Ilia, Soloveï le Brigand et le Dragon

Chapitre 1 : Ilia, Soloveï le Brigand et le Dragon

Chapitre final

4752 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 4 mois

Contribution au Défi d'écriture du forum fanfictions.fr, Réécriture d’un conte (février 2017) en seconde chance


Information concernant Ghost Whisperer

Élie James devient Ilia, surnommé Ilioucha, Iarosvetovitch Jakovlev

Fiona Raine devient Faïna, surnommée Fania, Radoslavna Rozanova

Jim Clancy devient Iakov Arkadievitch Cheremetiev

Mélinda Gordon devient Maria, surnommée Macha, Pavlovna Cheremetieva, née Esenova



Ilia, Soloveï le Brigand et le Dragon



Dans un certain pays, dans un certain royaume, dans une certaine ville vivait un simple fils de professeur, lui-même professeur, Ilia Iarosvetovitch. Il était depuis plusieurs années déjà professeur de Philosophie et de Psychologie, en plus d’être psychologue. Professeur que personne n’aurait remarqué par son apparence ordinaire, ses grands yeux noisettes et ses cheveux brun clair qui embellissait son visage sans ride. Il était toujours simplement vêtu d’un complet bleu marine ou noir. C’était un homme très pieux, un bon Orthodoxe.


Un jour, à l’âge de trente-trois ans, il reçut la visite impromptue à son cabinet de Faïna Radoslavna, une patiente depuis quelques mois.

— Il faut vous rendre au vingt-septième royaume, lui hurla la gracieuse et élégante jeune femme, soudainement apparue sous ses yeux une fois qu’il termina sa prière matinale.

Échevelée, sa voix hésitante, ses mains tremblaient également, lui donnant l’apparence d’une possédée, ou d’une Pythie qui prophétisait. Ses yeux s’agrandissèrent et des larmes perlèrent ses délicates joues roses. Le professeur l’observa attentivement, regard dans lequel brillait une lueur d’inquiétude, une petite ride se forma dans le coin de ses yeux sous le plissement de ses lourdes paupières.

— …pour affronter le Zmeï Gorynytch qui garde captive ma sœur, Hélène, continua-t-elle, s’agitant, gesticulant frénétiquement.

Le simple psychologue invita d’un geste de la main droite sa patiente à s'asseoir, mais elle refusa, le fixant.

— Comment ? s’étonna, fronçant des sourcils, l’homme d’âge mûr. Où se trouve ce royaume ?

— Demandez aux premiers venus, ils sauront vous aider, Ilia Iarosvetovitch ! …

Le pieux professeur ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit.

— … Aussi, conclut-elle.

Elle extirpa de sa large robe beige à plis un petit mouchoir brodé d’or sur le pourtour, orné d’un motif floral doré. Une merveille pour les yeux humains, brillant comme le soleil lui-même.

— … Prenez cette serviette brodée, elle est magique et saura vous guider vers l’endroit désiré !

Incrédule, moue sceptique au visage, il accepta néanmoins le présent, le rangeant dans sa poche. Il raccompagna sa patiente à la sortie et, une fois la lourde porte en bois fermée, il fait le signe de croix comme on le prescrit, il fait les prosternations comme on les enseigne, il s’incline bas dans toutes les quatre directions*.

Il prit son sac et sortit de sa petite ville. Il marcha et marcha jusqu’à la ville voisine. 


Là-bas, sur le chemin pour la ville capitale, il rencontra un homme d’âge mûr, aux cheveux et à la barbe grisonnants, en uniforme militaire. Il l’apostropha en ces termes, faisant briller d'une lueur de méfiance ses yeux gris : 

— Jeune homme, que faites-vous par ici ? Que cherchez-vous ?

Il observa, intrigué, le mouchoir que tenait le professeur de Psychologie.

— Je recherche la voie la plus rapide pour me rendre à la ville capitale pour combattre Zmeï Gorynytch, l’informa-t-il sérieusement.

— Eh ! hardi bon gros garçon, illustre bogatyr saint-russien ! s’exclama joyeusement le milicien, large sourire au visage, yeux étincelants de joie. 

