Dame ou chevalier ?

Chapitre 1 : Dame ou chevalier ? - L'enfance d'Arya Stark

Chapitre final

2427 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/11/2019 11:42

Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture de Fanfictions . fr : Promenons-nous dans les bois (novembre 2019)


Dame ou chevalier ?

L'enfance d'Arya Stark


« Père ? hurla l’enfant. Père ? Où êtes-vous père ? Père ! »

Arya Stark était frigorifiée par la peur, pétrifiée par l’horreur de la situation. Son unique solution, pour l’instant, était de hurler encore et toujours une demande de secours de la part de son père.

Dire que seulement quelques instants auparavant elle avait papillonné dans cette même forêt, pressée de réaliser le plus beau bouquet de fleurs pour la jeune mère. C’était en effet la raison de leur traversée de la forêt de Winterfell. Le gentil couple de fermiers qui avaient toujours été présents pour Eddard Stark avait donné vie à une petite fille : Milyanna.

Arya, soucieuse d’apparaître tout aussi agréable que Sansa, sa sœur aînée, avait donc accepté de se joindre à son père pour une promenade qui n’augurait rien de mauvais. Pourtant, alors que son bouquet était presque achevé, l’enfant s’était retournée et s’était aperçue qu’elle était seule et bien loin du chemin qu’ils empruntaient. Arya était perdue.

 

La saison estivale battait son plein depuis quelques années à présent. Les Stark ne cessaient de répéter que l’hiver venait, mais cet été-là avait décidé de rester sur le tard. Le soleil, très présent ce jour-là, traversait les feuilles leur donnant un aspect smaragdin [1]. Malgré le soleil, cependant, on pouvait voir que le sol était tapissé de feuilles et de mousses humides. Les pierres étaient d’ailleurs à peine visibles, elles s’amusaient en effet à prendre la couleur du tapis de feuille en se couvrant de lichen [2]. La pluie n’était pourtant pas tombée depuis deux semaines, mais dans le bas du talus coulait une rivière d’eau fraîche. Mestre Luwin lui avait appris que sa source provenait d’au-delà du mur et qu’elle se ressourçait de la magie que celui-ci diffusait. Quand on levait les yeux, on pouvait voir les branchages s’entrecroiser jusqu’en haut de la canopée [3] se battant presque pour atteindre en premier la lumière solaire.

Le vent, léger et chaud, faisait frissonner les feuilles et apportait avec lui le bruit de la vie de la forêt. La forêt, en effet, n’avait rien d’un simple bâtiment ou d’une simple construction. Elle vivait. La forêt avait plus de points communs avec l’homme qu’avec les châteaux que celui-ci construisait. La forêt était un être-vivant. Un être-vivant qui abritait toutes sortes d’animaux. Ainsi on pouvait percevoir le bruit des pas d’un sanglier se promenant, le grognement lointain d’un ours râleur, le couinement d’un souriceau appelant, apeuré, sa mère. Jamais la forêt n’était silencieuse, c’était une réelle symphonie. Plus belle que n’importe quelle autre créée par l’homme. C’était la symphonie de la pureté naturelle. On comprend donc mieux pourquoi les bardes aimaient vivre à l’orée de ces bois. L’inspiration ici devait être bien plus grande.

Dans l’air de la forêt de Winterfell flottait aussi cette odeur délicieuse de verdure. L’odeur des pins et des chênes se mélangeait à l’odeur des marguerites poussant dans les clairières. À chaque instant le nez et son sens olfactif recevait une nouvelle information et un nouveau parfum. Celui-ci était plus léger et plus puissant que tous les parfums créés par l’homme. Un instant on pouvait ressentir l’odeur plaisante du bois humide réchauffé par un rayon de soleil et celui d’après la fraîcheur apportée par la rivière en contre-bas. Tous ces parfums étaient plus multicolores qu’une tablette de peinture. Toutes les nuances y étaient et le résultat enivrait.

Quand on descendait à la rivière et qu’on trempait ses lèvres dans l’eau fraîche, les papilles se réveillaient et la gourmandise nous prenait. Était-ce l’influence magique du mur qui donnait ce goût à l’eau ? Dans tous les cas il s’agissait de la chose la plus pure que l’on pouvait boire. Bien plus enivrante qu’un bon vin rouge, bien plus savoureuse qu’une viande sauvage, bien plus saisissante que le potage que Septa Mordane préparait aux anniversaires. En une seule gorgée, l’eau pure de la rivière hydratait tout homme assoiffé de victoire ou de sang. C’était la solution de nombreux maux et de nombreuses folies, on y baignait les nouveau-nés et l’on disait que s’ils en buvaient une gorgée, ils mourraient à un grand âge.

