Chapitre 1 : Bienvenue à Donbachi

Lorsque le train s'arrêta enfin, Edward se sentit infiniment heureux. D'une part il n'en pouvait plus de rester assis, et d'autre part, cela faisait plusieurs jours qu'il voyageait et le temps commençait à paraître extrêmement long. Les paysages qu'il venait de traverser étaient loin d'être passionnants, notamment parce qu'il était très répétitif et de plus parce que toutes ces impressionnantes vallées bouchaient la vue et empêchaient d'avoir de vastes panoramas comme il les aimait. Mais, même s'il essayait de ne pas y penser, ce qui avait rendu ce trajet interminable était l'absence d'Alphonse. Il ne voulait pas trop le reconnaître mais son petit frère lui manquait énormément. S'il était tout à fait d'accord qu'Alphonse méritait de voler un peu avec ses propres ailes, il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir incroyablement seul. D'un autre côté, après tous les voyages qu'ils avaient fait ensemble, après tout ce qu'ils avaient traversés, cela n'avait rien d'étonnant.

Perdu dans ses pensées, Edward pris le temps de s’étirer avant de descendre du train. A sa grande surprise il fut aussitôt cueillit par une troupe de soldats aux allures sérieuses et guindés. Celui qui semblait être le chef s'avança et se mit au garde à vous avant de demander sur un ton très neutre :

« Vous êtes bien Edward Elric ? »

Toujours sous le choc, il se contenta d'une onomatopée et d'un hochement de tête pour confirmer son identité. Cela suffit néanmoins au capitaine qui reprit :

« Bienvenue à Donbachi Monsieur Elric, vos mécènes vous attendent. »

Sans lui laisser le temps de répliquer, de demander des détails ou quoi que se soit de normal, le soldat fit demi tour en lui faisant signe de le suivre. Bougon, Edward jeta un œil dubitatif sur les dix autres gardes qui l'accompagnaient avant d’emboîter le pas du capitaine en traînant les pieds. Si les gens de son escorte improvisée ne semblaient pas menaçant, Edward avait l'impression qu'ils étaient plus là pour le tenir en laisse que pour le protéger et cela l'agaçait énormément. En fait, même s'ils avaient été là pour le protéger ça l'aurait agacé de toute façon, il détestait avoir des baby-sitter.

Il ne chercha pas à cacher son exaspération mais il réussit à se contenir et à ne pas s’énerver ou faire de commentaire. S'il se fichait bien de passer pour le dernier des impolis, il était assez malin pour savoir quand il valait mieux être sage et ce moment se prêtait parfaitement aux critères. Le peu qu'il connaissait de Donbachi l'avait de toute manière préparé à ce genre de situation : le pays tout entier vivait de manière très renfermé, presque en autarcie, et il avait dû faire un nombre de démarche tout à fait incroyable pour avoir le droit d'y entrer. A priori, sans son passé glorieux d'alchimiste d'état il n'aurait même pas pu y mettre les pieds.

Toutefois, il était sûr que sa peine serait récompensé s'il avait bien accès à la grande bibliothèque nationale comme on le lui avait promis. Car c'était bien cet édifice réputé dans le monde entier qui avait attiré sa curiosité et l'avait poussé à venir ici. En effet, la bibliothèque avait déjà plusieurs siècles derrière elle et abritait des vieux grimoires très rares, mais surtout, si sa légende n'était pas usurpée, elle contenait la plus grande collection d'ouvrages au monde avec plus de cents millions de livre venant de tous les pays. Pour lui qui cherchait à acquérir le plus de connaissances possible, cela lui semblait l'endroit idéal. Surtout sachant que, ne disposant d'aucune forme d'alchimie pour leur simplifier la vie, Donbachi était réputé pour avoir des sciences bien plus avancées que les pays voisins. En tout cas, Donbachi était certainement plus adaptée à ses ambitions que Crêta où il venait de subir une cuisante déconvenue, n'ayant rien appris de vraiment transcendant après plusieurs semaines de recherches.

Comme pour achever de le convaincre de rester calme, suite à ce rappel de ces motivations ils atteignirent enfin le sommet de la colline qu'ils grimpaient et la citée de Queyras apparu soudain devant lui. Même s'il n'était pas facilement impressionnable, Edward du bien reconnaître qu'elle était impressionnante à voir : la ville entière était presque parfaitement circulaire et ressemblait à un mille-feuille posé sur une gigantesque colline qui faisait presque une centaine de mètres de hauteur. La première chose qu'on remarquait en la voyant c'est que toutes ces formes semblaient géométriques. Quatre gigantesques escaliers étonnements droits traversaient la ville de bas en haut sur chaque flanc et cinq enceintes elles aussi parfaitement lisses et circulaires découpaient la citée en zone de moins en moins étendues.

Connaissant pertinemment l'effet que faisait ce panorama aux étranger, le capitaine s'était arrêté quelques instants pour le laisser profiter de la vue, mais, même après qu'ils se furent remirent en marche, Edward continua à l'observer avec fascination, incapable de dire s'il trouvait la citée belle ou pas. Il ne pouvait pas nier qu'un certain esthétisme se dégager de cet ensemble, et les formes artificielles qui la composaient trouvaient un écho dans son passif d'alchimiste mais justement, la ville semblait trop parfaite pour être authentique et par conséquent, elle dégageait une aura légèrement inhumaine qui n'était pas des plus rassurantes.

