Sans perdre de temps

Chapitre 1 : Appelez-moi Olivia

3775 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/06/2020 11:22

Quand il se leva ce matin-là, Frank Newton sut que cette journée allait être merdique. Le présentateur de la météo annonçait une chaleur torride – du moins pour un mois de juillet à Seattle – sous laquelle il devrait rester et déplacer containers et palettes jusqu'à la tombée de la nuit. Il n'avait pas l'habitude de se plaindre de son travail sur les docks, on ne l'avait pas élevé comme ça. Cependant, il devait avouer que suer à grosses gouttes était loin d'être son activité favorite.

Il arriva tout de même au port avec entrain. Quand il lui prenait l'idée folle de dénigrer ses conditions de travail, il repensait à son frère, au chômage depuis trois ans et se rendait compte de la chance qu'il avait d'être un membre utile de la société.

A peine eut-il garé sa camionnette sur le parking que Bob, son chef et très cher beau-frère vint le saluer. Frank le trouva un peu trop aimable, et se dit que ça sentait fort les heures supplémentaires. Bob l'invita à prendre un café dans son bureau, ce qu'il n'était pas assez stupide pour refuser. Ils longèrent les quais, profitant de la fraîcheur qui ne tarderait pas à disparaître.


— Alors, le match de samedi ? demanda-t-il pour faire la conversation.


Bob était un fan inconditionnel de hockey sur glace et, quand on le lançait sur le sujet, on ne pouvait plus l'arrêter pendant au moins une heure. Avec un peu de chance, ça l'occuperait assez pour qu'il oublie ce qu'il voulait demander à Frank. Ce dernier l'écoutait d'une oreille, tandis qu'il déblatérait sur la saison catastrophique des Thunderbirds et du fait qu'ils feraient mieux de se mettre à la danse classique, si c'était pour jouer comme des nanas. Frank avait déjà entendu ce discours une centaine de fois et se perdit dans la contemplation des porte-containers qui s'étendaient à perte de vue pour éviter de le subir de nouveau.


— Oh putain, mais les gens sont dégueulasses, c'est pas possible, s'exclama Bob, interrompant sa diatribe.


Frank se tourna vers lui. Pendant qu'il parlait, il s'était approché du bord de l'eau et était maintenant penché au-dessus d'un point d'amarrage. Frank s'approcha et comprit de quoi il parlait. Une parka bleue à moitié déchiquetée flottait entre deux coques de bateau, vraisemblablement jetée là par un type qui ne connaissait pas l'existence des poubelles.


— Passe-moi cette perche là-bas, on va le remonter. C'est pas possible de prendre la mer comme une benne à ordures comme ça… 'Mériterait qu'on vienne saloper leur baraque, les gens comme ça, je te jure.


Frank obtempéra. Il attrapa une barre en métal munie d'un crochet posée non loin de là, et la dirigea vers le vêtement abandonné. Au moment même où il le toucha, le manteau se retourna, révélant son propriétaire, toujours à l'intérieur. Sa peau avait été décolorée par l'iode et ses yeux bleus fixaient le ciel, grands ouverts.


— Oh, bordel de Dieu…


Quand Liv arriva sur les lieux, les techniciens de la police scientifique s'étaient déjà dispersés partout aux alentours, butinant comme des mouches à cadavre à la recherche du moindre élément de preuve. Ravi et Babineaux étaient eux aussi sur place, en plein examen du corps.


— Ah Liv, vous tombez bien, la salua Babineaux. On va plus que jamais avoir besoin de vos talents.


Elle s'avança vers le cadavre étendu sur la berge. L'eau n'avait pas encore eu le temps d'effacer ses traits et d'en faire un être sans visage. Au moins, il restait une chance non négligeable que son cerveau soit encore frais et tant mieux. Liv avait eu une fois affaire à un cerveau avarié, et c'était une expérience qu'elle n'était pas tentée de reproduire.


La victime était un homme, n'importe où entre trente-cinq et cinquante ans. Ses yeux d'un bleu vif étaient restés grands ouverts, à peine entamés par les crabes et autres prédateurs aquatiques, preuve supplémentaire qu'il n'était pas là depuis très longtemps. L'air dans ses poumons avait sans doute aidé à le maintenir à la surface, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : il était déjà mort quand on l'avait jeté à l'eau. En dehors de cela, l'homme semblait ordinaire : crâne rasé, plutôt grand mais pas gigantesque, une silhouette élancée ni maigre ni grasse, pas de signes distinctifs.


