour lui. Elle ne l’avait rencontré qu’une seule fois, et les compliments qu’il lui avait faits l’avaient beaucoup touchée.
-Je suis désolée pour ton père. Je ne le connais pas bien, mais ça doit être dur pour toi.
-Ne le sois pas. En fait, il n’est que mon beau-père. Pour m’adopter, il a épousé ma mère et m’a reconnu. Il faut croire que la justice divine existe, car il a largement mérité ce qui lui arrive.
Effectivement, Eisuke avait perdu sa mère à l’âge de cinq ans. Après un deuil express d’un mois, son père s’était remarié et sa seconde femme lui donna coup sur coup un garçon puis une fille. Elle haïssait Eisuke, en qui elle voyait une menace pour ses enfants, à qui elle transmit cette haine. L’atmosphère était devenue irrespirable pour lui, et à quatorze ans, il vola les maigres économies de son père et s’enfuit à Tokyo. Pour survivre, il dut faire un tas de petits boulots et il apprit que pour s’en tirer, il fallait frapper le premier avant de l’être soi-même. Peu instruit, mais très débrouillard, il réussit à bâtir un véritable empire en écrasant tous ceux qui se mettaient sur son chemin, sans le moindre remord. Comme cet homme… Il était venu le supplier de l’aider, et Eisuke lui avait ri au nez. L’aider, mais que croyait-il ? Rentré chez lui, le malheureux tua sa femme et son fils puis se suicida.
Comment s’appelait-il, déjà ? Ah oui, je me souviens que son fils s’appelait… Hijiri. Avec un nom pareil, il a dû aller tout droit au paradis* !
Dans ses rares moments de lucidité, des bribes de son passé lui revenaient. Bientôt, tout disparaîtrait, y compris le nom et le visage de la seule femme qu’il avait aimée dans sa vie.
Chigusa… t’oublier, ce serait encore bien pire que la mort.
Le demi-frère et la demi-sœur d’Eisuke, qui avaient placé un espion à la Daito, apprirent très vite la nouvelle. Ils accoururent ventre à terre, attirés par l’odeur de l’argent, qui, contrairement à la croyance populaire, en a bien une, surtout lorsqu’il est sale ! Avoir la tutelle d’Eisuke, c’était avoir la main mise sur son immense fortune. Leurs doigts crochus s’en délectaient d’avance. Ils engagèrent à prix d’or un ténor du barreau et portèrent plainte contre Masumi. Eisuke avait contracté les oreillons à dix huit ans, ce qui l’avait rendu stérile. Il ne pouvait donc être le père biologique de Masumi. C’est en s’appuyant sur cette évidence qu’ils comptaient lui faire retirer la tutelle et s’en emparer. Le jour du procès, le juge écouta poliment l’avocat qui, avec force effets de manche, développa la thèse de ses clients. Une fois sa brillante plaidoirie terminée, le juge n’eut même pas à délibérer, tant l’affaire était simple.
-Dois-je vous rappeler, Maître, qu’en matière de reconnaissance en paternité, la loi ne fait pas obligation au demandeur de prouver la dite paternité. Qu’Hayami Eisuke soit ou non fertile est donc hors de propos. Si je ne m’abuse, on apprend ceci en première année de droit, n’est-ce pas ?
Bien entendu, l’avocat le savait. Mais il n’avait pas pu résister au plaisir de plumer ces deux rapaces avides.
-En conséquence, les plaignants sont déboutés et condamnés aux dépens. Hayami Masumi-san, je vous confirme donc la tutelle de votre père. Affaire classée !
Le soir même, Masumi informa Takamiya Hiroshi que son projet de fusion ne l’intéressait absolument pas et qu’il devrait trouver un autre étalon pour sa petite fille Shiori. Le vieux crocodile faillit en avoir une attaque. Masumi prit Maya dans ses bras et lui dit :
-Ma chérie, maintenant que je suis enfin libre, me feras-tu l’honneur de devenir ma femme ?
-Avec le plus grand plaisir, mon amour. Rien ne peut me rendre plus heureuse que de lier mon destin au tien.
