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Chapitre 12 : Paix, crainte et autres histoires
4789 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 08/10/2023 21:32
Carl Neely, malgré les larmes qui lui viennent aux yeux et qui se déversent sur ses joues et la lourdeur dans sa poitrine, appelle, d'une voix et d'une main tremblantes, les urgences et des collègues. Une froide et sourde fureur l'envahit en voyant son frère, le meurtrier de son épouse. Il maîtrise Paul Neely, lui passant les menottes aux mains et lui attachant les pieds avec une corde. Seule l'énergie du désespoir, l'énergie d'un mari qui protège sa femme et sa famille à tout prix, lui permet de maîtriser ainsi son frère. Ce dernier s'étonne même de sa rapidité d'exécution, l'ayant pris au dépourvu... Tellement au dépourvu qu'il n'a pas eu le temps de réagir. Paul Neely n'a même pas osé réagir, de peur que son frère ne le tue dans sa colère.
Le détective se penche vers sa femme pour la réanimer. Il remarque des coups de couteau proche du coeur. Désespéré, il se tourne vers son âme et, éploré, la supplie d'une voix brisée :
— S'il te plaît, ... ma chère Hélène, ne me quitte pas si tôt...
Il ravale difficilement ses larmes, sa salive et sa tristesse. Il ressent un immense gouffre en son âme à l'idée de perdre sa femme. Cette dernière est non seulement son épouse, mère de leurs trois enfants, mère dévouée à sa famille, épouse qui s'occupe de la maisonnée, mais aussi et surtout son appui et son confident lorsque ses enquêtes au travail et ses enquêtes avec les esprits errants le fatiguent trop. Se souvenant des poèmes presqu'oubliés de son père lus il y a quelques années, le détective retient ses larmes et pense qu'il est sérieusement stupide de n'être pas plus prudent, mais il se promet, en son cœur et en son âme, de ne pas faillir pour leurs enfants.
L'un des poèmes paternels a annoncé la mort de sa femme à la suite d'une tentative d'homicide. Ce coup fatal a été le résultat d'un accord entre les espions pour avertir Carl Neely de ne pas mener des enquêtes sur des cas qui ne le concernent pas... Et pour le briser psychologiquement.
— ... Reviens... nos enfants, tu ne peux pas les laisser seuls... S'il te plaît... Pense à notre famille... Ne nous abandonne pas...
L'âme de son épouse, touchée par la sincérité de son mari, et pensant à ses enfants, revient rapidement dans son corps, sous une pluie de cris et de protestations des deux esprits errants des psychiatres. Ces derniers sont furieux que l'épouse soit de nouveau parmi les vivants, ils ont crié trop tôt victoire, mais ils ne s'annoncent pas si facilement vaincus... Et les psychiatres s'en vont.
Les urgences et les policiers sont arrivés en cinq minutes dans la maison. Hélène Popović-Neely est immédiatement amenée à l'hôpital et est entre les mains des médecins. Les frères Neely sont amenés au commissariat pour une interrogation serrée.
Deux heures plus tard, Paul Neely est jugé, considéré coupable de tentative d'homicide. Il est condamné à trente ans de réclusion criminelle.
Le lendemain matin, Carl Neely et les enfants du couple vont à l'hôpital s'informer de l'état de santé d'Hélène Popović-Neely. Les médecins informent le détective qu'elle ne fait que survivre avec difficulté depuis qu'elle est aux soins intensifs. Ils jugent son état tellement critique qu'ils doutent qu'elle soit vivante demain en après-midi. Cette nouvelle laisse le détective désemparé, déprimé et rongé de culpabilité. Il va au chevet de sa femme et l'observe, priant Dieu qu'elle aille mieux demain. La famille revient à la maison dans un silence complet. Un silence de mort. La mouche qui vole est un bruit tonitruant. Après le repas, le téléphone sonne, comme un coup de tonnerre, il retentit dans la maison et se fait entendre plusieurs fois. Carl Neely s'approche avec prudence du téléphone, voyant le numéro de l'Hôpital Mercy sur l'afficheur, ses mains deviennent moites, ses jambes tremblent, sa gorge se sèche, son cœur bat mille à la seconde. Il soulève l'appareil et demande d'une voix blanche, craignant le pire :
— Avez-vous des nouvelles d'Hélène Popović-Neely, mon épouse ?
