Mythologie au rendez-vous
Chapitre 9 : Guérison et Retour à Vladivostok
5526 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 28/11/2023 17:04
Athéna, refoulant ses larmes, se tournant vers l'esprit errant et les mortels, réunis autour d'elle, ordonne au régiment :
— Il faut que nous trouvons la plante dite Elanor et la fleur de fougère. Et j'essayerai de savoir l'identité de la mystérieuse déesse. Je sais où trouver la fleur de fougère, mais j'ignore tout de la première ? Quelqu'un a une idée où peut être cette mystérieuse plante ?
— J'ai lu le nom de cette plante, l'Elanor, chuchote timidement Richard Payne, dans un roman de fiction. Plus exactement dans le roman Le Seigneur des anneaux de Tolkien. Cette plante a une forme d'étoile de couleur jaune et fleurit à l'hiver. Son nom signifie, dans la langue inventée de l'auteur, « étoile-soleil »... Mais je suggère de trouver une plante hivernale dans notre monde... Laissez-moi le temps de réfléchir...
Le professeur d'Anthropologie fait les cent pas dans la chambre d'hôtel pendant quelques minutes, avant de s'écrier, réveillant Arès.
— ... J'ai trouvé ! L'hellébore, le sarcococca, le perce-neige ou la clématite.
— C'est noté, commente Athéna. Merci monsieur le professeur de votre aide, mais veuillez ne pas crier ainsi, vous venez de réveiller mon collègue.
— Désolé, chuchote Richard Payne.
— Qui m'a sorti de mon rêve ? s'offusque Arès, ouvrant péniblement les yeux encore sous l'effet du sommeil,... C'était tellement irréel... tellement beau et impossible... Au moins, ce n'est pas un cauchemar... Atropos, pourquoi es-tu si inflexible et cruelle ? Pourquoi ne mettez-vous pas fin à ma pauvre vie ? Chiron a bien donné son immortalité à Prométhée... à qui pourrais-je donner la mienne ? Mon amour est déjà immortelle... À qui ?
Athéna s'approche doucement de son collègue lui chante une berceuse pour le calmer. Le terrible dieu ferme les yeux au son de sa voix, heureux d'entendre la voix apaisante de la déesse qui fait battre son cœur immortel. Les mortels et Ivan Petrovich sont sincèrement émus de la situation, profondément touchés en leur âme de son instinct maternel et du sommeil enfantin du dieu.
Après quelques minutes de silence, moment où seul le ronflement léger du dieu se fait entendre — ronflement aussi doux que le ronronnement d'un chat, la discussion reprend entre l'unité.
— Mais, demande Élie James, perplexe, comment pouvons-nous connaître l'identité de la déesse ? Surtout que tout se complexifie lorsque des déesses d'autres mythologies peuvent être concernées.
— Je ne le sais pas, ajoute sincèrement avec une pointe d'inquiétude dans la voix la déesse aux yeux pers. Mais revenons avec les plantes... Laquelle est la meilleure candidate qui correspond à l'Elanor ? ... Je dirai l'hellébore, parce qu'il a cinq pétales, et donc une forme étoilée, et qu'une sous-espèce a la couleur jaune-vert, l'hercegovinus, qui pousse au Monténégro et en Herzégovine. Excellent ! Nous savons maintenant les deux plantes à récupérer, à savoir l'hellébore en Bosnie et la fleur de fougère.
— Excusez-moi de vous interrompre Athéna, ajoute le professeur d'Anthropologie. Mais la fleur de fougère, si ma mémoire ne me fait pas défaut, est une fleur légendaire du folklore de l'Europe de l'Est, des Slaves et des pays baltes, qui fleurit une fois l'an, plus précisément au solstice d'été. Il faudrait attendre le 21 juin prochain pour la cueillir.
— Vous avez malheureusement raison, s'énerve la déesse en pensant que son cher collègue devra encore être dans une douleur insoutenable jusqu'en juin. Mais ne perdons pas notre temps, il faut trouver la déesse qui doit le guérir. Nous avons neuf mois pour la trouver.
— Mais comment connaître son identité ? interroge Jim.
— Bonne question, réplique Élie James.