Le mariage eut lieu une semaine plus tard. Saeko s’était occupé depuis longtemps de tous les préparatifs. De la robe de mariée, qu’elle avait fait faire sur mesure, jusqu’à la location de la salle de banquet. Après avoir rapidement expédié le mariage civil, les jeunes mariés reçurent la bénédiction nuptiale dans une petite chapelle. La cérémonie se fit dans la plus stricte intimité. Seuls les amis de Maya, Saeko, Ayumi et, curieusement, Shiori étaient invités. Le banquet qui suivit fut très animé et joyeux. Dans sa magnifique robe de mariée, Maya était rayonnante. Dans son coin, Keiko soupira en voyant à quel point Rei et Ayumi étaient bien assorties. Quant à Mina et Hotta, l’ambiance les incita à enfin se déclarer. Après le repas, tout ce petit monde dansa, y compris Saeko et Shiori, et Keiko, rouge comme une pivoine, trouva le courage d’inviter Rei à danser. Celle-ci accepta de bonne grâce et Keiko passa dans ses bras les trop courtes minutes les plus agréables de sa vie. Entre temps, Maya prit Ayumi à part.
-Ayumi chérie, j’ai un grand, un immense service à te demander.
-Si c’est dans mes cordes, ce sera avec plaisir, Maya chérie.
-Ça l’est, tu peux me croire ! Voila : Danna-sama* et moi… Oh, j’adore l’appeler comme ça ! Danna-sama et moi allons faire un long, très long voyage de noces autour du monde. Alors, pourrais-tu, pendant mon absence, me remplacer dans le rôle de La Nymphe Écarlate. Je te laisserai même Kuronuma-sen’seï et Yuu-kun, si tu veux. Allez, dis oui !
Ayumi en eut les larmes aux yeux. Maya en fut surprise, car elle n’avait jamais vu Ayumi pleurer. Elle prit Maya dans ses bras et lui dit :
-Ma chérie, je n’aurais jamais espéré que tu me demandes ça. Bien sûr, j’accepte avec plaisir cette preuve de confiance que tu me donnes.
-Qui d’autre que ma seule et unique rivale en était digne ? Aucune autre actrice ne pourrait l’interpréter aussi magnifiquement que toi.
-Merci, merci… Oh, ma petite sœur, je t’aime, tu sais…
-Moi aussi je t’adore, Onee-chan.
Quelques jours plus tard, Maya et Masumi partirent pour une croisière autour du monde. Masumi avait confié la direction de la société Daito à Saeko, en qui il avait toute confiance, connaissant ses compétences. Sous la direction de Kuronuma, Ayumi fit encore des progrès, ce dernier lui ayant indiqué des techniques employées par Maya. Son jeu y gagna encore en puissance et la pièce remporta un franc succès qui ne se démentit pas durant toute l’absence de Maya. Yuu interpréta pour elle un aussi bon Isshin que pour Maya. Il avait finalement compris qu’il n’avait plus rien à espérer de son côté. Il renoua donc avec Mai, une actrice de la troupe Ondine, avec qui il était sorti quelques temps, jusqu’à ce qu’il retrouve Maya. Elle était follement amoureuse de lui, et il comprit qu’il lui faisait souffrir ce que lui-même avait souffert avec Maya. Certes, elle n’avait ni le charisme, ni le talent de Maya, mais elle l’aimait vraiment, et puis, elle était bien mignonne, il aurait pu tomber plus mal ! Ryou, de son côté, fit de même. Tomber amoureux du personnage de Catherine avec Maya, puis de celui d’Akoya, joué par une lesbienne ! Il y avait de quoi se flanquer des claques ! Au moins, sa petite amie, qui l’avait attendu durant deux ans, était normale, elle ! Quand à Akame, dès sa démission, il avait laissé immédiatement tomber Onodera. Homme à la morale plus qu’élastique, il accordait facilement ses faveurs à toute personne, homme ou femme, susceptible de promouvoir sa carrière. Il n’avait accepté le contact peu ragoûtant d’Onodera que pour