La neige blanche, la glace grise
Chapitre 1 : La neige blanche, la glace grise
6255 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 16/11/2024 13:29
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« La neige blanche, la glace grise »1
Dans un monde parallèle au nôtre, mais qui n’est pas celui de Lyra, un monde de neige et de glace où les hommes vivent constamment entourés de leur ange gardien et de leur démon, c’est dans ce monde qu’arrivent Lyra et Will.
Depuis plusieurs heures qui semblent une éternité pour Lyra, suivie de son daemon Pantalaimon sous la forme d’une mésange mâle, elle court jusqu’à en perdre l’haleine à travers la forêt enneigée et vierge de toutes empreintes humaines, aux arbres semblables à des colonnes d’un immense temple. Seul un violent borée fouette son visage, rougissant ses joues nues. Will, loin devant elle, l’attend depuis plusieurs minutes près du lac gelé. Il réchauffe ses mains les unes contre les autres, déposant le Poignard subtil par terre.
— Lyra, geint-il, lueur d’inquiétude dans ses yeux noirs, cachant d’un geste de la main droite des mèches noires ébène en-dessous de son capuchon de fourrure, je ne comprends pas la raison de mon insuccès à ouvrir un passage vers un autre monde ! …
Lyra, yeux bleu clair encore plus grand d’étonnement, demeure muette pendant quelques minutes, bouche arrondie.
— … Alors que nous sommes parvenus dans cet étrange monde par Cittàgazze, la ville carrefour. Je ne parviens pas à retrouver mon monde… ni le tien par ailleurs…
La jeune fille agite sa blonde chevelure, comme du blé mûr, rejetant son capuchon de sa tête.
— Pourtant l’aléthiomètre m’a indiqué de venir en ce monde pour trouver un objet, l’interrompt-elle, un vieux parchemin, pour le remettre à une femme de ton monde, Will. Cette femme habite dans le Nouveau Monde et a un rapport avec la mort, les défunts. En plus qu’il faut que tu remettes ce Poignard au réel gardien qui veille déjà un Livre, le Livre de Vie et de Mort, il saura que faire de cet objet une fois que nous aurons terminé notre aventure.
— Très bien, soupire le jeune adolescent, fixant la neige qui tombe silencieuse, recouvrant la glace.
Le jeune adolescent fixe la neige au loin pendant quelques minutes avant de reprendre la parole.
— Mais comment allons-nous faire ? Comment trouver ce parchemin ?
Son interlocutrice hausse les épaules et fixe au loin la neige qui s’accumule sur la glace. Un silence lourd s’installe entre eux. Personne ne peut apporter de réponse pour l’instant.
Simultanément, à Grandview, aux États-Unis, dans notre monde.
Mélinda, une petite brunette bien particulière avec ses nombreuses années d’aide aux esprits errants, propriétaire d’une boutique d'antiquités, ordonne les dernières acquisitions, à savoir des vieux grimoires du Moyen-Âge et des meubles dans le style de la Renaissance, aidée par son associée, Andréa Marino. Soudain, un bruit grinçant d’un meuble déplacé résonne dans la petite salle aux murs beiges. Elle se retourne et discerne un esprit errant. La médium l’observe, le détaillant, intriguée. Un grand et élégant trentenaire aux cheveux aussi noir que l’ébène, aux yeux bleus brillants de curiosité, au visage rond, qui n’inspire aucune méfiance à la jeune femme. Il est vêtu d’une ample tunique en peaux, ornée de motifs complexes, de colliers d’or massif autour du cou et des bracelets dorés autour des poignets. À le voir, aucun doute qu’il soit un chaman, pense-t-elle.
— Je suis John Parry, alias Stanislaus Grumman dans un autre monde, devenu chaman en Sibérie sous le nom de Jopari, explorateur britannique, lui répond l’inconnu en ressentant le regard insistant de la vivante sur lui. Et je sais que vous êtes la femme que j’ai vu dans ma vision, lors d’un voyage extatique. Vous êtes destinée à seconder mon fils, William, et cette enfant d’un autre monde pour contacter les morts…
Mélinda, étonnée, le fixe, bouche bée et yeux encore plus grands qu’auparavant.
— … Et pour refermer la bouche de l’Enfer !
Devenue livide, yeux écarquillés, elle l’interrogea d’une voix blanche :
— Et où est cette bouche de l’Enfer ? … Que voulez-vous dire par… une fille d’un autre monde ? …
Elle soulève un sourcil d’étonnement.
— … Un esprit errant ?
