De feu et de braise (Diluc x Varesa)

Chapitre 22 : Diluc

3973 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/07/2025 18:50

Le chemin jusqu’au Domaine de l’Aurore me parut durer une éternité.

Non pour la distance — je l’avais parcourue mille fois, les yeux fermés, le cœur fermé — mais pour le poids. Le poids de son corps dans mes bras. Le poids de son silence. Le poids de ce que je n’avais pas dit.

Chaque pas sur le sable avait résonné comme une faute. Chaque souffle que je prenais brûlait ma poitrine.

Varesa ne bougeait pas. Sa tête reposait mollement contre mon épaule, et ses cheveux, pourtant si vivants d’ordinaire, pendaient sans éclat, comme flétris. Sa chaleur, si vive la veille encore, semblait s’éloigner, se dissoudre. Elle était là, et pourtant si loin. Inaccessible.

Kaeya marchait derrière moi. En silence. Depuis l’instant où nous l’avions retrouvée, mutilée, inconsciente, au bord de l’oasis, il n’avait pas prononcé un mot.

Et moi, je n’avais pas cherché à en dire un seul.

Le ciel de Mondstadt, à mesure que nous approchions, prenait des teintes familières — le vert des collines, l’or du vent sur les champs. Et pourtant, rien ne me paraissait plus étranger. J’avais quitté cette terre pour échapper à mes fantômes, et voilà qu’ils revenaient tous, déguisés en compagnons, en frères, en douleurs anciennes.

Quand enfin, au détour du sentier bordé de pins, j’aperçus la haute silhouette du manoir, j’aurais voulu que le monde s’arrête. Juste là. Avant le seuil. Avant la confrontation.

Je poussai la porte du Domaine de l’Aurore d’un coup d’épaule. Elle grinça légèrement, comme pour annoncer une tragédie.

À l’intérieur, tout était en ordre. Trop en ordre. Les tapis, les chandeliers, la lumière tamisée qui filtrait à travers les vitraux — tout contrastait atrocement avec le chaos en moi.

Je posai Varesa sur le grand canapé du salon. Son visage était aussi pâle que les draps qui l’attendaient. J’effleurai sa joue. Elle était tiède. Pas glacée. Mais lointaine. Comme un souvenir.

— Elle respire, murmurai-je. Mais... elle est ailleurs.

Kaeya entra à son tour. Il s’arrêta à quelques pas. Croisa les bras. Et ne dit rien.

Je le sentis avant même de l’entendre.

La tension.

Elle pulsa entre nous, dans le silence qui suivit. Lourde. Suffocante. Un silence trop long, trop chargé.

Puis il parla.

— Tu vas continuer à me blâmer encore longtemps ? demanda Kaeya, sans lever les yeux vers moi.

Je tournai lentement la tête. Ma voix, quand elle sortit, était basse. Grave. Brûlante.

— Elle s’est éloignée à cause de toi. Tu l’as piquée, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle fuie.

Il rit. Un rire sans joie.

— Tu crois que c’est si simple ? Que c’est moi, le poison ?

Je me levai.

— C’est toi qui l’as rendue méfiante. Toi qui ne peux pas t’empêcher de jouer avec les sentiments, même les siens. Tu voulais qu’elle doute. Tu voulais qu’elle s’éloigne de moi.

Il s’approcha. Lentement.

— Et toi ? Tu lui as tout dit, peut-être ? Tu crois qu’elle ne sent pas ce que tu caches ? Tu crois qu’elle ne voit pas, dans ton silence, les ombres de ce que tu refuses d’affronter ?

— Tais-toi.

— Non.

Il me défia du regard. Et je sentis le feu en moi s’enflammer. Ce n’était plus de la colère. C’était de la douleur. Une douleur ancienne. Aiguisée par l’épée qu’était sa langue.

Je saisis mon épée à deux mains. Son poids me parut familier. Rassurant.

— Sors ton arme, Kaeya. Ou tais-toi à jamais.

Son regard ne cilla pas.

— Alors on y est, murmura-t-il. Le grand final. Frère contre frère.

