Hagane no Jikan
Du blanc. Partout, ou presque : cette chose, noire et imposante, suffisait à obscurcir mes pensées dès que j’y jetais un œil effrayé. L’espace était infiniment grand mais mon cœur était à l’étroit. Pourquoi étais-je ici encore une fois ? Je ne voulais plus la voir, je ne pouvais plus la voir… Qu’est-ce que je foutais là ?
« Là… Mets-la un peu plus à droite, mon ange, tu t’es trompée de dessin.
— Excuse-moi… Hohenheim. »
Qu’est-ce que… C’était quoi ce bordel ? Qu’est-ce que vous faites ? Non… Arrêtez ça tout de suite.
« Tu n’as pas perdu la main, on dirait…
— Tu oublies qui je suis. Je n’oublierai jamais rien, même en le voulant de toutes mes forces, même en pleurant, même en étant… »
MORT ! Tu es mort… Casse-toi de là !
« Ed ? Ohé !
— Heh ? »
Ed, encore mal réveillé, crut percevoir le ricanement de son frère assis sur la banquette face à lui. Une migraine transperçait son crâne et l’empêchait de sortir correctement sa tête du cirage vaseux dans lequel elle était plongée.
« East City, nous voilà… »
Alors comme ça, ils étaient arrivés à bon port... L’ex-Fullmetal fut surpris d’avoir pu dormir aussi profondément malgré l’inconfort et les secousses du train. Mais plus que tout, ce rêve occupait toutes ses pensées…
« Un problème, frangin ?
— Nan, nan, j’ai juste eu un sommeil assez agité, rien de plus… »
Il força un sourire à apparaître sur ses lèvres histoire de rassurer Alphonse. Mais ses pensées étaient tout autre…
Il ne savait pas tout ce que cela signifiait. Ou plutôt, il ne voulait l’admettre pour rien au monde. Ce n’était qu’un rêve, devrait-il penser. Pourtant tout avait l’air si réel… Si pesant.
Et ce n’était qu’un rêve…
« East City… Elle m’a manquée, cette ville, déclara Al les yeux levés au ciel plutôt ensoleillé et un petit sourire aux lèvres.
— De quoi ? s’indigna Edward tout à coup de retour à la réalité. Si tu avais vu West City, je t’assure que tu ne dirais pas la même chose. Et puis… Il s’est passé trop de choses ici pour que cette ville parvienne à me manquer, continua-t-il en rattrapant son frère déjà en marche vers la sortie de la gare bondée de voyageurs.
— Mais justement, c’est une raison de plus d’en avoir un bon souvenir, expliqua Al à son frère désormais tous deux dehors et arpentant la grande avenue de la ville. On a la paix maintenant et c’est grâce à ce qu’on a accompli tous ensemble. »
Si tout ça, néanmoins, n’était pas absolument vain… Quoi qu’il fasse, l’Homme sera toujours amené à répéter exactement la même erreur, leurré par le contexte qui le persuade du contraire.
Edward préféra garder le silence et enfouit les mains dans les poches de son imperméable marron. Il promena son regard autour de lui et fut tout de même soulagé de voir que la vie avait repris son cours. Un jeune couple grelotant de froid était assis à la terrasse d’un luxueux café. Une mère grondait son fils pour avoir accidentellement renversé toutes ses courses. Un sans-abri demeurait accroupi dans un coin de l’avenue, la main inlassablement tendue et un regard fatigué fixant le sol. C’était ça, la vie. Avec des choses bien, d’autres plus tristes. C’était ça : exactement comme l’âme. Du blanc, du noir. Jamais totalement l’un ou l’autre, jamais de gris. Il était uniquement question de proportions.
« C’est étrange que personne ne nous reconnaisse après tout ce qui s’est passé » pensa subitement Ed, surpris à se voir marcher aux côtés d’Alphonse sans se faire aborder par qui que ce soit. Ce fut au moment où il allait poser cette question à son frère qu’il se rendit compte qu’ils étaient déjà face au QG, toujours aussi grand, toujours aussi gris. Deux soldats patrouillaient à son entrée, l’air ennuyé. Un autre discutait gaiement avec passant. Le regard d’Edward se porta sur le gigantesque drapeau vert orné d’un dragon doré tendu au-dessus de l’entrée, puis sur la fenêtre luisante du bureau de l’ex-Colonel Mustang au second étage.
