L'affaire noire : Trahison au nom de Sithis

Chapitre 1 : L'affaire noire : Trahison au nom de Sithis

Chapitre final

7217 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/12/2023 17:50



Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Des fanfics sous le sapin - (novembre - décembre 2023) et est déstinnée à BakApple.



Préface


À l'ouest d'Épervine, se trouvait une petite forêt. De ses hauts arbres aux branches touffues, de sa brume épaisse jusqu'à ses chemins sinueux, tout créait un mystère rampant à l'abri des lueurs du jour. Au détour d'une cavité rocheuse, parmi les toiles d'araignée et les fleurs ternes, se profilait un passage particulièrement morose. Cachée au fond d'un chemin obscur et étroit au milieu des pierres, cette entrée avait un visage. Un crâne pâle sur lequel était apposée une main sanglante, une porte sombre que seul le silence pouvait ouvrir.

Dans ces murs humides, des arts et talents uniques étaient mis au service de Sithis. Parmi ses serviteurs, seuls les plus fidèles tendaient l'oreille dans l'espoir d'entendre la voix de la Matrone impie. 


Mais la Mère de la nuit demeurait muette. Son gardien perdit foi et raison.


Ce récit est celui de la chute d'un sanglant bouffon.


Chaque mot adressé à la mère n'avait que le silence pour réponse, chaque question posée n'avait résulté qu'en un écho solitaire. Jour après jour, les échanges — si seulement ils en étaient — devinrent plus espacés. Mois après mois, Ciceron ne daigna plus ôter la poussière recouvrant le cercueil de celle qu'il avait longtemps gardée. Années après années, il arrêta de chanter sa Mère au milieu de la nuit.


À son tour, il embrassa le silence.


Une solitude loin de la voix que lui avait offert la folie. Une errance triste, qui laissait un vide en lui. Une place à prendre que d'autres seraient disposés à combler peu à peu.

La toute nouvelle utopie de Ciceron s'écrirait alors dans ses journaux. Alors que ses mots et sa voix retrouveraient leur calme d'antan, il inscrirait à l'encre le nom de ses camarades des ombres. Eux qui seraient à ses côtés dans le meurtre, eux qui jamais ne resteraient de marbre face à son désespoir. Nazir, Lis, Babette, tous, enfin serait la famille dont il avait besoin, offrant à Ciceron l'occasion de mettre de côté son empathie inhumaine pour se tourner vers les émotions et l'amour.

À travers cette odyssée d'excuses enfin prononcées, le bouffon entamerait un dernier voyage. Le chemin de la rédemption le mènerait vers l'oubli des règles anciennes et des rites oubliés... Peut-être même pourrait-il enfin ouvrir les yeux envers celle qu'il avait si longtemps soupçonnée de trahison. Les yeux de la douce se détourneraient de la bête pour l'humain. Ainsi, Ciceron et Astrid marcheraient main dans la main sur les ruines de l'ancienne confrérie, alors qu'ils construiraient une unité sous le principe de la famille et l'autorité.


Mais ceci, n'est pas l'histoire que nous allons vous raconter.

Notre aventure, elle, commence dans un parc verdoyant non loin d'une décharge, scène de crime d'un récent meurtre.


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La nuit se faisait de plus en plus noire et, même si sa mort remontait à plusieurs heures déjà, l'âme errante ne cessait d'accumuler des questions au lieu d'en trouver les réponses.

La seule identité à laquelle il pouvait se raccrocher était un nom, "Sissel". Un espoir qui n'avait soulevé que plus de problèmes et de cadavres. Sissel était bien heureux d'avoir réussi à sauver la jeune détective et d'effacer sa mort à chaque fois, car ce soir, il devait lui parler. Lynne lui avait tiré dessus. Elle l'avait tué. Voici ce que son aventure dans les bureaux de la police lui avait appris. 


Le fantôme chercha à vider son esprit de toutes ses pensées bien trop envahissantes… Si seulement il pouvait se frapper pour faire cesser ce vacarme ! Il ne perdrait pas une seconde de plus. Il transposa à toute vitesse du vidéoprojecteur jusqu'au téléphone. L'agent passait un appel depuis la ligne, mais il n'y prêta pas attention. La seule conversation qu'il souhait avoir, était celle avec la jeune femme aux cheveux roux. Lynne devait se trouver au "Buffet poulet". Le restaurant était sa cible, seulement le restaurant et la détective.


"Et si elle m'avait menti ? se surprit-il alors à penser. Se trouve-t-elle vraiment là-bas ?"


Il perdit peu à peu le contrôle de son propre esprit. Ce rendez-vous pouvait être un détour inutile. Pourquoi une enquêtrice en fuite irait-elle commander un poulet ? Elle se doutait surement des découvertes qu'il ferait en infiltrant la prison spéciale. Tout ceci n'était-il qu'une manigance pour l'éloigner et ne jamais avoir à justifier ce coup de feu tiré ?

L'âme se sentit dériver dans les circuits du téléphone. Où devait-il aller ? Le "Buffet poulet" ? Le parc ? Retourner sur la scène de crime ? Prendre conseil auprès de Ray ? Toutes les destinations défilaient devant lui et c'est alors qu'il entendit une voix nouvelle résonner dans l'appareil : 


"Lynne ?"


Le mot était assez hésitant, Sissel cru reconnaître une voix d'homme, assez faible. Certainement parce qu'il se déplaçait. Oui ! Il devait sans aucun doute s'agir de l'un des agents chargés de surveiller l'inspectrice !