Il secoue négativement la tête et réplique :
— Non, Niet, comprenez littéralement, c’est-à-dire une fille d’un monde parallèle…
Une méfiance et une confusion se lisent dans les grands yeux noisette de la médium. Le père de Will soupire.
— … Jeune femme, non seulement nous, les défunts, sommes réels, comme vous le saviez sans doute…
Elle opine discrètement du chef.
— … mais il existe des mondes simultanément au vôtre, séparés par un fin voile, monde différent du vôtre, avec des événements différents, une histoire autre, qu’il est possible de traverser par des fenêtres, des portes, des ouvertures... Et c’est ainsi que je suis parvenu dans un autre monde…
Elle ouvrit la bouche pour intervenir.
— … Mais, madame, l’heure n’est pas aux discussions ! Il faut s’unir ! Une collaboration intermondiale est nécessaire pour refermer la bouche de l’Enfer ! Ce dernier est près de vous ! Et cette bouche communique avec d’autres fenêtres dans les mondes, et ultimement avec la Bouche centrale de l’Enfer dont la localisation m’est inconnue !
Se ressaisissant, elle murmure, lueur d’inquiétude dans le regard, son visage a perdu momentanément toutes couleurs, aussi blanche qu’un drap blanc, voix tremblotante malgré elle :
— Très bien ! …
Elle reprend son souffle qu’elle retient depuis peu.
— … Je vais vous aider monsieur !
— Aussi, précise le défunt britannique, lueur de tristesse dans ses yeux clairs, avertissez mon fils qu’il est impossible de rester trop longtemps dans un autre monde que celui où nous sommes nés, sinon, nous vieillissons à une vitesse vertigineusement prématurée… La raison de mon décès !*
Sur ces paroles, regard suppliant, l’esprit errant s’élève dans les airs, laissant la jeune antiquaire perplexe et intriguée.
Au même moment, dans cet autre monde.
Malgré la tempête de neige qui crée par-ci et par-là des collines blanches pour les défaire et les recréer un peu plus loin, Lyra et Will nettoient minutieusement, comme des archéologues qui exhument des squelettes vieux de plusieurs millénaires au petit balai, la glace de la neige, observant longuement leur reflet au visage rougi par l’effort physique.
— Lyra, commente le daemon de l’adolescente, je discerne de l’autre côté de la glace un autre monde !
Yeux pétillants de curiosité, l’interpellée tourne sa tête vers la glace, la fixant intensément, mais en vain.
— Pan, gémit-elle, agitant ses bras dans les airs, je ne vois rien dans la glace hormis nos reflets !
— Il faut briser la glace ! s’exclame, soudain, hurlant de joie, son compagnon d’infortune.
Se tournant vers la blonde, un large sourire chaleureux et radieux rayonne sur son visage, heureux tel un enfant devant des cadeaux pour son anniversaire. Lyra lui lance un regard interrogateur et incrédule, yeux plissés en fente, se concentrant pour essayer de discerner un monde derrière la glace.
— Tu as raison,Will et Pan ! s’exclame-t-elle plusieurs minutes plus tard. Mais comment être certain d’être au bon endroit et ne pas être dans un autre monde dangereux ? chuchote-t-elle d’un air angoissé, doigts tordant le rebord de son long manteau brun foncé.
Les deux haussent les épaules, moue dubitative au visage, braquant leur regard sur elle.
— Pour être honnête, lui répond l’adolescent, je l’ignore, mais je pense que nous n’avons rien à perdre d’une tentative ! Un monde de plus ou un monde de moins, ce n’est guère important maintenant !
Le daemon hoche la tête et complète d’un ton rassurant :
— Lyra, remarque que nous n’avons rien à perdre…
Il se métamorphose en un aigle, yeux jaunes et perçants observant la glace.
— … De ce que je peux voir, je confirme que c’est le monde de Will… Personne n’a de daemon…
— Alors Will, ouvre une fenêtre, lui ordonne-t-elle, soupirant, guère convaincue, désireuse de mettre fin au mal de tête qu’elle sent poindre.
— Ne veux-tu pas consulter ton aléthiomètre ? l’interroge poliment le garçon, agitant sa main gauche à laquelle il manque l’annulaire et l’auriculaire dans le vide, ressentant une sourde douleur dans sa poitrine à l’idée de revenir dans son monde, songeant à sa pauvre mère malade et à son père porté disparu depuis plusieurs années. Ses yeux se voilent brièvement et sa mine s’assombrit à ce triste souvenir.
Elle sort l’instrument de sa poche interne du manteau, le manipule et l'interroge d’une main d’experte. Front plissé de concentration, regard sérieux, traits tendus, elle fascine à chaque fois le jeune homme. Pour ce dernier, un mystère subsiste autour de cet objet, mais il a étrangement confiance en la jeune fille et en ses réponses.