— On a affaire à un complet inconnu, déclara Babineaux. Il n'avait pas de papiers d'identité sur lui, n'était pas connu des services de police… Bref, on a rien de concret pour l'instant.

— Et on ne sera pas aidés par ses empreintes digitales, ajouta Ravi. Regardez.


Il tourna la main du mort vers ses deux collègues. Si la peau boursouflée et glissante des noyés pouvait se révéler problématique pour le relevé des empreintes, lui n'en avait tout simplement pas. Le bout de chacun de ses doigts était lisse, dépourvu de toute crevasse naturelle. Liv et Babineaux s'échangèrent un regard interloqué. Maintenant, c'était bizarre. Qui était ce type et qu'avait-il à se reprocher au point de devoir en arriver à de telles extrémités ?


— Je lui ferais un moulage dentaire à la morgue. Quoique, je suis pas sûr que ce soit très productif… Si ça se trouve, il s'est aussi fait limer les dents. Ça va de pair, en général.


Babineaux hocha la tête, en pleine réflexion, puis fit signe à Liv qu'il était temps d'interroger les témoins.


Les deux hommes s'étaient réfugiés dans le bureau de Bob. L'endroit n'était pas luxueux, mais il y faisait frais, et c'était toujours mieux que de tenir compagnie à un cadavre de bon matin. Ils étaient tous deux le type-même du docker bourru : grands, les épaules larges, une bedaine déjà bien dessinée par les années, une calvitie apparente maintenant que les beaux jours ne leur permettaient plus de garder leur bonnet vissé sur la tête. Ils étaient tous deux assis autour d'un café, en silence, secoués. Quand les deux enquêteurs entrèrent, le plus grand et le plus roux des deux se leva de sa chaise et leur tendit une énorme main calleuse.


— Robert Coleman, se présenta-t-il, mais tout le monde m'appelle Bob ici. Lui, c'est mon beau-frère et très estimé collègue, Frank Newton.

— Lieutenant Clive Babineaux, police de Seattle, et voici Olivia Moore. Nous aurions quelques questions à vous poser.

— Bien sûr.

— Racontez-moi dans quelles circonstances vous avez trouvé la victime. Est-ce que vous avez remarqué quelque chose d'inhabituel ?


Frank sembla réfléchir un moment, mais Bob répondit tout de suite.


— Rien de bizarre, monsieur, tout était en ordre. Comme je racontais à vos collègues tout à l'heure, on a d'abord cru que quelqu'un avait jeté un manteau dans l'eau. Ça arrive parfois… Les gens prennent la mer pour leur poubelle personnelle et avec les courants, c'est charrié jusqu'au port. C'est que quand on a voulu le récupérer pour le mettre à la benne qu'on s'est rendu compte que le bonhomme était encore dedans. On l'a remonté quand même, au cas où il était peut-être pas encore mort, mais vous pensez bien que dans l'état où il était, on a pas tenté le bouche-à-bouche.


Clive hocha la tête, et griffonna les informations les plus importantes sur son carnet.


— Est-ce que vous aviez déjà vu cet homme auparavant ?

— Non, jamais… Il y a beaucoup de gens qui bossent ici, vous savez. Cela dit, je vous parierais tout ce que vous voulez que c'était pas son cas.

— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? demanda Liv, interpellée par ce commentaire.


Ce fut Frank qui répondit cette fois.


— Quand on l'a remonté, on a tout de suite remarqué qu'il avait pas une carrure de docker. Il était trop léger, nos gars sont pas aussi délicats que ça, même les petits nouveaux. Et puis, il y avait ses mains.

— C'est-à-dire ? enchaîna Babineaux.

— Ça m'a sauté aux yeux quand on l'a allongé. Il avait des petites mains de gonzesse, toutes fines, pas de cicatrices, rien.

C'est le genre de détail auquel je fais attention parce qu'il y a pas mieux pour repérer un tire-au-flanc parmi les employés. Un mec qu'a pas les mains déformées et pleines de coupures, c'est un mec qui bosse pas dur. Pour moi, ça devait être un informaticien ou un truc comme ça.


Babineaux lança un regard impatient à Liv, s'attendant sans doute à ce qu'une vision lui arrive de nulle part. Elle lui répondit par un petit sourire désolé.


— Bien, merci beaucoup, messieurs. Si quelque chose vous revient plus tard, n'hésitez pas à appeler.