« Hé Al, tu crois qu’il a gardé le même bureau malgré sa gradation ?
— Le connaissant, il en serait bien capable ! ria le cadet.
— Allez, pas de temps à perdre. »
Les deux blonds accélérèrent le pas sur l’allée propre les menant à l’entrée. Les gardes, après les avoir aperçus, se redressèrent et les fixèrent avec un air méfiant. Ils étaient encore jeunes : un garçon blond et une jeune femme aux courts cheveux roux.
« Bonjour ! fit vivement Ed.
— Bonjour messieurs. Avez-vous une autorisation pour entrer ? répondit la jeune militaire, impassible.
— Euh… Vous ne nous connaissez pas ? soupçonna Ed. Al… Elle ne nous connaît pas ! » ricana-t-il après un silence gêné de la part de la rousse en guise de réponse.
La militaire rosit un peu et réitéra sa demande encore un peu plus froidement.
« Attendez mais vous êtes sérieuse là ? J’ai jamais eu à montrer quoi que ce soit pour entrer, je suis Alchimiste d’Etat !
— Tu étais, frangin, nuance…
— Alphonse ! s’indigna-t-il. Nan mais sérieusement, vous ne reconnaissez pas les frères Elric ? Je… Je peux vous montrer mon automail, tenez. J’ai pas tant changé que ça durant ces deux ans, si ? »
Alphonse se pinça l’arête du nez, dépité.
« Euh… hésita la jeune rousse devant l’automail à la jambe d’Edward. Sergent, venez voir… »
Son collègue s’approcha et scruta avec intérêt la jambe métallique que leur tendait l’ex-FullMetal, qui faisait claquer sa langue d’impatience. Le cadet soupira.
« Vous dites être Alchimiste, Monsieur. Pourrais-je…
— Ah ouais, c’est pas n’importe quoi comme auto-mail ça…
— Sergent ! Allez donc chercher le registre où sont inscrits tous les noms d’Alchimistes, gronda la militaire avant de reprendre. Je disais donc, pourrais-je avoir votre nom d’Alchimiste ? »
Ed resta pantois un petit moment.
« FullMetal. L’Alchimiste FullMetal, finit-il par annoncer en lissant le bas de la jambe de son pantalon pour dissimuler à nouveau son membre bionique.
— Avez-vous votre insigne ?
— Euh…
— Bon, eh bien, c’est mal parti… confia la rousse dans un souffle exaspéré. Sergent, avez-vous un quelconque ‘FullMetal’ sur vos listes ? »
Le collègue de la jeune femme, de retour, parcourait des yeux le cahier noir qu’il était parti chercher quelques secondes auparavant.
« Fancy… Flame… Forgotten – tiens, marrant ça comme nom d’Alchimiste – Garish… Non, je n’ai rien qui ressemble à FullMetal.
— Attendez mais c’est quoi ce délire ?! s’énerva Ed. Alors on vient me les briser par téléphone pour que je me ramène ici, je me tape toute cette maudite route dans ce train à la con et on me refuse l’accès ? C’est la meilleure celle-ci ! Ecoutez bien, j’ai pas de temps à perdre. Alors vous allez arrêter cette très mauvaise blague parce que je sais très bien que vous me connaissez et vous allez me laisser passer, merde !
— On te les brise, tu dis, FullMetal ? Qui donc ? »
Général Mustang en personne, dans son uniforme bleu nuit – avec quelques insignes en plus depuis leur dernière rencontre. L’ex-Colonel souriait d’un air moqueur dans l’encadrement de la grande porte, les mains croisées derrière son dos et un béret accordé à sa tenue élégamment posé sur sa tête, dissimulant une partie de ses courts cheveux noirs et ombrant ses yeux perçants.
« V… Vous ! Alors vous, Mustang, vous allez me faire le plaisir de m’expliquer tout ce cinoche ! cracha Edward en pointant son ancien supérieur d’un doigt accusateur.
