Keefe et l'impossible enfance

Keefe arrivait maintenant à ses 4 ans. Il commençait, il fallait bien l'avouer, à s'en fiche un peu. Personne ne lui souhaitait et ses parents étaient persuadés que le jeune garçon avait 3 ans dans une semaine. Tout ce qu'il voulait en cet instant, c'était faire payer à son père la dispute de la matinée, dans laquelle Lord Cassius l'avait grondé pour avoir "faussé la concentration de l'empathe tandis qu'il écrivait avec un talent indéniable son livre, le coeur du problème et avoir dérangé la maison en valsant sur du crottin de sasquatch étalé dans le salon." Bref, Keefe avait signé l'arrêt de mort du fameux livre, jurant que les pages se retrouveraient arrachées d'ici la fin de la semaine. Et il allait réussir. Ce n'était ni ses parents ni sa conscience qui l'en empêcherait. Il commença à espionner son père, les heures auxquelles il écrivait, et celles où il était en dehors de Candeshlade. 

Quelques jours plus tard, Keefe était fin prêt. Son plan était rodé, et se déroulerait le lendemain. Mais dans la soirée précédant l'execution de son plan, Lord Cassius leur annonça une nouvelle. Son sourire fier s'aggrandit tandis qu'il expliquait la fin de son projet;

_ Je vais finir mon livre ce soir, et demain je le publierai. Ce sera un chef d'œuvre: Beau, audacieux, intelligent, qui résoudra tous les problèmes des empathes.

_ Et modeste comme toi... marmonna Keefe entre ses dents.

 Le jeune garçon rageait intérieurement. Il allait devoir changer son plan, à savoir faire diversion pour récupérer le livre, car une fois que Lord Cassius avait fini d'écrire, il mettait son brouillon dans un coffre-fort dont lui seul avait la clé. Il la gardait au même endroit que la clé de la boîte aux biscuits, que Keefe avait réussi à voler l'année dernière. Il avait fallu beaucoup de courage pour le jeune garçon, car un enfant de quatre ans, même s'il savit lire et écrire, et même parler aussi bien qu'un adulte, était néanmoins un enfant, et tous les enfants sont sous l'autorité de leurs parents. Alors même si Keefe avait juré de rendre la vie de ses parents impossible, la tâche n'était pas facile. Tandis qu'il ruminait les événements de l'année dernière, du goût des éclaterolles à la colère de son père le lendemain, il ne remarqua pas que ses parents s'étaient levés, laissant leur fils en plan. Il se dépêcha de sortir, essayant de trouver dans sa petite tête un plan pour faire sortir Lord Cassius de son bureau. Réfléchissant toujours, il ne vit pas la bille posée par terre, et s'étala de tout son long. Il se releva en grommelant, puis s'écria:

_ Une ampoule vient de s'allumer dans ma tête!

Il allait faire du bruit, ce qui ferait sortir Lord Cassius, puis, à l'aide de billes, il le ferait tomber avant d'entrer discrètement. Il arracherait les pages, gribouillerait sur d'autres et en déchirerais certaines, mais il allait bousiller ce livre, se taper le savon du siècle au passage, et il repartirait dans sa chambre pour entendre sa réaction. Le jeune garçon alla chercher du fil dans la boîte de couture de sa mère, et admira au passage les barrettes posés dans une autre boîte. La bleue semblait un peu banale, mais il haussa les épaules et sortit.

 Il déposa une de ses chaussures par terre, avec trois billes à l'intérieur. Il tendit le fil et l'accrocha à la chaussure, avant d'aller dans sa chambre. Le jeune garçon revint avec du crottin de sasquatch, directement tiré de ses réserves de son père, c'est-à-dire de celles de son père quand il revenait de mission; Une fois, il était revenu avec le manteau plein de cette substance, et avait ordonné à Keefe de le nettoyer, mais le petit avait préféré mettre dans un pot le crotin. Il l'étala par terre avant de crier;

_ Papa! Papaaa! PAPA!

Il entendit des bruits sourds et se cacha dans le couloir. Lord Cassius arriva, et keefe tira sur le fil. Aussitôt, la pantoufle se leva, laissant tomber les billes. Voulant les ramasser, le père de Keefe avança d'un pas et... glissa sur la petite bille posée par terre. Il tomba dans une marre de crottin et la pantoufle lui retomba sur la tête. Keefe, lui, se précipitat au bureau de son père. Il découvrit le livre, et commença à arracher les pages, à écrire dessus, tandis que son père vociférait et appelait le petit. Pour finir, Keefe vida ce qu'il lui restait de crottin sur le livre, avant de vite se faufiler dans sa chambre. Il tendit l'oreille, et entendis revenir son père d'un pas rageur, entrer dans son bureau et...

_ KEEFE! VIENS ICI TOUT DE SUITE!!

Keefe se prit le plus gros savon qu'il n'avait jamais eu et fut puni plusieurs mois, mais malgré tout, rien n'irait ternir sa bonne humeur. Il avait remporté cette bataille. Et c'était déjà énorme, pour un petit garçon de quatre ans.

Quelques mois passèrent, et alors que Keefe dormait, il se réveilla en sursaut en entendant un bruit de casse. Il se dirigea vers son origine et vit sa mère jeter un des vases que Lord Cassius appréciait tant par terre. Curieux, il espionna la scène;

_ Problème de vision! Problème de vision?! Non mais c'est sa vision qui a des problèmes! La mienne va très bien, et je ne vois aucune raison d'en douter! Il me faut juste un ténébreux et un flasheur! Simple comme bonjour!

Keefe sortit de sa cachette et demanda:

_ Tu vas avoir des lunettes maman?

Lady Gisela s'approcha et dit:

_ Non, mes yeux vont très bien... C'est mon collègue qui devrait avoir des lunettes. Mais il refuse de m'écouter, et je dois avouer que ça m'énerve. Mais tu n'es pas au lit? Il est déjà 23 heures! Aller, va vite te coucher. 

Keefe obéit et se dépêcha, mais les paroles de sa mère lui trottaient dans la tête. Comment pouvait-on ne pas se rendre compte qu'on avait une mauvaise vision?