Sans laisser le temps à ses réflexions de lui jouer à nouveau des tours, l'âme se fondit dans les lignes du réseau et se fia à son instinct. Une erreur qu'il ne découvrit que trop tard, lorsque l'écho d'une voix bien connue accompagna son voyage fantomatique.


"Ici Cabanela, je ne vous reconnais pas agent. Identifiez-vous.

— Je ne connais pas de Lynne. Je m'appelle Aomori.

— Aomori ? Mais bon sang, qui êtes-vous ?!"


Ce n'était pas un agent en mouvement. C'était un enfant ! Alors qu'il se sentait émerger de plus en plus, Sissel découvrit le reste de sa mésaventure avec effroi, alors qu'une forme étrange de frisson l'envahissait.


"Maaaaaaaamaaaaaaaaan ! Il y a deux messieurs au téléphone, hurla le jeune garçon. Ils demandent si tu as vu Lynne.

— Je t'ai déjà dit de ne pas répondre aux inconnus ! s'énerva une personne bien plus âgée dans le fond. Maintenant, tu raccroches ce téléphone avant de nous attirer des ennuis !"


Son environnement se dessina rapidement devant lui. Une petite silhouette à la tête brune, âgée d'une dizaine ou d'une douzaine d'années, pas plus se tenait debout, l'extrémité du combiné à la main, le fil tout tendu. À quelques pas de lui, une grande dame aux sourcils particulièrement froncés se tenait près du socle. Son visage crispé était coiffé d'une horrible serviette jaune à pois roses. La pauvre femme avait dû être dérangée pendant un instant précieux. Voilà qui expliquerait la rage avec laquelle elle agrippa le câble qui se présentait à elle.


"Mais que fait-elle ?! pensa soudainement Sissel. Non !"


Il fallut moins de temps à la mère en colère pour passer à l'acte qu'à Sissel pour comprendre ce qu'il venait de se passer. L'âme blonde se retrouva dans un téléphone, lâché au sol dans la crainte, coupé du réseau et dans une maison inconnue.

C'était une catastrophe.

Il sourit timidement en voyant le visage décomposé du jeune Aomori. Étant un fantôme, il n'aurait pas à subir la furie de cette femme, lui au moins.

Préférant fermer ses oreilles aux mots douloureux qui résonnaient dans la pièce, il se risqua à une rapide exploration des environs. 


La chambre, ou plutôt le salon, n'était pas bien grand mais agréablement chaleureux. Des murs de pierres camouflés derrière d'innombrables bibliothèques et plantes suspendues, dont les feuilles vertes couraient à même un parquet vernis protégé d'un grand tapis rouge, sur lequel se tenait encore la famille se disputant. 

Les yeux du fantôme naviguèrent de la fenêtre à la porte, du téléphone coupé au bureau de bois puis retournèrent vers la porte, ouvrant vers un inconnu encore moins rassurant avant de finalement trouver leur point d'accroche.

Sur le vieux bureau, couvert de dessins gravés à même la planche, se trouvait un gros carton blanc. Ce n'était pas vraiment une boîte puisqu'il n'y avait pas d'ouverture et que l'objet semblait bien plus solide qu'un simple mélange de pâte de papier. Mais Sissel ne trouvait aucun mot plus adéquat à définir le bloc devant lui. Ce qui l'intriguait réellement était cet écran qui émettait une forte lumière au centre du cube blanc, une machine qui lui rappela l'étrange pièce où il s'était introduit au début de sa tragique aventure.


Était-ce une sorte de projecteur comme chez cet homme bleu qui cherchait à tuer Lynne ? Est-ce qu'il pourrait aussi contenir des informations intéressantes ? Ou mieux encore, une ligne vers le réseau pour fuir ce lieu ? Le blondinet se dirigea vers une lampe à l'abat-jour ambre près de lui, puis il flotta jusqu'à une ancienne commode située sous sa cible. 

L'écran lumineux était tout près désormais, mais Sissel ne vit aucun interrupteur rouge attrayant comme l'autre fois. Comment diable pouvait-il activer l'engin ? Devant la machine se trouvait une barre étrange, couverte de petites boîtes toutes alignées les unes aux autres, ainsi qu'une étrange souris grise à la peau lisse, dont la queue était située du côté de la tête. Sans aucun doute, ces éléments étaient liés à l'écran tant ils partageaient sa couleur et sa matière étrange. 


L'âme se laissa alors flotter plus haut, se faufilant dans un premier temps dans le grand rectangle gris, puis dans la souris. Sissel, sans aucun effort, arriva à rendre vie à l'objet. La souris glissa de gauche à droite sur le bureau et la lumière carrée changea à chaque mouvement.

Ce qui n'était autrefois qu'un écran aux couleurs bleus et blanches dépeignait maintenant un grand sapin terne au milieu d'une vallée enneigée. Un flanc de montagne ressortait derrière le maigre feuillage, alors que de l'autre côté, l'horizon s'étendait sur une immense mer glacée sous les étoiles. Quel était ce lieu apaisant et féerique ?


Sissel n'avait pas un début de piste, mais les lourds pas d'une mère de famille toujours rongée par la colère qui venaient dans sa direction le forcèrent à détacher ses pensées de ce paysage unique.

La vieille femme grommela une suite de mots à peine audibles tant ils étaient écrasés et hurlés, tout ce que Sissel vit et comprit, fut la main tendue sa tortionnaire vers l'écran devant lui.


