Des Mauvais Rois des Sept Couronnes
Chapitre 1 : Des Mauvais Rois des Sept Couronnes
7237 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 10/11/2016 09:43
Des Mauvais Rois des Sept Couronnes
Chronique des excès, sottises, inconsidérations et mauvaises gouvernances des plus déplorables souverains des Sept Couronnes, ainsi que de leurs origines et conséquences pour le royaume, devant servir de mise en garde et d'enseignement pour la bonne gouvernance du roi en ses Etats, établie par mestre Owayn de la Citadelle de Villevieille
Commanditée par lord Tywin Lannister, Main du roi, à l'intention de son petit-fils, notre très aimé et très redouté souverain Tommen des maisons Baratheon et Lannister, Premier du nom, Roi des Andals, des Rhoynar et des Premiers Hommes, Seigneur des Sept Couronnes, et Protecteur du Royaume.
Année 300 A.C
L'adage veut que la folie et la grandeur soient les deux faces d'une même pièce. La maison Targaryen a toujours frayé avec la démence. Et à chaque fois qu'un nouveau membre vient à lui naître, on raconte que les dieux jettent cette même pièce en l'air. Le monde retient alors son souffle en attendant de voir ce que le sort décidera. Bon ou mauvais, fou ou sain d'esprit, faible ou fort, tous les hommes sont concernés par ces aléas de la fortune. Mais ils causent de bien plus grands ravages lorsqu'ils affectent les souverains.
Cela fait exactement trois siècles que Aegon le Conquérant et ses épouses-sœurs, Visenya et Rhaenys, traversèrent la mer juchés sur leurs dragons à la tête de leur armée de vassaux et de mercrenaires. Malgré des forces réduites, ils réussirent à soumettre les Andals, les Rhoynar et les Premiers Hommes qui vivaient en Westeros, à créer le royaume des Sept Couronnes et à asseoir une puissante dynastie royale. Leur race valyrienne avait fui le Fléau et les ruines de l'antique Valyria, alors capitale de l'empire des Possessions, pour trouver refuge à Peyredragon où ils y avaient un avant-poste. Et se fut devant une immense table de bois sculptée à l'effigie du continent que le futur Aegon Targaryen Premier du nom planifia son invasion.
Après seulement deux années de conquête, les rois du Nord, de l'Orage, du Roc, du Val, du Bief, et des Iles de Fer ployèrent le genou face à la puissance et l'invincibilité de Aegon et ses sœurs. Ils le reconnurent comme leur suzerain et s'offrirent à lui comme ses vassaux. De leurs épées déposées aux pieds du Conquérant, le Trône de Fer fut forgé par le feu de Balerion la Terreur noire, son gigantesque dragon, et placé dans le hall de Fort-Aegon qui deviendra notre bonne cité de Port-Réal. Il fut sacré par le Grand Septon de Villevieille, et proclamé Roi des Andals, des Rhoynar et des Premiers Hommes. S'il avait conquis son royaume par la guerre, Aegon le Conquérant se révéla être un souverain habile, législateur, ferme mais juste, généreux avec ses amis et miséricordieux avec ses ennemis. Il s'acquit ainsi le respect de ses anciens adversaires.
De bien spectaculaires débuts que ceux de la maison Targaryen qui promet le Feu et le Sang à ceux qui se dressent sur sa route. Il faut admettre que c'est bien le feu de la domination, de la guerre et du pouvoir qui coule dans les veines de ses membres. Un sang royal destiné à commander aux hommes. Une prédestination capable d'amener à faire de grandes ou de terribles choses.
Et même si elle a connu de bons rois, la dynastie des Targaryen a eu également son lot de monarques néfastes pour l'intégrité du royaume. Il est, par conséquent, dans l'intérêt de Votre Grâce de connaître ces mauvais rois et d'apprendre de leurs erreurs afin de ne pas les reproduire. Ainsi commençons...