— Oui, répond calmement la secrétaire...
— Sont-elles bonnes ou mauvaises ?
— Disons...
La secrétaire, hésitante, cherche à temporiser le moment d'annoncer le décès de sa femme au détective, ayant bien perçu combien il est affecté à tout ce qui peut lui arriver et combien il s'inquiète pour elle.
— ... Que trente minutes plus tôt les médecins et les infirmières ont tout essayé pour réanimer votre femme après l'opération, mais...
Et l'âme d'Hélène Popović-Neely se manifeste à la droite de son mari. Les yeux de ce dernier se sont agrandis de terreur et, des larmes lui viennent aux yeux. Il lâche le combiné d'un coup sec sous l'effet de l'émotion trop forte. Combiné qui demeure suspendu dans les airs, frappant le meuble plusieurs fois. Carl Neely, dos contre le mur en face du meuble, glisse ses jambes par terre, sans quitter des yeux sa femme, terrifié, les mains secouées de tremblements. Il murmure pour lui-même en russe qu'il doit être dans un cauchemar et non en état de veille.
— Monsieur Neely, ajoute la secrétaire, fort inquiète du son qu'elle entend, ... Monsieur Neely, vous êtes toujours à l'appareil ?... Y-a-t-il quelqu'un à l'appareil ?... Répondez !
Le détective, quelques minutes plus tard, reprend le combiné d'une main tremblante et complète d'une voix étranglée, profondément attristé, la phrase tant redoutée de la secrétaire :
— ... Et Hélène Popović-Neely est morte... Je viens de le réaliser...
— Exactement, Monsieur Neely. Mes condoléances. Je ne voulais pas vous l'annoncer trop brutalement.
— Vous ne faites que votre travail.
Carl Neely raccroche le téléphone d'un geste absent, frappé par la triste nouvelle, sonné à l'idée de ne plus avoir sa chère épouse à ses côtés, dévasté.
Il se dirige machinalement vers le salon et s'écrase sur le fauteuil plus qu'il ne s'assoit. En son cœur, il y a un gouffre incommensurable, innommable et inimaginable qui s'est ouvert lorsqu'il a vu l'âme de son épouse sous ses yeux. Il est atterré, brisé en mille morceaux de l'intérieur, anéanti sans possibilité de guérir sa blessure, dévasté, pire que la dévastation d'un ouragan. Aucun mot ne peut décrire son état d'âme et le désarroi dans lequel il est ce soir. Ses mains tremblantes sont portées vers sa tête, vers son pâle front pour se soutenir physiquement, à défaut d'un soutien psychologique, et pour cacher son visage aux enfants, ne voulant qu'ils voient leur père pleurer. Et il murmure, faiblement et d'une voix hésitante, avec des larmes qui perlent son visage. Ces larmes qui ont libres cours maintenant, laissant des sillons sur ses joues :
— Mes enfants... Une mauvaise nouvelle... Votre mère, mon épouse... n'est... plus... de ce monde...
Samuel, Marie et David, choqués et attristés, eux, qui pensaient que leur mère est vivante, pleurent à chaudes larmes sous le regard d'Hélène Popović-Neely. Cette dernière sermonne sa famille :
— Carl, Samuel, Marie et David, ne me pleurez pas. Je ne me suis jamais sentie aussi légère de toute ma vie. Plus rien ne me fait mal. Reprenez-vous. Vos pleurs ne me ramèneront pas parmi les vivants.
Carl Neely essuie ses larmes et tourne la tête, à l'instar de ses enfants, vers la Serbo-Française et lui murmure, d'une voix entrecoupée de sanglots malgré lui :
— Alors... Pourquoi... es-tu parmi les vivants ? ... Si rien ne te pèse sur l'âme.
— Carl, répond sa défunte épouse, prend au sérieux tes conclusions d'enquête. Je ne veux pas que David et toi me rejoigniez trop rapidement, trop tôt... Mon amour, n'écoute pas les billevesées de Calvin Byrd et de Daniel Benazzi. Ils sont des sournois manipulateurs.