Quelques minutes plus tard, yeux comme ceux d’une chouette, elle hurle :
— Will, Pan, vous avez raison ! C’est l’endroit recherché ! Mais avant trouvons le parchemin !
Will analyse les environs, essayant de mémoriser le paysage, l'arbre décharné à sa gauche branches levées comme des bras en supplication au ciel et un élégant saule pleureur à sa droite écrasé par la neige, trône fier dans les hauteurs, tel un roi au milieu de sa cour.
Le trio s’éloignent de la glace et continuent leur marche en direction d’une cabane isolée accueillante non loin du lac pour faire un petit somme, réchauffé par un feu improvisé. Un miroir sans tain trône dans une salle où ils se sont installés, blottis les uns contre les autres, ignorant que John les observe depuis quelques minutes, très soucieux de la sécurité de son fils.
À Grandview, États-Unis, notre monde.
L’antiquaire extraordinaire revient chez elle, perplexe. À peine franchit-elle le seuil que John l’attend.
— L’un des passages d’un monde à l’autre est le miroir de votre salle de bain…
Incrédule, réprimant un fou rire, sourire ironique aux lèvres, celle-ci lui réplique sur un ton quelque peu cinglant malgré elle.
— John Parry, j’ai vu des cas d’esprits errants assez singuliers, mais vos propos sont tout simplement farfelus ! Je ne peux vous prendre au sérieux !
L’interpellé se vexe, faisant la moue, bras croisés en-dessous de sa poitrine, faisant cliqueter les bijoux. Il éructe, bougeant des bras et serrant les mains en poings jusqu’à blanchir ses jointures, gesticulant furieusement :
— Pourquoi êtes-vous si incrédule ? Venez vous installer derrière votre miroir et vous verrez que j’ai raison ! s’offusque-t-il.
Reprenant son sérieux, impressionnée par sa réaction, elle l’interroge poliment :
— Je veux bien aider votre fils, mais je ne comprends guère votre histoire des mondes… C’est de la science-fiction ! Mais j’irais bien voir ce passage.
Elle accélère le pas jusqu’à la salle et s’arrête devant le miroir, s’observant longuement. L’esprit errant se solidifie derrière elle et l’informe :
— Observez intensément les coins où votre reflet n’apparaît pas ! Vous verrez un autre monde.
Avant que la médium ne dise un mot, l’entité invisible s’évapore.
Jim entre dans la salle, intrigué. Celle-ci lui explique brièvement les propos de l’esprit errant. Il commente :
— Mél, il a raison ! …
Fixant le coin droit, le grand brun aux yeux bleus indique d’un geste de la main.
— … je discerne un imperceptible mouvement !
Étonnée, la médium se concentre à l’endroit et constate effectivement un mouvement. Bouche bée, sans mot, elle promène son regard de son mari au miroir.
— Tu as raison, mais comment se rendre dans ce monde ? Serait-ce une bonne idée ou non ?
— Je l’ignore, je ne saurais te le dire…
Une lueur de frayeur traverse son regard.
— … Mais si tu ne reviens pas ! Veux-tu que nous allions ensemble… Mais comment briser ce miroir ? Sans mentionner les risques de blessures et de coupures ou pire, une malédiction…
Ses yeux deviennent plus grands.
— … Comment arriver dans ce monde ? Je suis confus…
— Bonne question soupire-t-elle.
Elle se retourne, cherchant où est l’esprit errant, mais en vain, il n’est pas dans la pièce.
— … Comme John Parry n’est pas dans le décor, je préfère mieux ne pas tester le danger ! J’ignore ce qui se trouve de l’autre côté… Quel type de monde nous accueillera ? … Si nous demeurons prisonniers de ce monde sans possibilité de retour …
Un frisson parcourt son échine et glace son sang dans ses veines en imaginant les situations les plus horribles. Son mari l’enlace pour calmer son angoisse et lui murmure à l’oreille.
— Le meilleur, ma chérie, est que nous n’essayons pas de nous rendre dans un autre monde sans que l'esprit errant nous informe de la situation de l’autre côté. Il est préférable que nos visiteurs des mondes arrivent à nous… Au moins, Grandview nous est familier et sans danger !
— Tu as raison ! lui sourit-elle, rassurée.
Et le couple vaque à ses occupations. Mélinda est très inquiète des mystérieux visiteurs qui peuvent toujours venir de manière inopinée et surtout de l’entrée des Enfers qui ne semble pas être loin et qui est reliée à Grandview, peut-être à la ville souterraine pense-t-elle. Elle ne dort guère de la nuit.