— Simple, suggère Mélinda, Ivan Petrovich, lorsque le dieu sera conscient et réveillé, pouvez-vous lui demander l'identité de la déesse ?
— Je peux essayer, mais aucun garanti que la mission réussisse.
— Essayez, s'il vous plait. Vous ignorez comment nous gagnerons du temps.
L'esprit militaire opine du chef.
— Pour revenir avec les plantes, demande le mari de la chuchoteuse d'esprits, elles sont inexistantes, donc comment les trouver ? Sauf l'hellébore, si l'interprétation est exacte.
La déesse, sourire mystérieux au visage, regard encore plus brillant que d'habitude, réplique posément :
— Je le sais bien que la fleur de fougère n'est pas réelle, au sens où vous l'entendez, Monsieur Clancy, mais elle existe à un endroit précis et est fort recherchée pour certains rituels.
Les mortels, confus, échangent un regard interrogateur, ne comprenant pas le propos énigmatique.
— Pensez-vous à la Kupala ? murmure Richard Payne.
L'être immortel opine du chef, toujours son sourire énigmatique au visage. Les mortels laissent la déesse veiller sur son collègue le temps qu'ils font les diverses commissions et promenades.
Deux heures plus tard, Athéna, en civil, dans une ample robe verte avec un gilet vert foncé par-dessus, toujours aux côtés de son collègue inconscient, assise sur une chaise en bois, lui tenant la main pour vérifier son pouls, sourit en le voyant ouvrir les yeux. Elle lâche sa main et lui demande amicalement :
— Arès, mon vieux collègue, as-tu faim ?
— Non, disons que je sors d'un rêve où l'impossible devient possible. Je ne veux qu'un peu de nectar.
Il se redresse faiblement. Sa collègue lui prend gentiment la main, comme une mère pour son enfant, et le force à revenir doucement dans le lit pour ne pas gaspiller ses forces inutilement. Elle lui murmure maternellement :
— Arès, tu ne peux pas te fatiguer maintenant. Attend un peu que je te donne ton verre.
La déesse se lève, ne percevant pas le sourire du dieu qui pense qu'elle serait une bonne mère, rempli un verre plein de nectar et revient s'assoir à côté de lui. Elle tient sa tête pour qu'il puisse avaler le précieux liquide d'immortalité sans grand effort et lui donne un peu à boire. À chaque gorgée, elle lance un regard interrogateur au dieu pour savoir s'il en veut encore. Ainsi, en dieu bien élevé qu'il est, il boit tout le verre de nectar. Celui-ci murmure, content et retrouvant un peu de ses couleurs, dans un souffle :
— Merci Athéna. Tu es très gentille de veiller sur moi... Savais-tu que tu pourras être une bonne mère ? Tes enfants seront particulièrement chéris et choyés.
Elle rougit, détournant son regard de lui, et bredouille :
— Quel... compliment bizarre, mon vieux collègue. Je... trouve bien particulier de mentionner à une déesse vierge... d'être une bonne mère... Moi qui n'ai jamais porté en mon sein, ni allaité, ni élevé un enfant suis qualifiée de mère... Moi qui n'a connu aucun homme, être mère, ironique, non ? Il faut que tu te reposes. Ne t'inquiètes pas, il nous faut seulement récupérer les plantes nécessaires, à savoir l'hellébore et la fleur de fougère, et de trouver la mystérieuse déesse que tu aimes et qui t'aime.
— Ne t'en fait pas de souci pour moi... Je veux mourir, parce que ma déesse ne m'aime pas de toute façon, impossible que je guérisse et j'ai l'impression d'être comme mort. Laisse-moi à ma douleur...
Le dieu serre les dents de la terrible blessure pour ne pas pousser un cri avant de se ressaisir et continuer à parler.
— ... Athéna, les mortels, notre protégé et Ivan Petrovich, sont-ils partis ? L'unité spéciale est-elle dissoute officiellement ?
— Non, l'unité spéciale existe toujours. Tout le monde s'active pour t'aider à te guérir, on se relaie à ton chevet, surtout Ivan Petrovich et moi. Je ne peux te laisser ainsi, mon collègue. Sinon, c'est absolument indigne de moi ! Ce serait un acte de traîtrise le plus lâche ! Une lâcheté innommable ! Immonde serait le mot pour un tel comportement, et j'ignore comment je pourrai vivre tranquille, sachant que je t'ai tué à petit feu... et que... je n'ai rien fait pour t'aider... alors que je le pouvais.