Non, pas encore. Pas alors qu'il voyait enfin une potentielle sortie ! Sans perdre une seconde, il s'élança vers l'inconnu et la lumière de peur qu'elle ne disparaisse. Sans un mot, sans être vu, il fuit en regardant vers la liberté.


Sissel se retrouva au milieu d'un décor hivernal, froid et blanc. Il se trouvait sur le dos d'un robuste destrier aux poils bruns. L'animal devait être celui d'un chasseur ou d'un guerrier. De longues lanières de cuir maintenaient sa salle noire, alors que sa croupe et ses jambes étaient couvertes de plaques d'acier gravées. De la fourrure beige ou grise dépassait ici et là des pièces forgées pour adoucir leur contact avec la peau du cheval. Voilà une monture bien plus passionnante que les bicyclettes rouges et les voitures ! 

L'âme était logée dans l'élément le plus doux et le plus chaud de l'attelage : un matelas de peau enroulé sur lui-même et solidement attaché au niveau du garrot. Mais Sissel ne se sentait pas en sécurité pour autant. Il était même stressé. La nuit continuait d'avancer, sa disparition s'amorçait et pourtant c'étaient bien les rayons du soleil qui reflétaient sur les mors d'argent. Où diable était-il ? Ray aurait-il pu se tromper ? Et surtout, comment rejoindre Lynne ?! Combien d'heure était-il resté piégé dans la chambre de cet enfant ? Pas plus de quelques minutes ! Rien n'avait de sens et le fantôme ne cessait de tirer mentalement ses cheveux dans tous les sens.


"Du calme,... Du calme, pensa-t-il. Il suffit d'avancer et de retrouver le réseau téléphonique. Voilà… On respire… Les morts respirent-ils ?"


Il se perdait désormais dans des questions bien trop floues qui ne lui seraient d'aucune aide dans sa situation. Il finit par se gifler afin de recentrer son esprit vagabond sur sa réalité. Qu'y avait-il autour de lui ? Un océan givré, où flottaient des centaines d'îlots de glace ; quelques sapins courageux, ayant survécu à la neige et aux tempêtes ; une montagne, bien plus grande que les hautes tours de la ville et que la grue de la décharge. Le flanc longeait la côte, tout comme un sentier de terre foulée.

Un chemin ? Sissel usa de son esprit pour dérouler le matelas, il se retrouva ainsi à même la terre, pleine d'empreintes. Oui, quelqu'un était passé par ici ! Lorsqu'il leva à nouveau les yeux, il crut mourir de peur. S'il n'était pas déjà un simple être éthéré, il aurait pâli en un instant. 


Il y avait une cavité devant lui et cette cavité était la demeure d'une porte.


Une porte sombre comme du charbon, dont la pierre formait un corps d'os surmonté d'un crâne au regard perçant. Une main de sang était apposée juste au-dessus des orbites vides. Qui disait que les objets étaient inertes ? Sissel avait pris possession de nombreuses choses inanimées, mais cette porte, elle, semblait habitée d'une âme. Une âme aussi noire que sa pierre, prête à vous ôter la vie si vous daignez la franchir.

Le blond déglutit, ses cheveux vivaces toujours dressés retombaient même légèrement, comme craintifs face à une porte.


"Allons, allons ! C'est n'importe quoi… On ne va pas avoir peur d'une porte !"


Il reprit courage et se décida à transférer son être dans le passage. Il se prépara, patienta, hésita, puis demeura dans le matelas. Et retourna à son monologue.


"Au moins que… Si ?"


Il étudia sa cible. Pour sûr, elle était inerte ! Et puis… Il était mort ! Que pouvait-il bien risquer ? Il se concentra à nouveau, préférant se souvenir de son objectif, son nom, son assassinat, Lynne. Et finalement, il se lança ! Son âme glissa vers l'entrée la moins accueillante qu'il ait connue. 


Une voix s'éleva alors et formula sa demande : " Quelle est la plus grande illusion de la vie ?"

Sissel resta surpris. Cette porte était-elle en train de s'adresser à lui ? Non, non, aucune chance. Et pourtant, lorsqu'il souhaita ouvrir le passage, l'objet refusa de lui répondre. Il n'offrit pas la même réaction que le frigo, le mobilier, le parapluie. La porte resta en place et se contenta de reposer la question.

"L'illusion de la vie ?", en voilà une demande originale ! Était-ce quelque chose à demander à un mort ? Vraiment, il n'avait pas besoin de ça maintenant. Bien crispé, le fantôme se tortura l'esprit. N'aurait-il pas mieux fait de rester dans les bureaux du commissaire ? Ou dans la chambre avec l'odieuse femme ? Lorsqu'il envisagea finalement une réponse, la porte s'ouvrit d'elle-même. 


Un grand homme vêtu de noir sortit du passage, il avait des cheveux aussi pâles que la neige et un fin sourire alors que ses mains portaient la couleur pourpre du meurtre. Sissel n'hésita pas un instant, et plutôt que de demeurer près d'un nouvel assassin, il préféra sauter sur l'occasion et se faufiler à travers la porte. Son âme se posa dans un chandelier flambant et l'entrée se referma.