Il lui montra la voie de droite.

— … La route directe est garnie de troncs d’arbres, garnie de troncs d’arbres, de mottes de gazon, par cette route directe personne à pied ne peut aller, sur son bon cheval, personne ne peut passer ! *

Le visage d’Ilya s’assombrit, une lueur d’inquiétude traversa ses sombres yeux, désemparé. 

Il lui montra la voie de gauche et l’informa : 

— … Et la voie de gauche est dangereuse, pouvant amener la mort de votre cheval ou d’un proche, si ce n’est pas la vôtre.

Observant longuement les deux voies, Ilia ramassa son courage à deux mains et murmura posément : 

— Je prendrais la voie de droite ! Je n’ai guère le choix !

Le milicien opina du chef et s'exclama : 

— Prenez un cheval de bonne race avant de vous aventurer dans cette sinistre forêt !

Son interlocuteur approuva d’un geste de la tête, visage radieux à l’idée de ne pas trop épuiser ses fortes jambes.

— Bonne chance, jeune illustre saint-russien ! Que Dieu vous protège !

Il lui donna un robuste cheval bai à la bride d’or étincelant au soleil. Le professeur se dirigea, sans la moindre hésitation, vers la voie de droite.

— Attendez ! hurla une voix féminine et familière derrière son dos.

Le professeur se retourna et nota sa patiente, rapide comme la lumière, son délicat visage tordu par la peur. Il arrêta le trot du cheval dans sa marche et lui affirme d’un ton tonitruant, descendant de l’imposant animal : 

— Que voulez-vous me dire, ma chère patiente, Faïna Radoslavna ?

Elle reprit son souffle et fixa le vide devant elle. Elle sort de son sac qu’elle avait à ses côtés un immense arc et un carquois rempli : 

— Prenez cet arc dur à la corde de soie et ses flèches durcies au feu pour terrasser vos ennemis. Une flèche dans l’œil aveugle tout ennemi, sans considération pour sa force physique ! Ne vous laissez pas impressionner par leur apparence ! Soyez vigilant et ayez foi en Dieu et en la Très Sainte Trinité !

Ilia Iarosvetovitch accepta le cadeau et remercia d’un geste de la tête la jeune femme. 

— Aussi, continua-t-elle d’une voix larmoyante, choisissez bien entre l’eau vive et l’eau morte.

Il se tourna pour observer le chemin qui s’étendait à perte de vue. Il soupira, se signa comme on lui avait appris et s’avança d’un pas certain vers la voie de droite, suivi par sa patiente qui se camoufla entre les halliers qui bordaient la route.

Le cheval hennissait nerveusement à la lisière de la forêt et prononça d’une voix humaine sur un ton sévère : 

— Ilia Iarosvetovitch, votre destin n’est pas de mourir dans le champ de bataille, mais faites attention au Dragon.

L’homme, étonné, demeura coi et continua son chemin.


Ilia chevaucha, chevaucha des heures et des heures et des jours et des jours dans le silence le plus angoissant. Seuls quelques chants et zinzulements ponctuaient sa longue promenade solitaire.

La forêt sombre devenait de plus en plus envahissante, empêchant au professeur de discerner à plus d’un mètre de lui. Un silence oppressant régnait, laissant le professeur nerveux, tout aux aguets.


À plusieurs kilomètres du professeur est perché Soloveï le brigand** sur un chêne humide, est perché Soloveï le brigand fils d’Odikhmant et là Soloveï siffle comme un rossignol. Il crie, le malfaiteur brigand, comme une bête, et par suite de son sifflement de rossignol, par suite de son cri de bête sauvage, toutes les herbes, les gazons décampent, toutes les fleurs d’azur s’éparpillent, les forêts sombres toutes se penchent sur la terre, et les hommes, tant qu’ils sont, sont tous étendus morts.*

Ilia Iarosvetovitch après ce qui lui semblait une éternité de promenade à cheval contemplant la même verdure des arbres, des bosquets, des halliers et des plantes, entendit la voix claire de sa patiente. Derrière son dos, elle l’informa : 

— Laissez-moi partir en éclaireur ! J’ai l’impression qu’un sinistre danger plane dans cette sombre forêt ! N’oubliez jamais l’eau vive et l’eau morte, l’une sauve l’homme, l’autre le tue, soyez dans les bonnes grâces de ma sœur.