Elle sanglote et termine la dernière phrase entrecoupée de pleurs. Arès se redresse, malgré l'effort surhumain, la tenant entre ses bras, et la berce doucement pour la calmer. La déesse aux yeux pers, rassurée, se dégage de lui pour se lever et faire les cent pas dans la chambre avant de quitter la pièce, laissant la place à l'esprit errant.
Ce dernier salue militairement son chef et lui demande :
— Polkovnik, j'espère que vous allez mieux.
— Pour être honnête, pas du tout, grommèle-t-il. C'est douloureux. Seul le sommeil me sauve... Dans mes hallucinations, et non des rêves, je vois l'impossible... Me marier à ma déesse... murmure-t-il rêveusement. J'aimerai tellement que ce soit vrai.
Ivan Petrovich lance un regard interrogateur à son supérieur, trop gêné pour lui demander de développer plus sa pensée. Le dieu soupire, se redresse et s'assoit, après un effort surhumain, au bord du lit.
— Pour être honnête, je sais qu'il est impossible que je guérisse, ma déesse bien-aimée ne pourra jamais me guérir, elle ne m'aime pas... Malheureux, je le suis ! ... J'ignore ce que les Moires ont contre moi...
— Vous nous accusez, s'offusquent trois voix, vexées, à l'unisson, d'un malentendu auquel nous ne sommes responsables. Blâmez votre déesse et vous-même de votre situation !
Le dieu et l'esprit errant tournent leur tête vers les voix pour discerner les trois Moires, Clotho, Lachésis et Atropos, vêtues d'une ample robe vert avocat. Elles sont très élégantes et les vêtements leur donnent un air squelettique effrayant, combinés avec leurs sombres yeux noirs et leurs cheveux brun doré. Ce qui distingue les trois terribles sœurs sont leur taille et leur coiffure. La plus petite, Atropos, fait un mètre cinquante et a les cheveux relevés en un chignon. Lachésis est grande d'un mètre soixante-dix et a une queue à cheval. La plus grande, Clotho, fait un mètre quatre-vingt et garde ses cheveux en une tresse.
— Selon nous, murmure la plus petite des Moires, tenant deux fils d'or brillants entre les mains, il était prévu que vous soyez depuis longtemps mariés, mais vous deux, par vos choix, bouleversez notre plan... N'oubliez pas que le Destin vous rattrapera. Si votre déesse s'entête à ne pas vouloir vous guérir, c'est vous qui souffrez plus longtemps. J'espère que ce ne sera pas pour l'éternité, même si que ce n'est pas à exclure. Au revoir malheureux qui sera bientôt guéri, nous l'espérons. Rappelez-vous que nous ne nous ingérons pas dans vos vies, vous avez toujours le choix, nous planifions plusieurs scénarios et, selon vos décisions, vous fermez certaines possibilités et en gardez d'autres. Et, malheureusement pour vous deux, vous avez choisi l'option la plus difficile. Mais, soyez rassuré, vous n'êtes nullement destiné à mourir bientôt. Bonne chance !
Sur ces mots, les trois sœurs disparaissent de la chambre. Arès fixe le vide, les yeux écarquillés de peur, peur qu'Athéna ne veuille pas le guérir ou qu'elle le fasse lorsqu'il est trop tard. Simultanément à sa peur, il est frappé d'étonnement. Étonné, ébahi et un peu fâché d'apprendre des Moires qu'Athéna l'aimait toutes ces années. Son refus lui devient alors encore plus obscur, il est perplexe de l'attitude de sa collègue. Le militaire soviétique, confus de la situation, promène son regard entre le coin où sont apparues les Moires et Arès pendant quelques minutes avant de se racler la gorge et murmurer :
— Polkovnik, si je ne suis pas indiscret, je suis bien intrigué de connaître qui est l'heureuse déesse qui semble vous aimer et que vous aimez ?