Sissel se trouvait dans une étrange demeure, bien moins colorée que l'appartement de Lynne, mais bien plus spacieuse. Tout était de pierre, les murs, les sols, et même le plafond. La mousse et la poussière partageaient le voisinage avec d'immenses toiles d'araignée. Il n'y avait pour seule lumière que les flammes vivaces des bougies et chandeliers de fer. Une aura chaleureuse émanait des auréoles aux couleurs du soleil, en totale antinomie avec la froideur et l'air glacé qui se répandaient à travers la pierre depuis les profondeurs du lieu.

Le silence semblait être l'unique résident, mais pourtant, Sissel entendit les échos de la douleur humaine à travers ses murs. Le fantôme se remémora le triste sort de Missile et décida de voir s'il ne pouvait pas sauver une vie de plus ce soir-là. Enfin, ce jour ? Cette nuit ? Le temps n'avait plus de sens pour lui, alors autant faire quelque chose qui en avait. Peut-être une nouvelle connaissance pourrait-elle l'aider à retourner vers Lynne et sa quête d'identité.


Il s'aventura avec légèreté dans ce qui semblait être l'antre de la kleptomanie. Il y avait une multitude d'objets à même le sol, les étagères et les tables. Grâce à eux, Sissel se déplaça à travers les longs couloirs avec une facilité déconcertante et en même temps, il se questionna sur la provenance du costume à rayures noires et rouges surmontés de clochettes ; sur ce livre vert opposé d'un symbole qui lui rappela étrangement l'arme de l'assassin, mais en plus courte. Il se demanda qui avait pu laisser ses tas de poussières bleues à même le sol, qui avait répandu de l'eau noire et collante au milieu d'un pont de bois. Les habitants de ces lieux n'étaient sans doute pas les plus propres, même les cellules de la prison semblaient plus vivables.


Son indécente chevelure se mit à frissonner lorsqu'il pénétra dans une grotte aux parois givrées. Pas à cause de la température, mais à cause de la traînée de sang à ses pieds et au cadavre du plus grand et du plus moche chien qu'il n'avait jamais vu. Il glissa d'amure en armure, de flèches et flèches, roula jusqu'au plus profond de la grotte grâce à un bouclier brisé. Plus il progressait, moins il entendait les râles. D'ailleurs, quand avait-il entendu les sons pour la dernière fois ? 

Une panique nouvelle émergea en lui, il pressa le pas, sautant d'objet en objet sans prendre le temps d'identifier sa destination.


C'est ainsi qu'il arriva devant l'âtre d'une cheminée vivace et un corps inerte.


L'homme était roulé sur lui-même devant les flammes. Sa tenue aux couleurs extravagantes rappela à Sissel le tissu orné de grelots à l'entrée. Devant lui, se trouvait un bouffon au centre d'une flaque de sang. Sissel observa la lueur entourant cette âme ayant récemment rejoint l'au-delà et avec confiance, laissa son esprit se connecter à cet inconnu, mort au fond d'un donjon de pierre.


"Bon-jour ? formula l'égaré avec un manque d'assurance qui le surprit lui-même."


Il ne savait qu'attendre de la part d'un bouffon dont il ne savait rien. Mais les événements lui avaient appris que ceux qui mourraient en premier, n'étaient pas ceux qui avaient causé le plus de tort. Cela avait été le cas pour Lynne, pour Missile, alors, pourquoi pas ce pauvre diable paré de rouge et de noir ?


"Mère ? Est-ce vous ? Mère, pardonnez-moi."


Leurs esprits étaient enfin connectés et l'âme du malchanceux se releva à Sissel exactement comme ce dernier l'avait aperçu. Un homme ni vieux, ni jeune ; ni charmant, ni laid ; des cheveux châtains qui tombaient en bataille sur son front et cachaient ses yeux malins. Il arborait un sourire étrange, à la fois faux et triste, comme mécanique. Sur sa tête se dressaient deux longues pointes rayées dont les extrémités retombaient derrière les épaules de son costume. Ainsi s'agitaient deux petits grelots d'or au tintement si enfantin qu'il en deviendrait macabre dans ce contexte.

Mais ce qui surprit le plus le blond, fut sa propre apparence. L'esprit fort de son nouvel interlocuteur écrasait le sien. Dans cet échange de pensées, il ne parvenait pas à discerner ses cheveux d'or, son veston provocant ou ses lunettes de star. Il se percevait tel que le bouffon le voyait : une vieille momie desséchée dans un cercueil de fer. Voilà une représentation qui lui glacerait le dos s'il pouvait encore frissonner.


"Je vous demande pardon ? bégaya-t-il après de vaines tentatives de réaligner son esprit et son apparence.

— Les traîtres... Traîtres, répéta-t-il avec insistance. Les traîtres ont profané les lois et Ciceron. Ciceron, faible serviteur, n'a pas su laver leurs péchés dans le sang. Oh ! Un gardien, un gardien… Je suis bien indigne de ce titre."


Plus Sissel écoutait les paroles de l'homme, moins il doutait des pertes de mémoire dont Ray l'avait mis en garde. Finalement, la lampe de chevet avait raison. Toutes les âmes n'étaient pas égales dans la mort et même si certaines d'entre elles se relevaient, elles ne pouvaient être toutes complètes.


"Ciceron… C'est votre nom ?

— Est-ce ma mort qui m'accorde les faveurs de la Nuit ? J'ai trouvé l'oreille. Oui, je l'ai trouvé. Si l'oreille noire était venue à Ciceron, elle, elle aurait écouté.