Le professeur l’observa, moue dubitative au visage, se grattant nerveusement le paume de sa main droite. Il blêmit et d’une voix hésitante, interrogea la jeune femme : 

— Où sont ces eaux ? De quel danger me parlez-vous ?

— Entendez-vous ce cri strident ! s’exclama-t-elle.

Une lueur de panique traversa ses yeux clairs, lorsqu’il opina du chef. Tendant les oreilles un sifflement strident résonna dans les airs, fendant l’air, tel un poignard acéré.

— Fermez vos oreilles, lui ordonna-t-elle en courant entre les ronces, ajustant mieux sur sa tête son voile blanc brodé de fils d’or, un voile magique.

Il n'obtempéra pas, trop curieux, mais il boucha néanmoins avec de la cire les oreilles de sa monture et il se couvrit la tête avec la serviette magique. Ce geste lui sauva la vie.

— Soloveï Odikhmantievitch s’époumona la patiente en l’interpellant. Ne pensez pas ainsi si facilement vous débarrassez d’un preux et pieux Russe avec votre voix maléfique !

Le Brigand apparut non loin de la patiente dans la ferme intention de pousser l’un de ses cris stridents et nocifs, mais le professeur lui hurla d’une voix de Stentor : 

— Soloveï Odikhmantievitch, le Rossignol Brigand, ayez le courage de m’affronter ! Ne vous en prenez pas à une pauvre et simple femme ! Venez vous mesurer à la force de mes bras !

Il prit rapidement son arc à la forte détente. Il bandit puissamment son arc à la corde de soie et visa de sa flèche l’œil droit du monstre. La flèche siffla, vola dans les airs, rapide telle la lumière. Elle se planta dans l’œil droit, l’aveuglant. Un cri inhumain sortit de la gorge de Soloveï le Brigand avant que le professeur ne l’enchaîna en des liens infrangibles au flanc de son cheval aux grasses cuisses, pendu. Il gît tel un trophée de chasse.

— Tuez-le ! lui ordonna Faïna Radoslavna. Il peut toujours crier même blessé. 

Tournant la tête, incrédule, il bredouilla : 

— Mais comment le saviez-vous ?

— D’abord, les gendres de Soloveï vous entourent. Faites les mourir par le cri de leur beau-père ! Je lui donnerais à boire pour raviver ses forces. Et vous bloquez le son avec votre manteau.

Elle s’éclipsa gracieusement, semblable à une vila, pour donner une tasse de vin d’herbe.

Ilia bloqua tout son lorsque le Solovaï poussa son cri strident, tuant toute forme de vie sur plusieurs kilomètres, espérant tuer le valeureux guerrier. Ses gendres ne survivèrent pas au sifflement semblable au cri de la bête. Ils moururent instantanément.

Le professeur décida de le blesser en décochant une flèche sifflante et rapide à l’œil gauche, l’aveuglant et le faisant taire. Il le garda attaché au flanc de son cheval. Il chevaucha et chevaucha encore longtemps. La patiente du professeur en amazone derrière lui, s’accrocha solidement pour ne pas tomber, inquiète.



Plusieurs jours plus tard, une clairière se présenta sous les yeux du couple. Ilia détela le cheval et fit quelques pas, tenant la serviette magique entre les mains. Il murmura : 

— Il semble que nous soyons arrivés à destination ! 

Faïna Radoslavna approuva, le suivant à petit pas derrière lui. Il fit quelques pas vers l’ouest que, soudainement, un immense château aux murs blancs, scintillants, aux murs insurmontables, semblables à des montagnes, se matérialisa sous ses yeux éberlués. Au pied du mur qu’il parcourut en un rien de temps, le trentenaire rencontra un jeune grand homme. Son visage a des traits réguliers, lui donnant un air sympathique avec ses sombres cheveux ébène, mais seuls ses yeux trop brillants couleur émeraude attiraient l’attention. Il ajusta nerveusement son complet noir de sa main aux longs doigts, fixant le professeur. Ce dernier l’interrogea : 

— Jeune homme, auriez-vous la gentillesse de m’accueillir sous votre toit ? Je suis fatigué et ma bête également.