Et Calvin Byrd et Daniel Benazzi se pointent dans le salon familial, à la droite du chuchoteur d'esprits et répliquent à l'unisson :
— Madame Neely, ne vous mêlez pas dans ce que vous ignorez...Votre mari, Carl Neely, était notre Anna, Anna T., surnommée Nathalie Ivanovna. Nous le savons, nous ne sommes pas psychiatre pour rien! Vous, Madame, partez où bon vous semble, mais ne vous mêlez pas de nos affaires.
L'arrogance des psychiatres énerve Hélène Popović-Neely qui fulmine :
— Et vous ? Qui êtes-vous pour dicter ma conduite ? Qui êtes-vous pour convaincre mon mari en vos nébuleuses inepties ? Sachez que je ne vous écoute pas et que je protégerais ma famille. Dégagez, sombres esprits!
Les deux esprits errants éclatent de rire à la menace d'Hélène. Un rire inhumain. Un rire froid. Un rire glacial. Un rire sépulcral. Rire qui fait peur aux enfants et un frisson parcourt l'échine du détective. Les parents rassurent leurs enfants.
L'infortuné mari hurle aux deux psychiatres, faisant sursauter les enfants et les défunts, sauf son épouse :
— Calvin Byrd et Daniel Benazzi ! Allez au Diable ! Vous n'êtes que des monstres. Jamais des hommes ! Vous n'avez jamais eu une âme ! De votre vivant et maintenant, vous n'êtes guère meilleurs... Démons, arrière !
Les deux esprits des psychiatres s'entr'observent et s'en vont, aspirés par le monde souterrain.
Carl Neely somme aux enfants d'aller dormir maintenant. Une fois que les enfants sont aux lits, le père, toujours dans le salon, pleure sans retenue. Sa vie est déparée depuis que son épouse est morte. Il se sent comme un cadavre, comme une boussole qui a perdu son Nord. Il est désintéressé de tout, étranger à son environnement, comme dépersonnalisé, détaché de son quotidien. Il n'a plus intérêt à rien, il est affligé jusqu'aux tréfonds de son âme. Il est brisé au-delà du possible, il est indifférent à tout ce qui pourrait lui arriver. Une tristesse et un désespoir sans nom est au fond de son âme et ne le quitte pas. Il est rongé par la culpabilité de n'avoir rien fait pour sauver sa femme. Il se sent fautif de sa mort. Il ne sait aucunement comment faire partir cette douleur insoutenable... Se tuer au travail est la seule option viable pour lui... L'alcool et le suicide ne sont pas des bonnes options à ses yeux; le premier parce qu'il est dispendieux; le second parce qu'il est immoral... Son seul motif, sa seule raison pour ne pas dériver totalement et rester prostré et dépérir de faim et de soif, abandonner la lutte pour sa survie, sont ses enfants, Samuel, Marie et David... Carl Neely doit le reconnaître à lui-même que, sans ses enfants, il serait tenté de boire pour oublier sa douleur... Au Diable l'argent alors! ... Mais en père de famille, il a des responsabilités qu'il ne peut négliger et qu'il prend très au sérieux, voire trop au sérieux. Et à la pensée de laisser ses enfants orphelins, il se refuse de se donner la mort, même si, parfois, lorsqu'il est seul devant le miroir de la salle de bain pour se raser, il est très séduit à l'idée de rejoindre son épouse... tellement facile, un coup de rasoir et tout est fini... Mais il sait que ce n'est aucunement la bonne solution et que, par ce geste, il signerait une capitulation aux yeux de ses ennemis, ce qui l'offusque juste à y penser. Et cette pensée le pousse à préserver sa vie, à continuer à lutter, malgré son désespoir innommable.
Le lendemain matin, le récent veuf appelle ses beaux-parents, qui vivent en France, pour qu'ils veillent sur les enfants, le temps qu'il est au travail. Ceux-ci acceptent, également attristés de la perte de leur fille que leur gendre. Une semaine plus tard, Jovan Popović et Anne-Béatrice de Beauséjour arrivent à Grandview. Ils surveillent les enfants et s'occupent de l'entretien de la maisonnée pendant un mois.
