Un mauvais Dieu dort dans les catacombes
Chapitre 1 : Un mauvais Dieu dort dans les catacombes
3382 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 19/11/2023 17:43
Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Des fanfics sous le sapin - (novembre - décembre 2023).
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Un mauvais Dieu dort dans les catacombes
Des trombes d’eau s'abattent sur la toiture, le tonnerre gronde en alternance rapprochée avec les éclairs qui illuminent la maison endormie. La fureur des éléments contraste avec la chaleur du foyer. Les flashes éclairent les décorations endormies, révélant le scintillement des guirlandes et des boules qui ornent le sapin installé juste à côté de la cheminée. Quelques braises rougeoient encore parmi les cendres et les bûches noircies.
La foudre s’abat dans un vacarme assourdissant qui réveille un de ses occupants. Melinda se redresse dans le lit et tend l’oreille. De nouveaux éclairs lui montrent le visage paisible de Jim. La tourmente ne semble pas le troubler. Les sourcils de la jeune femme se froncent quand elle entend des voix provenant du salon. Elle n’en comprend pas les mots :
— Bonté divine, nous voilà de retour à mon époque !
— Fais silence, Jacquouilles, et ranime donc cette flambée. Il fait un froid de gueux par cette nuit d’épouvante !
— Jacquart, Montmirail, Jacquart !
Repoussant les draps, Melinda s’assoit sur le bord du lit pour enfiler ses chaussons. Elle entend le bruit sourd de bûches lâchées sans ménagement et le grattement du tisonnier. Quelqu’un est chez elle, c’est confirmé. Elle met sa robe de chambre et décide de laisser dormir Jim pour aller à la rencontre de ces invités surprise.
L’orage éclaire le couloir par à-coups. Le plancher craque sous ses pieds. Un fantôme laisse apparaître brièvement son visage émacié dans un des tableaux, Melinda le salue rapidement.
— Il y a des gens dans le salon. La petite fille les a à l'œil, souffle-t-il.
— Des gens ? s’étonne Melinda.
— Oui, des vivants…
Elle fronce les sourcils de plus belle et resserre les pans de sa robe de chambre. Le fantôme “marche” à ses côtés. Elle pousse la porte du salon et reste interdite devant la scène inattendue. Un grand gaillard en armure se tient face à l’âtre devant lequel s’active un petit bonhomme rondouillet aux frusques sales. Son fumet lui heurte les narines de là où elle est.
— Qu’est-ce que vous faites chez moi ?
Deux paires d’yeux surpris se tournent vers elle. Ils s’arrondissent encore davantage en apercevant la présence fantomatique derrière elle. Un hurlement s’échappe de la bouche du plus petit des deux compères. Son compagnon lui assène une calotte qui le fait taire.
Godefroy de Montmirail n’est pas homme à perdre son sang froid mais il faut reconnaître que le contexte est perturbant. Pour la deuxième fois en peu de temps, il se retrouve transporté dans un endroit inconnu. Les décorations du lieu le laissent songeur : guirlandes de chaussettes, aux rayures rouges et blanches, suspendues à la cheminée, petits personnages barbus en tenues vertes et rouges, boules colorées et brillantes… Il examine le conifère étrangement accoutré qui a été disposé à côté de la cheminée. Quelle drôle de coutume est-ce que cela ?
La voix féminine dans son dos le surprend suffisamment pour qu’il fasse volte face mais il se retient de tirer son épée. Brune, à la peau diaphane, la femme face à eux les fixe de ses grands yeux graves. Elle semble attendre une réponse à la question qu’il n’a pas comprise. Un grand frisson lui court sur la peau quand il aperçoit une pâle silhouette derrière elle. Ses cheveux se dressent sur sa tête et le hurlement de ce gueux de Jacquouille n’arrange rien. Il le fait taire sèchement.
— Que faites-vous chez moi ? répète-t-elle dans sa langue.
— Bonsoir, damoiselle, veuillez excuser nostre intrusion en vostre demeure, répond-t-il dans la sienne tout en s’inclinant galamment.
— Je suis rentré, I’m home! braille Jacquart qui parle un peu anglais.
— Comment ça, rentré ? demande Melinda dans sa propre langue. Et qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?
— C’est une longue histoire, commence-t-il avant de s’interrompre brusquement. Qu’est-qu’est-ce que c’est derrière vous ? bégaie-t-il en se remémorant ce qui lui a fait pousser un cri..
— Ah, vous les voyez aussi ? Jason est une âme égarée, comme beaucoup d’autres dans cette maison.
Sous les yeux sidérés de nos voyageurs du temps, l’entité disparaît. Jacquart, qui se frotte toujours l’arrière du crâne, garde une bouche béante. Il tremble de tous ses membres et sa peur grandit encore quand un groupe de fantômes les entoure subitement.