Il dégaina.

Le choc du métal résonna dans la pièce, brutal, clair, tranchant.

Et tout bascula.

Le métal cria contre le métal. Une note pure, insupportable, comme un hurlement dans mes tempes.

Kaeya avait paré mon attaque sans hésiter, lame contre lame, ses yeux braqués dans les miens, sans un mot.

Je frappai encore.

Et encore.

Chaque coup portait davantage que du feu. Il y avait dans ma lame des années d’amertume. Des années de non-dits, de regards fuyants, de soupirs murmurés dans les couloirs du QG. De ces silences entre frères qui ne savent plus s’ils s’aiment ou se haïssent.

Il encaissait avec une aisance désinvolte, comme toujours. Il dansait presque. Agile, élégant, le sourire en coin, celui-là même qui me rendait fou.

— Tu frappes comme un homme qui fuit quelque chose, fit-il en reculant d’un pas, tout en parant une nouvelle attaque. Tu penses me blesser, mais c’est toi que tu veux punir.

Je grognai. Mes bras tremblaient, mais pas de fatigue. D’émotion. D’un feu ancien que je n’avais jamais su éteindre.

— Tu l’as perdue, Diluc. Mais ce n’est pas moi qui l’ai repoussée. C’est ton silence.

Je hurlai.

Et cette fois, mon épée frappa plus fort. Assez pour le faire plier d’un genou.

Mais il sourit encore.

Il se releva.

Et il riposta.

Ses coups étaient plus précis, plus tactiques. Il ne frappait pas avec rage — il frappait pour me désarmer. Pour me faire réfléchir. Et moi, je ne pensais plus. Je voulais juste qu’il se taise.

Que cette voix s’éteigne. Celle qui me disait la vérité.

Nous tournions dans le grand salon, les tapis repoussés, les meubles écartés à la hâte. Des éclats de bois volèrent sous mes pas. Une table s’effondra contre le mur. Et toujours, cette colère en moi. Comme une lave qui remontait.

Il se faufila sous ma garde et me heurta violemment à l’épaule. Je titubai. Et alors que je me redressais, il me balança, d’un souffle :

— Ce n’est pas Varesa que tu protèges. C’est ton image d’elle. Ton besoin qu’elle te voie comme un héros. Mais tu ne l’es pas. Pas pour elle. Pas pour moi.

Je laissai tomber mon épée.

Et me ruai sur lui.

Nous tombâmes ensemble dans un bruit sourd, roulés dans les restes du tapis. Je le saisis à la gorge, mais il me repoussa. Mon poing frappa l’épaule. Le sien toucha ma mâchoire.

Le combat changea de nature. L’acier céda la place à la chair.

Je me retrouvai au-dessus de lui, le souffle court, les cheveux collés à mon front, le cœur au bord de l’explosion. Kaeya me tenait par les hanches, ses jambes croisées aux miennes. Nos visages à quelques centimètres. Nos souffles entremêlés.

Il y eut un flottement.

Un silence suspendu.

Je sentis sa main se crisper. Mon torse contre le sien. Et cette chaleur… familière. Troublante. Mon regard plongea dans le sien. Et je m’y perdis.

Il ne souriait plus. Ses lèvres étaient entrouvertes, son souffle haletant. Et dans ses yeux… ce n’était pas de la moquerie. Pas cette fois. C’était autre chose. Une douleur. Une attente.

Un souvenir.

Et je compris.

Pas avec des mots. Pas avec une pensée claire.

Avec un vertige.

Je reculai d’un coup, le souffle arraché à mes poumons.

Je tremblais.

Il se redressa, lentement, sans rien dire.

Je ne voulais pas comprendre ce que mon corps venait de ressentir. Ce frisson. Ce feu. Cette tension entre nous, plus vive encore que la colère. Plus ancienne que la guerre.

Mais je le vis dans ses yeux.

Il le savait aussi.

Et il ne disait rien.

Puis… un bruit de porte.

Un pas.

La voix calme. Tranchante.