Lorsqu'ils arrivèrent au pied de la cité, Edward commença à s'inquiéter à l'idée de devoir gravir l'un des escaliers mais heureusement une nouvelle surprise l'attendait. En effet, pour se déplacer, les habitants semblaient avoir délaissé les marches patinées par le temps, au profit d'étranges wagons montés sur des rails. Lorsqu'il interrogea le capitaine, celui-ci lui dit que cela s'appelait des funiculaires mais il n'en apprit pas plus alors qu'il brûlait de tout savoir à leurs sujets. En effet, bien que cela lui fasse vaguement pensé à des trains, le système ne semblait pas utiliser le charbon ni aucun autre système qu'il connaissait.

Bien décidé à résoudre ce mystère plus tard, il prit son mal en patience et laissa son regard se poser sur le paysage qui défilait tranquillement. Cette observation lui permit de comprendre rapidement comment s'organiser la cité. En fait, c'était très simple : plus on montait, plus le niveau de vie des gens semblait élevé. Chaque enceinte abritait des maisons de plus en plus sophistiquées et des espaces de mieux en mieux entretenus.

Le premier niveau se distinguait par son sol en terre battue et était principalement composé de maisons rafistolées entassées les unes sur les autres, à l'image de la population elle-même qui semblait presque à l'étroit entre les murs. En fait, cette partie de la ville lui rappelait énormément les ghettos Ishbal qu'il avait eu l'occasion de traverser : tout respirait la pauvreté et la misère mais les gens semblaient unis et cela leur donnait une aura étincelante.

A contrario, lorsqu'ils arrivèrent tout en haut, il ne discerna qu'une vingtaine d'immenses bâtisses qui transpiraient le luxe, chacune reliées aux autres par des chemins pavés qui traversaient des parcs verdoyants. Le faste régnait partout et il ne pouvait pas faire dix mètres sans croiser une statue, qu'elle soit à effigie d'un illustre personnage ou qu'elle soit beaucoup plus abstraite, parfois au point de devenir légèrement flippante. Après, ce n'était que son point de vu et il n'y connaissait strictement rien en art. Mais malgré tout, cette notion de relativité ne l'empêchait pas d'appliquer quand même ses jugements de valeurs et de « plaindre » les gens qui se réveillaient avec ces étranges créatures/formes/choses sous les yeux.

Après une bonne heure de trajet ils s’arrêtèrent enfin dans le grand hall d'une des maisons et Edward resta scotché sur place. L'intérieur était à l'image de l'extérieur : ridiculement ostentatoire. De ce qu'il voyait, une grande partie de la maison était en marbre mais surtout sa rétine était agressée par les innombrables décorations qui couvraient sol et plafond. Que cela soit des tapis chatoyants, des portraits étranges, des lustres surchargés ou bien encore des colonnes ciselées, la maison semblait débordée d'objets inutiles et excessivement chers.

Alors qu'il essayait de rester sérieux face à tous ses bibelots risibles, le capitaine se remit à lui parler.

« La Puissante famille Abélès a accepté de vous prendre sous sa protection, c'est elle qui vous permettra d'accéder à notre fantastique bibliothèque de Babel et aux autres merveilles de notre magnifique cité... »

Edward opina vaguement, encore une fois, il avait l'impression que l'homme voulait dire « sous sa surveillance » plutôt que « sous sa protection », et encore une fois il ne fit pas de commentaire. Si la situation lui déplaisait trop il n'aurait qu'à filer en douce mais autant attendre d'avoir l'accès à la fameuse bibliothèque avant de faire trop d'esclandre.

Comme s'il lisait dans ses pensées, le capitaine ajouta soudain : « Je vous conseille bien entendu la plus grande déférence envers cette illustre famille... »

« Mais oui ! » s'empressa de répondre Edward sans pour autant y mettre vraiment de la conviction. Ce qui en soit était déjà une réponse.

Le chef des gardes soupira mais il n'ajouta rien. Edward quant à lui commençait à s'impatienter sérieusement. Certes la décoration l'avait distrait un moment mais il commençait à en avoir marre de jouer les carottes de ce hall démesuré. Il était en train de penser que ça serait bien que la « puissante famille Abélès » se bouge un peu quand trois personnes richement habillés entrèrent dans son champ de vision.

Ce fut l'homme qui lui parla en premier. Arborant un sourire étincelant, il inclina très légèrement la tête et lui dit sur un ton affable :

« Vous devez être Edward Elric ? »

« Oui, et vous êtes ? », répondit-il sur un ton plutôt neutre.

Si, par pur esprit de contradiction, il n'avait pas cherché à faire preuve de trop de politesse, il ne s'attendait tout de même pas à une telle réaction. En effet, à peine avait-il posé sa question que l'homme sembla soudain être grillé sur place par un éclair venu d'on ne sait où.