— Quel maléfice est-ce que cela ? tonne Godefroy qui ne comprend rien à ce qu’échangent son écuyer et la femme.
En posture défensive, il hésite à dégainer sa lame. Les spectres qui les entourent parlent tous en même temps. Ils se rapprochent de plus en plus. Il sent le froid de leur présence courir sur sa peau et ses poils se dresser sur ses bras. À côté de lui, Jacquart n’en mène pas large. Il claque des dents. Melinda voit les revenants s'agglutiner, toujours plus nombreux, autour des deux hommes. Elle est contrainte d’intervenir, se frayant un passage au milieu des entités de plus en plus menaçantes.
— Je vous en prie, laissez-nous en paix. Je vous promets de vous aider mais nous devons d’abord comprendre ce qu’il se passe.
Sa voix qui porte, claire et sûre, réveille Jim qui débarque en bâillant, les cheveux en bataille.
— Melinda, il est minuit, reviens te coucher. Les morts attendrons demain.
— Je vais venir, Jim. Mais d’abord il me faut organiser un couchage pour nos invités imprévus.
— Un couchage pour des fantômes ?
— C’est qu’on est des vivants, nous, lui répond Jacquart, toujours aussi blême.
Il échange quelques mots avec le comte de Montmirail et traduit sa demande de “festoyer” à leurs hôtes. Jim se frotte les yeux. Deux gars en tenues moyenâgeuses dans son salon, dont un en armure. Il est habitué aux phénomènes étranges, depuis qu’il a épousé Melinda, mais, là, c’est inédit ! Las. Il est fatigué. Il la laisse gérer et retourne se coucher.
Godefroy de Montmirail suit la femme à travers la maison. Il est tendu. Cette situation ne lui plaît pas du tout. Dépendre de son écuyer encore moins. D’autant plus qu’il est devenu fichtrement empoté et incompétent depuis leur premier voyage dans le temps. Quoi qu’il le sente à l’aise dans cette maison, il comprend même ce dialecte étrange qu’il parlent tous.
Les fantômes se sont, pour la plupart, dispersés mais certains semblent décidés à rester. Une fillette la regarde de ses immenses yeux tristes. Sa présence lui donne froid dans le dos. La femme ouvre une étrange placard blanc et en sort une chose rectangulaire colorée. Elle enlève la pelure et le dessous est noir avec une vitre transparente. Elle la perce brutalement à l’aide d’une fourchette. Elle s’approche d’une grosse boîte carrée métallisée et appuie sur un bouton en bas à droite, une porte apparaît, projetée vers l’avant.
Après la surprise de la porte, Godefroy sursaute aux bips du micro-onde. Une fois encore, il doit se faire violence pour ne pas bondir et dégainer. Tout semble maléfice.
En attendant que cela chauffe, Melinda leur propose des gressins. La nourriture qu’elle lui tend est couverte d’une matière lisse, brillante, bruyante et désagréable sur la langue. Jacquouille, qui persiste à lui demander de l’appeler Jacquart, la lui prend des mains et ôte l’étrange pelure. Le Comte hume puis goûte à nouveau. C’est salé. Ça craque sous les dents. Impossible d’identifier l’aliment.
La machine activée par la femme continue de bourdonner puis se remet à sonner. Il sursaute à nouveau. Melinda sort un récipient fumant de l’appareil, puis deux assiettes. À l’aide d’une cuillère, elle partage l’étrange plat dans son écrin noir. Sblotch. C’est chaud, il semble y avoir des morceaux de viande en sauce parmis des choses longues et pâles.
— Allez-y, mangez, c’est seulement des pâtes, lui lance la Fripouille en en brandissant une, qui pend mollement au bout de sa fourchette, avant de l’enfourner en démonstration.
Godefroy suit l’exemple. Ce n’est pas mauvais et il est affamé. Il engloutit la pitance tout en écoutant son écuyer s’entretenir avec leur hôtesse dans cette langue à laquelle il n’entend rien. De temps à autre, Jacquouille prend la peine de lui traduire des bribes et des questions.
Une heure du matin sonne à la pendule. Un vent glacé parcourt la maison et les spectres envahissent la cuisine. Leurs visages défaits manifestent de la peur. Ils s’aglutinent, toujours plus nombreux, autour des vivants. Une plainte se fait entendre.
— Il arrive… Il arrive. Il veut asservir le monde pour l’éternité… !
— Qui ? questionne Melinda mais les morts disparaissent brutalement dans un cri d’épouvante.
Les trois vivants se regardent. La peur les lie. La fatigue aussi.
— La nuit porte conseil. Je vais vous installer de quoi vous reposer et nous en reparlerons demain.
