Le second souvenir

Chapitre 1 : Le second souvenir

Chapitre final

2084 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/05/2022 18:21

« Sophie, siteplé… arrête !! »

Telle était la litanie que Amy Foster répétait incessamment depuis maintenant dix minutes. En proie à la douleur. A l’inquiétude. A la panique, à la peur. A l’incompréhension. Et- elle le sut plus tard- à l’instillation. Surmontant la migraine et les courbatures, faisant tout son possible pour sortir de son état de torpeur, elle s’approcha du lit de Sophie et la gifla. Plusieurs fois. Malheureusement, rien n’y faisait. Sa sœur était toujours entourée d’un halo de lumière rouge et agissait, comme hypnotisée.

Alors, Amy cria. Très fort, priant pour que quelqu’un l’entende.

oOo

Dans la maison voisine, Errol Loki Forkle terminait de remplir des papiers pour l’académie de Foxfire. Il postulait pour le poste de Héraut, se présentant sous le nom de Maitre Leto Kerloff. Il se faisait tard ; mais M.Forkle avait le sentiment qu’il n’était pas resté éveillé pour rien. Il venait de signer la dernière feuille lorsqu’il entendit des cris. Non, pas des cris. Des hurlements. Des hurlements d’enfant. Un enfant de … quel âge, au fait ? Cinq ans ? Six ans ? Il attrapa son omnisciente et lui apparut la maison des Foster. Le spectacle qu’il aperçut le glaça d’effroi : Sophie était en train d’instiller. Sans plus attendre, il héla Livvy et courut vers le domicile de ses voisins.

oOo

« Papaaaaa… Mamannn… »

Inconsciemment, Amy savait que ses parents ne pouvaient pas l’entendre, qu’ils étaient de sortie ce soir-là. Mais, elle ne pouvait s’empêcher d’appeler, c’était plus fort qu’elle. Peut-être son esprit était-il encore trop embrumé par l’instillation pour lui permettre de réfléchir correctement. Quoi qu’il en soit, elle continuait de supplier désespérément. La porte s’ouvrit alors à la volée. Son vieux voisin pénétra dans la pièce, suivi d’une jeune femme qu’Amy n’avait encore jamais vue. D’abord prise de peur, elle se rendit ensuite compte que sa requête avait été exaucée. M.Forkle se dirigea vers Sophie, tandis que … l’autre… s’approchait d’elle.

-         Bonsoir, Amy, commença-t-elle en anglais. Moi, c’est Livvy Sonden. Mais tu peux m’appeler Livvy. Tu peux me faire confiance : je suis la nièce du vieux grincheux.

Immédiatement, Amy se détendit… mais se recrispa aussitôt lorsque la douleur se rappela à elle.

-         Difficile à supporter, l’instillation, n’est-ce-pas ? questionna doucement Livvy. Tiens. Prends cet élixir.

Amy obtempéra et avala la potion d’une traite.

-         Bien. Maintenant, je sais que tu n’as sans doute pas très envie de parler, mais… pourrais-tu me raconter ce qu’il s’est passé ce soir ?

Amy acquiesça, les yeux embués de larmes.

-         Maman et papa ils sont pas là ce soir. Y zon dit ils devait pas rentrer tard et comme Sophie elle est grande alors on était seules. Tout a l’heure Sophie elle voulait faire dodo et comme moi je voulais pas rester toute seule alors je voulais allé faire dodo dans sa chambre. On a été mais je dormais pas, sophie elle dormait et elle a commencé à se réveillai et moi j’avais mal partout. Yavait une lumière rouge autour de sa tête j’ai essayai de consoler sophie mais elle a pas arrêté comme j’avais kro peur j’ai crié et toi t’es venue avec ton tonton.

Livvy échangea un regard entendu avec M. Forkle : Sophie avait bien instillé en sa sœur, involontairement qui plus est. Une question lui vint alors à l’esprit.

-         Avez-vous réussi à apaiser son pouvoir ? Parce qu’il n’était pas censé se déclencher maintenant, de ce que je sache.

-         Plus ou moins… disons que j’ai essayé. Je lui ai donné une demi-dizaine de médicaments…

-         Ce qui aurait dû bien fonctionner !

-         … mais elle a tout régurgité.

A présent, Livvy sentait l’odeur rance qui emplissait la pièce. Amy avait dû la sentir aussi, car elle se bouchait le nez.

-         Beurk, murmura-t-elle. Ça sent pas bon. C’est qui qui a vomi ?

M.Forkle de dirigea plutôt vers elle et lui dit :

- Le moment est venu pour moi de te retirer ce souvenir. Je te promets que c’est indolore. Tu ne sentiras rien.

Le vieil elfe appliqua ses mains sur les tempes de la fillette, au moment où Livvy sortait un flacon de sédatif. Avant de commencer, il ajouta pourtant :

-         Tu le retrouveras plus tard.

Livvy versa le somnifère dans sa bouche, les prunelles d’Amy se révulsèrent, et M. Forkle effaça le souvenir.

-         Bien, dit-il en se relevant. C’est une bonne chose de faite. Elle devrait dormir jusqu’à demain midi, si ce n’est plus. Maintenant, penses-tu à une solution pour… notre Colibri ?

-         Attends une seconde. Je crois me rappeler que … mais oui, c’est ça ! Le limbium affecte les pouvoirs, non ?