— Ai-je interrompu quelque chose ?

Je me retournai. Essoufflé. Coupé net dans l’instant.

Albedo.

Droit. Immaculé. Son regard passa de Kaeya à moi. Puis à Varesa, étendue sur le canapé. Son regard s’assombrit.

— Montrez-la-moi, dit-il en posant sa mallette sur la table éventrée.

Je me relevai. La tension dans mes bras n’était pas retombée. Ni celle dans ma gorge. Ni celle dans mon cœur.

Mais je m’approchai de Varesa.

Et l’instant d’après, Kaeya me rejoignit.

Le combat était terminé.

Mais rien n’était résolu.

Je m’agenouillai auprès d’elle.

Varesa.

Sa peau semblait presque lumineuse, d’un éclat pâle et fiévreux. Une sueur fine perlait à son front, tandis que ses paupières fermées frémissaient par instants, comme si son esprit tentait désespérément de se débattre contre quelque chose que je ne pouvais ni voir ni comprendre.

Elle respirait. Lentement. Mais chaque inspiration semblait se faire plus courte que la précédente.

— Elle est stable ? demanda Albedo, déjà penché sur elle, ses doigts gantés effleurant son poignet.


Je hochai la tête.


— Depuis qu’on l’a trouvée… Elle n’a pas repris connaissance. Ni ouvert les yeux. Elle ne parle pas.

Je n’arrivais pas à prononcer les mots suivants. Elle s’était vidée de son énergie. De sa lumière. Et ce n’était pas seulement son corps. C’était… autre chose. Plus profond.

Kaeya, silencieux, se tenait derrière moi, bras croisés, l’ombre d’un hématome sous l’œil droit. Mais il ne disait rien. Il ne souriait plus. Et je ne pouvais pas affronter son regard.

Albedo s’agenouilla en face de moi, tira de sa mallette un instrument d’analyse que je ne reconnus pas. De la technologie de Fontaine, probablement. Fine, délicate, alimentée par une lueur bleue qui palpitait comme un cœur artificiel.

— Il va me falloir du silence, annonça-t-il calmement.

Je me tus. Mais à l’intérieur, tout hurlait.

Je fixais le visage de Varesa comme si le contempler pouvait suffire à la retenir, à la faire revenir. Ses cils noirs, si longs. Sa bouche entrouverte. Sa respiration fragile.

Un jour à peine s’était écoulé depuis que je l’avais tenue contre moi, frémissante, offerte, douce. Elle avait posé sa confiance entre mes mains, et moi… moi, j’avais été incapable de la protéger.

Je me remémorai ses gestes hésitants quand elle m’avait touché la première fois. Sa façon de rougir, de rire à moitié, de se cacher dans les couvertures. Son appétit timide le matin. Son silence trop prolongé dans la journée.

Et cette distance qu’elle avait mise entre nous.

Parce qu’elle avait compris que je cachais quelque chose.

Parce qu’elle m’avait vu détourner le regard au moment où elle m’avait posé la question. Donna. Le passé. Kaeya. Moi.

J’avais été lâche.

Et maintenant, elle était là, entre deux souffles.

Kaeya s’approcha à pas lents, contourna la table renversée. Il ne me regarda pas. Son regard était rivé à Varesa.


— C’est l’Abîme, souffla-t-il. Tu crois qu’elle a été corrompue ?

Le mot me heurta.

Corrompue.

Non. Pas elle.

Pas Varesa, avec ses blagues idiotes, son rire aigu, sa façon de parler aux grenouilles. Pas Varesa, qui cueillait des figues avec les dents et dormait dans les arbres. Pas cette fille-là.

Albedo fronça légèrement les sourcils.


— Je ne peux rien affirmer encore. Mais son taux d’énergie vitale est… déstabilisé. Comme si quelque chose avait perturbé l’équilibre même de ses flux internes.

Il sortit une lentille et l’approcha de son œil, observa attentivement la base du cou de Varesa, là où sa peau semblait plus claire, presque irisée.

— Regarde ici, dit-il doucement.

Je me penchai.