— Bonjour FullMetal. Ca fait un bail, n’est-ce pas ? Ravi de te revoir aussi, ironisa Roy.
— C’est bon, du calme Ed, lui au moins t’as reconnu… tenta Alphonse un peu mal à l’aise.
— Encore heureux ! Manquerait plus que ça, tiens ! Hein les deux rigolos, là ? »
Les deux militaires gardèrent le silence et osèrent un regard empli d’incompréhension au Général qui leur murmura un « c’est bon vous pouvez les laisser passer, j’avais oublié de régler ce petit détail… » avant de faire signe aux frères Elric de le suivre à l’intérieur.
Le trajet se fit en silence ; Alphonse laissait son regard vagabonder sur la suite de portes sombres, qui, parfois ouvertes, laissaient entrevoir un militaire ou deux rédigeant leurs rapports. Les vitres et les murs étaient toujours aussi propres ; rien ou presque n’avait changé depuis sa dernière venue ici si ce n’était les rideaux de qualité qui ornaient chaque côté des fenêtres et les lustres étincelants. « La prospérité commence à se faire sentir » pensa Al dans un sourire.
Quand à Ed, il se contentait de marcher aux côtés du Général en silence, visiblement outré.
« Je vais tout t’expliquer, Elric, ne t’en fais pas pour ça. »
Le blond se contentait de grogner en signe de semi-approbation.
« Colonel… Euh, Général Mustang ? Il semblerait que vous ayez gardé le même bureau.
— J’y ai tenu, oui. Son Excellence Grumman m’a proposé un autre local, plus grand, mais, j’ai préféré garder celui-ci.
— Je ne vous savais pas si nostalgique, Général… » fit Ed avec une pointe de moquerie dans sa voix.
Mustang préféra lui répondre par le silence, d’autant plus qu’ils étaient enfin arrivés à la porte déjà ouverte de son bureau.
Etrangement, le fait que rien n’ait changé dans ce bureau n’étonnait pas Edward pour le moins du monde. Il retombait dans le passé sans s’en apercevoir. Riza Hawkeye, qui avait désormais les cheveux courts, leva le nez de ses feuilles et esquissa un petit sourire en saluant d’un hochement de tête les nouveaux arrivants.
« Edward, Alphonse, fit-elle. Bienvenue ici, à nouveau.
— Merci Lieute… Euh ? hésita Alphonse.
— Général de Brigade, précisa Mustang.
— Woah ça en fait des grades de pris ! s’exclama Ed. Je suis content de constater cela, mon Général, termina-t-il dans un sourire.
— Merci, murmura-t-elle en élargissant son sourire. Je dois disposer, Général »
Mustang fit signe aux deux frères de s’installer sur le canapé en cuir au centre de la pièce. Quant à lui, il prit place derrière son bureau, une main sous le menton et le coude sur la table. Après quelques secondes de silence durant lesquelles il observait les jeunes hommes se débarrasser de leurs imperméables et s’installer, le FullMetal – un peu plus serein que quelques minutes auparavant –, un bras sur l’accoudoir, se tourna vers lui et lui demanda pour la énième fois le pourquoi de cette mascarade.
Roy sourit.
« Blessé dans ton ego, FullMetal ? Plus personne ne te reconnaît. Ca doit te faire un choc.
— Je ne plaisante pas ! se braqua Ed. Et ce n’est pas de la prétention, mais avouez-le vous-même… Oh et puis pourquoi est-ce que je m’entête à vous prouver mes dires ? Vous allez plutôt me dire ce qu’il s’est passé durant ces quatre ans. »
Al fut un peu désarçonné. Que voulait-il entendre par là ? De son côté, il pensait simplement que sa popularité avait dû s’affaisser depuis sa dernière visite à East City. Quatre années, ce n’était pas rien. Même si le fait que son nom ne soit pas connu des militaires demeurait un mystère… D’autant plus que le Général avait retrouvé sa mine sérieuse et perdu son sourire. Ce dernier se leva pour faire face à la vitre derrière lui.
« Que veux-tu que je te dise, Edward ? Que quelqu’un a effacé le souvenir de cette bataille et des homonculi de la mémoire des Amestrians ? Eh bien oui, c’est le cas.