Le lendemain, dans l’autre monde,
Lyra, Will et Pantalaimon cherchent dans la cabane où pourrait être le mystérieux parchemin, mais ne trouvent rien. La cabane de bois ne contient aucune cachette secrète. Trépignant d’impatience, la jeune femme parcourt minutieusement chaque coin pour s’arrêter devant le miroir sans tain.
— Will, l’interroge-t-elle incrédule, tu penses que le parchemin se trouvera derrière ce miroir, voire dans le miroir ?
Haussant les épaules, il répond d’une voix monocorde :
— Et pourquoi pas ? On n’a rien à perdre de le briser.
Elle opine du chef et court à l’extérieur déterrer une pierre sous la neige virginale, revenant rapidement et la lance sur le miroir. Un bruit sourd détonne dans la petite pièce, faisant sursauter le daemon de la jeune femme qui se perche au lustre, lueur de panique dans le regard. Le miroir se brise en mille morceaux, volant aux éclats partout dans la pièce sous le regard impassible de Will. Ce dernier remarque, au pied de la pierre, un vieil écrit au coin racorni, parchemin, papyrus des temps anciens, à l’écriture hiéroglyphique d’une langue inconnue. Les deux jeunes promènent leur regard de l’un à l’autre, mine incertaine au visage. D’une main tremblante, Lyra ramasse le document, confuse, yeux lançant des éclairs de colère, incapable de le déchiffrer. Elle le montre au jeune homme à ses côtés.
— Lyra, commente-t-il, il est évident que l’écriture est difficile à déchiffrer, c’est en russe, langue que j’ignore, mais que mon père…
Une larme se pointe dans le coin des yeux de l’adolescent, brouillant momentanément sa vue.
— … Que mon père connaissait…
Il renifle bruyamment l’air avant de se ressaisir.
— … Explorateur, il avait des collègues russes.
La petite blonde approuve d’un geste de la tête, silencieuse.
— Donc, commente Pantalaimon pour faire tomber la tension qui s’est installée à la mention du père de William, nous pouvons retourner dans le monde de Will et trouver la femme à qui nous remettrons ce document.
Les deux jeunes répondent à l’unisson :
— Oui, nous irons !
Les trois reviennent près de la glace de la veille. Une fois la glace mise à nue, deux paires de yeux se braquent sur Will, angoissés. Le Porteur du Poignard subtil prend une grande inspiration et, avec l’arme, ouvre d’une main experte, tel un chirurgien qui pratique une excision, une fenêtre pour passer dans ce monde.
Au même moment, dans notre monde, à Grandview,
La petite brunette se frotte les yeux lorsque, soudain, se matérialise de nulle part, deux adolescents — Lyra et Will — dans sa maison. Elle les interpelle d’un ton sévère :
— Jeunes gens ! …
Les deux se retournent et fixent la femme extraordinaire.
— … Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous parvenu jusqu’ici ? …
Elle s’approche un peu plus d’eux.
— … Pourtant vous semblez bien vivant, en chair, en os, en corps et en âme…
John apparaît à la droite de son fils, faible sourire aux lèvres, lançant un regard suppliant à l’antiquaire extraordinaire, lui disant d’une voix éteinte :
— Will, mon enfant ! …
Il se tourne vers Mélinda.
— … Voulez-vous l’informer ? Voulez-vous l’avertir ?
Le regard de Lyra se durcit, ses yeux deviennent glaciaux, impénétrables, insoutenables. Will observe l’environnement : le salon est une charmante et élégante pièce au mur jaune pâle accueillant avec une grande fenêtre qui laisse entrer la lumière diurne. Dans un coin, il y a une petite télévision éteinte qui trône sur un meuble dans le style de la Restauration en cerisier. En face de la télévision, deux fauteuils rembourrés beiges dans le style du Second Empire séparés par une table basse en chêne dans le même style que les sièges. Son regard s’adoucit, lui rappelant son enfance insouciante et lointaine. Sortant de ses rêveries, il se racle la gorge, s’avance vers Mélinda, protégeant sa compagne de son corps, et lui réplique :
— Je suis Will. Mon amie, Lyra, et moi sommes perdus chez vous… Cherchant une femme…
Il tourne brièvement le regard vers sa compagne d’infortune.
— … Pour une mission importante…
— Vous êtes le fils de John Parry, non ? l’interrogea, intriguée, yeux écarquillés de sa soudaine réalisation qui la frappe tel une foudre sur un arbre.