Il leur tendit une carte de visite puis partit sans demander son reste, Liv sur ses talons.


— Bon, super. La seule chose qu'on ait apprise, c'est qu'on ne sait rien. J'adore quand les enquêtes commencent comme ça. Faites marcher vos pouvoirs extra-sensoriels, Liv, on va en avoir besoin…


***


— Tu sais quoi, Ravi ? J'ai bien envie d'une soupe de nouilles, aujourd'hui, annonça Liv quand elle revint du poste.

— C'est dans le frigo, répondit-il, concentré sur sa tâche. La boîte avec le couvercle rouge. Bon appétit.


Elle observa l'examen du corps tout en préparant son bouillon. Ravi était en train de réaliser le moulage dentaire, il n'aurait pas besoin de son aide.


— Tu penches décha avoir la cauje de la mort ? demanda-t-elle tout en mâchouillant un morceau de cervelle.

— Ne parles pas la bouche pleine, s'il te plaît, tu me donnes envie de vomir. Et pour répondre à ta question, non, je n'ai pas encore la cause précise de la mort, même si j'ai déjà ma petite idée.


Liv haussa les sourcils pour le pousser à continuer. En guise de réponse, Ravi souleva le drap et découvrit le torse tatoué de leur victime anonyme. Au niveau du sternum, une large plaie béait, laissant apercevoir les organes internes. Armé d'une pince, il écarta les chairs et éclaira l'intérieur à l'aide d'une lampe torche.


— On a… prélevé son cœur ?

— Je dirais même mieux que ça. On l'a arraché.


Il affichait ce sourire satisfait de celui qui a trouvé un os à ronger. Il se pencha au-dessus du corps, tendit la lampe à Liv et attrapa une autre pince sur le plateau, à l'aide de laquelle il se saisit d'une artère.


— Regarde ça. Je n'ai pas encore pu l'examiner autant que j'aurais voulu, vu que Babineaux voulait que je mette la priorité sur son identité, mais là, c'est sûr…


Il tira sur le morceau de tissu organique jusqu'à ce qu'il soit bien visible. C'était un petit bout d'aorte, qui semblait avoir été étiré d'un seul coup avant de rompre. Les bords étaient déformés et irréguliers, comme ceux d'un élastique sur lequel on aurait tiré trop vite.


— Il faudra plus d'éléments pour le confirmer, mais pour l'instant, la théorie la plus probable, c'est celle-là. Quelqu'un, qui était probablement très très fâché contre lui, lui a arraché le cœur. La question maintenant, c'est de savoir si ça a été fait post mortem ou si c'est la cause de la mort.


Liv hocha la tête et alla enfiler une paire de gants. Ils avaient du pain sur la planche.


***


— Arraché ? répéta Babineaux. Vous vous fichez de moi ?

— On a pas encore déterminé si c'était la véritable cause de la mort. Ce dont on est sûrs, en tout cas, c'est qu'il ne s'est pas noyé. Il n'y avait aucune trace d'eau dans ses poumons. Il était mort avant de toucher l'eau.

— Pas d'autres indices sur son identité ?

— Rien. Ravi écume les fichiers dentaires, et si ça ne fonctionne pas, on tentera avec ses tatouages. S'il a déjà été arrêté, on pourra peut-être le retrouver comme ça.

— Mouais, autant dire qu'on a pas grand-chose… Heureusement, on a un témoin. Lena Aguilar. Elle affirme avoir vu quelque chose de bizarre près du port, cette nuit.


Ils rejoignirent le témoin en salle d'interrogatoire. C'était une femme assez jeune, aux alentours de l'âge de Liv. Ses longs cheveux noirs encadraient son visage poupin et lui donnaient un air de tête à coiffer. Elle était un peu ronde et ses vêtements bon marché trahissaient sa pauvreté.


— Bonjour, je suis le lieutenant Babineaux, dit Clive en s'asseyant. Et voici Olivia Moore, du bureau du légiste. Vous affirmez avoir vu, je cite, « une chose étrange », près de là où on a retrouvé la victime ce matin.


Elle hocha la tête avant de répondre, avec un fort accent hispanique :


— Oui, c'est ça. Je travaille comme secrétaire chez Castillo… on vend du textile en gros, en provenance de Chine et de Taiwan… Bref, je suis rentrée chez moi vers vingt-deux heures hier soir, mais je me suis rendu compte en arrivant que j'avais oublié mes clefs au bureau. Quand j'y suis retournée pour les prendre, j'ai vu un éclair sur la baie. Ça a duré peut-être deux ou trois secondes… Après, quand je suis ressortie, juste avant de monter dans ma voiture, je l'ai revu. Il a traversé tout le port d'un coup, en passant juste à côté de moi et quand j'ai cligné des yeux, il avait disparu.