Le soir de l'appel téléphonique, Carl Neely, seul dans le trop grand lit, contristé à voir la place froide à côté de lui, chante, en pleurant, le refrain de la chanson Я люблю тебя [Je t'aime] de Rauf & Faik, à savoir :
Я люблю тебя
с тобой хотел прожить всю жизнь
сейчас я потерял
не знаю ли верну.
Traduction française
Je t'aime
Je voulais vivre ma vie avec toi
maintenant je t'ai perdu
je ne sais pas si je peux te faire revenir.
Carl Neely s'endort en enlaçant le froid cousin sur lequel son épouse aurait déposé sa délicate tête. Hélène Popović-Neely, depuis le cadre de la porte de leur chambre, veille sur son mari, lâchant une larme lorsqu'elle l'entend chanter.
Le lendemain matin, Carl Neely se réveille et, voulant embrasser son épouse pour l'éveiller, se rend vite à la triste évidence qu'il est veuf et que plus personne ne dort à ses côtés, se ravise et descend au salon. Il sourit tristement en y trouvant son épouse. Il lui murmure pour cacher sa douleur :
— Hélène, pourquoi es-tu encore là ? En te voyant, je ne suis pas pour autant soulagé... Au contraire, mon cœur saigne encore plus... Sache que le gouffre en mon âme est sans fond. Inconsolable, inguérissable est mon cœur. En te sachant ici, je sais que je ne pourrais t'enlacer, t'embrasser ou t'avoir à mes côtés dans notre lit... S'il te plaît, part dans la Lumière. Ne reste pas dans notre maison. Ne t'inquiète pas pour moi.
— Chéri, mon Carl, un proverbe russe ne dit-il pas « Tel qui creuse un fossé pour autrui, y tombe... lui-même » ?
— Oui, ma chérie. Pourquoi ?
— Très bien... Je m'en occupe personnellement... La loi du Talion s'applique. Œil pour œil, dent pour dent, fracture pour fracture, vie pour vie. Le salaud qui m'a tué ne vivra pas longtemps, ni le chef de l'opération, l'éminence grise... Et, mon amour, n'écoute pas les propos de ces manipulateurs de psychiatres. Crois en tes conclusions d'enquêtes, prend-les au sérieux, très au sérieux! Sinon, il est question de vie ou de mort pour nos enfants, surtout pour David, et pour toi.
Elle parle ainsi et disparaît. Laissant son mari encore plus inquiet qu'avant. Il s'est promis de prendre au sérieux ses conclusions d'enquête, toutes farfelues qu'elles soient à ses yeux, parce que la fois où il n'a pas tenu compte, sa femme en a payé du prix le plus cher : sa vie. Il se promet qu'il ne répétera pas deux fois la même erreur. La prudence est la meilleure des conseillères.
Le surlendemain, Gabriel Lawrence et Robert Langowski se réunissent en présence de Calvin Byrd et de Daniel Benazzi pour planifier leur prochain coup. Le chuchoteur d'esprits suggère froidement à l'espion polonais :
— Mon ami, je vous conseille de ne pas tuer Carl Neely, mais plutôt de s'en prendre à ses enfants... surtout au benjamin de ses fils, David... Je sais que l'idéal serait de patienter encore quatre ans, mais il est impossible, l'urgence de la situation nous l'empêche... Aussi, Robert, tu dois liquider Poète, le frère de Carl Neely, le plus rapidement possible, il ne nous ait d'aucune utilité. Il ne peut que devenir source d'ennuis s'il parle... Demande à l'Infirmière de le rendre silencieux pour les vivants... Et je m'occuperais de le rendre silencieux pour les défunts aussi.
Chasseur hoche la tête et va accomplir sa mission. Amélie Neely, une fois qu'elle a entendu son travail d'euthanasie, accepte d'aider l'espion et prépare un mélange de poisons qu'elle donnera à son frère lorsqu'elle lui rendra visite dans deux jours.