Sous l’angle exact de la lumière, un frémissement.

Comme un reflet d’ombre dans sa chair.

Subtil. Presque invisible.

Mais là.

— Ce n’est pas une blessure physique, continua Albedo. Ce n’est pas une trace de poison. C’est plus profond. Une altération progressive de sa structure éthérique.

Je clignai des yeux, incapable de respirer.

Kaeya, lui, fronça les sourcils.

— En clair ?

— En clair… son esprit est en train de se désaligner de son ancrage naturel. Comme si une autre présence, un écho, tentait de prendre racine à l’intérieur d’elle.

Je sentis mon estomac se contracter.


— L’Abîme ?

Albedo hocha la tête, sans émotion.


— C’est une hypothèse probable. Ce que je vois ici est similaire à certains cas observés à Sumeru. Des sujets d’étude rares, mais jamais anodins. L’élément électro, surtout, est particulièrement vulnérable à certaines formes de parasitage mental.

Je murmurai :

— Elle est en train de… changer ?

— Pas encore, répondit Albedo. Mais si elle reste dans cet état trop longtemps, la corruption pourrait gagner du terrain. Pas physiquement… mais mentalement. Dans sa façon de penser. De sentir. De se souvenir.

Je me levai d’un bond, incapable de rester agenouillé.

— Il faut faire quelque chose.

— Je vais faire tout ce que je peux, dit-il avec calme. Mais c’est un combat qui se joue en elle. Et qui dépend aussi de vous.

Je me retournai vers lui, foudroyant.


— Comment ça ?

— Si la corruption est mentale, les liens affectifs comptent. Ce qu’elle ressent. Ce qu’elle pense. Ce qu’elle croit. Vous êtes tous les deux ancrés dans sa psyché, d’après ce que j’ai compris.

Je vis Kaeya détourner le regard.

Moi… je ne pouvais plus respirer.

C’était ma faute.

J’aurais dû la retenir. J’aurais dû lui parler. J’aurais dû l’aimer mieux.

Mais je m’étais tu.

Et maintenant, elle risquait de se perdre.

Je m’approchai lentement du canapé. Me penchai vers elle. Mes doigts frôlèrent sa tempe.


— Varesa… Je suis là.

Elle ne bougea pas.

Mais un tremblement infime traversa sa paupière.

Et une larme coula, sans bruit.

Albedo était resté au rez-de-chaussée, analysant ses données, échangeant à mi-voix avec Kaeya à propos de mesures et d’hypothèses que je n’avais plus la force d’entendre. Je portai Varesa dans mes bras sans un mot, franchissant le grand escalier du domaine que je connaissais par cœur, mais qui me semblait aujourd’hui étranger, comme si tout ce que j’avais construit ici ne m’avait jamais appartenu.

Je poussai la porte de l’une des chambres de l’étage. Celle-là… je ne l’ouvrais jamais. Trop vide. Trop pleine de souvenirs. Un ancien salon d’hiver transformé en pièce d’invités. Des rideaux ivoire pâlis par le temps, un lit large encadré de bois noirci. Une cheminée froide, et l’odeur de pierre ancienne.

Je déposai Varesa sur les draps comme on dépose une relique, avec une précaution presque sacrée. Ses boucles roses encadraient son visage éteint. Sa peau brillait d’une sueur fine, et malgré la pâleur qui l’envahissait, elle gardait ce quelque chose d’absolument vivant. Le genre de beauté qui résiste même à la douleur.

Je restai un instant figé à côté d’elle, incapable de bouger, incapable de penser autrement qu’en boucle :

Je suis désolé. Je suis désolé. Je suis désolé.

Mais je ne pouvais pas lui dire ça. Pas maintenant. Pas comme ça.

Je m’installai sur le bord du lit. Ma main trouva la sienne, glacée malgré la moiteur.

— Varesa…

Elle ne répondit pas.

Je me penchai un peu, mon front frôlant le sien. Elle respirait, mais son souffle était trop léger. Trop fragile. Comme si chaque bouffée d’air menaçait d’être la dernière.