Le mystérieux homme opina du chef et fixa son interlocuteur le mettant mal à l’aise.

— Venez, les invita-t-il affable. Entrez les premiers.

Le trentenaire fit quelques pas dans la demeure, suivi par la jeune femme. Le mystérieux homme, nul autre que le Dragon Zmeï Gorynytch, ordonna à ses serviteurs de bien traiter l’animal. Ce dernier fut amené à l’étable. Quittant sa forme humaine, Zmeï Gorynytch reprit sa forme première, animale, s’élevant dans les airs, agitant ses trois têtes vers Ilia. Son corps écailleux cacha le soleil, donnant l’impression d’une éclipse. Sa tête gauche vomit un immense feu qui se propagea autour de ses deux invités, les empêchant de se déplacer plus loin que le vestibule. Ilya Iarosvetovitch se retourna et une lueur de frayeur parcourut brièvement ses yeux, tendant son arc. Il décocha une flèche vers la tête centrale, aveuglant le monstre. Mais ce dernier était encore plus en colère qu’auparavant, crachant encore plus un feu brûlant vers eux. Il atteignit le preux et pieux homme et Faïna Radoslavna, qui mourut brûlée. Le professeur, malgré la chaleur insoutenable, prit son arc entre ses fortes mains dans un ultime effort de survie, visant d’une flèche la tête gauche et d’une autre flèche, celle de droite. Le monstre tomba mort.


De la salle voisine de l’immense demeure, Iakov Arkadievitch et son épouse Maria Pavlovna sortirent, intrigués par le bruit et par le feu, bien que ce ne soit pas la première fois que des pauvres malheureux hommes périssaient de la main du ravisseur d’Hélène. Le mari, un médecin, se dépêcha de dégager les corps des flammes. Son épouse entonna un chant de son livre magique, éteignant le feu en un clin d’œil.

— Macha, l’informa d’un ton alarmé le grand homme aux yeux bleu ciel. La jeune femme est morte, l’homme peut encore être guéri, mais il est très faible. Un miracle qu’il manifeste tous signes de vie.

Tournant la tête vers l’âme de Faïna Radoslavna à la droite de son corps, la jeune épouse aux grands yeux marron approuva tristement de la tête. Le médecin se dépêcha de procéder à une réanimation cardiaque lorsqu’il constata qu’aucun mouvement, aucun souffle ne se dégagea d’Ilia. L’âme de ce dernier était sorti de son corps, observant brièvement les environs avant de revenir sous l’effort répété du mari de la médium. Celle-ci courut jusqu’à la chambre d’Hélène, larmes dans le coin des yeux.

— Hélène Radoslavna, se lamenta-t-elle, hurlant, votre sœur n’est plus parmi les vivants ! Elle est un esprit errant ! …

Elle sanglota malgré elle avant de se ressaisir.

— … Pouvez-vous aider le jeune homme ? Il est au seuil de la mort… Vous seule connaissez l’accès à l’eau vive et à l’eau morte ! Soyez aimable, comme vous êtes bonne envers nous, ayez pitié du valeureux Russe venu vous délivrer qui est parvenu à tuer votre ravisseur, la supplia-t-elle, versant quelques larmes.

Hélène la Magicienne, bouche bée, yeux encore plus grands, sa blanche main trembla malgré elle, balbutia : 

— Fania… est morte ? 

Maria Pavlovna approuva silencieusement.

— Impossible, se lamenta-t-elle, laissant libre cours à sa tristesse. Impossible, geignit-elle.

— Lena***, s'exclama l’interpellée, ne me pleure pas et essaie plutôt de sauver Ilia Iarosvetovitch.

Lorsque Maria Pavlovna lui rapporta les paroles de la défunte, sa sœur, sécha d’un revers de la main ses larmes, vola, rapide comme la flèche sifflante d’un guerrier, rapide comme le vent, jusqu’à la source d’eau vive et s'approcha du corps du professeur. Elle lui donna dans une coupe d’or quelques gouttes sur ses lèvres blêmes de l’eau vive et le recouvrir de son manteau de zibeline.