— Non mais arrêtez de vous foutre de moi, là. Je ne sais pas ce qui a été dit à notre sujet ici et c’est ce que je demande !
— Ai-je l’air de plaisanter ? rétorqua Mustang en se retournant.
— … C’est ridicule ! Vous-même, vous êtes un scientifique, un alchimiste ! Vous savez tout comme moi qu’une chose pareille ne peut pas se produire. »
L’Alchimiste de Flamme ne répondit pas et se contenta de fixer son interlocuteur avec sérieux. Quant à Al, silencieux lui aussi, il décida de se lever pour mieux fermer la porte d’entrée et s’y adosser les mains derrière le dos.
« Je suis d’accord avec Ed, Colo… Général. »
Mustang soupira.
« Bon écoutez, que vous me croyiez ou non ne change rien à la situation. Exceptés vos proches et ceux qui ont directement pris part à l’élimination de l’homonculus originel, plus personne ne se souvient de quoi que ce soit. Vous êtes des civils ordinaires et le secret de la transmutation humaine est à nouveau enterré. »
Silence.
Ed se leva, les sourcils légèrement froncés et s’approcha du bureau de son supérieur pour y appuyer ses mains et se pencher vers ce dernier.
« Quand bien même ce mensonge était vrai, qu’est-ce qu’on devient, nous ? Je voulais récupérer mon grade pour continuer mes recherches, Alphonse voulait passer l’épreuve pour être Alchimiste d’Etat lui aussi. Et d’ailleurs, c’est un peu ce qui nous a amené ; c’est ce que vous nous avez promis.
— Ne commence pas avec ces histoires. Vous aurez ce que vous voulez, c’est-à-dire l’accès intégral à toute la documentation interne de l’armée ainsi qu’aux travaux des alchimistes en laboratoire. Tu m’as demandé pourquoi personne ne vous reconnaissait et je t’ai répondu.
— Non non, ce que je demande, c’est comment ça se fait.
— Menteur.
— Je voulais une réponse à toutes mes interrogations, tout simplement.
— Tu trouveras les réponses seul. »
Cette fois, Ed se redressa et garda le silence. Mustang n’avait pas l’air de plaisanter et c’était bien ce qui l’inquiétait. Il n’était pas du genre à divaguer, mais d’un autre côté… Ses dires étaient complètement idiots. Et cerise sur le gâteau, il devait trouver les réponses seul !
… Il n’allait tout de même pas le croire ! La colère commençait lentement à prendre le dessus chez lui et biaisait progressivement ses pensées. Ouais, c’était une grosse blague de mauvais goût. Mustang ne savait franchement pas ce qu’était l’humour. Il était pathétique. Et puis plutôt que de se poser des questions, il allait tout simplement sortir, demander à un quelconque militaire s’il le connaissait et bien évidemment, la réponse de celui-ci serait affirmative. A cette pensée, Ed se précipita vers la sortie en demandant fébrilement à Al de se pousser de la porte.
« Tu vas où ? demanda l’ex-Colonel.
— Loin de vos bobards.
— Je me doutais déjà que tu n’allais pas me croire… »
Ed fit volte-face et pointa un doigt accusateur vers son interlocuteur.
« Si c’est la vérité, alors j’exige de savoir par quel principe d’alchimie vous avez su faire cette horreur ! » hurla-t-il.
Silence complet. Ed ne bougeait pas et serrait les dents, sur la défensive. Al regardait tour à tour son frère puis le Général et ce dernier, immobile lui-aussi, ouvrait et refermait sa bouche imperceptiblement.
« Tu le sais, hein Fullmetal ? murmura Mustang.
— Je le devine. Mais je ne pensais pas cela réellement possible, c’est tout.
— Comment l’as-tu su ?
— Vous croyiez que je me tournais les pouces à West City ? » rétorqua le jeune homme.
Mustang garda le silence après avoir lâché un « Tsh ! » et prit place sur son fauteuil avant de s’emparer du téléphone. Face à tant d’indifférence – qui, malgré tout, ne lui ressemblait pas – l’aîné des Elric se saisit rapidement des deux imperméables, balança le sien sur l’épaule et envoya le second à Alphonse.