Will devient blême, serrant ses mains en poings de nervosité.
— Comment pouvez-vous le conclure ? réplique-t-il d’une voix blanche, lueur de méfiance dans le regard.
— Venez, assoyez-vous ! Je vous servirai du thé et des biscuits. Vous n’avez rien à craindre ! Je vais tout vous expliquer. D’ailleurs, jeune homme, j’ai un message pour vous d’un être cher !
Intrigué, la méfiance du jeune adolescent tombe partiellement pour céder à la curiosité. Lyra, toujours coite, observe avec défiance son entourage, renfermée sur elle-même, affichant une moue.
Mélinda s’éloigne des adolescents s’éclipsant dans la cuisine pour préparer le thé. Lyra, rassurée que Pantalaimon, sous forme d’une martre, soit calmement assis sur l’accoudoir du fauteuil, rejoint Will. Il lui murmure :
— Lyra, cette femme est bien étrange… Comment peut-elle connaître mon nom ? Ne serais-je pas recherché par l’Interpol ?
Haussant les épaules, elle réplique :
— J’ignore ce que c’est… Une sorte d’Inquisition, le Magisterium ?
— Non, pas tout à fait… Mais sans importance maintenant ! …
Un sourire radieux fendit son austère visage.
— … Je constate que Pantalaimon semble confiant ! Patience !
Les deux jeunes demeurent silencieux, silence apaisant, jusqu’à la venue de la jeune antiquaire. Cette dernière, accompagnée de son mari, arrive avec des tasses de thé et des biscuits.
John est non loin de son fils, l’observant silencieusement.
Promenant son regard de l’esprit errant aux jeunes voyageurs des mondes, se demandant si elle vient de rencontrer ceux qu’elle doit aider, elle obtient la confirmation de l’esprit errant qui opine du chef.
— Bienvenue à Grandview, dans ma maison ! D’ailleurs, William Parry, j’ai un message important de votre défunt père à vous communiquer…
Les yeux de l’interpellé s’assombrissent de tristesse.
— Attendez, madame, qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous être si certaine de mon identité ?
— Je suis Mélinda Gordon-Clancy, simple citoyenne de Grandview, et femme au capacité hors de l’ordinaire…
Elle tourne son regard vers son mari qui lui serre la main droite en signe de soutien, l’encourageant de son regard.
— … J’ai un don depuis mon enfance, celui d’interagir avec les défunts, les esprits errants… Et votre père, John Parry, est l’un d’eux… Je l’ai vu hier…
Will devient blanc comme drap, sa main tremblante le force à déposer sa tasse de thé, fixant ses pieds.
— Et que vous a dit mon père ? À quoi il ressemble ?
Un faible sourire s’étire sur le visage de John. Mélinda sent poindre des larmes dans le coin de ses yeux, touchée par cet amour paternel.
— Votre père veut vous avertir de ne pas vivre dans un autre monde…
Une lueur d’interrogation se reflète dans les yeux noisette de la médium.
— … Même si j’ignore absolument ce que cela signifie, murmure-t-elle.
John a un sourire radieux, approuvant d’un geste de la tête les paroles rapportées.
— … Sinon, vous vieillirez plus rapidement… C’est ainsi que votre père est mort… En voyageant dans un autre monde… Sans que ce soit le monde des esprits…
Will se penche vers Lyra et lui demande :
— Tu penses que ce soit cette femme que nous recherchons ?
— Je ne le sais pas…
John possède son fils, laissant son âme désorientée, à côté de son corps. L’âme de William promène son regard de son corps à Mélinda, étonné du regard éberlué de la médium sur elle.
— … Je le sais, Mélinda Gordon-Clancy est la femme que nous cherchons ! affirme-t-il d’une voix de Stentor et d’une voix plus rauque que la sienne, étonnant la petite blonde. Il faut lui remettre le parchemin.
L’interpellée, confuse, demeure silencieuse. Lyra est surprise des paroles de son compagnon.
— Et quel est ce parchemin ? Pourquoi serait-il si important ? l’interroge front plissé, Jim, lueur de méfiance dans ses yeux céruléens.
Will, toujours possédé par son père, affirme soutenant le regard du mari de la médium :
— Le parchemin, c’est mon père qui l’a laissé en passant d’un monde à l’autre par les ouvertures, les fenêtres…
Il sort l’écrit de son manteau, le lisant et traduisant simultanément, sous le regard éberlué de Lyra et de Jim. La jeune blonde est quelque peu blessée en son âme, comment son ami est parvenu à lui mentir concernant sa connaissance des langues, elle la plus habile dans la tromperie.