— D'accord… dit Babineaux avec une pointe d'incrédulité dans la voix. Et qu'est-ce qui vous fait dire que ça pourrait avoir un rapport avec notre affaire ?

— Eh bien, c'était à peu près à la même heure et dans le même secteur, alors je me suis dit qu'il y avait des chances que ces deux trucs bizarres soient en lien. Et puis, c'est pas tout… Quand je suis rentrée chez moi, je me suis rendu compte que j'avais du sang sur mon chemisier et sur ma jupe. Tenez, je vous les ai mis dans un sac plastique.


Elle plongea la main sous la table et en sortit deux sachets de congélation. A l'intérieur, pliés avec soin, se trouvait sa tenue de la veille, maculée de sang séché.


***


— Qu'est-ce que vous en pensez, Liv ?


Il leur avait paru clair dès le départ qu’un petit bout de femme pareil n’aurait pas eu la force suffisante pour arracher un cœur et encore moins de mobile. Une fois Lena remerciée et ses vêtements envoyés au labo pour analyse, Liv et Babineaux étaient retournés au bureau de ce dernier, en profonde réflexion. Il n'y avait pas grand-chose à faire tant qu'ils ne connaissaient pas l'identité de la victime et sans aucun autre témoin qu'une illuminée prétendant que le tueur était un éclair fou. Liv, elle, commençait à se désintéresser de toute cette histoire. Elle avait remarqué que le portefeuille de Babineaux dépassait de la poche de sa veste et se demandait comment elle pourrait attirer son attention ailleurs le temps de le subtiliser.


— Eh ho, la Terre appelle Liv Moore ! Qu'est-ce que vous pensez de ce que cette femme vient de nous raconter ? Est-ce que ça vous évoque quelque chose ?


Elle sursauta, soudain sortie de ses pensées, et se reporta sur son collègue. À vrai dire, elle ne pensait pas grand-chose de la situation, et sans vision pour les aider à avancer, ils n'iraient pas bien loin. Elle haussa les épaules en guise de réponse.


— Pas vraiment. Le sang sur ses vêtements semble au moins confirmer qu'elle est rentrée en contact avec le tueur, mais il va falloir attendre les résultats du labo pour en être certains…

— Et… c'est tout ? Pas de vision, rien ?

— Je n'ai pas des visions sur commandes, Clive. Si c'était le cas, ce serait beaucoup plus…


Son regard tomba sur un policier quelques bureaux plus loin. La nuit avait dû être rude pour lui, puisqu'il avait la tête posée sur ses deux bras croisés. Quelques cheveux tombaient sur son visage, sa bouche était entrouverte. Il n'en fallut pas plus pour que Liv ressente ce picotement familier remonter le long de sa colonne vertébrale.


La chambre est peu spacieuse. Un jeune homme est étendu dans le lit, le drap noir cache à peine son corps nu. Une main d'homme se pose sur son visage, lui caresse la joue du bout des doigts, trace le sillon des pommettes, suit le tracé des grains de beauté, enroule une mèche châtain autour de son index. Dehors, le soleil se lève et déverse sa lumière chaude dans la pièce.


— Allez, Barry, il est temps de se lever. Les méchants ne vont pas s'attraper tous seuls…


—… beaucoup plus simple…

— Ah, je connais ce regard. Qu'est-ce que vous avez vu ?


Liv prit quelques secondes pour rassembler ses pensées. L'image du jeune homme brun restait imprimée dans sa cornée et son cœur était serré comme dans un étau au fond de sa poitrine.


— Il avait un petit ami. Un certain Barry. Il… il lui a dit « les méchants ne vont pas s'attraper tous seuls »…


Babineaux lança un regard aux alentours, puis revint vers Liv.


— Ce serait un membre des forces de l'ordre ?

— Possible… J'ai pas vraiment plus d'indices que ça…

— On a un prénom, et un métier possible, c'est déjà mieux que rien. Le petit ami, vous seriez capable de le décrire à un dessinateur ?

— Je pense, oui.

— Super, je vais tâcher d'en trouver un. Allez donner un coup de main à Ravi en attendant, il va avoir besoin de vous.


