Tu le paieras un jour William Afton
William et Henry patientèrent jusqu'à l'arrivée de Scott avant d'oser retourner à l'intérieur du restaurant. Comme les deux hommes l'avaient suspecté, plus aucune manifestation paranormale ne se produisit de la journée. Pendant qu'ils attendaient, Henry avait avancé l'hypothèse que les robots n'en avaient qu'après eux et qu'ils ne couraient de ce fait aucun risque en plein jour. William avait décidé de lui faire temporairement confiance, étant donné qu'il en savait de toute évidence bien plus que lui. Même s'il avait envie d'en savoir plus, il restait réticent. Il n'avait pas envie de s'embarquer dans ses affaires. Il voulait en rester à la curiosité malsaine et si possible ne pas aller plus loin. Cependant, il avait l'intuition forte que ce n'était pas ce que Henry avait en tête.
La journée se déroula sans nouveau problème. Le fils de Clay fêtait son anniversaire et la fête lui changea les idées quelques temps. Il était bon de savoir que tous les policiers n'étaient pas des idiots qui voulaient sa tête sur un pic. Dans leur petit bout de ville, tout le monde soutenait William et s'étaient assurés de lui présenter ses condoléances pour la perte de sa fille, contrairement à d'autres. Même si les jours les plus sombres étaient désormais derrière lui, il reprenait peu à peu espoir.
A la fin de la journée, l'équipe se retrouva dans le bureau de Scott pour discuter des tâches de la semaine prochaine. C'était une habitude que William trouvait ridicule, étant donné que le menu du restaurant ne changeait jamais et que la seule véritable tâche était la maintenance des robots, qu'il faisait automatiquement avec Henry lorsqu'un problème se présentait. Il aurait bien proposé de virer Jeremy, qui ne servait à rien, mais Scott le dissuada de le faire d'un coup d'oeil, comme s'il lisait dans ses pensées. Il ne comprenait toujours pas à quoi servait l'adolescent, à part à renverser le seau d'eau à terre quand il lavait la salle et faire tomber les pizzas du mauvais côté en les servant. Mais Scott l'aimait bien, donc il n'avait pas le droit de donner son avis. Foutu gamin.
Après une heure de bavardages inutiles, les employés furent enfin autorisés à rentrer chez eux. Soulagé, William se prépara à partir quand Henry lui saisit le bras.
"Eh, tu ne veux pas plutôt passer la soirée chez moi ? On pourra discuter. J'ai des choses à te montrer."
Le roboticien hésita, puis acquiesça timidement. Ils montèrent tous les deux dans la voiture de Henry et prirent la route. Durant tout le trajet, les deux hommes ne pipèrent pas un mot. William avait l'impression de faire une énorme bêtise, mais la curiosité le poussait à vouloir en savoir plus. Après tout, il ne savait pas où vivait Henry précisément, ni ce qu'il faisait en ce moment. Il l'aurait volontiers imaginé à la tête d'un grand laboratoire super secret, mais il savait aussi que si c'était le cas, il ne s'amuserait pas à travailler pour presque rien dans une pizzeria à la réputation mitigée. Son intuition se confirma lorsqu'ils ralentirent devant un immeuble à la façade délabrée et à l'hygiène douteuse. Ce n'était pas exactement le grand luxe.
L'intérieur était encore pire que l'extérieur. Les murs étaient décrépis et le hall sentait l'urine. Toutes les plantes étaient mortes et les boîte aux lettres enfoncées. Il crut même apercevoir un cadavre de rat sous une table à trois pieds abandonnée dans l'entrée. Cela ne parut pas pour autant déranger son collègue qui poursuivit son chemin jusqu'à un vieil ascenseur sans se préoccuper de ce qui l'entourait. Peu rassuré, William le rejoignit. Le monte-charges était vétuste. Il manquait plusieurs boutons sur le tableau de contrôle et des traces de griffes entouraient les rares encore utilisables, comme si quelqu'un s'était acharné dessus. Henry n'hésita pas et enfonça son doigt dans l'un des trous jusqu'à ce que les portes se ferment. La machine se mit en mouvement dans un grincement désagréable et l'impression que la cabine penchait sur le côté droit ne le quitta pas avant d'arriver au sixième étage.