— Il faut fermer les ouvertures des Enfers ! s’exclame théâtralement le fils du chaman. Dont l’une est aux États-Unis dans une boutique d’objets anciens… Une petite femme brune aux capacités particulières sera l’alliée avec une jeune adolescente blonde… En plus de mon fils et de moi-même… Pour fermer cette bouche de l’Enfer, il faut s’unir, briser la glace et empêcher le voile qui sépare le monde des vivants et le monde des morts de se déchirer définitivement ! … Sinon, tous les mondes seront plongés dans un chaos innommable et inimaginable ! Il ne faut pas laisser la glace grise séparer les mondes, mais il faut réparer les failles pour que la glace devienne bleue…
Il tourne son regard possédé, mais bienveillant, vers Mélinda et Lyra.
— … Madame Mélinda Gordon-Clancy et, vous, Mademoiselle Lyra Belacqua, vous êtes les deux femmes mentionnées dans le parchemin…
John cesse sa possession, laissant l’âme de son fils regagner son corps. L’adolescente, toujours méfiante, touche à intervalles réguliers l’aléthiomètre dans sa poche.
Pantalaimon se métamorphose en mouche et communique par la pensée à la jeune fille :
— Lyra, ne soit pas si méfiante ! Interroge l’aléthiomètre si tu doutes ! Mais je pense qu’elle est la femme que nous cherchons !
L’interpellée opine du chef et se lève, s’excusant d’aller aux toilettes. Elle s’arrête à mi-chemin, appuyée contre un mur vert, interrogeant l’appareil. Pantalaimon, sous la forme d’une martre, veille au grain pour éviter la présence des Américains près de Lyra. Cette dernière, front plissé, concentrée, s’étonne de la réponse.
— Pan, souffle-t-elle, lâchant de peu le précieux objet doré, tu as raison ! Elle est la femme que nous cherchions ! Étrange, mais c’est bien elle !
— La prochaine fois, commente-t-il, crois-moi ! Mon jugement est infaillible !
Sa mine se renfrogne à ces mots, tête baissée, tel un enfant coupable, affichant un faible sourire.
— Tu as raison ! avoue-t-elle à contrecœur.
Elle revient au salon, sourire chaleureux.
Mélinda et Jim préparent un lit pour les adolescents. Et après le repas, chacun s'endort d’un sommeil réparateur. John, lui, veille sur son fils, ravi que les mondes s’uniront bientôt pour régler un grand problème vital pour leur équilibre.
Le lendemain matin, dans la cuisine, Mélinda s’occupe des petits-déjeuners de tous les quatre et interroge Lyra, lueur de curiosité dans le regard :
— Jeune femme, cette martre qui te suis semble très familière à ta présence… Mais comment ce fait-il que je ne l’ai pas vu plus tôt ?
Gênée, l’interpellée détourne son regard de la médium et recherche du regard son compagnon d’infortune :
— Cette martre mâle n’est pas un animal de compagnie, s’offusque la blonde.
— Exact, confirme Pan, se métamorphosant un aigle royal avant de reprendre sa forme de martre.
Mélinda est bouche bée, yeux grands comme ceux de la chouette.
— Pan… Ou plutôt Pantalaimon est mon daemon, soupire-t-elle, exaspérée d’expliquer des évidences, haussant les épaules, une partie de mon âme qui est extériorisée sous forme animale. Tout le monde en a un dans notre monde…
Elle affiche un petit sourire coupable, regard rêveur.
— … J’ai été choquée de voir que dans le monde de Will, ce qui veut dire dans votre monde, personne n’ait un daemon… Il est en vous, on peut dire… Mais je suis certaine que vous en avez tous un !
— Je confirme ! s’exclame, soudain John, apparu à la droite de Mélinda.
La petite brunette lance un regard interrogateur au défunt, l’incitant à développer ses paroles.
— Je suis né dans votre monde, en Grande-Bretagne, mais j’ai voyagé entre les mondes par les fenêtres et j’ai terminé ma vie dans le monde de Lyra… Et c’est là que j’ai découvert que j’ai un daemon, un balbuzard !
La médium opine du chef à la fois à l’attention de la vivante que du défunt, perplexe néanmoins.
— Donc, conclut maternellement l’Américaine, tu viens littéralement d’un monde autre, semblable au mien, un monde qui n’est pas celui des esprits.
Haussant les épaules, ne comprenant guère le sens de ses propos, les yeux bleus de Lyra rencontrent les noisettes de Mélinda. En lisant la bonté et la joie de la jeune femme, elle change sa moue en un faible sourire, saisisant la bonne volonté de cette femme au don hors de l’ordinaire.