Maegor, que l'on surnomma le Cruel, fut un roi fort et redouté qui fit beaucoup pour renforcer l'autorité de sa couronne. Unique enfant de Aegon le Conquérant et de son épouse-sœur Visenya la Guerrière, il acheva l'édification du Donjon Rouge qu'il fit truffer de passages secrets. Aujourd'hui encore, la redoutable Citadelle de Maegor domine le ciel de Port-Réal. Combattant-né, chevalier redouté, et chef de guerre impitoyable, Maegor poursuivit la guerre de la Foi, et réussit à défaire sur le champ de bataille les ordres militaires, alors dangereuse menace pour son pouvoir naissant et sa dysnastie encore jeune. Malgré quelques soubresauts la Foi militante et ses ordres finiront par être proscrits et finalement par disparaître totalement des Sept Couronnes à l'époque de Jaehaerys le Conciliateur, quatrième roi de la lignée. Le règne de Votre Grâce n'en sera donc point troublé. Les choses spirituelles sont affaires de septons, pas de guerriers. Oui, Maegor accomplit de grandes et glorieuses choses dans l'intérêt du Trône de Fer, mais il se rendit également coupable de terribles crimes. Son accession au trône, usurpé à son neveu, fut souillée du sang de ses opposants qu'il fit exécuter, tel que le Grand Mestre Gawen. Il mit pareillement à mort les ouvriers qui participèrent à la construction du Donjon Rouge afin qu'ils ne puissent en divulguer les secrets. Et dans les ténèbres de ses geôles poisseuses de sang et d'eau croupie, le Cruel n'épargna aucune torture à ceux qui lui barrèrent la route, furent-ils de sa propre parentèle.
Préoccupé par l'absence d'un héritier, il collectionna aussi bien les épouses – six au total dont les trois derrières unies au roi en une unique cérémonie – que les maîtresses. Mais rien n'y fit. Le peu d'enfants qui provinrent de sa semence corrompue furent tous des monstres difformes et mort-nés. Les mères payèrent bien souvent de leur vie ces déconfitures, et certaines périrent des mains même du roi Maegor. Sa bestialité et son injustice n'en devinrent que plus grandes, et les piques de fer de sa forteresse se garnirent des têtes des traîtres qu'il voyait partout. Une colère sourde se mit à gronder, et on ne tarda pas à le traiter de tyran dans l'ensemble du royaume. Une ligue seigneuriale, menée par les maisons Tully et Baratheon, émergea. Elle se joignit à ce qu'il pouvait rester de la Foi militante dans le but de déposer Maegor et de le remplacer par un roi plus légitime à leurs yeux, et surtout plus conciliant. Perdant un à un tous ses principaux soutiens et même certains membres de sa Garde Royale, le roi resta hagard et interdit devant cet affront à son autorité, lui qui s'était toujours montré si prompt à punir ses adversaires. Après un ultime Conseil restreint où fort peu se présentèrent, il se retira seul dans la salle du Trône de Fer pour y méditer toute la nuit durant. Le corps du roi Maegor fut retrouvé exsangue au petit matin, les poignets ouverts sur les lames acérées du trône. Les versions sont diverses quant aux causes de son trépas. Se serait-il donné la mort pour éviter la honte d'une défaite ou bien aurait-il été assassiné par un de ses derniers fidèles ? Les mestres à l'imagination la plus prolifique n'hésitent pas à prétendre que ce serait le Trône de Fer lui-même qui aurait occis le Cruel, lui refusant ainsi le droit de régner plus longtemps.
Aegon ou Rhaenyra, le prince ou la princesse, lequel des deux était le plus légitime sur le Trône de Fer ? De la fille aînée issue des premières noces du roi Viserys ou du fils soutenu par une mère ambitieuse ; devant qui les seigneurs du royaume devaient-ils ployer le genou ? Il ne fallut rien de moins que la Danse des Dragons pour le déterminer. Beauté vieillissante et jalouse, Rhaenyra était sujette à des inconstances de femme. Elle entrait dans des colères noires, vitupérait, maudissait la terre entière, et laissait le plus souvent ses humeurs gouverner sa raison et ses décisions. Votre Grâce apprendra que la capacité à la mesure et au recul est une nécessité absolue pour tout monarque digne de ce nom. Une grossesse achevée avant terme dont naquit une fille mort-née monstrueuse, et la mort de ses fils durant cette guerre de succession, la firent sombrer plus profondément dans la cruauté et la démence. La trop haute idée qu'elle se faisait d'elle-même causa la mort des membres de sa parentèle, et de ses plus proches. Elle ordonna l'assassinat d'une femme plus jeune parce qu'elle la suspectait d'être devenue l'amante de son époux qui se détourna définitivement d'elle. Son incapacité à gouverner sagement provoqua le mécontentement populaire et de terribles émeutes éclatèrent dans la capitale dont elle s'était finalement emparée et qu'elle dut fuir. Défaite, ruinée, trahie de toute part et abandonnée de tous, la princesse Rhaenyra s'en retourna à Peyredragon pour y être cueillie dans un piège tendue par son demi-frère et rival Aegon le Deuxième. L'inconstante prétendante au Trône de Fer mourut brûlée et dévorée vivante par Feux-du-Soleyl, le dragon de Aegon dorénavant seul roi légitime.