Le couloir donnait sur trois portes branlantes. Celle d'Henry était la dernière. Il invita William à rentrer d'un geste théâtral. Son ami n'avait jamais été très organisé, mais ce qu'il avait sous les yeux le laissa sans voix. Le trois pièces d'Henry était engorgé du sol au plafond de papiers, d'objets scientifiques et de morceaux de robots. Tout prenait la poussière et il ne douta pas une seconde que ce dernier ne passe ici que pour y déposer plus de choses. Une partie du salon avait été aménagé en laboratoire. Le bureau était recouvert de dossiers et de fioles aux couleurs variées dont l'utilité échappait à William. La chimie n'était pas exactement la spécialité d'Henry et il ne comprenait pas cette obsession à travailler de cette façon. En s'approchant à peu, il comprit vite que ces recherches portaient, une fois de plus, sur les âmes. Les croquis représentaient presque tous Funtime Foxy et son attaque éclair. Un frisson désagréable remonta le long de son dos à ce souvenir.
Henry se débarrassa de son manteau et commença à déblayer la table du salon. William poursuivit son exploration des lieux, sur ses gardes, comme si quelque chose pouvait bondir sur lui à n'importe quel moment. Il ne se sentait pas à l'aise.
"Pose ton manteau sur le canapé, l'invita Henry. Désolé pour le bazar, je n'ai pas eu beaucoup de temps pour faire le ménage ces derniers jours. Enfin, tu me connais. Je n'aime pas beaucoup faire le ménage. Tu veux une bière ?"
Sans attendre son approbation, il ouvrit le réfrigérateur et s'empara de deux bouteilles. William le rejoignit à sa table, le regard fuyant. Il accepta malgré tout la boisson.
"Je pensais que tu avais arrêté de boire.
— Oh, une petite bière de temps en temps ne fait jamais de mal, plaida-t-il, l'air coupable. Je me suis fait soigner, ça va mieux maintenant.
— Hum, répondit simplement son interlocuteur, sceptique."
"Mieux" n'était pas le mot qu'il aurait employé pour tout dire. On ne pouvait pas aller mieux et avoir l'idée de découper des cadavres pour les donner à manger à des lions. Ce n'était pas exactement compatible. Mais qui était-il pour juger ? Il n'avait pas exactement refusé sa proposition. Henry joua un moment avec sa bouteille avant de relever les yeux vers lui.
"Merci de m'avoir donné une seconde chance. Je sais que je t'en demande beaucoup, mais ça me fait plaisir de voir que les choses redeviennent peu à peu normales pour moi. Je... Je sais que tu as du mal à me voir comme autre chose qu'un assassin pour l'instant, mais je te promets que j'ai vraiment changé. Je ne suis plus le même homme et, même si ce que je vais dire va te paraître choquant, c'est grâce à Charlie."
William ouvrit la bouche pour répliquer mais il ne lui en laissa pas le temps.
"Je sais que je suis le dernier des crétins et que ce que j'ai fait est impardonnable. Mais je ne suis pas spécialement d'accord sur le fait que ce soit irréparable.
— Henry...
— Laisse-moi finir. J'ai travaillé ces deux dernières années. J'ai lu des tas de bouquins dont j'ignorais jusqu'à l'existence même. Tous parlent d'un même phénomène : l'âme est capable de survivre quelques minutes après la mort. Dans la majorité des cas, celle-ci disparait dès lors qu'il n'y a plus rien auquelle elle peut se raccrocher. Mais dans le cas d'une mort violente, l'âme ne comprend pas qu'elle n'a plus de corps et peut soudainement se raccrocher à des objets comme dernier rampart. Tu as déjà entendu des esprits frappeurs ? Ceux que l'on retrouve dans les manoirs hantés. Beaucoup de ces manifestations sont liées à la mort violente d'une femme dans un puits ou sous les coups de son mari. Il y aura toujours des sceptiques pour dire que ce ne sont que des inventions, mais je pense détenir la preuve que c'est faux. Les âmes des enfants, en particulier, sont incroyablement puissantes, parce qu'ils n'ont pas la même conception de la mort telle qu'on peut l'avoir chez des adultes. Les esprits frappeurs passent à autre chose. Mais des témoignages parlent de l'âme d'un petit garçon tué par un chasseur en Ecosse et qui hante sa maison depuis si longtemps que ses derniers propriétaires, terrorisés, ont choisi de la détruire il y a quelques années."
Le moins que l'on puisse dire, c'était qu'il était passionné par son sujet. Une lueur malsaine brillait dans ses yeux à mesure qu'il poursuivait son raisonnement.