Le dieu de la Guerre cesse de fixer le vide, tourne son regard, rempli d'une tristesse et d'une nostalgie vertigineuses même pour l'esprit errant qui s'est habitué en côtoyant autant d'années les dieux, et lui répond amèrement :
— Ma chère déesse que j'aime avait refusé mes avances à l'époque. C'était en 1794. J'étais sérieux, malgré que nous soutenions des positions opposées. Elle ne m'a pas cru lorsque je lui avais dit que, si nous sommes ensemble, nous ne nous mêlerons pas de cette sinistre histoire de Révolution et partirons dans un autre pays. Son refus me blessa directement au cœur, depuis je l'évitais et je la revois depuis quelques années maintenant, en lui jouant la comédie de ne pas l'aimer. Alors la nouvelle des Moires m'étonne. Ma bien-aimée déesse n'était pas insensible, j'ai un espoir de guérir.
— Qui est-ce ? insiste, curieux, Ivan Petrovich.
Le dieu soupire, prend une gorgée de nectar resté sur la table de nuit et murmure, sourire ironique aux lèvres :
— Vous êtes comique Ivan Petrovich. Je vous laisse deviner. Je n'ai pas de raison de tout vous dire.
— Athéna ? essaie-t-il, hésitant.
— Vous être trop perspicace, s'étonne le dieu. Je pense que j'irai dormir pour moins ressentir la douleur insoutenable. Bonne nuit Ivan Petrovich.
Le dieu salue militairement l'esprit et s'allonge dans le lit, fermant ses yeux sombres immortels, action rarement exécutée en toutes ces années de sa vie. Ivan Petrovich veille sur son supérieur et sourit en voyant sa protectrice prendre la relève au chevet du malade.
Soudainement, Apollon se présente dans la chambre d'hôtel des dieux, salue Athéna qui veille sur le dieu malade depuis quatre heures et l'informe joyeusement :
— Est-ce la fleur de fougère qu'il vous faut ? J'ai trouvé un moyen pour accélérer sa floraison et je vous la donne.
Il sort d'une poche interne de sa veste un petit flacon rempli de nectar dans lequel flotte une fleur blanche. La fameuse et très mystérieuse fleur de fougère qu'il a trouvé en allant chez les Hyperboréens. L'Olympienne, émue de cette solidarité, prend le flacon et le dépose à côté de l'autre flacon destiné à l'hellébore. Elle chuchote, dans un souffle :
— Merci beaucoup Apollon. Votre aide est très appréciée. Il ne reste qu'à trouver l'hellébore et la déesse.
Le dieu de la Lumière et des Arts affiche un sourire narquois à l'Olympienne et affirme :
— Je connais l'identité de la déesse... C'est tellement évident. Vous la savez, mais je ne vous donnerais pas d'indices. Sachez que la déesse est quelqu'un que vous connaissez et avez maintes fois vu au cours de votre existence... Tellement près et tellement loin en même temps... Sur ces jolis mots, je vous quitte.
Le dieu s'envole sous la forme d'un magnifique cygne blanc. La protectrice d'Athènes soupire, exaspérée de la devinette.
Le lendemain matin, Athéna convoque l'unité spéciale dans la chambre d'hôtel des dieux pour les informer de leur mission. Elle ordonne au régiment :
— Mortels et esprit, j'ai une importante mission pour vous. Richard Payne, Élie James, Aglaé Ionatros-James, Jim Clancy et Mélinda Gordon-Clancy et Ivan Petrovich, vous allez en Bosnie trouver quelques fleurs de l'hellébore dans les montagnes. Ces fleurs, vous les déposerez dans ce flacon...
Elle donne à son protégé le flacon de nectar.
— ... Ce flacon contient du nectar divin qui permet de préserver la fraîcheur des plantes. Et Ivan Petrovich sera votre messager, en cas de doute ou de danger, envoyez-le à moi. Je continue à veiller mon collègue, tout en essayant de trouver l'identité de la mystérieuse déesse.