Jusqu'au prélude de la Danse des Dragons, Aegon fut un prince effacé qui n'avait pas vraiment l'ambition de ceindre la couronne de son père. En effet, comme l'ont très bien montrés le Grand Mestre Munkun et l'Archismestre Gyldain dans leurs chroniques, le prince fut poussé vers le trône par sa mère, la reine Alicent, son grand-père, lord Otto Hightower, alors Main du roi Viserys, et ser Criston Cole de la Garde Royale, depuis surnommé le Faiseur de rois. Cependant, même s'il refusa un temps de devenir roi au mépris de Rhaenyra, il épousa assez rapidement les vues de son entourage et accepta d'être couronné. Il espérait encore à ce moment que sa demi-sœur se soumettrait à cet état de fait et qu'une guerre civile pourrait être évitée. Malheureusement comme Votre Grâce le sait, il n'en fut rien. La guerre fut totale et provoqua l'extinction des dragons. Aegon y fut très vite blessé, suffisamment pour qu'on le crut mort, mais la lutte continua néanmoins. En réalité il se cachait et préparait sa revanche tout en nourrissant une haine profonde pour Rhaenyra. Et il l'égala en cruauté et en folie lorsqu'il la jeta en pâture à Feux-du-Soleyl, se délectant par trop du spectacle. Néanmoins Aegon le Deuxième ne vécut pas assez longtemps pour profiter de sa victoire. Grandement meurtri dans sa chair, il périt de ses blessures sans héritier, ses fils ayant été assassinés durant la guerre. Ce fut donc son mélancolique neveu, Aegon le Troisième, le propre fils de sa demi-sœur et rivale, Rhaenyra, qui monta sur le Trône de Fer et ramena la paix dans le royaume en épousant sa cousine Jaehaera, unique enfant survivant de Aegon le Deuxième. Il y a de quoi réfléchir lorsque tant de querelles et de malheurs, de sang et de larmes, se retrouvent réglées et effacées par d'habiles et sages épousailles.
Baelor le Bienheureux était certes un saint très apprécié du petit peuple qui a réussi à rétablir la paix avec la principauté de Dorne, mais il tenait plus de l'illuminé que du roi. Il se préparait à devenir septon lorsque son frère aîné, le roi Daeron, périt après quatre années de règne dans une embuscade à Dorne alors qu'il se rendait à des pourparlers de trêve. Baelor fut par conséquent couronné roi des Sept Couronnes et s'assit sur le Trône de Fer. Davantage préoccupé par les affaires spirituelles et le salut de l'âme, il se désintéressa de l'exercice du pouvoir et des affaires terrestres. En vérité, tout le long de son règne, la gouvernance du royaume fut assurée la plupart du temps par sa Main et les membres de son Conseil restreint. Il n'est point bon, Votre Grâce, qu'un roi ne gouverne pas, ne serait-ce qu'un peu. Certains mestres estiment que tout aurait commencé lorsque Baelor dut braver une fosse à serpents afin de délivrer son cousin Aemon Chevalier-Dragon, alors captif des Dorniens. Le venin des reptiles lui aurait alors dérangé l'esprit. Entre histoire et légende ; où se cache la vérité ? Nul ne le sait.