obtenir le rôle très convoité d’Isshin. Il trouverait facilement un autre pigeon ! Quelques temps plus tard, on vit dans les rues de Tokyo un clochard qui fouillait les poubelles pour y trouver sa maigre subsistance. Seul relief de son faste passé, un béret qu’il ne quittait jamais. Onodera, c’était bien lui, méconnaissable, amaigri et en piteux état. Privé du soutien d’Eisuke, qui lui assurait un emploi grassement payé à ne rien faire, il n’avait plus trouvé le moindre engagement, même dans les plus obscures troupes théâtrales et avait tout perdu, n’ayant rien prévu pour sa retraite. Shiori s’était bien amusée pendant plus d’un an et demi. Elle choisissait avec soin ses partenaires éphémères. Toujours des hommes jeunes, bien faits et vigoureux. Elle n’était pas comme ces nymphomanes qui sautent sur tout ce qui porte un pantalon. Elle les rejetait comme des vieux chewing-gums dès qu’elle en était lasse. Finalement, elle accepta d’épouser l’homme que son grand père avait choisi. Un grand dadais de trente cinq ans que ses parents désespéraient de pouvoir caser. Sa seule qualité était d’être l’unique héritier d’un groupe financier aussi important que le groupe Hayami. La nuit de noces de Shiori lui parut mortelle. Si elle n’était plus vierge, lui était encore puceau. Elle dut le guider et feindre un plaisir qu’elle était loin d’éprouver. Mais d’un autre côté, ça l’arrangeait bien. Elle lui ferait porter des cornes flamboyantes sans qu’il s’en aperçoive.
Deux ans après leur départ, Maya et Masumi revinrent de leur voyage de noces. Averties de leur arrivée, Saeko, Ayumi et Rei les attendaient au port. Lorsque Maya descendit la passerelle, suivie de près par Masumi, elles eurent une surprise qui les fit fondre toutes les trois. Dans ses bras, Maya portait un ravissant bébé.
-Mizuki-san, mon Ayumi, Rei Onee-chan, je vous présente notre fille Aya. Elle aura trois mois dans quelques jours.
En voyant cet adorable enfant, Ayumi ressentit dans son cœur et son ventre une sensation tout à fait nouvelle. Son instinct maternel s’était réveillé. Elle saisit le bras de Rei et le secoua énergiquement.
-Rei, ma chérie, mon amour, je veux un enfant ! Tu veux bien ?
-J’en serais ravie, mais je crains de ne pas être équipée pour !
-Je sais bien, et c’est tant mieux, je ne t’aimerais pas si tu l’étais !
Mais il y a toujours un moyen. Maya chérie, ma petite sœur, tu veux bien me prêter ton mari ?
-Euh… Je n’ose comprendre… J’espère que tu plaisantes là !
-Ne t’inquiète pas, je te le rendrai intact ! Allez, dis oui !
Masumi, qui avait compris où voulait en venir Ayumi, éclata de rire.
-D’accord, Ayumi-kun, ce sera avec plaisir.
-Comment ça, avec plaisir, vous ne manquez pas d’air, tous les deux !
- Mon amour, tu ne voudrais pas qu’Aya ait un petit frère ou une petite sœur ?
-Bien sûr, mon chéri. Mais j’aimerai autant en être la mère !
-Ne t’inquiète pas, il n’y aura aucun contact charnel entre elle et moi ! Ayumi-kun n’a besoin que de ma… euh, comment dire ? De mon patrimoine génétique, c’est bien cela ?
-Tout à fait, et je te promets de ne pas toucher au reste !
Maya finit par comprendre de quoi il s’agissait.
-Bon, je veux bien te rendre ce service. Mais pendant un moment, tu m’as vraiment fait peur, Ayumi chérie.
Et c’est ainsi que quelque dix mois plus tard, Ayumi mit au monde un magnifique garçon qu’elle prénomma Akira.
Bien des années plus tard, Akira et son onee-chan Aya connurent des aventures assez extraordinaires, mais ça, c’est une autre histoire...
*Hijiri signifie « Saint » en japonais ; Danna-sama : mon époux