Les mortels et l'esprit errant opinent du chef et font un salut militaire à la déesse. Cette dernière appelle Zeus. Le chef des Olympiens arrive, avec sa femme, dans un jet privé. Sourire radieux au visage, avec ses mêmes yeux bleus électriques intemporels, son uniforme, ses cheveux bruns parsemés de quelques cheveux argentés, il ordonne aux Néphélés d'amener les bagages à bord et invite l'unité spéciale à embarquer. Trois heures plus tard, l'avion atterrit près de la montagne Grmeč, au Nord-Ouest de la Bosnie-Herzégovine.
Les deux couples et le professeur d'Anthropologie marchent deux heures dans la montagne et dans la forêt, admirant la beauté du paysage, la belle verdure des collines et, en contre-bas, les rivières bleues et les villages qui scintillent au soleil, donnant l'illusion d'être dans un conte de fée, avant de rencontrer une âme errante. Mélinda, faisant un signe à son mari de la présence d'une entité proche d'eux, s'arrête et l'observe. Un homme vêtu d'un complet bleu marine, une chemise blanche et des souliers noirs, aux yeux bruns et aux cheveux de même couleur, âgé de trente ans, son unique bijou est une alliance d'or et un trou immense autour du cœur et du sang séché un peu partout sur le costume. Mort assassiné, pense la femme, parcourue d'un frisson. La jeune mère, ramassant son courage, l'interpelle :
— Qui êtes-vous ?
L'esprit, étonné, sursaute et répond en serbe :
— Vous me voyez... Je ne m'attendais pas... Je suis Milan Popovič, avocat de formation, mort deux mois plus tôt.
— Que faites-vous ici ?
— Je vous attendais pour vous guider jusqu'à l'hellébore sans que vous tombiez dans les pièges de nos ennemis.
— Que voulez-vous dire ?
— C'est simple, je suis mort tué par un agent de Morana... Je savais trop d'informations... Ne vous inquiétez pas pour cet homme, mon assassin, il ne peut plus nuire à quiconque. Mais je sais qu'un guet-apens est sur le chemin là-bas qui mène au point le plus haut, le Crni vrh (ou le pic noir).
Il indique un chemin loin devant eux.
— Le dragon Ladon et des Harpies vous guettent... Mais si vous prenez ce chemin-ci qui mène jusqu'à la ville de Ključ.
Il leur indique le chemin qui tourne à droite un peu plus loin.
— ... Aucun danger. Tout ira aisément et sans encombre. Je le sais, puisque depuis deux mois que j'erre, j'ai constaté la présence trop accrue des êtres mythologiques et folkloriques dans la région. J'avais une vague intuition que je devrai rester pour avertir celui qui me verra... Et c'est vous.
— Merci beaucoup, murmure Mélinda, très étonnée.
Elle fait un signe aux autres mortels de la suivre. Ainsi le régiment prend la voie de droite et cueille quelques fleurs d'hellébore sans danger, sans être attaqué. Une fois l'unité de retour dans le jet privé, Milan Popovič se manifeste à la droite de la chuchoteuse d'esprits et l'informe :
— Maintenant, je peux comparaître devant Dieu, l'âme en paix. Qu'Il vous protège et guide vos pas. Cette Lumière divine et cette merveille angélique sont pour moi, n'est-ce pas ?
Elle opine du chef, émue, une larme dans le coin des yeux.
— Alors au revoir. J'ai accompli ma mission.
Il se tourne vers Ivan Petrovich et lui demande poliment:
— Voulez-vous vous aussi venir dans cette Lumière ?
— Pas maintenant, je suis encore en mission spéciale, mais j'irai bientôt. Au revoir, mon frère par la foi orthodoxe.
L'esprit errant, hoche la tête pour signifier au militaire soviétique qu'il a compris sa réponse, avance de quelques pas, le visage illuminé d'une lumière surnaturelle, heureux, embarque dans la Lumière, quittant définitivement le monde des vivants. Élie James commente à la chuchoteuse d'esprits :
— Mélinda Gordon, je dois vous avouer que je n'ai rien compris de ce qu'a dit cet esprit errant. Heureusement que vous êtes bénie pour comprendre toutes les langues.
— Vous avez raison.
Et l'unité spéciale revienne à Corinthe en deux heures.