— Ainsi, vous appartenez au même monde que Will… Et vous êtes particulière même pour les hommes de votre monde avec votre don, n’est-ce pas ? articule-t-elle faiblement.
Son aînée lui sourit et murmure :
— Oui, jeune fille, même pour mes semblables, je suis hors de l’ordinaire par mon don peu commun…
Elle soupire.
— … Heureusement, j’ai mon mari qui croit en mes capacités… Ma mère et mon père ne m’ont guère soutenu…
— Au moins, commente l’adolescente, vous connaissez vos parents, moi je suis orpheline… ou plutôt abandonnée par mes parents…
Elle serre ses poings de rage, éclair de colère qui traverse ses yeux.
— …. Sinon, vous venez donc d’un monde parallèle au mien, en Angleterre…
Elle hoche la tête. La médium la quitte, rejoignant Will au salon.
— Elle est sincère, commente Pantalaimon. Elle ne te veut que du bien et a à cœur de faire son travail, d’aider les défunts à quitter définitivement le monde des vivants. Je serais bien curieux de connaître la forme de son daemon !
— Merci, Pan, maugrée-t-elle à la pertinence des propos de son interlocuteur.
Et le duo rejoint rapidement Will et Mélinda. Cette dernière discute avec John et Will.
— William Parry et Lyra Belacqua, il est l’heure d'accomplir la dernière volonté de monsieur John Parry, à savoir de refermer la bouche de l’Enfer entre les mondes, dont l’une des bouches est à ma boutique, leur annonce-t-elle solennellement, traits sérieux et hiératique, regard sévère et perçant. Venez jeunes gens ! Suivez-moi !
Et ils obéissent, comprenant l’importance et la gravité de la situation.
Quelques heures plus tard, à la boutique de Mélinda, dans l’entrepôt au sous-sol,
La médium et les deux voyageurs des mondes, ainsi que le père de Will sont tous au sous-sol, ampoules allumées pour mieux discerner le passage souterrain barricadé par des morceaux de bois. Pantalaimon, depuis son arrivée dans le sous-sol, s’agite nerveusement. Devenu aigle, il demeure perché sur un meuble, observant l’entrée. Will détaille l’entrepôt, un endroit ordonné rempli de meubles et d’objets de toutes sortes et de toutes les dimensions, allant des lettres, des dictionnaires jusqu'aux armoires imposantes. Le mur le plus éloigné de l’entrée, en briques rouges, est partiellement démoli, des planches de bois laquées un peu endommagées par endroit cachent cette imperfection. Ce qui donne à ce mur un aspect sordide et l’air semble oppressant pour Mélinda qui perçoit l’inquiétude de John. L’antiquaire extraordinaire prend une grande inspiration, tremblante malgré elle.
— William Parry et Lyra Belacqua, il est venu le temps d’accomplir la dernière volonté du père de William…
L’adolescent lâche une larme de tristesse malgré lui. Son père s’approche de lui et lui murmure :
— Mon enfant, ne pleure pas ! Depuis que je suis mort, tout est plus simple ! Saches que je suis fier de toi ! Demeure fort !
Mélinda décide d’ignorer, pour l’instant, les propos de l’esprit errant.
— … Il faut refermer les communications des Enfers, dont l’un des passages est ce mur ! Mais comment le réparer ?
— Solidifier la glace, lui hurle John.
— Comment ?
Will et Lyra demeurent cois, fixant la médium, comprenant qu’elle interroge une entité invisible, certainement le père de l’adolescent.
— La force de la pensée, la force de la volonté ! Imaginez que ce mur est une glace, il faut le transformer de glace grise, glace fissurée, en glace bleue !
— Très bien, monsieur Parry ! …
Se tournant vers les adolescents, elle leur ordonne, lueur de détermination dans ses grands yeux :
— John Parry m’a informé de la manière pour fermer ce passage…
Elle tourne un regard interrogateur et incrédule vers le défunt.
— … Tout étrange que cela puisse paraître ! … Par la force de la volonté. Allons-y jeunes gens ! Pensez à tous vos proches et êtres chers, à tous les vivants et tous les défunts !
Mélinda se concentre, suivie par Will, Lyra et John. De leur pensée et intensité mentale surgissent une force impalpable, agissant comme un champ magnétique vers le mur, le solidifiant, le rendant glace grise, puis blanche. Lyra ne peut aucunement qualifier adéquatement le moment, mais il est particulier, important et quasi religieux. Mélinda, elle, est éberluée de cet événement hors de l’ordinaire, inexplicable et étrange, mais bien réel.