— Je sens que vous avez besoin de parler. Alors, je ne suis pas votre mère… Mais je vous écoute, proposa avec empathie le fantôme. Mourir était une épreuve, il avait eu de la chance d'avoir une lampe pour l'éclairer, cet homme semblait avoir besoin d'aide également. Je vous écoute, que vous est-il arrivé ? Qui vous a tué ?

— Oui, oui, les noms des pêcheurs. Des assassins. Comment les oublier. Astrid, oh vilaine Astrid qui bafouille les cinq. Ciceron l'avait mise en garde. Laisser les indignes faire ou percer ses frères et sœurs... Mère j'ai péché, mais quelle folie. Quelle folie !

— Astrid ? releva Sissel au milieu des propos tous plus décousus les uns que les autres. C'est elle qui vous a tué ?"


L'étrange personnage eut un mouvement de recul. Comme dégoûté par cette idée. Il secoua plusieurs fois la tête en riant, encore et encore.


"Astrid, non, non. Du gardien ou de la prostituée, un s'élève au-dessus ! Le lézard aussi a voulu donner du fer, mais le bouffon est plus agile que tous.

— Pourtant, quelqu'un vous a tué. Si ce n'est la femme, qui ?

— Le chien a souillé votre demeure du sang des gardiens. Oh Mère,... Ciceron est faible, si faible. Que la colline des visages tournés me juge, dans la honte je rejoindrai Sithis. Jamais honteux de vous avoir servi. Jamais. Il faut faire voyager le corps, il faut protéger les ossements et la demeure. Et l'oreille noire, je l'ai amené. Seulement coupable d'avoir abonné la Mère."


Pour un bouffon, l'homme ne semblait pas seulement perdu mais aussi bien triste. Il semblait connaître beaucoup de monde. Peut-être n'y avait-il rien à gagner à l'aider, mais peut-être parmi ces assassins dont il avait les noms Sissel trouverait une information utile ? Décidant qu'il avait finalement peu à perdre étant donné que sa situation ne semblait guère plus favorable que la sienne, le fantôme fit ce qu'il faisait de mieux.


"Que diriez-vous d'une autre chance ? Une occasion d'honorer votre rôle ? demanda-t-il en essayant de reprendre au mieux les termes de son vis à vis. Un assassin est sorti vivant de cette maison, il a franchi la porte noire, n'êtes vous pas le gardien des lieux ?"


Le regard de l'homme arrêta ses aller-retours constants. Ses cheveux et grelots auparavant libres au vent de panique devinrent immobile. Et ce sourire, oh ! Ce sourire, qui s'esquissa sur ses fines lèvres, était le plus dangereux que Sissel avait vu. Il y avait dans le regard de ce bouffon, une folie mortelle.


"Oui… Oui… Je ferai couler le sang. La Mère m'a offert sa voix, je lui offrirai une seconde fois ma vie."


Sissel, prisonnier de son rôle, tendit sa morbide main décharnée vers son "enfant" et usa de ses dons pour remonter le temps. Rien que quelques instants, il serait témoin de la mort du fou et l'éviterait.


"Allons-y, annonça-t-il en pesant ses uniques mots.

— Gloire à Sithis, entonna le fou."


Le vortex du temps entraîna Sissel à un hall de pierre qu'il connaissait bien, face à un homme qu'il avait croisé sur un seuil lugubre.


L'homme à la crinière blanche avait suivi le même chemin que lui. Dans le hall, il avait vaincu des êtres spectraux armés de longues lames. Sur le pont de bois, il avait posé le pied dans les flaques d'huile et de cires. Dans les couloirs étroits, il avait habilement contourné des mâchoires de fer posées au sol et des griffes de bois qui s'élançaient depuis les murs. Face à la dernière défense d'un gardien isolé au plus profond de son donjon, il avait tiré une chaîne rouillée et fait tomber le mur.

Face à Ciceron, l'assassin n'était plus. Il était tout simplement invisible, caché des yeux de tous. Et lorsqu'il se révéla à nouveau, il n'était plus un Homme mais une bête. Un monstre de poils et de crocs qui ne tarda pas à vaincre le bouffon, aussi habile fut-il. La ruse avait échoué et la seule force avait décidé du vainqueur.

Soit. Voici un destin que Sissel éviterait. Si le bouffon et ses fourbes défenses n'avaient pas suffi, le fantôme serait la main malicieuse qui engendrerait le chaos.


Il avait été témoin de la tentative d'un homme de protéger sa maison au nom de la famille. Maintenant, il allait changer cela ! Enfin, si cela avait au moins du sens. "Oui… Cela en a. Enfin, j'espère ? Je crois ?" se rassura autant que possible le fantôme.


Sissel se retrouva face à la première épreuve au côté de son allié improbable. L'assassin franchissait la porte sous leurs yeux alors que le mot de passe résonnait encore dans l'air : "L'innocence, mon frère."


Avec dépit, le bouffon regarda son meurtrier poser le pied dans le grand hall. Il commenta chacun de ses pas comme on crache de l'acide.


"Ooh, Arnbjorn… Dans ta bouche ses mots sonne bien faux… Mon frère. Souris, souris tant que tu le peux. Si tu survis à la chaleur de l'automne, c'est l'hiver qui t'attend, mais tu ne connais pas encore l'été.

— Pas d'inquiétude. Il n'ira pas loin, moi non plus, je n'aime pas ce vilain sourire ! Arnbjorn vous dîtes ? Et bien, faisons le rebrousser chemin. Et ces fantômes bleus là, ajouta Sissel en pointant les spectres du doigt, vont nous aider.