Le visage de M. Forkle s’éclaira. Il s’éclipsa en une seconde puis réapparut, le fameux élixir à la main.

-         Allons y. ça passe ou ça casse.

Et il lui administra le limbium. De longues secondes s’écoulèrent avant que Sophie produise le son le plus terrible qu’il n’ait jamais été donné d’entendre. Elle suffoquait, en proie à une terrible réaction allergique (mais ça, ils ne le savaient pas encore). Livvy fut la première à reprendre ses esprits.

-         De l’eau, vite !

Aucune amélioration. Le mal, lui, progressait cependant par étapes. Sophie avait de plus en plus de difficultés à respirer.

-         Mais que doit-on faire, bon sang ?!!

Livvy avait jusque-là à maintenir la respiration de Sophie, dont l’état empirait de minute en minute. Elle s’exclama :

-         Forkle ! Sortez votre éclaireur. Nous allons à l’hôpital.

-         A l’hôpital… humain, tu veux dire ?

Livvy souffla, exaspérée par la lenteur de son esprit.

-         Avec tout le respect que je vous dois, cher « oncle », veuillez me dire quel hôpital connaissez-vous dans notre monde ?

-         J’entends bien ce que tu veux dire, Livvy, rétorqua-t-il souriant malgré la gravité de la situation. Mais… et la petite ?

-         Vous n’avez qu’à rester avec elle. Je vous vois très bien en baby-sitter.

Elle disparut avant que M. Forkle n’ait trouvé de quoi y redire.

oOo

Livvy pénétra dans le hall de l’hôpital, le souffle court, portant Sophie dans ses bras. La suite se passa très vite. Elle attendait encore l’arrivée de M. Forkle lorsqu’un infirmier vint à sa rencontre pour l’interroger. Fort heureusement, le vieil elfe arriva, lui évitant ainsi de devoir répondre. Aussitôt Livvy partie, il prit la parole :

-         Vous souhaitiez des explications, je crois, jeune homme ? Bien, voici ce qu’il s’est passé…

Tout en parlant, il s’introduisait dans l’esprit de son interlocuteur, lui inculquant une compréhension basique de la Langue des Lumières, sans lui donner pour autant la possibilité de s’exprimer.

-         … c’est alors que sa petite sœur vint me voir, me demandant de venir chez elle. N’étant pas diplômé de secourisme, j’ai appelé ma nièce à la rescousse, la jeune femme que vous avez vue tout à l’heure.

-         She is a very beautiful woman! l’interrompit l’infirmier en anglais.

-         Oui, oui, c’est ça. Quoi qu’il en soit, elle m’a aidé à lui donner les premiers secours. Mais voyant qu’elle ne reprenait toujours pas connaissance, nous vous l’avons amenée.

-         Good, good. Hum… Do you want to go to room of… hum… your niece… Sophie?

« Il n’a rien compris » constata M. Forkle. Mais rien n’était grave tant que Sophie était hors de danger.

Avant de laisser l’infirmier repartir, il s’introduit une nouvelle fois dans sa tête et effaça sa mémoire récente, dont l’apprentissage de la langue.

Et il resta là, à la regarder. Sa petite protégée.

-         Flûte ! J’ai failli oublier le plus important !

Il effaça également le souvenir à Sophie, créant ainsi un second trou dans sa mémoire. Ces deux trous dont elle le supplierait de combler quelques années plus tard… et celui de sa sœur aussi, par la même occasion. Epuisé par toutes ces émotions, il eût tôt fait de s’assoupir sur sa chaise.

Il fut réveillé le lendemain par une voix enfantine. Le soleil de midi pointait déjà à travers la fenêtre.

-         Maman, pourquoi que y a le vieux monsieur puant qu’il est là ?

M.Forkle sursauta, outré. Il était vrai que les froisselles faisaient émaner de lui une odeur de pied, mais à ce point !...

- Voyons, Amy, la gronda gentiment Mme Foster. Ce n’est pas très gentil.

- Mais pourquoi j’ai pas raison ?

Elle s’interrompit en voyant sa sœur.

-         Maman, pourquoi que Sophie elle fait encore dodo ? Et pourquoi qu’elle est ici et pas à le chez nous ? Et pourquoi…

Le vieil elfe lança un regard compatissant au père de Sophie.

-         Six ans, l’âge des pourquoi, acquiesça ce dernier.

Gêné, il poursuivit :

-         Nous vous serons infiniment reconnaissant d’avoir pris soin de Sophie.

Jetant un nouveau coup d’œil à sa fille, il ajouta :

-         Nous n’aurions pas dû sortir, hier soir. Je suis sûr qu’elles se sont encore disputées. Si nous avions été là, rien de tout ça ne serait arrivé.

Marmonnant de vagues excuses, M. Forkle prit ses affaires et s’en alla.

Alors qu’il cherchait un endroit tranquille pour créer un chemin vers les Cités perdues, il se demanda si M. Foster n’avait pas raison. Comment l’instillation de Sophie s’était-elle déclenchée ? D’un excès de colère ? D’un surplus d’émotions fortes ? Ou bien peut-être le pouvoir avait-il décidé de faire surface ?

Il allait devoir se replonger dans ses recherches… Et, par la même occasion, faire appel à son jumeau. Un nouveau sujet d’inquiétude tomba alors sur ses épaules : les Cités perdues devraient-elles bientôt accueillir Sophie ?

Laisser un commentaire ?