Quelques minutes plus tard, John informe les vivants :
— Maintenant, pour la dernière étape, pour que la glace devienne bleue, je dois quitter le monde des vivants… Dites à mon fils de penser à moi ! L’amour paternel et l’amour filial sont les plus forts des amours après l’amour d’une âme-sœur ! C’est la seule manière de refaire ce qui a été défait, la seule manière de réparer la faille et d’assurer une survie des mondes ! Sinon, tous les mondes seraient envahis par les esprits et les démons ! Rapportez mes paroles à mon fils !
La médium opine du chef et exécute l’ordre. Des larmes laissent des sillons profonds sur le visage du jeune homme, malgré sa tentative de paraître stoïque.
Père et fils se concentrent intensément. Des pensées communes, la glace du mur devient de plus en plus solide, indestructible, jusqu’à ne plus discerner l’autre côté, même pour les yeux perçants de Pantalaimon, fatigué. La médium est perplexe de ce changement du mur qui devient littéralement glace sous ses yeux.
Le trio de vivants et le défunt quittent l’entrepôt pour faire une halte au parc de la ville. Un silence agréable s’installe entre eux, lorsque, soudain, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein, John, à la droite de son fils :
— Madame, s’exclame-t-il, ravi, visage rayonnant d’une lueur blanche, pure et irréelle, donnant à son regard une luminosité, un éclat particulier, inexprimable. Je suis enfin en paix…
Tournant la tête vers l’entité invisible, Mélinda ressent une larme dans le coin des yeux malgré elle, toujours émue des visages rassérénés des défunts.
— … Je discerne là-bas une lumière oh combien divine ! Une pureté et une merveille qu’aucun livre ne peut décrire, qu’aucun explorateur n’a vu… Époustouflante, apaisante, divine, dirais-je ! …
Lançant un regard interrogateur à son interlocutrice.
— … Dois-je y aller ?
Émue, se raclant la gorge, essuyant prestement ses larmes.
— Oui, cette Lumière est pour vous ! s’exclame-t-elle d’une voix tremblante de joie. Vous pouvez enfin quitter le monde des vivants et aller dans l’éternel repos. Repos bien mérité ! Bon voyage !
— Au revoir et merci infiniment pour votre aide !
Il s’approche une dernière fois de son fils et l’enlace paternellement, ému.
— William, le départ de ton père pour l’au-delà est imminent. Il est tellement heureux maintenant, lui rapporte-t-elle.
— Mon fils, Will, sache que je suis très fier de toi ! Au revoir !
Et il s’éloigne en direction des arbres, disparaissant de la vue de Mélinda. Il se laisse envelopper par la douce lumière virginale. La femme extraordinaire lâche des larmes de joie et affirme posément :
— William Parry, votre père a quitté définitivement le monde des vivants ! Nous avons accompli sa dernière volonté ! Vous pouvez encore rester quelques jours chez nous, si vous le voulez.
— Merci madame Gordon-Clancy, s’exprime l’adolescent, mais nous vous quittons ce soir, nous avons un autre volet à notre mission qui ne vous concerne pas…
— Lequel ? l’interroge, curieuse, la petite brunette.
— Disons, ajoute Lyra, qu’il faut retrouver le Porteur du poignard, cette arme qui peut fendre n’importe quelle matière, même la plus fine et subtile. C’est ainsi que nous parvenons à voyager entre les mondes… Et il semble qu’il y existe dans votre monde ce Gardien, ce Porteur.
Soupirant, l’adulte leur réplique :
— Très bien ! Alors bon voyage et bonne chance ! Mais sachez que vous êtes la bienvenue chez moi.
Étonnés, les deux adolescents l'analysant de la tête au pied, ne croient pas leurs oreilles. Demeurant bouche bée pendant quelques minutes, Will se ressaisit, reprenant son air sérieux et sauvage. Il salue poliment la médium d’un geste de la tête et sort le poignard, ouvrant devant lui, sous les yeux ébahis de la petite brunette, une fenêtre qui donne sur Cittàgazze — une ville de plusieurs milliers d’âmes dans un autre monde. Dès que Lyra, Pantalaimon et William font leur dernier adieu et referment le passage, Mélinda, émue jusqu’au tréfonds de son âme, revient chez elle à petits pas.
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1 Traduction de « Белый снег, серый лед », un vers de la chanson Звезда по имени Солнце [L’Étoile qu’on nomme Soleil] du groupe Кино [Kino].
* Considérable modification par rapport à la trilogie, puisque John Parry est mort à Cittàgazze, tué par une sorcière, Juta Kamainen.