Une semaine après la visite d'Amélie Neely à son frère, ce dernier meurt dans la cellule de prison, torturé par d'horribles souffrances et maux. En un mot, une fin cruelle... Et Hélène Popović-Neely n'est pas inactive, elle veille sur ses enfants et son mari et poursuit inlassablement Robert Langowski. Elle fait peur à ce dernier en lui ouvrant et fermant les portes et fenêtres de son appartement. Robert Langowski est effrayé de cette manifestation et décide de faire appel à Gabriel Lawrence. Ce dernier l'informe qu'il est dérangé par l'épouse de Carl Neely, Hélène Popović-Neely, celle qui répondait autrefois au nom d'Anastasia Romanovna Zakharina-Iourieva. Le chuchoteur d'esprits n'essaie même pas de la convaincre de le suivre dans sa demeure d'esprits, parce qu'il sait qu'elle refusera et qu'elle n'est pas si facile à manipuler.
Robert Langowski n'est motivé que par sa sordide mission d'assassiner David Neely pour ne pas devenir fou et demander un internement. Hélène Popović-Neely, en une semaine, l'a rendu paranoïaque et très apeuré d'elle. Chasseur est conscient que Gabriel Lawrence ne veut aucunement l'aider à se débarrasser d'elle... Il est donc pris avec elle jusqu'à ce qu'elle décide de le laisser tranquille.
Hélène Popović-Neely, lors de cette semaine à effrayer l'espion polonais, a remarqué d'autres esprits errants dans sa demeure, des prisonniers, des âmes perdues. Elle interpelle ces dernières d'une voix forte :
— Âmes perdues, qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?
L'une d'elles lui répond d'une voix feutrée :
— Notre reine, noble dame, nous sommes des pauvres âmes que cet homme, cet assassin, de notre vivant, a mis fin à nos jours sur Terre de la plus ignoble des manières. Nous avons voulu nous venger, mais un autre sombre individu nous a enfermé ici, nous muselant par un art occulte, nous retirant toutes nos forces... Nous n'avons même plus la force de se libérer de nos chaînes.
L'épouse de Carl Neely, émue, les rassure :
— Je vous délivrai de vos liens...
Elle s'approche des âmes enchaînées et les libère facilement, à leur grand étonnement. Ces âmes, au nombre de dix, la remercient de son aide et s'acharnent sur Robert Langowski. Hélène Popović-Neely est maintenant certaine qu'elle n'a plus besoin de poursuivre Robert Langowski, les autres esprits errants s'en occuperont... surtout qu'ils sont très enragés maintenant... Elle part pour observer Gabriel Lawrence et son mari. Elle s'inquiète pour ce dernier. Il a considérablement maigri, des sombres cernes ornent son visage, il ne dort guère, et a une disposition morale nulle, en plus d'être suivi et influencé négativement par les esprits errants des psychiatres derrière son dos. À le voir, Hélène Popović-Neely a l'impression qu'elle, esprit errant, a l'air plus vivante que lui, être de chair, d'os et de sang, âme et corps unis...
En suivant Gabriel Lawrence, Hélène Popović-Neely saisit le sombre personnage qu'il est. Et elle comprend l'usage de la demeure aux esprits. Demeure sinistre où des âmes sont tantôt volontairement dans la maison, participant à des fêtes, d'autres sont prisonnières contre leur gré par de sombres chaînes occultes. L'épouse du détective décide, deux jours après sa découverte de la maison aux esprits, de s'y rendre pour délivrer les esprits emprisonnés. En entrant, même pour elle, l'ambiance est glauque, sinistre, mais elle ne se laisse pas effrayer par les résidents permanents. Ces derniers devaient reconnaître sa supériorité et la laisser passer. Ainsi, elle délivre, sans effort, les prisonniers qui sortent immédiatement du sinistre endroit pour hanter l'appartement de Gabriel Lawrence et le traquer jusqu'à le rendre fou ou le tuer. La Serbo-Française ne se préoccupe plus de l'espion chuchoteur d'esprits, ayant discernée l'ire des esprits délivrés. Colère ravageuse qui balaie tout sur son chemin... Elle est certaine que Gabriel Lawrence a de faible probabilité de s'en sortir vivant, et même si, en quel état!