En arrivant dans la chambre d'hôtel des dieux, les mortels sourient à la scène qui se présente sous leurs yeux. La déesse, debout, aide le dieu à s'assoir confortablement sans le fatiguer inutilement et cherche un peu de nectar et d'ambroisie, le nourrissant et l'hydratant à petite gorgée, très attentive au moindre réaction du dieu, comme une épouse pour son mari, et le rassure à intervalles réguliers par des mots apaisants et doux. Une fois le dieu endormi au son de la belle voix d'Athéna, les mortels captent son attention. Celle-ci, contente que la mission du régiment spécial soit en toute sécurité, mais aussi étonnée de leur rapidité à revenir dans la ville grecque, en moins de douze heures, les accueille chaleureusement dans la chambre d'hôtel. Après s'être informée de la réussite de leur mission, elle demande d'une voix à peine audible pour les mortels :
— Nous avons tous les éléments nécessaires à la guérison de mon collègue, il ne manque que nous trouvons la déesse qui doit administrer ces soins. Mais quelle déesse pourrait être l'heureuse immortelle qu'Arès aime ? réfléchit à voix haute la déesse aux yeux pers, très intriguée, faisant les cent pas dans la pièce d'un pas feutré.
— J'ai une piste, informe Ivan Petrovich. La déesse qu'il aime à la folie l'avait refusé il y a longtemps, mais il ne peut en aimer une autre. Celle-ci n'est pas mariée et est vierge. D'ailleurs, les Moires elles-mêmes ont informé le dieu qu'il est destiné à être avec sa déesse, mais, à cause de choix complexe de cette déesse plusieurs siècles plus tôt, il doit passer par la plus cruelle des options.
— D'ailleurs, précise froidement Athéna pour camoufler sa jalousie, lors de notre soirée en tête-à-tête à Corinthe, il m'avait avoué aimer une déesse qu'il trouve belle, charmante et intelligente, pour le citer, depuis plusieurs siècles, mais qu'elle est inaccessible pour lui. Et il lui demeure fidèle, il n'a pas amorcé d'aventures. Je suis bien intriguée de connaître cette femme qui le change ainsi, surtout lorsque nous savons la réputation de coureur de jupons qu'il avait. Et au moment où je voulais savoir si cette déesse était inaccessible parce qu'elle était déjà en couple ou parce qu'elle le refusa, il n'a pas voulu me répondre. Mais au moins je sais que la déesse l'avait refusé... Il y a deux raisons à un refus d'une femme pour un homme, soit elle ne l'aime pas, elle aime un autre, soit elle a déjà un amant ou un mari... On n'avance pas loin. La seule certitude est que deux déesses sont à éliminer de la liste, à savoir Amaterasu et Baduhenna, ou Freyja... Aussi, Apollon m'a confié que la solution est simple, évidente, une déesse que j'ai rencontré au cours de ma vie, mais laquelle ? ... L'une des candidates pourraient être son ancienne maîtresse, Aphrodite,... Sinon, ce peut être Isthar ou Lada... ou Eir... Toutes des déesses que j'ai rencontré au cours de mes voyages...
— Désolée de l'indiscrétion et de vous interrompre dans votre réflexion, demande poliment Mélinda, attirant son attention, mais Athéna, je ne comprends pas pourquoi vous n'essayez pas de le guérir avec l'hellébore et la fleur de fougère, n'avez-vous pas pitié d'Arès ? Rien ne vous empêche d'aider votre collègue ?
La déesse baisse les yeux sur le dieu, rougissante, ses mains tremblent un peu et réplique posément, mais la question sort amèrement de ses lèvres :
— Comment puis-je l'aider si je ne suis pas la déesse qu'il aime ?
— Mais l'aimez-vous ? demande sérieusement Jim en la fixant de ses yeux bleus, la gênant. Elle soutient néanmoins le regard de l'ambulancier qui cesse de la fixer, ne pouvant plus supporter la tristesse vertigineuse qui miroite dans ses yeux immortels. Je dirai que vous l'aimez en notant la manière que vous vous occupez de lui. Vous me faites penser à mon aide envers ma femme et vous présentez la même inquiétude que ma femme lorsque j'étais à l'hôpital. À la différence que vous ne vous êtes pas endormie sur Arès. Mais vous prodiguez les mêmes soins, avec le même souci, avec la même inquiétude et la même attention.