— Oui, oui ! Le sanctuaire est le refuge de la Mère, mais jamais Ciceron n'en a été l'unique gardien !"


Sissel répéta le nom encore une fois dans son esprit. Un prénom qu'il n'avait jamais rencontré, sans doute rare, il le retiendrait. Les assassins servaient tous ce petit homme bleu au grand nez à la fin, non ? Arnbjorn, le colosse, accroupi, marcha avec prudence sur les pierres glissantes, alertant le moins possible de sa présence. Il avait dans ses mains des petites épées, prêtes à être lancées sur les défenseurs. Non. Il fallait changer ça.

Le fantôme flotta de chandelier en chandelier, privant le grand hall de toute lumière. Dans son mouvement pourtant si calculé, l'intrus manqua sa cible. La lame ricocha contre l'un des nombreux vases qui jonchaient l'espace. Dans l'antre du silence, le fracas des éclats résonna comme une sirène de police. Les esprits gardiens s'agitèrent, cherchant l'assaillant. Ils échangèrent leurs épées pour des arcs. Les flèches bleues volèrent dans la nuit comme des comètes parmi les étoiles. Sissel s'infiltra dans les étagères emplies de connaissances. Et les uns après les autres, les ouvrages s'échapèrent, tombant sur un Arnbjorn totalement déboussolé. Plus le grand homme évitait les couvertures de cuir, plus les flèches se rapprochaient de lui. Esquives après esquives, il para de ses lames les objets non-mortels. En se faufilant derrière les tables, il s'approcha des spectres, non sans crainte et dans la souffrance, à cause d'une flèche éphémère qui se logea dans son épaule gauche.


Le guerrier poussa un véritable grognement et Ciceron, lui, rit aux éclats. Mais cela ne fut pas suffisant pour arrêter la course bestiale de l'homme. De quelques éclats vifs dans le noir, ses lames transformèrent les gardiens en petits amas de poussière. La prochaine saison approchait et avec elle, le prochain piège.


Arnbjorn entama sa marche sur le ponton de bois avec une confiance ébranlée, incertain des forces qui agissaient en ces lieux. Se pourrait-il que Sithis elle-même s'oppose à sa tâche ? Lorsqu'il traversa la passerelle, il était tordu par la douleur. Alors, il longea la rambarde par la gauche, laissant sa main droite bander maladroitement son épaule avec un fragment de tissu arrachée à sa tenue sombre.

"Marche ! Marche vers la mort ! Vacille sur les braises et danse, danse, danse pour nous ! chantonna le bouffon."


Dans ces paroles, Sissel trouva comment donner leurs couleurs chaudes aux feuilles d'automne. Arnbjorn marchait avec imprudence sur le liquide noir qui couvrait le bois et au-dessus de lui, un encens toujours fumant vacillait lentement. Le fantôme à la chevelure blonde n'était pas aussi violent que Ciceron et ne souhaitait pas autant voir un cadavre de plus. Il suffisait de faire peur à cet homme, de le faire fuir pour changer le cours du destin. Alors il flotta, de livres en pièces d'or, de trésor dans une chaîne d'or. Une petite impulsion suffisait. Sissel enclencha le balancier, lentement la fumée de l'encens s'éleva et se dispersa dans le mouvement répétitif. Bientôt, le pot doré bascula dangereusement et l'inévitable arriva.

Les braises chutèrent sur l'huile et dans un claquement de doigts, écho du ricanement d'un bouffon, le bois s'embrasa. Le colosse se mit à bouger frénétiquement. La chaleur grimpait le long de sa jambe et ses bras s'agitait face à la fumée dans un ballet de jurons. Il traversa ce qui restait de son chemin en hauteur à toute allure. Sa main droite avait bien rapidement abandonné son épaule, pour étouffer les flammes qui recouvraient le bas de son pantalon.


"Cours ! Cours, chien de berger ! Les moutons seront sacrifiés et toi aussi ! Ce lieu ne te veut pas ! s'exclama Ciceron dans une joie déconcertante."


L'assassin aux cheveux blancs avançait à reculons, les yeux fixés sur les flammes qui dansaient devant lui. La terreur toujours gravée dans le fond de ses pensées. Il y avait à l'œuvre dans ses murs une magie bien plus puissante que les archimages de Fortdhiver. Sissel se surprit à rehausser l'angle de sa lèvre supérieure, imitant ainsi son récent camarade haut en couleur. Cet Arnbjorn avait bien raison d'avoir peur, Sissel n'était pas un mage. Ethérée et maître du futur, il se rapprochait plus du destin ! Dans un ricanement à peine étouffé, il était prêt à engendrer à nouveau le chaos.


L'intrus s'aventurait désormais dans un couloir de glace. Les murs de pierre avaient été forcés, quelqu'un s'était invité et partageait désormais le foyer des gardiens.


"Je crains que votre demeure n'ait un souci d'isolation, annonça très sérieusement Sissel.

— Appelons ça un "ajout forcé", sourit innocemment le bouffon. Forcé par quoi ? Oooh, vous verrez… Il verra."


Quelque chose était entré dans le sanctuaire. Quelque chose qui n'était ni un homme, ni un fantôme et face à ce nouvel opposant, l'assassin préféra se tapir à l'abri derrière un pic de roche et de glace, affaibli par ses mésaventures précédentes. Un troll blanc, géant des neiges et monstre de férocité dormait sur une avancée gelée à quelques pas de lui. Sissel avait vu beaucoup de choses étranges ce soir-là, mais jamais il n'avait vu quelque chose d'aussi repoussant. Ce dernier pourrait-il dissuader leur cible de poursuivre son chemin ? Pas en dormant en tout cas. Il était temps pour Sissel de faire de nouveaux tours.