Une semaine après les funérailles d'Hélène Popović-Neely, le mari de la défunte, un matin, se confronte devant un miroir. Livide, sinistre, maigre, lamentable, qualifie-t-il son apparence physique... Mais sa disposition morale est mille fois pire... Si sa disposition psychique pouvait se traduire, il dirait funèbre, lugubre, cadavérique, mort-vivant. Carl Neely est conscient qu'il ne parviendra pas à dompter facilement son désarroi, il lui faudra plusieurs années avant de se rétablir de la mort de son épouse, sa chère et bien-aimée Hélène Popović-Neely. Cette dernière était un vrai rayon de soleil dans sa vie, non seulement en tant que mère de leurs trois enfants ou gardienne de la maisonnée, mais en tant que confidente de son travail. Auprès d'elle, tout semble plus simple, plus facile. Aucun fardeau n'existait, aucun obstacle n'était insurmontable... Maintenant, tout est le contraire, tout est à l'envers. Est lourde, terne, fade, insipide et vaine, sa vie, sauf ses enfants qui lui apportent à la fois un peu de joie et de bonheur dans sa vie sans but, mais aussi, simultanément, une amère douleur, parce qu'en eux, il voit les traits de sa femme, ravivant sa désespérance.
Il soupire et part au travail. Travail qu'il accomplit comme un automate. Mais, au moins, il a décidé de prendre plus au sérieux sa conclusion d'enquête d'Ivan IV le Terrible... Et il a vendu la maison pour s'installer dans un appartement, ne pouvant plus supporter ces pièces assombries par le deuil et la solitude où seule l'insouciance enfantine apporte un peu de lumière à son univers terne... Mais le père n'est pas pour autant rassuré.
Le surlendemain, Hélène Popović-Neely, surveillant ses enfants, remarque que le maudit espion de Robert Langowski tourne un peu trop prêt de ses enfants et de l'appartement familial... Elle part immédiatement informer son mari du danger. Inutile de préciser l'étonnement de Carl Neely lorsqu'il la voit, mais il l'écoute et, pendant une fraction de seconde, serre les mains en poing, mais se ravise de frapper son bureau, enragé, fâché que les espions ne le laissent pas tranquille. Il sort immédiatement de son bureau, claquant la porte, pour accourir jusqu'à son appartement. Son épouse lui localise rapidement l'espion et les enfants. Ces derniers, avertis par leur mère, se sont réfugiés dans la chambre de leur père, alors que l'espion, dans la cuisine, se dirige vers le salon. Robert Langowski tombe nez-à-nez avec Carl Neely. Les deux hommes sursautent en se voyant, et chacun porte sa main droite sur son arme, et Carl Neely, enragé, lui hurle, encouragé par son épouse :
— Ainsi, Robert Langowski, sale espion! Vous continuez à me traquer! Je ne suis pas une bête! Vous êtes un monstre insatiable! L'assassinat de ma chère épouse ne vous satisfait pas! Dégagez de ma vue! Vous ne vous approcherez jamais de mes enfants! Vivant ou mort, je vous barrerai le passage jusqu'à eux, mes trésors, mes anges! Que vos sales mains meurtrières et ensanglantées s'éloignent de ma famille!
L'espion a un sourire sardonique et une arrogance affichée au visage pour cacher sa terreur des esprits qui le poursuivent, l'ayant rendu à moitié fou, mais il se rembrunit rapidement en constatant qu'il n'est pas parvenu à faire feu sur le policier. Ce dernier s'approche dangereusement de lui et le désarme rapidement. Il lui casse le bras droit et la jambe gauche en voulant le maîtriser pour l'empêcher de rejoindre les enfants. Les deux hommes se battent férocement, personne ne voulait céder du terrain... Hélène Popović-Neely, en voyant Calvin Byrd et Daniel Benazzi dans un coin sombre du salon, s'inquiète pour son mari et l'avise de faire attention à lui. Cette information énerve encore plus le policier. Dans son emportement, il rend inconscient l'espion. Il lui passe les menottes et l'immobilise.