Et lorsque l’on trempait les mains dans cette eau si fraîche. Ces mêmes mains qui quelques secondes auparavant avaient touché un tronc rugueux d’un chêne. Qui s’étaient chatouillées en frôlant l’herbe verte. Qui avaient agrippées d’une poigne ferme la terre argileuse, glaise et féconde. Alors quand nos mains plongeaient dans ce flux pur et saisissant, l’on avait l’impression de renaitre et d’à nouveau pouvoir tout sentir. Car la forêt apportait les meilleures sensations et même un aveugle pouvait y ressentir l’énergie et en voir la beauté.

 

Pourtant, ce n’était pas la beauté de ces grands bois qu’Arya Stark voyait. La jeune fillette était effrayée. Selon elle, la forêt était fallacieuse [4], perfide. Seule et perdue ce grand être vivant n’avait plus rien de charmant, d’envoûtant et de subjuguant. Seule et perdue la forêt n’avait plus cette musique magique où dansent les créatures mythologiques. Seule et perdue la forêt n’avait plus rien d’identique que lorsqu’elle s’y promenait avec le courageux Eddard Stark. De sa petite taille, bien trop ridicule pour une Dame de la cour, elle réalisait à quel point ici tout la dominait. Elle devait en effet se briser la nuque pour voir la cime des arbres au tronc si immense que même si elles étaient dix, elles n’en feraient pas le tour. De plus, sa longue robe en laine de mohair [5] qu’elle portait l’empêchait de se mouvoir aussi habilement que la souris qui la narguait en se faufilant entre les racines aussi aisément que le vent sifflant son vice dans les feuilles.

Puis soudain la panique grimpa en intensité lorsqu’un épais nuage gris vint d’autant plus noircir la forêt. Arya chevrota, s’épouvanta et regretta de ne pas être restée au château avec Sansa et sa mère, Catelyn Stark. Là-bas, exceptés les comtes racontés par Vieille Nan et dont Bran raffolait, rien n’y était effrayant. Au château, elle aurait certainement appris avec Septa Mordane quelques nouvelles techniques de broderie, on l’aurait appelé Dame Arya, on lui aurait demandé si elle avait tout ce dont elle avait besoin, on lui aurait rappelé de ne pas courir près de la forge, de ne pas gêner les entraînements de Jon et de Robb, elle aurait ri des babillements de bébé Rickon. À Winterfell elle aurait été une jeune dame de la cour dont rien d’extraordinaire n’aurait bousculé sa vie, mais où elle aurait été en sûreté. Bien loin de cette forêt.

Pourtant, Arya s’y trouvait, dans cette forêt. Ici, excepté sa robe de haute-couture, rien ne faisait d’elle une dame respectable et respectée. Ici, elle était tout aussi vulnérable que n’importe quel autre habitant ou roturier. Ici, elle n’était pas plus importante que Mycah, le fils du boucher. Et sans toutes ces couches de protection qu’elle ne portait rien qu’en prononçant son nom Arya n’avait pour se défendre. Ni technique de combat, ni volonté, ni esprit de bravoure. Arya était dans cette forêt l’être le plus vulnérable qu’il existe.

 

Avançant sans savoir où aller, si le prochain pas la ferait chuter ou dévoilerait une nouvelle araignée, Arya cherchait vainement son père et le mestre Luwin. La traversée de la forêt se faisait difficilement. Sans aucun repère, la jeune enfant s’était dite qu’il fallait suivre les rayons de soleil, mais ce qu’elle ignorait, c’était qu’elle s’enfonçait toujours plus dans le cœur du bois. Là où l’humain n’avait quasiment jamais mis les pieds et là où la nature régnait en maitre.

Et le maitre de cette forêt, elle le vit. À trois arbres seulement d’elle se tenait le plus bel animal qu’il existe. Le plus mystique d’entre tous. C’était le spectacle le plus impressionnant de sa courte vie. Les adultes de Winterfell en avaient souvent parlé, le disant disparu et appartenant à un autre temps. Pourtant, Arya en était certaine, c’était un loup-géant qui se trouvait devant elle. Son museau était enfoui dans une motte de terre. Ses pattes avant grattaient le sol frénétiquement. Il devait sûrement être à la chasse d’un rongeur. Arya s’arrêta net. Son cœur battant l’étrange mesure de l’effroi se mêlant à la joie de voir un tel tableau. Sa respiration se fit lente, profonde. Ses poils sur ses bras s’étaient hérissés. En haut de sa nuque perlait une goutte de sueur froide. Calmement le loup-géant tourna sa gueule vers l’enfant tétanisée. Il cessa lui aussi de bouger.