Il n'en demeure pas moins que sa grande ferveur l'a conduit à faire annuler son mariage, prétendu non consommé, avec son épouse-sœur Daena, et à la faire enfermer pour le reste de ses jours avec ses deux autres sœurs, Rhaena et Elaena, dans un édifice du Donjon Rouge. Cet endroit, bâti derrière le septuaire royal, est aujourd'hui connu sous le nom de Crypte-aux-Vierges. Il espérait ainsi se libérer des pulsions charnelles qu'il éprouvait pour ce qu'on appela plus tard les Vierges de la Tour. Mais il se condamna irrémédiablement à ne pas engendrer d'héritier. Baelor troqua l'antique couronne de ses pères pour un bandeau de fleurs et de pampres, ce qui ne manqua pas d'interloquer ses vassaux. Il s'infligeait régulièrement des jeûnes purificateurs qui l'affaiblissaient, et s'abîmait en prières quotidiennement. Éœuré par le goût des corbeaux messagers pour la chair putréfiée, le roi tenta de les remplacer par des colombes, ce qui s'avéra infructueux. Et comme le sait déjà Votre Grâce, il fit édifier le Grand Septuraire de Port-Réal qui porte encore son nom. Ses lubies le poussèrent ainsi à porter au saint siège de Grand Septon un tailleur de pierre illettré du nom de Pat, et un enfant de six ans qui accomplissait de soi-disants miracles. Puis il décida de faire expulser toutes les prostituées de Port-Réal – plaise aux Sept que mon grand âge m'ait délivrer des désirs de la chair. Tandis qu'elles défilaient aux portes de la ville, le roi les bénit toutes sans pour autant leur accorder le moindre regard. Finalement Baelor mourut comme il avait vécu, et sans descendance. Il s'infligea quarante jours de jeûne qui eurent raison de lui lorsque la rebelle Daena donna naissance à un petit bâtard nommé Daemon dont le père s'avéra être leur cousin, le futur Aegon le Quatrième.
D'ailleurs parlons en de ce roi si mauvais qu'on l'appelle encore aujourd'hui Aegon l'Indigne. Ce prince tellement avenant et athlétique en sa prime jeunesse n'était pas destiné à régner. Il n'était que le fils d'un frère de roi qui avait lui-même des descandants. Seulement, les revers de la nature et de la fortune n'épargnent pas les familles royales – Votre Grâce ne peut que le savoir – et elles sont parfois amenées à trouver des héritiers auxquels on ne pensait pas. Ainsi lorsque son père Viserys mourut après une seule année de règne, trépas qui semble-t-il a été hâté par le poison, Aegon ceignit la couronne pour devenir le Quatrième, onzième monarque de la dynastie Targaryen. Marié à sa sœur Naerys, une femme fort pieuse qui lui déplaisait grandement, il se rendit notamment célèbre par le nombre de ses maîtresses. On lui en compta pas moins de neuf officielles ! Et de ces femmes lui advinrent ses Grands Bâtards comme Aegor Rivers dit Aigracier, Brynden Rivers surnommé Freuxsanglant – qui couvrit de son ombre les Sept Couronnes en tant que Main de deux rois – ou encore Shaïra Astre des Mers. Cette jeune femme, dont la mère provenait de Lys, fut à la fois la plus belle créature que la terre ait portée et la source de bien des discordes entre ses deux demi-frères qui se disputaient ses charmes.
Forcé à l'inactivité par une blessure de tournoi et déjà enclin aux excès de bouche, Aegon le Quatrième ne cessa de s'engraisser juqu'à être affublé d'une panse gigantesque et de lourds seins de femme. Il en était arrivé à ne plus pouvoir monter à cheval ou même passer par certaines portes du Donjon Rouge et de la Citadelle de Maegor. Il souffrit de terribles crises de goutte, et son corps se trouva déformé par de douloureux furoncles purulents. L'équilibre de son esprit ne put qu'être altéré par ces transformations physiques.
Ainsi, vers la fin de son règne, Aegon entretint une relation avec la fille cadette de sa Main, lord Bracken, prénommée Bethany. Sa sœur aînée, Barba, dont la poitrine contribua à sa renommée, avait déjà partagé la couche du roi, et lui avait même donné un fils : Aigracier. En n'hésitant pas à pousser ses filles dans les draps royaux, lord Bracken espérait rendre le roi plus disposé envers sa maison et ses intérêt. Un souteneur ou une maquerelle n'auraient pas agi autrement. Malheureusement, Bethany, pauvre enfant, supportait mal ses coucheries avec ce roi devenu si gras. Elle en développa une profonde répulsion qui se muait parfois en haine. Tant et si bien qu'elle finit par se consoler de son malheur dans les bras de ser Terrence Tignac de la Garde Royale. Mais ils furent surpris au lit par Aegon lui-même qui entra dans une colère noire. Les deux amants, mais aussi lord Bracken, furent arrêtés, torturés et exécutés pour complot contre la personne royale. On raconte même que le roi fit placer la tête tranchée de ser Terrence à pourrir dans la cellule de lady Bethany afin qu'elle puisse la contempler jusqu'au jour de sa propre exécution. Ce fut une pauvre créature amaigrie et à moitié folle qu'on amena au billot.