« Vous... vous ne savez pas qui je suis... ? » demanda-t-il presque au bord du malaise.

Son attitude perturba suffisamment Edward pour qu'il se demande s'il venait de commettre un grave impair mais malgré toute sa réflexion il n'arrivait pas à voir ce qu'il avait pu dire ou faire de si terrible. Alors, il finit par répondre simplement la vérité :

« Heu... non... »

Avec une rapidité surnaturelle, son interlocuteur se retrouva soudain recroquevillé dans un coin sombre en plein dépression, répétant à voix basse un étrange soliloque. Bien que cette scène fut complètement loufoque cela ne sembla pas choquer le reste de l'assemblée. En fait les deux femmes qui l'accompagnaient soupirèrent l'air blasé avant de s'avancer pour lui tapoter gentiment l'épaule. La plus vieille des deux commença même à lui parler avec une délicatesse maternelle :

« Allons, allons, c'est normal qu'il ne te connaisse pas mon chéri, Monsieur Elric vient d'Amestris tu te souviens ? »

L'homme redressa légèrement la tête un peu moins dépressif et légèrement pensif.

« Oui c'est vrai que c'est loin Amestris », murmura-t-il pour lui même.

Puis, aussi soudainement qu'il s'était retrouvé dans ce recoin lugubre sorti de nulle part, l'homme fut de nouveau debout souriant et débordant d'énergie.

« Je vois ! Ma légende n'a pas encore traversé toutes les frontières ! Mais ça ne tardera pas j'en suis certain. » s'exclama-t-il sur un ton impérial.

« Mais oui, c'est certain », répondit la femme avec la même attitude qu'une mère qui dit à son fils que, oui, le monstre sous le lit est bien parti.

Enfin, l'homme se ré intéressa à Edward qui n'avait pas bougé, aussi ébahi qu'atterré par ce qu'il venait de voir. A sa manière, l'attitude décalée de cet homme lui rappelait les lubies du commandant Armstrong et cela lui faisait un petit pincement au cœur de repenser à tous ses amis si loin de lui désormais. Il n’eut toutefois pas le temps de verser dans la mélancolie car on ne pouvait plus arrêter son interlocuteur qui se mit à parler d'une manière grandiloquente en faisant d'amples mouvement de mains. Il lui fit presque l'intégralité de sa biographie mais c'était si confus et peu intéressant qu'il entendit approximativement :

« Je pardonne ton ignorance étranger, sache que je suis le Puissant Maurice Abélès, scientifique renommé et père de famille comblé. Alors que je n'avais que 7 ans j'ai blablablabla merveilleux blablabla extraordinaire blablabla... »

Il se demandait combien de temps son discours allait encore durer quand une phrase d'une intonation particulière attira son attention :

« Est-ce que vous m'écoutez Monsieur Elric ? »

Les cinq bonnes secondes qu'il mit à réaliser qu'on venait de lui adresser la parole le trahirent mais il répondit quand même « Oui, oui » sur un ton assuré.

Cela sembla satisfaire son interlocuteur qui se remit à parler mais cette fois Edward essaya de se concentrer et de suivre à peu près son monologue. Après avoir expliquer en détail en quoi il faisait un merveilleux et exceptionnel dirigeant, il se mit à présenter sa famille tout aussi merveilleuse et exceptionnelle. Il désigna en premier la femme la plus âgée avant de lui prendre amoureusement les deux mains :

« Voici Sarah ma magnifique femme depuis maintenant vingt-cinq merveilleuses années, l'amabilité et la beauté incarnée. »

Vu le peu de sourire et d'entrain qu'elle mettait dans la conversation il avait des doutes sur la première affirmation et il n'était pas non plus d'accord avec la deuxième, ne fantasmant pas franchement sur les femmes qui portaient tellement de bijoux qu'elles ressemblaient à des sapin de noël.

Ensuite, il désigna la plus jeune qui n'avait pas dit un mot depuis le début de la conversation et déclama une nouvelle description élogieuse :

« Et voici ma brillante et radieuse fille, Éléonore, future prodige de Donbachi. »

Il ne savait pas trop pour le « brillante » et le « futur prodige » mais en tout cas, « radieuse » n'était pas tellement le mot qui lui venait à l'esprit pour décrire cette jeune femme très légèrement plus âgée que lui mais qui avait le teint trop pâle et les yeux cernés, ce qui lui donnait des vagues allures de cadavres ambulant. Heureusement son manque complet de tact et de délicatesse intérieur ne transparut pas et Monsieur Maurice sembla enfin ne plus rien avoir à dire.

Toujours d'une bonne humeur étonnante, il fit signe à une femme de ménage d'approcher et termina enfin son long monologue :

« Maria va vous montrer votre chambre, ensuite nous prendrons le souper à 20h précises, et nous discuterons à ce moment là des détails de votre séjour parmi nous. »

Sans laisser à Edward le temps de placer un mot il tourna les talons et commença à vaquer à ses occupations avant de se retourner soudainement et de lancer avec entrain :

« J'allais oublier, bienvenue à Donbachi Monsieur Elric ! »