Son esprit se laissa porter au milieu des restes humains, ou non, qui composaient le festin de la bête. Assurément, elle n'aimerait pas que quelqu'un vienne se servir, non ? Le fantôme fit vibrer les casques et autres restes d'armures. Il bougea tous les objets qu'il trouva jusqu'à ce qu'un thorax ne dégringole le long des parois. Les os rongés se brisèrent au sol, juste devant les pieds de l'intrus jusqu'alors bien caché.


Ce son si distinct réveilla l'horreur qui digérait en paix son dernier repas. À quand remontait-il ? Sissel n'avait pas le sentiment que cette maison était des plus fréquentées. La bête se hissa rapidement sur ses membres inférieurs et entama une course effrénée vers les restes qui s'étaient enfuis. En quelques enjambées à peine, elle faisait face à l'intrus. Sans effort, elle projeta son corps de colosse d'un côté puis de l'autre. Arnbjorn savait ce qui l'attendait ici, mais il avait été pris par surprise et rien ne se déroulait selon son plan. Il se fit malmener pendant si longtemps, que Sissel avait eu peur pour sa vie. Il ne tenait pas à tuer cet homme !

Mais l'assassin connaissait le lieu et ces inconvénients, malgré le sang qui coulait le long de son visage, il parvint à rebondir et à se dégager. Il sauta sur un rebord puis un autre jusqu'à mettre une bonne distance entre lui et le gardien de glace. Ce dernier courait droit vers lui avec voracité. Arnbjorn, dans une panique particulièrement agréable pour le bouffon, sortit de son veston un parchemin de papier beige et le porta à ses yeux. Il prononça des mots à toute vitesse, comme des murmures portés par le vent. D'un coup, le monstre se retrouva seul, sa proie s'était volatilisée. 


"Dans les ombres ! Toujours fourbe ! jura le bouffon."


Sissel chercha du regard le colosse, beaucoup plus surpris que le mort qu'il tentait de sauver. L'homme avait simplement disparu et la bête retournait à son maigre festin, son appétit réveillé par ce court effort. Pourtant, dans la neige Sissel percevait des traces nouvelles, qui se dessinaient aussi rapidement qu'elles s'éloignaient des glaces. Quelque chose se déplaçait, il en était certain ! Sans perdre un instant, il se faufila à travers l'hiver en suivant la piste. La grotte traversée, il perdit les empreintes, mais l'intrus réapparaît enfin devant lui. Il lui parut d'abord flou et privé de couleur — pas que sa tenue noire et ses cheveux blancs furent bien différents, mais il jurait avec le décor. Quelque chose sonnait faux, puis, comme si le monde ou sa vision s'était enfin accordé, il perçut l'intrus comme la première fois qu'il l'avait vu. Son torse était lacéré, tel était le coût de sa rencontre avec les griffes du monstre.


Arnbjorn reculait avec prudence, longeait le chemin, dos au mur, les bras étendus et tremblants. Son regard était extrêmement agité, presque hanté. Un instant, il surveillait l'aura bleue glacée dont il venait, comme si le troll allait apparaître, prêt à finir ce qu'il avait commencé. Et, le moment suivant, il scrutait le sombre couloir qui s'étendait devant lui. Quels malheurs l'attendaient là-bas ? Ses pas étaient lents mais imprécis dû à la douleur ardente. Les torches éteintes, il n'avait pour seul guide que la lune, dont les froides lueurs se faufilaient depuis quelques roches fendues du plafond. 

Il posa le pied sur une dalle brune qui craqua sous la pression et sursauta aussitôt. Heurtant de plein fouet une poutre de bois située juste derrière lui. Le choc fit rebondir son corps apeuré de l'autre côté du passage dans un hurlement enfantin.


"Hurlons dans le noir, car les morts veillent, commença à chanter le bouffon à tue-tête. Oui, oui, hurlons de peur que l'on ne meure!"


Sur le rythme macabre, l'intrus continua sa route, rampant à terre comme le chien qu'il était. Les mains étendues devant lui, il tâtait le sol afin de trouver un chemin sûr.


"Marchons ! Marchons ! entonna l'enfant de la nuit sur quelques pas de danse improvisés. Marchons en regardant en bas ! Car les crocs du bouffon sont prêts à croquer leur repas !" 


La funeste prédiction laissa place au silence. Les deux fantômes, bouches béantes, les yeux rivés dans l'attente sur leur proie démunie.

Dans un geste qui sembla durer de longues secondes, Arnbjorn posa la paume de sa main sur un piège à ours. Les applaudissements furent remplacés par un son rapide et violent d'acier, puis par un cri d'agonie. Le bouffon plaça une main sur son torse et s'inclina face à Sissel. Son méfait achevé, il retourna au silence.

Rideau, place au prochain acte : "La folle course d'un chien perdu".


L'intrus avait la main en sang, piégé dans la mâchoire d'acier, ses cris étaient plus proches d'un grognement. Son dos commença à se voûter et à s'étendre. Son visage à la barbe taillée se crispa, laissant pousser des poils drus et sombres. Bientôt, l'Homme devint une bête dont la queue s'agitait sur le tempo de la douleur. Ses crocs s'enfonçaient loin dans ses babines, alors que ses pattes robustes prenaient toute sa force pour le libérer de ce maudit piège. Il s'extirpa dans un hurlement bestial, les yeux rivés vers son objectif : une porte au fond du couloir qu'il discernait désormais sans effort de ses yeux obliques. 