Deux jours plus tard, le professeur ouvrit les yeux et s’étonna d’entendre une voix familière à sa droite.

— Ilia Iarosvetovitch s’est réveillé, hurla joyeusement la défunte sœur d’Hélène. Il est vivant !

Tournant la tête en direction du son, il ne remarqua personne. Une lueur d’inquiétude traversa ses sombres yeux.

— Faïna Radoslavna, où êtes-vous ? Je ne vous vois pas ! Cessez de jouer à cache-cache avec moi ! Ce n’est point comique !

— Je suis à votre droite, répondit-elle. Et je ne joue pas à cache-cache avec vous, s’offusqua-t-elle, courroucée, rendant sa voix habituellement cristalline plus aiguë.

Le visage du pieux Russe devint encore plus blême. Il prit le manteau de zibeline et le déposa, plié, sur la table basse en cerisier plaqué or qui faisait office de table de nuit. Il nota les murs blancs brillants sur lesquels une icône de Saint Georges combattant le Dragon renvoyait les rayons solaires dans toute la petite chambre. Le professeur se signa devant l’icône et analyse son entourage. L’immense fenêtre au cadre doré et sertie d’émeraudes au lourd rideau sagement retenu par une corde au fil d’or et d’argent donnait un air accueillant à l’endroit. À peine se fut-il levé du lit que le médecin et son épouse extraordinaire apparurent au seuil de la porte. Iakov ordonna d’un ton sévère, accentué par son regard devenu glacial : 

— Illustre bogatyr saint-russien, ne soyez pas si empressé ! Restez au lit ! Il faut vous reposer ! L’eau vive et la foi peuvent faire des miracles, mais ne vous surmenez pas plus que nécessaire ! Le danger est loin derrière vous ! Il est inexistant !

Le trentenaire tourna son regard vers le couple et demeura coi, faisant une brève prière avant de l’interroger en ces termes : 

— Qui êtes-vous, nobles gens pour daigner m’accueillir sous votre aile ?

— Nous sommes les serviteurs dévoués d’Hélène Radoslavna, dite Hélène la Magicienne, fille de Radoslav Vladimirovitch. Dans sa captivité, nous l’avons suivi, l’informa sérieusement de sa voix mélodieuse le médecin.

Maria approuva les paroles d’un geste de la tête. Ilia continua à fixer le vide, angoissé d’entendre d’autres voix. Des voix masculines, tantôt graves, tantôt aiguës, tantôt éteintes, suppliantes ou fâchées. Il bloqua le son de ses mains, encore plus pâle qu’auparavant, yeux comme ceux de la chouette, se croyant fou.

— Vous, âmes errantes, les apostropha Maria, traits tendus, comprenant que leur invité pouvait entendre les esprits errants, main droite posée sur sa hanche, ajustant de l’autre les plis de son sarafane scintillant de milles feux, puis son voile d’une blancheur virginale, pourquoi ne partez-vous pas dans la Lumière, comparaître devant Dieu, le Créateur de tout ce qui est et le Juge des âmes ? Que craignez-vous, nobles frères par la foi ? 

Elle serra ses poings et explosa : 

— Comprenez-vous qu’Hélène Radoslavna ne sera jamais la vôtre ! … De vous tout, seul cet homme, ce pieux Russe…

— Ilia Iarosvetovitch, l’interrompit la défunte patiente toujours à la droite du professeur.

— … Ilia Iarosvetovitch est parvenu à tuer le dragon. Il mérite bien de marier la jeune femme, Hélène la Magicienne, en récompense ! Alors taisez-vous et laissez-le tranquille !

Tous les esprits errants se taisaient, étonnés de l’audace de la petite brunette. Cette dernière s’approcha du professeur et les traits sur son visage sculpté s'adoucissent, esquissant un bref sourire sympathique.

— Ilia Iarosvetovitch, intervint-elle de sa douce voix. 

L’interpellé retira ses mains de ses oreilles et soupira, fixant ses pieds.