***


Quand Liv revint à la morgue, Ravi se tenait devant la balance et pesait les poumons de la victime.


— Tu savais que le deuxième prénom de Clive, c'était Claude ? Tu crois qu'il a des origines françaises ?


Ravi se retourna et la fixa, un air excédé au visage, tandis qu'elle descendait les escaliers. Elle tenait entre ses mains le portefeuille de Babineaux, et y fouillait allègrement, piochant dans les papiers officiels et les cartes de fidélité.


— Oh non, Liv, ne me dis pas que tu as mangé un kleptomane…

— Je préfère le terme de partageur compulsif. Et quand je dis « partager », j'entends surtout « moi partageant avec moi-même les ressources offertes par notre belle société ». Ça te dit un yaourt glacé après le boulot ? Il a déjà neuf points sur sa carte, on pourra avoir trois toppings offerts au choix. J'ai une folle envie de mini-marshmallows…


Dès qu'elle arriva en bas des marches, Ravi lui retira son larcin des mains et le rangea dans un tiroir, à l'abri des regards.


— On le lui rendra quand il reviendra nous voir. En attendant, garde tes mains dans tes poches.

— T'es pas marrant. Alors, comment ça avance ?


Ravi indiqua du pouce les poumons qu'il était en train de peser.


— Doucement. En tout cas, c'est confirmé maintenant, il ne s'est pas noyé. Ses poumons sont légers comme une plume, je doute qu'il y ait une seule goutte d'eau là-dedans. Je vais tout de même continuer l'examen pour en être certain. Tu peux faire le bol alimentaire, en attendant ?


Liv étouffa une grimace, et enfila une paire de gants. Quelle merveilleuse façon de commencer son après-midi à la morgue qu'en vidant dans un bac en plastique de la bouillie d'estomac… Heureusement que la zombification avait aussi endommagé son odorat. Si elle avait été encore humaine, elle en aurait eu la nausée à coup sûr. Le pire dans l'histoire, c'est qu'elle n'en tira que des sucs gastriques et une volute noire qui ressemblait à du café. Il avait bu un café peu de temps avant sa mort. Merveilleux, formidable, l'enquête est résolue, ironisa-t-elle en silence.


Ce fut alors qu'elle remarqua une bulle qui flottait à la surface, bien plus grosse que les autres. Elle y posa son doigt et constata que la surface était rigide. Ce n'était pas une bulle, c'était du plastique. Du latex, en réalité, constata-t-elle en retirant l'objet du bol. De toute évidence, c'était un préservatif. Si ce n'était pas assez effrayant pour Liv de penser comme une voleuse jusqu'à son prochain repas, il fallait en plus que la victime soit du genre à avaler des capotes pleines de drogue. Non, ce n'était pas de la drogue, là-dedans, c'était une… clé USB ? Liv fronça les sourcils quand elle aperçut le petit morceau de plastique noir à travers la paroi transparente.


L'homme se tient face à un miroir dans une salle de bains miteuse, sans doute celle d'un motel à en croire la décoration spartiate et la peinture écaillée. Il jette un coup d'œil à la clé USB entourée d'un préservatif qu'il tient dans la main puis son regard revient vers son reflet.


— Si j'avais cru que je ferais ça de mon plein gré un jour… Allez, à la tienne, Barry.


Liv eut tout juste le temps de cacher son butin dans la poche de sa blouse avant que Ravi ne se retourne, alerté par son cri de surprise. Il s'approcha d'elle.


— Tout va bien ? Tu as eu une vision ?

— Non, non, c'était juste le hoquet. Tout va bien, je t'assure.

— Tu veux bien me montrer ce que tu viens de mettre dans ta poche, alors ? N'essaie pas de me dire que je me fais des idées, je t'ai vue.


Liv recula d'un pas, sans jamais quitter Ravi des yeux. Elle ne voulait pas le lui donner. Si leur victime était allée jusque-là, c'était pour ce Barry, et Liv sentait que c'était à lui que cette clé revenait de droit, peu importe ce qui s'y trouvait. Elle n'aurait qu'à la lui donner quand elle le rencontrerait, ni vu ni connu. Il y avait peu de chances qu'elle les aide à résoudre le crime. Sous le regard intransigeant de son supérieur, elle se ravisa et lui tendit ce qu'elle avait trouvé. Elle aurait tout le temps de le récupérer plus tard.


Pour l'instant, mieux valait faire profil bas et réfléchir à un plan.


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