— Et, ajoute le protégé des dieux de la Guerre, votre comédie du couple me semblait trop honnête. Et il est exact vous ne pouvez pas être plus près de vous-mêmes que vous ne l'êtes, non ? Solution simple.
La déesse détourne son regard sur le dieu agonisant et soupire. Elle murmure :
— Très bien, j'essaierai, mais aucune certitude de réussite. Je n'ai rien à perdre.
Les mortels et Ivan Petrovich sortent de la chambre pour laisser la déesse seule s'occuper du dieu. Richard Payne, curieux, regarde néanmoins par la serrure pour savoir ce qui se passe.
La déesse aux yeux pers sort l'hellébore et la fleur de fougère de leur bain de nectar qui préserve leur fraîcheur et s'assoit sur le bord du lit. Versant quelques larmes de tristesse, d'une main tremblante, inspirant et expirant plusieurs fois avant de passer à l'action, elle frotte les bras, le torse et le dos du dieu, très angoissée d'échouer. Elle répète plus fois le procédé et murmure pour elle-même :
— Arès, s'il te plaît, mon amour, réveille-toi. J'espère que ta douleur disparaîtra, mon vieux. Il faut que tu te rétablisses, mon Arès chéri.
Allongée sur le dieu, elle glisse ses bras autour de son cou, malgré sa gêne d'être si près de lui, pour frotter dans le creux et le sommet de son dos avec une feuille et une fleur des plantes, à l'endroit où le coup perfide de Baduhenna a atteint sa chair. Frottant son dos avec la plante, la déesse n'a pas remarqué, trop perdue dans ses tristes ruminations, qu'Arès s'est réveillé. Celui-ci l'enlace amoureusement, et lui murmure à l'oreille:
— Merci, ma Athéna aux yeux de chouette.
La déesse, rougissante, étonnée, le souffle court, les joues en feu, se dégage de son étreinte, mais en vain, et lui demande, à quelques centimètres de son visage divin :
— Ne te moques-tu pas de moi ?
— Non, sinon je ne pourrai être délivré du coup perfide de la salope allemande.
La déesse de la Guerre et de la Sagesse, libérée des bras forts de son collègue, s'assoit à côté de lui et lui demande, les yeux baissés :
— Donc, lors de la Terreur, tu étais sérieux et ta comédie pour chasser Tyr n'en était pas une.
— Exactement. Disons que c'est plutôt toi, ma chère collègue bien-aimée, belle, intelligente et charmante, qui doit me clarifier ton refus lors de la Révolution. Si tu m'aimais, pourquoi refuser ma suggestion de partir dans un autre pays et ne plus se mêler de cette satanée révolution ? N'oublie pas que tes mots m'ont profondément blessés et je t'étais fidèle malgré tout... Ce n'est pas une réponse rationnelle de ta part, Athéna aux yeux de chouette, que de me refuser, alors que notre amour était mutuel.
La déesse lâche une larme de joie et de tristesse, tenant la main du dieu entre les siennes, lui répond, émue :
— À l'époque, je doutais de l'honnêteté de tes sentiments, je pensais que tu ne voulais qu'une aventure, et que tu n'étais pas sérieux lorsque tu m'avais proposé de fuir la France pour ne plus se battre. Je pensais que c'était un piège pour que tu viennes dans mon lit et m'abandonnes quelques années plus tard, et je devais te refuser, sinon je mettais la vie de mon protégé en danger. Le choix était déchirant. À l'époque, j'optai pour ce qui me semblait le meilleur... mais, pour être honnête, depuis un siècle, j'ai amèrement regretté. Lorsque je t'ai revu en 1941, pour défendre la Russie, j'étais secrètement contente, mais ma joie tomba vite lorsque tu montrais une mine très sérieuse et professionnelle, je pensais que tu ne m'aimais jamais et que tu avais une autre déesse en ton cœur.
Arès lui sourit faiblement et commente ironiquement :
— Quel stupide malentendu ! Mais il n'est jamais tard. Merci Athéna de ne pas t'être trop entêtée, sinon j'aurai encore été dans de terribles souffrances. Dans deux jours, je serai de retour sur mes pieds et en forme. Nous rentrons à Vladivostok. Enfin ! Je te ferai la cour comme il se doit.