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Les traits sont tirés au petit déjeuner. Les rêves ont été troublés par un chant lugubre psalmodié à travers les siècles :
“Un mauvais dieu dort dans les catacombes
Encore une heure ou deux pour pouvoir posséder le monde
Un mauvais dieu dort dans les catacombes
Les druides l'avaient enfermé dans le royaume des ombres”*
Jacquart chante de sa voix éraillée et traduit les paroles pour Melinda, qui lui a confirmé qu’elle aussi à fait ce même songe hanté par une entité sombre et menaçante.
Un spectre fait une apparition timide et souffle :
— C’est lui… un dieu sombre des âges anciens, enfermé six pieds sous terre par l’ordre sacré des druides de la tribu de Dana… La prophétie annonçait qu’il ressurgirait à l’aube du deuxième millénaire. J’ignore ce qui l’en a empêché mais maintenant il est sur le point de se défaire de ses chaînes pour dominer le monde. Un groupe de musique dans le pays d’origine de Jacquart a annoncé son retour il y a quelques années.
À cette mention, Jim lève le nez de son thé et s’exclame :
— Mais oui, je me disais bien que cette mélodie m’était familière, tu te souviens du groupe de musique rap-celtique dont je t’avais parlé, Manau ?
— Vaguement...
— Il faudrait consulter internet pour trouver et traduire l’entièreté des paroles de leur chanson, qu’on sache précisément à quoi tu as affaire.
Melinda n’est pas ravie à cette perspective. Elle est de loin plus à l’aise avec les vieux livres poussiéreux que derrière un clavier mais peut-être Andrea pourra-t-elle l’aider. Elle décide d’emmener le drôle de duo à la boutique.
Jacquart est heureux de respirer l’air pur de son époque, bien que ça lui ait fait un choc d’apprendre que plus d’une décennie s’est déjà écoulée depuis son départ forcé dans le passé. Il se refuse à penser à son ancêtre qui se vautre dans son château avec Dame Ginette pendant que lui pataugeait dans la fange pour Montmirail.
Ce dernier reste fasciné par tout ce qu’il voit et ce pourrait être drôle, s’il n’attirait pas autant l’attention sur leur trio. Jacquart le rattrappe de justesse alors qu’il manque de se jeter sous les roues d’une voiture, trop occupé à admirer un Père Noël géant motorisé.
— Faites attention ! Je vous rappelle que si vous vous faites tuer ici vos descendants n’existeront pas.
Le concept semble étranger au comte qui n’a évidemment jamais vu Retour vers le futur; contrairement à Jacquart, qui mesure malheureusement les risques.
Ils entrent dans la boutique à la suite de Melinda. L’ambiance est cosy et chaleureuse, illuminée par les décorations de saison. Une femme est en train de disposer des bibelots sur une étagère. Melinda et elle s’enlacent un instant puis la plus pâle des deux présente la seconde aux deux hommes. Elle lui explique brièvement la situation, demandant à son amie de bien vouloir se renseigner sur la chanson prophétique.
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Après l’orage de la veille, c’est une véritable tempête de neige qui s’est abattue sur la ville. La poudreuse s’amoncelle, interdisant toute sortie aux habitants de la maison des Gordon et à leurs invités. Même les fantômes semblent grelotter. Rassemblés près de la cheminée, les vivants étudient les textes profanes et sacrés. Melinda a déniché un vieux grimoire relatant l’histoire de la tribu de Dana et de ses druides. Il semblerait que les Muses aient œuvré pour que leurs mots, concernant la mise au ban d’un dieu sombre, reviennent dans le présent.
Melinda pose sa tasse de thé et relit une nouvelle fois la traduction du chant et celle du texte en gaélique qu’elle à sous les yeux. Cela semble concorder. Mais comment empêcher ce monstre de conquérir le monde ? Il semblerait que la réponse se trouve dans les catacombes du passé. Sur une page du manuscrit, un symbole attire son attention. Un pentacle associé à des runes. Les innombrables fantômes s’agitent à la vue de la gravure, ils frémissent de peur et d’excitation.
— La clef, c’est la clef, répètent-ils d’une voix blanche.
Andrea échange un regard avec Melinda :
— Je n’aime pas du tout ça mais je pense qu’il faut que tu traces ce portail pour aller dans le passé renforcer le sceau qui enferme ce mauvais dieu. J’imagine que tes invités doivent t’y accompagner, chacun doit avoir un rôle à jouer.
— Nombre d’entre nous vous suivrons. Vous aurez besoin de beaucoup de lumière pour affronter l’obscurité. Ce sera notre occasion de nous racheter et de gagner la paix.