— Lorsque Zmeï Gorynytch a craché son immonde feu infernal, vous aviez vécu une expérience de mort imminente, mais vous êtes revenu parmi les vivants… Et j’ai demandé à Hélène Radoslavna de vous donner un peu d’eau vive. Je discerne bien en vous une tête hardie et fière d’un preux et pieux Russe. Je vous expliquerais comment gérer votre don accordé par Notre Seigneur Dieu, j’en ai un similaire… À la différence que je les vois également, soupira-t-elle. Écoutez le conseil de mon mari, reposez-vous maintenant !

Il revint sagement au lit, ne parvenant à fermer les yeux de la nuit, très curieux de rencontrer la sœur de sa patiente.



Plusieurs jours plus tard, complètement rétabli, Ilia Iarosvetovitch devint l’élève de Maria Pavlovna. Après la leçon, il se rendit dans la salle à manger de l’immense château, attendant avec beaucoup d’impatience et de fébrilité, Hélène Radoslavna, ne se laissant aucunement impressionner par la richesse de la table, des nappes, des sièges et du décor. Alors qu’il déambulait dans l’immense demeure, il entendit la voix fébrile de sa défunte patiente.

— Ilia Iarosvetovitch, avant que je ne quitte définitivement le monde des vivants, méfiez-vous de Soloveï Odikhmantievitch !

Il demeura perplexe, incertain des paroles entendues et du ton. Il décida de se rendre aux écuries. Depuis qu’il était sorti du château, aucun signe de vie ne se manifesta. En entrant aux écuries, un silence oppressant l’accueillit. Observant de plus près l’endroit, il nota que tous les chevaux étaient morts et son ennemi, toujours attaché de ses liens d’or infrangibles, poussa un faible sifflement. Ilia attrapa Solovaï par le col et l’amena dans un champ désert à plusieurs mètres de la demeure. Et il lui trancha la tête, Et Ilia dit ces paroles : 

— Tu cesseras donc de siffler comme rossignol, tu cesseras donc de crier comme bête sauvage, tu cesseras donc de mettre en larmes les pères et les mères, tu cesseras donc de rendre veuves les jeunes femmes, tu cesseras donc de rendre errants et orphelins les petits enfants.*


Il regagna la demeure de Zmeï Gorynytch, se signant au passage. Soudainement, Faïna Radoslavna affirma sereine, visage brillant d’une lueur surnaturelle, tête tournée à sa droite : 

— Ilia Iarosvetovitch, je vois une Lumière là-bas ! Elle est tellement belle, tellement divine ! Plus belle que la plus belle pierre scintillante… Il n’y a pas de mot pour la décrire, il n’y a pas de comparaison en ce monde pour la qualifier ! Le seul terme pour la qualifier serait divin ! J’entends le doux son de la balalaïka !

Ilia s’arrêta au seuil de la demeure, larme dans le coin des yeux. Il chuchota, voix tremblante malgré lui : 

— Faïna Radoslavna, cette Lumière est pour vous ! … 

Il se signa et fit rapidement des signes de croix comme on lui avait appris.

— … Bon voyage et que votre âme soit enfin en paix !

— Merci, Ilia Iarosvetovitch ! Dois-je vous avouer que je ne me suis jamais sentie aussi légère et heureuse de ma vie ! Au revoir, médecin des âmes. Je suis ravie que ma sœur ait un si bon mari que vous êtes. Et vous ne serez pas déçue de ma sœur, Hélène est une bonne femme.

Ilia, rougissant, baissa ses yeux sur ses pieds et murmura faiblement : 

— Bon voyage !

Et Faïna Radoslavna s’avança dans la Lumière, se laissant emporter dans cette douce et accueillante lumière de l’au-delà, quittant définitivement le monde des vivants.


Franchit-il le seuil du château que le nouveau médium nota Hélène la Magicienne qui l’attendait dans la salle à manger. Il la détailla, mais demeura éberlué, pétrifié, de sa grâce, de son élégance et de sa beauté, elle était tellement belle que la bouche ne peut le dire, ni la plume le décrire.