Extravagant, excessif et cruel, Aegon l'Indigne n'était pas pour autant dôté d'un grand courage. Toute son existence, Aegon ne craignit qu'un seul homme : son frère cadet Aemon Chevalier-Dragon qui s'était fait le champion et le garde-du-corps personnel de la reine Naerys. Néanmoins, malgré toute la haine que lui vouait l'Indigne, le Chevalier-Dragon sacrifia sa vie afin de sauver celle de son roi lors de la vendetta des frères Tignac qui cherchaient à venger le défunt Terrence, honorant ainsi son vœu solennel. Ce roi obèse et lubrique mena le royaume à sa perte en légitimant ses innombrables bâtards sur son lit de mort. La suite de l'histoire, Votre Grâce la connaît déjà. En plus de sa légitimation Aegon offrit de surcroît l'épée du Conquérant, Feunoyr, lors de son adoubement à l'aîné de ses bâtards, Daemon, qui adopta ce nom et prit pour bannière personnelle un dragon tricéphal noir sur fond rouge, par opposition au dragon rouge sur champ noir des Targaryen. Bien qu'il eut déjà un descendant légitime, le futur Daeron le Deuxième, Aegon le Quatrième ne pouvait pas faire mieux pour signifier à tous qui était, à ses yeux, son véritable héritier. Car Daemon Feunoyr n'était pas un enfant illégitime comme les autres. Il était issu du ventre de Daena, une pure Targaryen, et possédait dorénavant l'épée des rois. Tous ces événements conduisirent inexorablement aux rébellions Feunoyr qui allaient déstabiliser le royaume sur plusieurs générations.
Bien qu'il ne régna pas, le cas du prince Aerion Targaryen n'en est pas moins édifiant sur les tares et les perversions de cette maison. Ce personnage agité remua son époque par ses turbulences, son orgueil et sa cruauté. S'affublant lui-même du surnom de Flamboyant, qu'il préféra toujours à celui de Monstrueux, Aerion était persuadé d'être l'incarnation d'un dragon sous forme humaine. Rien de moins ! Son intempérance et ses frasques furent une des causes de la mort accidentelle de son oncle Baelor Briselance, alors appelé à hériter du Trône du Fer, lors du tragique tournoi de Cendregué. Le père de Aerion, le futur roi Maekar, et auteur du coup fatal, l'envoya alors dans les Cités Libres pour sa sauvegarde. Le décès prématuré du prince Baelor, apprécié et pétri de valeurs chevaleresques, causa une grave crise de succession qui amena finalement à l'accession au trône de Aegon le Cinquième. Oh certes Aerion s'illustra l'épée au poing et prit le parti loyaliste durant la troisième rébellion Feunoyr, ce qui lui permit de revenir en grâce à la cour. Mais cela ne l'empêcha pas de mourir sottement, un an avant son père, en buvant une tasse de feu grégeois, persuadé qu'il était de pouvoir se métamorphoser ainsi en dragon.
En temps normal, étant le quatrième fils d'un quatrième fils, l'éventualité que Aegon le Cinquième monte un jour sur le Trône de Fer était hautement improbable. Il en acquit d'ailleurs son surnom d'Invraisemblable. À la mort de son père, le roi Maekar, la maison Targaryen avait été décimée par la maladie, les drames et les décès accidentels – je renvoie Votre Grâce à la manière dont mourut le prince Aerion – bouleversant l'ordre de succession de la couronne. Pour parer à cette situation, un Grand Conseil fut convoqué sous l'égide de la Main du roi, lord Freuxsanglant. Ce fut le moment que choisit le cinquième fils de Daemon Feunoyr, Aenys, pour faire valoir ses prétentions à la couronne. Mais, prévoyant comme à son habitude, lord Freuxsanglant lui avait tendu un guet-apens et ce fut sa tête tranchée qu'il présenta aux grands seigneurs du royaume. Après avoir étudié un à un les droits des autres prétendants potentiels, il ne resta plus que deux choix raisonnables : Aemon, un mestre respecté pour son intelligence et sa sagesse, et son frère Aegon, qui avait jusque-là mené une vie d'aventure, loin des affaires de la cour, en compagnie de ser Duncan le Grand dont il fut l'écuyer. Finalement, bien qu'on lui proposa de le libérer de ses vœux, mestre Aemon refusa de monter sur le Trône de Fer au profit de son frère. Pour ne pas le gêner, il décida au surplus de partir pour le Mur, à Châteaunoir, dans la Garde de Nuit, où il se fit oublier de tous.