— Mais repose-toi maintenant ! Ne te fatigue pas à vouloir m'impressionner, lui ordonne la déesse d'un ton maternel en riant avant de se lever pour annoncer la nouvelle de leur prochain départ pour la Russie.
Athéna hurle de joie, rayonnante de bonheur, aveuglant presque les mortels qui sortent leurs lunettes solaires, en ouvrant la porte :
— Unité spéciale, j'ai une nouvelle de première importance à vous communiquer ! Dans trois jours, nous serons de retour à Vladivostok !
Les mortels et le militaire soviétique, ravis que leur chef va mieux, s'échangent un regard entendu. Athéna leur affirme énigmatiquement :
— N'oubliez pas que je lis vos pensées et vous n'avez pas tort. Je vous remercie d'aider Arès... Je dois reconnaître que je n'aurai jamais essayé sans vous. Vous ignorez quel immense poids n'est plus sur mon âme. Merci infiniment Mélinda Gordon-Clancy, Jim Clancy, Élie James et Ivan Petrovich.
Elle s'approche des mortels et de l'esprit errant et leur donne un câlin maternel, très émue en son âme de la tournure des évènements. Elle se relève pour laisser les mortels entrer dans la chambre.
Une fois qu'ils sont passés, la déesse, contente, sourit à son collègue et lui murmure :
— Arès, j'ai l'impression que tu es le père de notre régiment, tellement ces mortels et cet esprit tiennent à toi.
— Si je suis leur père, alors tu es leur mère, Athéna aux yeux de chouette, lui réplique-t-il ironiquement.
Le dieu se relève du lit, étire ses bras et ses jambes ankylosés par son sommeil et sourit à sa collègue, et bientôt épouse pense-t-il. Sa joie d'être parmi les vivants est indescriptible, lui qui avait peur d'être mort. Elle aussi est euphorique à l'idée qu'Arès soit guéri et qu'il l'aime et lui soit fidèle, malgré leur mécompréhension réciproque pendant autant d'années. Le couple de dieux, l'un à côté de l'autre, savoure leur proximité pendant deux heures sans échanger un mot.
Deux jours plus tard, Arès, complètement rétabli, ravi que sa déesse soit optimiste et rayonnante de joie, conduit un avion militaire pour amener l'unité spéciale à Vladivostok. Le dieu de la Guerre demande aux mortels, un peu avant l'atterrissage :
— Mesdames et messieurs, puisque le procès de Dionysos est déjà réglé, alors je peux directement vous laisser à votre destination finale. Veuillez me préciser un détail s'il vous plaît, vivez-vous tous aux États-Unis, à Grandview ?
— Oui, répondent Jim, Mélinda et le professeur d'Anthropologie.
— Oui, mais je pense déménager en Grèce, à Messène avec mon épouse, renchérit Élie James.
— Très bien, approuve le dieu. Alors nous allons à Grandview. Pour la famille Clancy et Richard Payne, le voyage se termine et, pour mon protégé, ce n'est qu'une escale avant de revenir aux pays des Dieux.
Tous les mortels approuvent d'un geste de la tête.
Cinq heures plus tard, l'avion militaire est non loin de Grandview. Le dieu ne veut pas atterrir dans le jardin des Clancy pour ne pas attirer les regards des voisins trop curieux. Jim, Mélinda et le protégé d'Hermès sont étonnés et ravis de revenir enfin dans leur maison après autant d'aventures et de dangers. Élie James récupère ses bagages et vend l'appartement. Le protégé des dieux de la Guerre et son épouse partent à Messène.
Mélinda, bien contente de retrouver sa vie quotidienne et sa boutique d'antiquités — habitude et calme qu'elle n'a pas goûtés depuis longtemps —, s'étonne de ne pas voir Ivan Petrovich depuis son retour à Grandview, ni de savoir s'il est parti dans la Lumière, mais elle ne s'inquiète pas trop pour l'instant. Elle pense que les cas d'esprits errants ne peuvent jamais être aussi épiques et dangereux que de combattre des monstres mythologiques.
À suivre