— Le pieux professeur n’a jamais vu une telle beauté de sa vie. Elle est Hélène Radoslavna, lui murmura Maria Pavlovna au bras de son mari, le sortant de sa rêverie. 

S’excusant de son comportement, tout le monde s’attabla et mangea dans un silence agréable et léger. Le pain et le sel étaient servis, puis le plat principal.


Un peu plus tard dans la soirée, alors qu’Iakov et Maria s’éclipsèrent dans leur appartement, Ilia et Hélène restèrent en tête-à-tête, discutant des nouvelles de la Russie et du monde et d’autres thématiques, chacun séduit par les vastes connaissances de l’autre.



Le lendemain matin, une fois le petit-déjeuner prit, Ilia interrogea Hélène : 

— Hélène Radoslavna, illustre fille de Radoslav Vladimirovitch, je voudrais bien faire de vous mon épouse, vous mariez selon la tradition, mais il faudrait revenir chez moi, dans ma ville qui est très loin. Acceptez-vous, daignez-vous me suivre ? 

Les yeux de la magicienne étincelaient de joie, un immense sourire rayonnait sur son visage, illuminant son air sérieux habituel, tel un soleil à midi.

— Ilia Iarosvetovitch, bogatyr saint-russien ! s’exclama-t-elle ravie. Je vous suivrai où bon vous allez. À partir d’aujourd’hui, vous pouvez m’appeler votre épouse et je vivrai avec vous. Quittons cet endroit maudit, la demeure de mon ravisseur et le tombeau de ma bien-aimée sœur ! Mais avant, permettez-moi d’informer mon pauvre père, Radoslav Vladimirovitch, tsar de son royaume, qui doit se faire du souci pour moi et pour l’informer de la triste nouvelle de la mort de sœur. Aussi respectons les funérailles de ma sœur !

Le professeur opina du chef et Hélène appela de sa douce et mélodieuse voix un aigle. Elle l’envoya comme messager auprès de son père. Les funérailles se firent dans le respect de la tradition.



Après la période de deuil, Ilia revint avec Hélène, Iakov et Maria dans sa ville à dos d’un cheval bai magique. Le quadrupède parcourut en une journée dix royaumes. Deux jours plus tard, les deux couples arrivèrent à la ville. Maria Pavlovna, enlacée par son mari, sourit aux futurs mariés devant eux. Ilia Iarosvetovitch, ravi, rayonnant de joie à l’idée de fonder sa famille, arriva chez son père, Iarosvet, veuf depuis quelques années. L'élégant vieil homme l’accueillit et l’interrogea : 

— Mon fils, mon unique fils, Ilioucha, cette belle jeune femme sera-t-elle ton épouse, ma bru ? Enfin tu te marieras ? s’enthousiasma-t-il.

Yeux pétillants de joie, il répondit poliment : 

— Exactement, père. Je demande ta bénédiction. J’ai délivré cette jeune femme, Hélène Radoslavna, des griffes de Zmeï Gorynytch.

Iarosvet bénit son fils et sa bru, heureux.


Une semaine plus tard, Ilia et Hélène se marièrent à l’église de la ville. Radoslav Vladimirovitch était présent au mariage, donnant sa bénédiction à sa fille et à son gendre. Ils vécurent heureux et contents jusqu’à la fin des temps, jusqu’à ce que la mort les sépare.





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* Formulation reprise du byline Ilia et Soloveï. Une byline est un chant épique russe qui présente une histoire véridique des temps passés où la religion, les croyances préslaves et l'Histoire se mêlent. Elle relate les exploits patriotiques ou religieux des bogatyrs, c'est-à-dire des preux guerriers. Le qualificatif de « Saint-Russien », fait référence à la Sainte Rus, manière de qualifier la Russie chrétienne orthodoxe dans le folklore et la littérature poético-religieuse.


** Soloveï le Brigand, au même titre que Zmeï Gorynytch, est un ennemi, un opposant du héros de la byline. Soloveï, ce rossignol bandit, terrifiait les voyageurs qui passait par son domaine, bâtissant sa demeure au-dessus de six chênes.


*** Lena est le diminutif russe de Hélène.

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