Le règne de Aegon l'Invraisemblable se passa en apparence paisiblement, et il fut aimé des gens du peuple dont il avait été très proche durant sa trépidante jeunesse. Sa première décision consista à faire introniser son colossal ami et compagnon d'errance, ser Duncan, dans la Garde Royale. Très attaché à la chevalerie et ses valeurs, il adouba personnellement ser Barristan Selmy, alors âgé de seize ans, en récompense de ses prouesses au tournoi d'hiver de Port-Réal. Ce fut également le roi Aegon qui fit entrer en chevalerie un aïeul de Votre Grâce : ser Tywald Lannister qui malheureusement ne vécut point longtemps après. Tout s'annonçait alors sous les meilleurs augures pour le roi Aegon. La stabilité du royaume et de sa lignée semblait assurée. En effet, il avait négocié de bons mariages politiques avec d'autre grandes maisons pour les enfants qu'il eut de la reine Betha Nerbosc. Seulement voilà, ces mêmes enfants avaient d'autres projets. L'aîné et héritier, Duncan, alors fiancé à la fille de lord Baratheon, n'avait d'yeux que pour une roturière du Conflans, nommée Jenny – peut être Votre Grâce a-t-il déjà entendu la chanson qui l'évoque. Jaehaerys était promis à la fille de lord Tully, tandis que sa sœur, Shaera, devait épouser l'héritier de la maison Tyrell. Mais le frère et la sœur s'aimait tendrement depuis l'enfance. Ainsi Duncan le Petit, le Prince aux Libellules comme on l'appelait alors, renonça au Trône de Fer afin d'épouser librement sa Jenny. Et Jaehaerys et Shaera s'enfuirent ensemble pour se marier en secret. L'inceste, ce crime odieux et puni par les Sept, a toujours été l'apanage des Targaryen. Votre Grâce peut se réjouir de ne pas être issu de telles unions contre-nature.
Que fit alors Aegon le Cinquième, l'Invraisemblable, pour empêcher tout ceci ? Rien, absolument rien. Il ne s'opposa pas aux désirs de ses enfants sous le prétexte qu'ayant lui-même épousé la reine par amour il ne pouvait pas se mettre en travers des romances de sa progéniture sans se contre-dire. Il s'en attira des animosités et des remontrances de la part des grands seigneurs du royaume, ceux-là même qui l'avaient mis sur le trône. Si ses propres enfants pouvaient bafouer l'autorité du roi sans la moindre conséquence ; pourquoi ses vassaux s'y soumettraient-ils ? La suite du règne de l'Invraisemblable fut ainsi sapée par les troubles et les trahisons, jusqu'à sa mort lors de la tragédie de Lestival – événement dont nous ne possédons que fort peu de sources et témoignages.