« On se casse !
— Attends frangin, mais attends, où tu vas ? » s’écria Al avant d’être tiré par son frère vers l’extérieur.
Ce dernier commençait lui aussi à en avoir plus qu’assez. Tandis que son frère se précipitait vers la sortie, le cadet défit son bras de la poigne qui l’enserrait et s’interposa face à Ed.
« Maintenant c’est à toi de m’écouter, fit-il, décidé.
— Al, j’ai pas envie de rester ici plus longtemps, tout ça m’énerve au plus haut point ! Je m’en vais.
— T’as vraiment rien appris de ta courte vie, frangin ! Alors ça y est ? Tu abandonnes tout simplement parce que personne n’a reconnu tes exploits ? C’est d’un égoïsme ! J’arrive toujours pas à y croire. Moi qui pensais que tu avais toi aussi tiré une leçon de tout ça, le retour de ton bras, le départ de ton alchimie ! Et rien ! Est-ce que c’est vraiment cette reconnaissance que tu attendais ? Est-ce que c’est pour ça que tu as accompli tant de choses… ? »
Ed se tut et baissa les yeux.
Décidément, c’était lui qui n’avait rien compris. Soudainement, il empoigna les épaules de son frère et le força à le regarder dans les yeux.
« Alors c’est ça, hein… Voilà tout ce que tu penses de mes desseins ! Une leçon de vie n’est rien si on est seul à l’apprendre. Cette guerre, c’était une épreuve que tout le monde a vécu, ensemble. Et maintenant, j’ai l’impression qu’il n’en reste plus rien. Que tout ce qui a été appris et acquis par chacun de nous n’est que poussière. Je m’en cogne de ma notoriété et j’imagine que c’est pareil pour toi. C’est en surmontant une épreuve que l’on en sort grandi et plus fort. Ils ont tout détruit, tout ce qu’on a construit. On a perdu dix ans de notre vie.
— Et alors… Qu’est-ce que tu comptes faire contre ça, hein ? Amestris voulait la prospérité et elle l’a eue. La plupart s’en fichent de ces supposées leçons. Certains n’ont rien appris. Certains n’ont fait que souffrir. Alors excuse-moi de te dire ça, Edward, mais l’armée a bien fait de tout effacer. Une guerre reste une guerre. »
Ed tourna les talons à nouveau et garda le silence quelques secondes.
« Alphonse, viens avec moi un instant. »
Avant de laisser à son frère le temps de protester, l’aîné s’était déjà mis en marche vers les escaliers menant au rez-de-chaussée.
« … S’il te plaît. »
Malgré le doute qui le submergeait encore, Al se mit lentement en marche et suivit son frère – qui le devança d’un mètre ou deux tout le long du trajet, soit jusqu’à la sortie du bâtiment. C’était la fin de la journée et d’épais nuages rougeâtres masquaient le coucher de soleil, annonçant une future tombée de neige. Le sol et la pelouse, quant à eux, étaient déjà blanchis par le givre. Al frissonna. Les deux militaires ne semblaient pas avoir plus chaud ; ils discutaient fébrilement devant l’entrée, bras croisés et pris d’une légère tremblote. Le cadet détacha son regard des deux soldats lorsqu’il entendit Ed lui demander brièvement de s’approcher.
Ce dernier s’était agenouillé à même la pelouse sous un pommier dénudé de ses feuilles et tira sur la manche de son frère afin qu’il en fasse de même.
« Tu vois cette herbe, là ? De quoi est-elle constituée ? »
Al hésita un instant face à la question idiote de son frère puis finit par répondre :
« Eh bien euh… D’hydrogène, de carbone, d’oxygène, d’azote, de phosphate, de magnésium, de calcium de…
— Très bien. Tu peux donc la transmuter en feuille de papier, là, tout de suite. Fais-le pour voir ? »
Al fronça les sourcils et s’exécuta, joignant ses mains avant de les poser sur l’herbe sans quitter son frère des yeux. Aussitôt, une ébauche de papier sortit de parmi les brins verts et blancs de gazon givré.