"Je ne pense pas que tu puisses nier que l'âme de nos enfants ait suivi ce chemin pour prendre possession de corps robotiques. Mais que se passerait-il si l'objet auquel y sont rattaché est réduit à un endosquelette inséré dans le corps d'un autre humain. Imagine ça ! Des morts capables de prendre la possession d'autres morts. Des gouvernements tueraient juste pour avoir la chance de faire partie du programme. On pourrait les ramener à la vie, William. Charlie, Georges, Elisabeth. Mais pour ça, on doit continuer les recherches avec... D'autres sujets. Des sujets plus récents et moins impliqués que nos propres enfants, parce que si on veut les ramener, nous n'avons pas le droit à l'erreur."
William resta silencieux alors que son coeur battait douloureusement dans sa poitrine. Bien sûr qu'il voulait ramener ses deux enfants à la vie. Il ferait tout pour cela. Mais était-ce vraiment la solution ? Comment Georges et Elisabeth réagiraient-ils en se réveillant dans un corps qui ne leur appartenaient pas ? Et voilà qu'il se projetait ! Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ?
"Henry... Je ne veux pas de la vie éternelle. Je... Je trouve ça horrible, pour tout dire. Comment réagirais-tu si tu étais coincé dans un corps pour l'éternité, sans possibilité de mettre fin à tes jours quand tu le voudrais ? Je m'inquiète pour mes enfants, je mentirais si je disais que je n'ai pas déjà songé à suivre tes conseils, mais je ne crois pas que ce soit la bonne solution. Tout ce que je souhaite, c'est qu'ils puissent trouver la paix et partir... Là où ils sont supposés aller. Je ne veux pas serrer dans mes bras une fillette robot qui ressemble à ma fille. Je veux l'aider à partir.
— Je comprends. Mais mon projet n'est pas incompatible avec le tiens. Si c'est vraiment ce que tu veux, alors je t'aiderais à les laisser partir. On peut faire un marché. Tu m'aides à arriver à mes fins, et je t'aide à arriver aux tiennes. Je suis sûr qu'on peut y arriver. Tout ce dont j'ai besoin, c'est de ta confiance."
Le roboticien hésita. Il avait l'impression de se trouver à ce moment charnière dans les jeux vidéos. Son choix aurait de l'importance. S'il faisait le bon, il pourrait même avoir une fin heureuse. Mais s'il faisait le mauvais, combien de personnes souffriraient encore de ses erreurs ? Il savait parfaitement où Henry voulait en venir. Pour continuer ses recherches, il allait falloir prendre la vie d'autres innocents, peut-être même des enfants de l'âge de Georges ou Elisabeth. Serait-il seulement capable de passer à l'acte ? Libérer ses propres enfants valait-il vraiment ce prix ? Ignorer le problème ferait de lui un père aussi médiocre que l'homme qu'il avait en face de lui. Et puis avait-il vraiment le choix ? Ils ne pouvaient pas éternellement garder des robots hantés dans la pizzeria. Tôt ou tard, des personnes plus intelligentes que des adolescents en manque de sensation forte pourraient s'intéresser de plus près à ce qui se passait la nuit dans le restaurant, et ce jour-là, nier la vérité serait plus compliquée.
"Combien ? demanda William. Je... Je ne sais pas si je serais capable de... Tuer un enfant.
— Oh, ne t'inquiète pas pour ça. Je ne te forcerais pas la main si tu n'en as pas envie. Dans l'idéal, il nous en faudrait... trois ? Quatre ? Si l'on fait attention et qu'on les fait disparaître tous en même temps, nous pourrons faire passer ça pour une fugue des enfants et un kidnapping. La police n'aurait aucune preuve et nous serions disculpés en un rien de temps. Tout ce qu'on aura à faire est de garder la tête froide et éviter de mêler d'autres personnes dans nos affaires. Cawthon n'est pas fiable, je préférerais éviter qu'il ne soit plus impliqué."
William détourna le regard. Il devrait s'insurger contre ses mots, hurler qu'il était un monstre et que tuer des enfants ne résoudraient pas la situation. Pourtant, une partie de lui acceptait entièrement ce sacrifice. Pourquoi ne parvenait-il pas à être effrayé de sa propre réaction ? Depuis quand était-il devenu aussi insensible ? Bientôt, ses mains seraient tâchées de sang.
"On a un marché ? demanda Henry, en tendant la main."
William l'observa pendant un long moment. Quatre enfants pour découvrir la recette de l'immortalité et sauver Georges et Elisabeth. Cela lui parut un bon compromis. Il était trop trempé dans cette affaire pour faire demi-tour maintenant de toute façon. Il poussa un soupir et lui serra la main.
"On a un marché."
Et les enfers tout entiers s'ouvrirent sous lui.