— Tu n’as pas le droit de me laisser maintenant, murmurais-je. Pas après ce qu’on a partagé. Pas maintenant que j’ai…

Je n’osai pas finir ma phrase.

Maintenant que j’ai commencé à t’aimer.

Parce que ce n’était pas un mot que j’avais le droit de prononcer.

Pas avec mon passé.

Pas avec ce que je lui avais caché.

Pas tant qu’elle ne savait pas.

Et pourtant, l’évidence me broyait de l’intérieur.

Je me rendis compte que j’avais commencé à lui parler sans y penser, à voix basse, comme à une dormeuse qu’on ne veut pas réveiller, mais qu’on espère appeler doucement à revenir.

— Tu sais… j’ai fait tellement d’erreurs. J’ai reculé. Fui. J’ai laissé Kaeya occuper un espace que je ne comprenais pas encore. Et Donna… Donna n’était qu’un miroir brisé. Je ne l’aimais pas. Pas comme je devrais aimer. C’était autre chose. Une fuite. Une curiosité partagée. Une façon de ne pas voir ce que Kaeya voulait vraiment… ou ce que moi, je voulais éviter.

Je ris sans joie.

— C’est drôle, hein ? Le héros de Mondstadt, le champion du feu, incapable de regarder les gens qu’il aime dans les yeux. J’ai été lâche, Varesa. Et toi… tu es arrivée, et tu as bousculé tout ça. Avec tes rires idiots, tes grimaces, ta gourmandise… Et tu m’as fait redevenir quelqu’un.

Je sentis mes yeux me brûler. Je les fermai.

— Alors reviens. Pas pour moi. Pour toi. Pour ce verger. Pour ta mère qui parle trop. Pour ton père qui t’écoute. Pour Vanana. Pour la douceur de tes mains. Pour tout ce que tu es, que je ne mérite pas, mais que je voudrais chérir.

Ma voix se brisa. Une seconde. Juste une seconde.

Puis je serrai un peu plus sa main.

— Tu as le droit d’avoir peur. Tu as le droit d’hésiter. Mais si tu dois te battre contre cette chose en toi… je veux être là. Je te jure que je ne bougerai pas. Que je ne fuirai plus. Même si tu me hais. Même si tu ne me pardonnes pas.

Je me tus. Le silence de la pièce était total.

Et puis, contre ma paume… un frémissement.

Infime. À peine une pression.

Je rouvris les yeux. La main de Varesa venait de bouger. Très légèrement. Ses paupières frémirent, mais ne s’ouvrirent pas. Un souffle, pourtant, sembla s’approfondir dans sa poitrine. Et une larme, nouvelle, roula le long de sa joue.

Je restai suspendu à elle, chaque muscle figé.

— Tu m’entends…?

Je crus voir ses lèvres bouger. Un mot. Un rien. Peut-être mon nom. Ou un souffle.

Puis le calme revint.

Mais elle n’était plus figée.

Quelque chose avait bougé.

Et c’était peut-être le début du retour.

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Un craquement de pas sur le parquet me tira de mes pensées. Lent, régulier. Je me raidis aussitôt.

— Il faut qu’on parle, dit Kaeya d’une voix grave.

Je ne tournai pas la tête.

— Je n’ai pas envie.

— Je m’en doute, répondit-il en refermant la porte derrière lui. Mais ça ne dépend pas de toi, pour une fois.

Il entra. Son pas était plus mesuré qu’à l’accoutumée, sans cette désinvolture qu’il arborait comme un bouclier. Il avait retiré sa veste. Son regard était sombre, sérieux.

Il s’arrêta au pied du lit. J’entendis le froissement léger du tissu. Il fixait Varesa, lui aussi.

Un silence pesant s’installa. Je ne savais pas si je devais lui demander pardon ou lui ordonner de partir. Mon cœur battait lentement, trop fort. Je n’étais plus que nerfs et regrets.

— Albedo m’a tout dit, finit-il par dire.

Je tressaillis malgré moi.

— Et ?

— Et c’est grave.