Les deux psychiatres ne font qu'observer la situation et Calvin Byrd commente :
— Anna T. a toujours du caractère... Mais il y a toujours un certain point où une personnalité se brise... Il y a un point irrévocable, un point irrémédiable, un point de non-retour... Et nous le connaissons...
Daniel Benazzi opine du chef, sourire sadique, et ajoute :
— Nathalie Ivanovna est difficile, mais pas invincible... Nous l'aurons...
Les deux psychiatres s'approchent de Carl Neely, et lui chuchotent à l'unisson :
— Carl, notre Anna, vous avez l'intelligence de vaincre l'espion, mais vous ne pouvez rien contre nous... Nous connaissons votre talon d'Achille... Et nous répéterons l'histoire... Et vous ne pouvez rien contre nous...
Et les deux esprits s'évaporent, laissant le chuchoteur d'esprits et son épouse angoissés à l'idée de ce qui a pu rendre fou cette patiente... Carl Neely, ramené à la réalité par la voix hargneuse de l'espion qui le menace, lui et ses enfants, s'approche de Robert Langowski et lui éructe :
— Vous, espion ignoble, pensez me faire peur avec vos paroles! Ce n'est que mouvements de vos lèvres et de votre mauvais cœur qui parlent... Je vous conseillerai de sortir maintenant avant que je vous rend invalide pour le reste de votre vie...
Il s'approche à quelques centimètres du visage et lui annonce sur un ton glacial, le ton d'un mari qui a perdu son épouse et qui est prêt à tout pour défendre sa famille, un ton qui donne un frisson à l'espion, se sentant comme une proie pourchassée par un chasseur inlassable :
— Et je suis sérieux, très sérieux... Ne me dérangez pas, je vous laisse tranquille; vous me dérangez, vous m'avez sur votre route, compris ?
L'espion blêmit lorsqu'il voit la lueur froide dans le regard terne du détective qui accentue encore plus sa maigreur, et le supplie de le délivrer, désirant rentrer chez lui. Le mari d'Hélène Popović-Neely ne le libère pas pour autant. Il le soulève pour l'amener à l'extérieur de l'appartement. Une fois qu'il a barré la porte à double tour, il délivre l'espion qui s'en va à reculons en boitant, n'osant pas le provoquer, de peur qu'il ne soit mort sans avoir accompli sa mission.
Une fois que l'espion est parti, indiscernable du champ de vision de Carl Neely, le policier rentre chez lui et va rassurer ses enfants, suivi de son épouse. Une fois les enfants calmés, le détective, dans le salon, réfléchit à ses enquêtes et aux propos des deux psychiatres... Il se demande quel pourrait être le rapport entre lui et cette patiente, Anna. Il l'ignore, mais, à première vue, aucune, sauf si le rapport est le même qu'avec Ivan le Terrible... Et même si cette Anna serait l'une de ses vies passées, il n'a guère envie d'enquêter, considérant qu'il a suffisamment de tracas sans cela... Sans parler de sa préoccupation pour la sécurité de ses enfants. Depuis la mort de son épouse, il n'est guère intéressé à continuer cette enquête, n'ayant aucune motivation à la faire.
Après quelques minutes de silence, Hélène Popović-Neely supplie son mari :
— Carl, s'il te plait, il faut absolument que tu enquêtes sur le cas de la patiente Anna T., avec laquelle les deux monstres sadiques et psychopathes de Calvin Byrd et de Daniel Benazzi te menacent. L'affaire est sérieuse, si tu ne veux pas devenir fou.
Carl Neely soupire en murmurant pour lui-même :
— Très bien. Je mènerai cette enquête sur Anna T., surnommée Nathalie Ivanovna, patiente de l'asile psychiatrique de Grandview et je tâcherai de comprendre le rapport de Calvin Byrd et de Daniel Benazzi avec cette patiente. Et, à partir de ces faits, avec l'aide de Dieu, je serai apte à savoir si cette patiente présente une affinité avec moi ou non... Merci Hélène de me rappeler à l'ordre... Je l'ai presque oublié cette Anna dans mes enquêtes.
L'épouse du policier lui sourit et s'en va. Carl Neely prépare le dossier d'enquête et fixe le vide devant lui, en savourant lentement une tasse de thé.
À suivre.