Il grogna une dernière fois avant de se lancer d'un pas décidé vers l'issue. Une erreur terrible qu'il réalisa au son bref d'un mécanisme qui s'enclenche.


"Clic !"


La bête avait posé ses pattes lourdes et maladroites sur l'une des nombreuses défenses que le bouffon avait placées dans son foyer. L'intrus eut tout juste le temps de redresser sa colonne courbe qu'un pieu de bois perça son abdomen. Cette fois-ci, il demeura sans voix, le souffle coupé. C'en était trop ! Il sortit un parchemin semblable au précédent, pas seulement terrorisé, mais aussi contrarié.


"Oooh, oui, le lâche n'a pas su approcher Ciceron de front. Il s'est avancé depuis les ombres ! Trompons le fou ! Mais cette fois-ci, je te verrai chien de berger. Oui, je te verrai venir à moi et alors, je te tuerai !

— Je crains que vous n'ayez pas ce plaisir, mon ami. Il s'enfuit, releva Sissel avec raison."


À l'abri des regards à nouveau, Arnbjorn entama une course folle et rebroussa chemin sans aucunde délicatesse et dans un sacré vacarme. Ses blessures étaient graves, mais invisible, il gagnerait sans aucun doute la porte qu'il avait franchie quelques minutes plus tôt. Sissel était assez satisfait de cette issue, se disant qu'il n'avait pas sauvé une vie, mais deux.


"Ainsi le loup fuit la queue entre les jambes… Mais cela ne s'arrêtera pas là. Les traîtres enverront un autre chien à la gorge de Ciceron ! Oh, Mère. Vous m'avez accordé une chance, mais me pardonnerez-vous, si je les envoie tous à Sithis ?"


Décidément, cet homme était irrécupérable. Sissel accepta son destin, il était la "Mère" et resterait la "Mère". Mais comment empêcher le bougre de mourir à nouveau ?


"Tous tes frères souhaitent-ils ainsi ta mort ? demanda-t-il non sans surjouer son rôle.

— Les indignes ont propagé l'hérésie jusqu'aux racines de la famille… Tous des traîtres, tous… Manipulés par Astrid. Oui, Ciceron admet qu'il fut le premier à attaquer, mais que faire alors que vous étiez moquée ? Diffamée ?

— Es-tu le seul à m'être resté fidèle ?

— Non, non, l'Oreille noire écoute. Ciceron respecte celui qui écoute et celui qui écoute demeure aux côtés de la Mère. Astrid, faible soit-elle ! Voilà un contrat qu'elle donnera à l'Oreille noire dans la crainte de voir son cher et tendre mort de ma lame ! Oui, c'est l'Oreille noire qui va venir à ma rencontre, annonça alors bien plus calmement le bouffon."


"L'Oreille noire ?" se répéta mentalement Sissel, se demandant s'il s'agissait là d'un trait physique ou d'un titre. Au moins, il semblait y avoir une forme de relation qui n'était pas entièrement négative entre cette personne et le bouffon. Si Sissel voulait remplir au mieux sa mission, il fallait éviter plus de morts. Après tout, Ciceron avait peut-être raison ? Si lui et l'oreille Noire servaient la même cause, la même "Mère", il y avait une chance qu'ils puissent s'expliquer ?


"Quand l'Oreille noire viendra, tu devras faire comme lui. Avant d'attaquer, tu seras celui qui écoute."


Le bouffon le regarda, à la fois perdu et admiratif. Pour la première fois depuis le début du chaos que vivait ici Sissel, l'homme face à lui resta des plus silencieux. Ni sourire, ni rire, ni regard malicieux. Il se contenta de fermer les yeux puis d'incliner la tête et ainsi, le temps reprit son cours librement. Sissel aperçut l'homme vivant s'allonger à même le sol dans la pièce où il devait être mort. Recroquevillé sur lui-même, il donnait l'impression d'être blessé. Il ne ressemblait pas à une menace, il attendrait sans doute ainsi la venue du prochain visiteur.


Mais l'âme égarée ne se retrouva que peu avancée, il n'y avait rien de neuf autour de lui, rien qui ne le conduirait à Lynne. Rien ? Si.

Au-dessus de lui, des lettres blanches se gravèrent dans le noir, des mots qui se formaient et se déformaient tout aussi vite. Allant de "quête complétée" à "erreur système" et "déconnexion", jusqu'à ce que tout devienne noir à nouveau.


Lorsque Sissel ouvrit à nouveau les yeux, il était de retour dans la chambre, face à ce téléphone super-novateur, sa souris à coque lisse et sa barre de boîtes parfaitement alignées.

Il était libre. Libre de rejoindre le téléphone et de retrouver Lynne ! Il vacilla vers les tiroirs, les ouvrant un à un, puis vers la lampe avant de se jeter sur le combiné. Il avait été rebranché ! Sa destination était beaucoup plus claire qu'auparavant. Il irait au "Buffet poulet", il retrouverait Lynne et, comme l'Oreille noire et le bouffon Ciceron, il deviendrait celui qui écoute. Avant d'accuser celle qui l'avait toujours aidée jusqu'ici, il entendrait ce qu'elle avait à dire sur sa mort. 


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