Je me retournai enfin vers lui. Son visage était fermé, mais je lus dans ses yeux une nuance de peur. Inhabituelle. Presque rare.

— Son esprit a été atteint, poursuivit-il. Pas par une blessure physique. Mais par quelque chose… d’invisible. Qui s’est glissé dans son inconscient. Il appelle ça une corruption mentale différée.

Je serrai les dents.

— Est-ce qu’elle va se réveiller ?

Kaeya secoua lentement la tête.

— Ce n’est pas si simple. Elle pourrait, oui. Mais pas sans aide. Elle est comme… verrouillée de l’intérieur. Elle se débat peut-être. Ou bien elle s’enfonce. Et si elle descend trop loin…

Il s’interrompit. Je n’osai pas finir sa phrase.

— Albedo pense qu’il faut agir vite. Mais pas avec des potions, ni des sorts. C’est plus profond que ça.

— Qu’est-ce qu’il propose ? demandai-je, la gorge serrée.

Kaeya me regarda droit dans les yeux.

— Il dit que seule une personne qu’elle accepte… que quelqu’un qui compte vraiment pour elle… peut aller la chercher de l’intérieur.

Je fronçai les sourcils.

— Que veux-tu dire ?

Kaeya s’approcha un peu plus. Il posa les mains sur le dossier d’une chaise, sans s’y asseoir.

— Il parle d’un rituel de lien onirique. Une manière… d’entrer dans ses rêves. Ou plutôt, dans ce qui les empêche d’exister. Un espace mental obscur, piégé. Il faudra une ancre émotionnelle puissante. Et une stabilité mentale exemplaire.

Je restai sans voix.

— Et il pense que… je pourrais faire ça ?

— Il pense que tu es le seul à pouvoir le faire.

Le silence retomba. Glacial.

Je me redressai lentement. La peur me serrait les entrailles. Moi ? Explorer l’esprit de Varesa ? M’y exposer ? Revoir mes fautes ? Rendre visibles mes souvenirs ? Et si elle y voyait ce que j’avais voulu cacher ?

— Je ne peux pas, soufflai-je.

Kaeya hocha la tête. Mais il ne sembla pas surpris.

— Tu ne veux pas. Ce n’est pas pareil.

Je le foudroyai du regard.

— Tu crois que je n’ai pas assez causé de dégâts comme ça ?

— Justement. Peut-être qu’il est temps d’en réparer un.

Il s’approcha, lentement, contourna le lit, puis posa une main sur mon épaule. Je restai figé. Il parla tout bas, si près que je sentis son souffle :

— Si tu ne vas pas la chercher, elle s’éloignera pour de bon. Et cette fois, tu ne pourras plus la rattraper. Pas avec des mots. Pas avec des regrets.

Je restai figé.

Je sentais encore son corps contre le mien, pendant notre combat. Ses provocations. Sa force. Son trouble. Mon propre trouble.

Tout ça se mêlait à ma peur de perdre Varesa. De l’avoir déjà perdue.

Kaeya me relâcha, lentement.

— Je peux t’aider. Je peux stabiliser le champ. Mais je ne peux pas faire le lien. Pas à sa place. Pas à la tienne.

Je le regardai enfin. Dans ses yeux brillait une sincérité que je n’avais pas vue depuis longtemps.

— Tu ferais ça ? demandai-je, d’une voix blanche. Après tout ce qui s’est passé ?

Il haussa les épaules.

— Je n’ai jamais cessé de me battre pour toi, Diluc. Même quand tu me tournais le dos.

Un silence.

Puis il ajouta, plus doucement :

— Et je la respecte. Elle mérite de vivre. De choisir. D’aimer. Si tu peux encore lui offrir ça… ne laisse pas tes fantômes décider à ta place.

Je me rassis au bord du lit. Lentement, je glissai mes doigts dans ceux de Varesa.

Elle était là.

Et déjà si loin.

— Alors on commence quand ? demandai-je, à voix basse.

Kaeya sourit, enfin.

— Dès que tu seras prêt.

 

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