Aerys le Deuxième dit le Fol, ou tout simplement le Roi Fou, fut le fruit absolu de plus de deux siècles d'unions consanguines au sein de la maison Targaryen. Il épousa sa sœur Rhaella par ordre de son père, Jaehaerys le Deuxième, afin d'accomplir une obscure prophétie. Ce fut un mariage sans amour ni même affection, et fort peu cordial. Le Roi Fou en arrivait souvent à battre la reine sans raison ou pour passer ses humeurs. Les débuts du règne de Aerys le Fol furent néanmoins prometteurs. C'était un monarque jeune, énergique et ambitieux, bien décidé à mettre de l'ordre dans son royaume et ses finances, et cela en étroite collaboration avec une Main de confiance. Quel aurait été l'état des Sept Couronnes sans la sagesse et les conseils avisés du grand-père de Votre Grâce, lord Tywin Lannister ? Les Sept soient loués d'avoir fait de lui la Main du roi durant vingt longues et bonnes années de règne. Jusqu'au jour où lord Sombrelyn qui ne payait plus les impôts dûs à la couronne, enleva le roi et massacra son escorte. Aerys fut retenu captif en la forteresse de la cité de Sombreval. Lorsqu'il fut averti du péril de la situation, lord Tywin mit le siège devant les remparts de la cité exigeant dans l'heure la libération de Sa Grâce. Certaines mauvaises langues prétendent encore que votre grand-père projeta de donner l'assaut et d'incendier la ville sans aucune considération pour ses habitants et la vie de son roi. Calomnies que tout cela ! Six mois de siège s'ensuivirent sans qu'aucune issue ne soit trouvée. Jusqu'à ce que ser Barristan Selmy de la Garde Royale se propose de pénétrer dans l'enceinte à la faveur de la nuit et d'en ressortir avec le roi. Le plan fut un succès même si ser Barristan y reçut une énième blessure.
S'il fut délivré grâce à l'astuce de lord Tywin et la témérité du Hardi, Aerys demeura profondément changé par cet événement. Il devint méfiant et suspicieux, et se défia même de votre grand-père si fidèle car il se murmurait dans le royaume qu'il en était le véritable maître. Pour tout le reste de son règne, Aerys le Fol oscilla entre les crises de démence et les périodes de rémission, entrecoupées çà et là de moments de profonde hébétude. Il ne quitta plus l'abri du Donjon Rouge qu'en de très rares occasions. Et ses rapports avec lord Tywin ne firent que s'empirer. À la mort prématurée de son quatrième enfant, Aerys fut pris d'un de ses accès de paranoïa. Il suspecta la nourrice puis sa maîtresse d'avoir empoisonné le nourrisson. Elles furent torturées puis exécutées avec toute leur famille. Ensuite, lorsqu'il reprit ses esprits, le roi renonça publiquement à avoir des maîtresses, comme s'il ne s'était rien passé. Tel était le comportement de Aerys le Fol : erratique et paradoxal. Obsédé par l'idée que l'on puisse aussi l'empoisonner, il faisait goûter ses repas et ses vins trois à cinq fois avant qu'on les lui serve, jusqu'à ne presque plus s'alimenter du tout, ce qui le rendit atrocement maigre. La plus petite indigestion était prise pour une tentative de meurtre et valait au maître coq d'être mis à mort. Pour la même raison il négligea la plus élémentaire des hygiènes, se retrouvant rapidement affublé d'une tignasse de cheveux crasseux et hirsutes, et d'ongles démesurément longs. Constamment agité, il se blessait régulièrement sur le Trône de Fer et ne tolérait plus que l'on porte épée au côté en sa présence, hormis sa Garde Royale. Plus inquiétant encore, le roi développa également une fascination malsaine pour le feu et se rapprocha de la Guilde des Alchimistes, dont les pyromants pullulèrent à la cour. Puis arriva le jour où la rupture entre Aerys le Fol et lord Tywin Lannister ne put être plus longtemps empêchée, après tant de remontrances et d'insultes. La fierté s'accommode parfois des outrages mais certainement pas l'honneur. Et votre grand-père quitta la cour. Il s'ensuivit les événements que Votre Grâce connait déjà.
Je ne vais assurément pas assommer Votre Grâce en lui narrant encore une fois par le menu le récit de la très glorieuse et très juste rébellion que mena Robert Baratheon. Sachez seulement que la santé mentale du Roi Fou ne fit que se dégrader au fur et à mesure des échecs. Il se débarrassa de ses diverses Mains, par exil ou par exécution. L'affable lord Chelsted fut notamment plongé dans un grand chaudron de feu grégeois. On raconte que le soir de l'exécution, Aerys aurait battu son épouse jusqu'au sang. Ce qui est sûr c'est qu'il se referma de plus en plus sur lui-même, voyait des traitres partout, et perdait tout sens des réalités. Jusqu'à la fin il resta persuadé de pouvoir vaincre ses ennemis. Finalement l'oncle de Votre Grâce, ser Jaime Lannister – injustement appelé Régicide – mit un terme à cette aberration en abattant le Roi Fou d'un coup d'épée salutaire.