Bien qu’il fût magnifique, que sa robe grise semblait briller telle une pièce d’argent, que ses yeux perlaient d’une lueur douce et inoffensive, Arya n’oubliait pas que s’il le voulait, le loup-géant pourrait la tuer. Se sentir si faible était glaçant. Elle aurait aimé avoir une épée accrochée à sa taille comme le faisaient Robb et Jon. Ou alors une arme aussi grande que Féale, l’épée de son père. Bien sûr, elle n’aurait pas pu la soulever. Mais rien qu’une épée à sa taille l’aurait rassurée. Une flamberge [6] qui pourrait trancher et défendre. Elle se surprit alors à désirer être un homme, car en tant que dame elle n’avait le droit d’avoir pour seule et unique arme une aiguille pour la broderie. Une arme qui ne blesse pas, qui ne défend pas, qui est donc inutile. Encore plus contre un loup-géant.

En tant qu’homme, Arya aurait pu porter quelque chose de plus séant qu’une robe au long jupon. Elle aurait pu avoir un bas ou un pantalon pour fuir plus aisément. Parce que c’est ce qu’elle voulait faire : fuir. La terreur qui se mêlait à l’admiration gagnait peu à peu en elle du terrain. Elle aurait aimé que son père apparaisse soudainement et qu’il la sauve telle une princesse.

Le loup-géant continuait de la fixer, comme s’il voulait lui dire quelque chose, lui transmettre une idée. Et c’est alors que l’enfant arriva enfin au bout de sa réflexion. Les idées étaient lentes quand la peur contrôlait le cerveau, mais elles y étaient enfin arrivées. Elle ne voulait pas être une dame parfaite et obéissante. Arya voulait être aussi libre que Robb et Jon, ou même Bran qui, bien qu’ayant un an de moins qu’elle, avait le droit de sortir et de monter à poney. Arya voulait cesser d’avoir peur dès qu’elle quittait les remparts du château. Arya aussi voulait qu’on s’impressionne de ses tirs à l’arc, de son agilité à manier le fer, qu’on rit avec elle de manière grasse et qu’on l’emmène à la chasse. Arya ne voulait pas être une énième dame de la cour, une énième Catelyn ou Sansa. Elle voulait être aussi brave et respectée qu’Eddard Stark. Arya aurait aimé naitre homme.

 

La jeune Stark avançait à présent d’un pas sûr et rapide. Pour ne plus la gêner elle avait arraché le bas de sa robe, au milieu de ses cuisses, laissant apparaitre son bas. Sa marche et sa recherche du chemin se firent donc plus aisément. Son esprit cependant n’était pas concentré sur sa recherche. Elle voyait encore le loup-géant se détourner lentement d’elle, abandonnant son rongeur, et s’enfoncer dans les profondeurs mythiques de la forêt. Là où aucun humain n’avait mis les pieds et là où vivaient des animaux d’un autre temps. Arya, elle, avait rebroussé chemin. Son esprit vide de toute panique était à présent plus clair. Sa recherche n’était plus aussi laborieuse. Le sang ne battait plus dans ses oreilles et elle put donc entendre les appels inquiets de son père et du mestre Luwin. Sans se précipiter elle rejoignit les deux hommes et Eddard Stark se précipita vers elle. Après une longue embrassade, il l’analysa et s’inquiéta de la tenue de sa fille, se demandant si quelque chose lui était arrivé. Dans le regard de sa fille cadette était né un nouveau sentiment. Même le mestre Luwin s’en était aperçut. De sa voix enfantine, de sa pureté presque naïve, Arya répondit qu’elle venait de rencontrer un loup-géant qui lui avait dit de devenir chevalier.

« Mais enfin, Arya ! Une dame telle que toi ne peut décemment pas être chevalier ! 

_ Je ne suis pas une dame, père ! Je veux être comme toi ! »

 

[1] smaragdin : adj., vert émeraude.

[2] lichen : nom m., plante entre l‘algue et le champignon poussant sur les arbres, rochers et murs.

[3] canopée : nom f., couche supérieure des forêts.

[4] fallacieux.se : adj., qui cherche à nuire.

[5] mohair : nom m., laine provenant du poil de chèvre.

[6] flamberge : nom f., longue épée de duel très légère.

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