Les autres fantômes hochent la tête en signe d’approbation. Andrea termine de traduire le rituel et aide à rassembler les éléments nécessaires. Godefroy, ravi d’avoir pu revêtir à nouveau son armure, fait coulisser sa lourde épée dans son fourreau. Enfin il va retourner dans son élément et faire ce qu’il fait le mieux : mettre sa lame au service des plus faibles.
Jacquart, dans ses oripeaux malodorants, affiche un air renfrogné. Il sait qu’il est condamné à retourner au Moyen-Âge. La seule chose qui le réconforte un tant soit peu est de se dire que s’il a existé dans le présent, c’est que lui ou Jacquouille a des descendants dans le passé. L’amour d’une gueuse l’attend probablement.
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Jim regarde sa femme qui fait face au pentacle qu’elle a tracé à même le sol de leur salon. Des runes l’entourent. Une bougie est allumée à l'extrémité de chaque branche et des cristaux ont été répartis tout autour du cercle au cœur duquel se trouve l’étoile. Melinda contourne le symbole pour venir déposer un chaste baiser sur ses lèvres. Il déteste la voir prendre des risques de la sorte mais elle ne lui laisse pas le choix.
Melinda, Jacquart et Godefroy s’attrapent par les mains. La bourrasque s’accentue, formant un maelstrom autour d’eux, dans un cliquetis de décorations de Noël malmenées. Une lumière blanche émane du sol jusqu’à aveugler Jim et Andrea. Quand ils retrouvent l’usage de la vue, Melinda et les voyageurs du temps ont disparu. Il ne reste plus que le symbole et les bougies éteintes.
— Et maintenant ? demande Jim en frissonnant, le cœur serré d’appréhension.
— On attend…
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L’obscurité semble palpable. L’air sent le renfermé. Melinda serre plus fort les mains chaudes de ses compagnons. L’ambiance est si lourde et étrange que la présence des spectres lui est presque rassurante. Ils s’amassent autour d’eux, toujours plus nombreux, et commencent à émettre une faible lueur. Les catacombes se révèlent petit à petit avec, en leur centre, un sarcophage d’obsidienne noire gravé de runes. La tombe scellée de leur ennemi.
Des coups sourds et des grattement émergent de sous la pierre. Chevaleresque, Godefroy dégaine son épée et s’approche prudemment de la sépulture. Les coups s’accentuent. Jacquart claque des dents quand il voit le couvercle du sarcophage commencer à se fendre sous les assauts furieux. Une voix d’épouvante hurle là-dessous et les fantômes poussent des cris lugubres.
— Il ne doit pas sortir !
— Engeance du démon, tu ne passeras pas ! hurle Godefroy pour se donner du courage.
La fissure s’allonge, la stèle cède dans un craquement sinistre. Le comte de Montmirail reste là, campé sur ses jambes, prêt à abattre son épée sur ce qui va sortir. La silhouette sombre se faufile comme une ombre par l'interstice.
— Melinda ! crient d’une seule voix les âmes sans repos.
La jeune femme tend devant elle le cristal qu’elle porte en pendentif en récitant, d’une voix claire mais tremblante, la formule apprise plus tôt dans la journée. Les âmes des druides de la tribu de Dana s’expriment par sa bouche, accompagnées par celles de tous les errants. La créature d’horreur se met à feuler, puis à hurler tandis que le minéral s’illumine et emplit d’une clarté pure chaque recoin des catacombes. L’épée de Godefroy catalyse cette lumière sur l’ombre maléfique. Le hurlement strident du démon qui convulse oblige les humains à se couvrir les oreilles. Melinda est incapable de continuer de psalmodier mais les fantômes le font pour elle. Le sombre dieu maléfique disparaît. La lumière envahit tout. Le silence mortel s’abat quand l’obscurité retrouve subitement ses droits.
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Jim fait les cent pas dans le salon tandis qu’Andrea boit une nouvelle tasse de thé. Cela ne fait qu’une quinzaine de minutes que Melinda et les voyageurs du temps se sont volatilisés mais cela leur paraît une éternité. Un flash soudain les oblige à fermer les yeux. Quand ils les rouvrent, la silhouette inanimée de Melinda gît au milieu du pentacle. Jim se précipite pour prendre son pouls et lâche un soupir de soulagement. Elle est en vie.
Elle bat des cils, ouvre ses grands yeux bruns et lui sourit. Il l’embrasse.
— On a réussi, lui souffle-t-elle.
— Où sont passé Godefroy et Jacquart ? demande Andrea.
— J’imagine qu’ils sont retournés d’où ils venaient…
— Et pour les esprits ? chuchote Jim.
— Ils ont pu rejoindre la lumière.
— Alors tout est bien qui finit bien.
— Comme toujours, mon amour.
(Enfin, c’est ce que vous expliquerez à ce pauvre gueux de Jacquart qui patauge dans la fange avec les porcs, bien loin du confort de son époque).
FIN