« De quoi est faite cette feuille ?
— Ed, arrête de te foutre de moi.
— Patience ! Alors dis-moi.
— De tout ce que j’ai cité tout à l’heure, plus ce que tu ne m’as pas laissé le temps de dire ! » s’écria le cadet, exaspéré.
L’ex-FullMetal se leva, poings sur les hanches et yeux baissés vers son frère encore agenouillé.
« Maintenant… Transmute cette feuille en un lingot d’or pur.
— Je rentre.
— Pourquoi ?
— Depuis quand est-ce qu’on peut transformer un vulgaire amas d’éléments organiques en un tel minéral – quasi-inexistant dans les végétaux ? L’échange équivalent, t’en fais quoi ?
— C’est à moi de te poser cette question. »
L’aîné lâcha un long soupir et s’assit contre le tronc gelé de l’arbre, les yeux levés au ciel assombri.
« Des choses immatérielles peuvent s’échanger. Tu te souviens ? Je t’avais dit ça l’autre jour à Resembool. L’alchimie s’est mêlée à cette histoire. Et pour obtenir une chose, il faut en abandonner une autre de même valeur. Si cette chose est immatérielle alors elle a été échangée contre quelque chose de tout aussi immatériel. Donc il n’est pas seulement question de guerre que l’on veut faire oublier à tout le monde. On nous cache quelque chose et vue l’ampleur du phénomène… Il faut s’attendre au pire. »
Silence.
« J’ai des pistes sur ces phénomènes et je compte bien les explorer, toutes. Avec ou sans l’aval de l’armée d’Amestris.
— Fais pas le con, Ed.
— Pardon ?
— Garde ça sous silence et obéis à Mustang. Fais ce qu’il te dit de faire et suis l’armée… Si tu veux réellement découvrir quelque chose. »
Edward ne put empêcher un sourire de naître sur ses lèvres légèrement gercées par le froid.
« Tu marches ? demanda-t-il en observant son frère se relever et lui tendre la main.
— Et comment ! Mais t’as plutôt intérêt à tout me dire sur tes recherches, sourit Al.
— Je ne peux pas te résumer deux ans de réflexion en quelques jours, Alphonse ! rit le blond en se relevant.
— Sûr que tu le peux ! »
A présent, Mustang souriait face à la mine blasée d’Edward et à celle, amusée, d’Alphonse, tous deux revenus de leur petite escapade à l’extérieur du bâtiment.
« Cela me surprend de te voir aussi vite calmé et de retour si tôt.
— Vous préféreriez que je ressorte ?
— Non, suffit, tant que vous êtes là tous les deux. Edward, tu es officiellement redevenu le FullMetal Alchemist. Bien que tes transmutations ne soient plus à l’ordre du jour, tes compétences en alchimie et tes connaissances te serviront dans les diverses missions que nous t’assignerons – je tenterai de minimiser leur nombre, pour te laisser étudier en paix et éviter tout accident. Quant à toi Alphonse, l’examen d’Alchimiste d’Etat est programmé pour dans quinze jours. Tu as, je suppose, le temps de travailler cela afin de comparaître face à son Excellence le Généralissime Grumman. »
Le Général se tut quelques instants.
« FullMetal, j’ai un œil sur toi. N’oublie pas que tu fais partie de l’armée et que tu dois la servir. En aucun cas tes recherches ne doivent lui nuire, maintenant qu’elle n’est plus sous l’emprise de l’homonculus originel. Veuillez disposer tous les deux, on vous rappellera lorsque sera venu le moment du remplissage de quelques formulaires. J’ai à faire et nous avons suffisamment perdu de temps comme ça. »
« Le contrat avait enfin été signé. Mes doutes s’étant confirmés, je comptais bien explorer cette piste, surveillé ou non. Et Al, quant à lui, était bien évidemment partant. Les rouages se mettaient en place.
Seul problème : je ne savais toujours pas ce que signifiait cette espèce de rêve et surtout, d’étranges marques se mettaient à apparaître sur les paumes de mes mains…
A l’époque, je ne me doutais pas encore de ce qui allait suivre. »
Hagane no Keiyaku
Contrat d’acier