Moultes fois béni soit ainsi votre défunt père le roi Robert Baratheon, Premier du nom et fondateur de votre dynastie, que d'avoir jeté à bas cette maison si pervertie et encline à la mauvaise gouvernance. Il ne fut pas lui-même exempt d'erreurs, mais le royaume demeura uni et en paix pendant les quinze années que dura son règne. Le roi Robert était un homme d'action et comme tous les hommes d'action les affres de la politique ne sont pas leur fort. Gouverner n'est pas la même chose que mener une armée à la bataille. Un sage a dit un jour qu'être roi revient à essayer de traverser une forêt dense par une nuit sans lune alors que l'on est soi-même aveugle. Ce fut une véritable forêt et une chasse au sanglier qui eurent raison de ce titan, de ce grand guerrier qu'était le père de Votre Grâce. Que n'a-t-il vécu pour découvrir la félonie d'Eddard Stark qu'il croyait son ami fidèle.
Quant à notre regretté souverain Joffrey des maisons Baratheon et Lannister, Premier nom, le frère de Votre Grâce, ce sont erreurs de jeunesse bien excusables qui ont ternies son règne si court. Quel autre prince eut à faire face, au même âge, à tant de trahisons, d'intrigues et à une telle guerre civile ? Le roi Joffrey réussit néanmoins à défaire ses ennemis, les traîtres Robb Stark, qui a eu l'impudence de se proclamer Roi du Nord, et Stannis Baratheon, à la bataille de la Néra. S'il n'avait été assassiné par le Lutin et sa Stark de femme au sang de félon, lady Sansa ; jusqu'où aurait pu briller l'astre de Joffrey Baratheon ? Nul ne le saura jamais.
Il revient par conséquent à Votre Grâce de mener le royaume dans les tristes moments qu'il traverse. Gouverner n'est pas facile, et il est aisé de se perdre comme cette chronique a pu vous l'apprendre. Mais les principes d'un bon souverain sont simples, et il faudra que Votre Grâce s'en souvienne.
Un bon roi est un roi sage. Un roi sage est un roi qui connaît ses forces et ses faiblesses. C'est un souverain conscient de ce qu'il sait et de ce qu'il ne sait pas, ce pour quoi il est fait et ce pour quoi il ne l'est pas. Un bon roi est celui qui cherchera à renforcer ce qu'il est afin de compenser ce qu'il n'est pas.
En conséquence, un bon roi est un roi qui sait s'entourer de conseillers habiles et fidèles. Des hommes qui ont l'expérience des affaires du royaumes, des finances, de la guerre, du renseignement et des lois. Un bon roi doit pouvoir s'en remettre à une Main choisie avec soin parmi les plus capables du royaume, et non par favoristime ou faiblesse de cœur. Un bon roi écoute ses conseillers avec attention et intérêt avant de prendre toute décision.
Un bon roi est un roi qui a le constant souci de l'intérêt supérieur du royaume. Il n'est pas une propriété dont il peut jouir selon son bon plaisir. Un bon roi est conscient de sa responsabilité à l'échelle de l'histoire, par rapport aux gloires du passé mais aussi envers les générations à venir. Un bon roi sait que son corps, tout comme ceux de sa famille, ne lui appartient plus. Il n'existe que pour épouser la destiné de sa couronne. Un bon roi fait en sorte de rendre le royaume en meilleur état qu'il ne l'a trouvé. Le roi peut mourir, mais le royaume perdure.
En tant que souverain des Sept Couronnes Votre Grâce se devra d'être fort, en guerre comme en paix, ferme, avec vos amis comme avec vos ennemis, juste, tout autant envers le grand que le petit, et toujours attaché à la dignité de votre personne, de vos titres et de vos maisons. Tempérance et modération en tout seront vos meilleurs alliés tout le long de votre règne. Votre Grâce évitera ainsi les décisions hâtives et inconsidérées qui ont amenées plus d'un roi à sa perte.
Que tous saluent le règne de Tommen des maisons Baratheon et Lannister, Premier du nom, Roi des Andals, des Rhoynar et des Premiers Hommes, Seigneur des Sept Couronnes, et Protecteur du Royaume, comme un Âge d'Or pour les Sept Couronnes comme l'ont en a jamais vu en trois-cents ans. Longue vie, prospérité et prolifique descendance au roi Tommen et à la reine Margaery.
Mestre Owayn
Citadelle de Villevieille